Glyphosate : un juge californien retoque le CIRC et son « probablement cancérogène »

Un juge californien a fait application d’un principe qui guide la justice dans de nombreux cas : le poids de la preuve. À cette aune, la décision du CIRC… ne fait pas le poids.

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Glyphosate : un juge californien retoque le CIRC et son « probablement cancérogène »

Publié le 3 mars 2018
- A +

Par André Heitz.

… un consommateur raisonnable ne comprendrait pas qu’une substance puisse être « connue pour causer le cancer » lorsqu’une seule organisation de santé a trouvé que la substance en question cause le cancer et que pratiquement toutes les autres agences gouvernementale et organismes de santé ayant examiné les études sur la substance chimique ont trouvé qu’il n’y avait aucune preuve qu’elle provoquait un cancer.

Oui, il s’agit encore du glyphosate – la substance iconique du militantisme anti-pesticides et, hélas aussi, de la chienlit gouvernementale et administrative en Europe et, surtout, en France.

Prop 65, la multiplication ubuesque d’avertissements de santé

La Californie, cet État où le bobo-écologisme a une place au soleil, a adopté en 1986, par un vote populaire, la Prop 65 ou Proposition 65, de son vrai nom « The Safe Drinking Water and Toxic Enforcement Act of 1986 » (loi de 1986 sur la sécurité de l’eau potable et les substances toxiques). Son objectif est de protéger la population contre les substances qui peuvent provoquer le cancer ou des malformations congénitales.

Cette loi prévoit en particulier :

Aucune personne ne doit, dans le cadre de ses activités industrielles et commerciales, sciemment et intentionnellement exposer un individu à un produit chimique connu par l’État comme cancérigène ou toxique pour la reproduction sans d’abord l’en avertir clairement et raisonnablement, sauf…

Les contrevenants s’exposent à des poursuites judiciaires intentées par des autorités publiques ou, sous certaines conditions, par des personnes privées « agissant dans l’intérêt public »… On voit poindre les cabinets d’avocats prédateurs…

On voit donc, en Californie, une myriade d’avertissements, sous des formes diverses, portant sur des « choses » dont le danger ou le risque (deux notions différentes) est avéré et sur d’autres pour lesquelles les acteurs économiques veulent simplement se prémunir d’ennuis judiciaires et, partant, économiques.

À l’entrée de Disneyland, d’un parking, d’une aire de pique-nique, au cul d’une céramique, chez Starbucks

photo libre de droits
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« Cancérigène probable selon le CIRC », « connu pour causer le cancer » en Californie

Le California Office of Environmental Health Hazard Assessment (bureau de la Californie d’évaluation des risques du milieu ambiant sur la santé) gère le système et tient une liste des substances qui tombent sous le coup de cette loi. Le système est très rigide. En particulier, toute substance déclarée « cancérigène avéré » ou « cancérigène probable » par le Centre International de Recherche sur le Cancer » est obligatoirement ajoutée à la liste.

L’OEHHA a donc inscrit le glyphosate sur sa liste le 7 juillet 2017, ce qui déclenche les obligations – et les risques – en vertu de la Prop 65 le 7 juillet prochain.

Monsanto – mais pas seulement – conteste la décision de classement en « connu pour causer le cancer »

La décision a été contestée. La littérature militante – et même des médias sérieux – a retenu que c’était par Monsanto. En fait, cette entreprise n’est que l’une des parties avec les douze autres citées dans le jugement évoqué ci-dessous, menées par l’Association Nationale des Producteurs de Blé ; et, selon ce site, onze procureurs généraux de divers endroits des États-Unis.

La procédure au fond suit son cours. Mais les plaignants ont déposé une requête en injonction préliminaire afin d’obtenir une annulation de l’inscription du glyphosate sur la liste de l’OEHHA.

Le Tribunal du District Est de la Californie a fait droit à la demande en partie par un arrêt du 26 février 2018. L’inscription du glyphosate dans la liste des substances de l’OEHHA n’est pas remise en cause, mais ses effets sont suspendus en attendant le jugement au fond.

Le classement du glyphosate en « cancérogène probable » par le CIRC fait-il le poids ?

Dans les procédures de ce genre, il faut convaincre le juge du référé, notamment, que les requérants ont un dossier prima facie solide quant au fond et que la mise en œuvre de la décision contestée provoquerait des dommages irréparables.

