SMIC et pouvoir d’achat : on se trompe de combat

Comment réduire le coût du travail et protéger le pouvoir d’achat des plus démunis ? Certainement pas en passant par la revalorisation du smic, qui agit comme une trappe à pauvreté.

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SMIC et pouvoir d’achat : on se trompe de combat

Publié le 8 juin 2017
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Par Thibaut du Merle.

L’affaire Whirlpool qui a opposé Emmanuel Macron à Marine Le Pen entre les deux tours de l’élection présidentielle a mis au jour un des maux de notre société : l’incapacité à résoudre le chômage massif des peu qualifiés, et ceci principalement pour des raisons idéologiques.

Cet article ne vise pas à aborder l’exhaustivité des causes du chômage de notre pays, comme le poids du droit du travail, les freins divers à la mobilité, etc. mais simplement de faire un constat sur le blocage en ce qui concerne le coût du travail et le pouvoir d’achats des plus démunis.

Un faux-ami de plus de 50 ans : le SMIC et le pouvoir d’achat

Les mécanismes de définition du salaire (et indirectement du coût du travail) opposent :

  • Les partisans du libéralisme (de libre-concurrence pour être plus précis). Ceux-ci considèrent que les prix doivent être définis par des mécanismes de marché (rencontre non biaisée entre l’offre et la demande). Pour eux, le SMIC est donc trop cher car des travaux à faible valeur ajoutée ne peuvent pas être pourvus sur notre territoire, faute de rentabilité. De plus, les ouvriers qui travaillent sur des travaux à faible valeur ajoutée sont en concurrence directe avec des salaires de pays à bas coût.
  • Et les partisans de la solidarité (qui vont des formes les plus sincères en aidant les pauvres, aux plus idéologiques en expropriant les riches), qui considèrent qu’une société doit être juste en assurant des conditions de vie dignes pour tous ses concitoyens. Pour eux, le SMIC est donc trop faible car faire vivre une famille de 3 enfants avec deux smic est effectivement très difficile.

Deux positions inconciliables

Ces positions sont potentiellement légitimes, mais inconciliables. Elles s’opposent depuis des décennies sur le salaire minimum qu’on « impose » aux entreprises pour que leurs salariés vivent dignement de