Le juge n’a pas admis leurs arguments relevant de la liberté de parole – déclinée ici comme une obligation pour les plaignants de faire des déclarations sur lesquelles ils ne sont pas d’accord. Il a, en revanche, assez longuement analysé la question du discours commercial imposé.

Il incombe à l’État de démontrer qu’une obligation de divulgation est purement factuelle et non controversée, n’est pas indûment pesante et est raisonnablement liée à un intérêt du gouvernement.

« … factuelle et non controversée » ? Le juge s’est prononcé à plusieurs reprises sur le caractère factuel et non controversé des faits qui ont donné naissance à l’obligation… la décision du CIRC de classer le glyphosate en « cancérigène probable ».

D’une manière générale :

Bien qu’il puisse être littéralement vrai que la Californie « sait » que le glyphosate cause le cancer selon la définition du terme qu’en a donné l’État dans la loi et les règlements, l’avertissement requis serait néanmoins trompeur pour le consommateur ordinaire.

[…]

Les consommateurs ordinaires n’interprètent pas les avertissements conformément à un réseau complexe de lois, de règlements et de décisions judiciaires, et la lecture la plus évidente de l’alerte au cancer de la Proposition 65 est que l’exposition au glyphosate provoque en fait le cancer. Un consommateur raisonnable peut comprendre que si l’avertissement dit « connu pour causer le cancer », il pourrait y avoir une petite minorité d’études ou d’experts contestant le fait que la substance provoque le cancer. Cependant, un consommateur raisonnable ne comprendrait pas qu’une substance puisse être « connue pour causer le cancer » lorsqu’une seule organisation de santé a trouvé que la substance en question cause le cancer et que pratiquement toutes les autres agences gouvernementale et organismes de santé ayant examiné les études sur la substance chimique ont trouvé qu’il n’y avait aucune preuve qu’elle provoquait un cancer. Compte tenu de ces faits, le message que le glyphosate est connu pour causer le cancer est au mieux trompeur.

Bis repetita – en l’occurrence – placent. Le juge est lié par la terminologie jurisprudentielle – « factuellement exact et non controversé » – mais on peut bien lire dans ses propos un rejet de la thèse du caractère factuel de la cancérogénicité :

Au vu des éléments de preuve présentés devant le tribunal, l’avertissement exigé pour le glyphosate ne semble pas factuellement exact et non controversé, car il envoie le message que la cancérogénicité du glyphosate est un fait incontesté, alors que presque tous les autres organismes de réglementation ont conclu à l’insuffisance des preuves que le glyphosate cause le cancer. Par exemple, l’EPA a examiné des études sur la cancérogénicité du glyphosate à plusieurs reprises et a déterminé chaque fois qu’il n’y avait pas ou pas assez de preuves que le glyphosate cause le cancer, le plus récemment en septembre 2016. Plusieurs agences internationales ont également conclu qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes que le glyphosate provoque le cancer, y compris la Direction Générale de la Santé et de la Protection des Consommateurs de la Commission Européenne, plusieurs divisions de l’Organisation Mondiale de la Santé autres que le CIRC et le principal organisme de réglementation allemand en matière de santé et de sécurité.

Le poids de la preuve

C’est là l’opinion d’un juge, sur la base des pièces du dossier qu’il a eu devant lui, et en référé – mais dans une procédure contradictoire dans laquelle l’État de Californie a pu répondre par l’intermédiaire de la directrice de l’OEHHA. Le juge a fait application en définitive d’un principe qui guide la justice dans de nombreux cas : le poids de la preuve. À cette aune, la décision du CIRC… ne fait pas le poids.

En fait, le juge enfonce le clou :

Il est intrinsèquement trompeur pour un avertissement de déclarer qu’une substance chimique est connue par l’État de Californie comme causant le cancer sur la base de la constatation qu’une organisation (qui, comme indiqué ci-dessus, a seulement trouvé que la substance était probablement cancérogène) lorsque apparemment tous les autres organismes de réglementation et gouvernementaux ont trouvé le contraire, y compris l’EPA, qui est l’un des organes sur lesquels la loi californienne s’appuie expressément pour déterminer si une substance chimique provoque le cancer. Le tribunal n’exprime aucune opinion quant à savoir si une déclaration qu’une substance chimique est connue pour causer le cancer est factuellement exacte et non controversée lorsqu’il y a des preuves plus fortes à l’appui de la cancérogénicité de la substance chimique. Cependant, ici, compte tenu du poids important de la preuve dans le dossier qu’en fait, le glyphosate n’est pas connu pour provoquer le cancer, l’avertissement exigé est factuellement inexact et controversé.

Ce principe du poids de la preuve devrait aussi guider l’action politique. Remplacez les termes selon les besoins, en particulier « EPA » par « EFSA et EChA » (et ANSES pour la France), et vous avez une clé de décision pour l’autorisation de mise en marché du glyphosate (ou de toute autre substance).

Un arrêt plus important qu’il n’y paraît

Cette décision est importante, et pas seulement pour le sort du glyphosate en Californie et plus généralement aux États-Unis d’Amérique.

Même s’il convient de rester prudent, le fait est qu’elle aura aussi, peut-être (selon la vitesse d’avancement des différents litiges), une incidence sur les procédures intentées contre Monsanto par des cabinets d’avocats prédateurs qui se sont servi de personnes atteintes d’un lymphome non-hodgkinien dont la cause a été attribuée à la manipulation de glyphosate.

Les juges ont parfois le sens du suspense. Voici comment le juge William B. Shubb conclut son analyse de la probabilité que les requérant l’emportent quant au fond (c’est nous qui graissons) :

Cependant, lorsque la Californie cherche à contraindre les entreprises à fournir des avertissements de cancer, les avertissements doivent être factuellement exact et non trompeur. Tel qu’appliqués au glyphosate, les avertissements exigés sont faux et trompeurs.

Et en France ?

Notons que c’est silence radio du côté des médias, même de ce journal de référence qui est si prompt à dégainer les « Monsanto Papers » et doit surveiller les déboires du glyphosate au States avec autant de vigilance que la cuisinière pour le lait sur le feu… Ah oui ! Il ne s’agit pas de déboires…

Mais il y a plus important : se trouvera-t-il un conseiller pour informer le Président Emmanuel Macron, lui qui déclarait récemment au Salon de l’Agriculture :

Le glyphosate, il n’y a aucun rapport qui dit que c’est innocent. Il y en a qui disent que c’est très dangereux, d’autres que c’est moyennement dangereux…

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  • Et maintenant, y a-t-il un juriste dans la salle qui puisse me dire si je peux informer mes clients qu’il n’y a pas de glyphosate dans mon champ sans risquer toutes sortes de procès pour tromperie ou concurrence déloyale ou discrimination … ?

    • Si c’est vrai, vous êtes libre de le faire, mais attention aux termes : votre information ne doit pas laisser entendre que le glyphosate serait cancérigène…

      • Je ne risque d’affirmer ni sa toxicité ni son innocuité parce que je n’en sais rien.
        En revanche je lutte contre la toxicité de ceux qui savent ce qui est bon pour nous et veulent nous l’imposer.

  • MACRON dit n’importe quoi en affirmant « Le glyphosate, il n’y a aucun rapport qui dit que c’est innocent. Il y en a qui disent que c’est très dangereux, d’autres que c’est moyennement dangereux… » Remplacer glyphosate par n’importe quel autre mot, et vous comprendrez que cette phrase est idiote. Par exemple pour le pain, il y a des rapports qui disent que ce n’est pas innocent, et ce n’est pas pour autant interdit. Il y a UN rapport scientifique qui dit que le glyphosate est probablement cancérigène, et une CINQUANTAINE d’autres qui, après études, n’émettent aucune réserve quant à son utilisation en agriculture, et que rien ne peut le remplacer pour le moment. En fait la caution scientifique de Macron c’est, comme d’habitude Hulot, dont chacun sait qu’il est diplômé en toxicologie par lui-même et dispensé de ce fait de fournir toute justification de sa conviction, en sa qualité de fils de Jupiter. Il applique le principe de précaution sans modération, qui lui commande de ne jamais rien faire et même de détruire tout ce qu’on a fait, parce qu’on ne sait jamais…, comme disait je ne sais plus quel fainéant…. Pour preuve : tous les morts que fait la médecine, devrait faire fermer tous les hôpitaux, ce qui ,par bonheur, ramènerait ramènerait le budget à l’équilibre sans impôts nouveaux !

    • « y’en a qui disent un truc y en a d’outre qui disent le contraire… » déjà quand vous dites ça vous n’êtes pas plus avancés que ça..ça met toute parole fondée sur des preuves ou non au m^me niveau…c’est déplorable. le principe de précaution est le contraire de la responsabilité et un paradis pour bureaucrate.a vide de tout interdire ou réguler.

  • Que Macron soit un menteur idéologique on s’en doutait puisque c’est un socialiste!

  • ce qui « prouve » que les juges sont corrompus…pour les croyants.

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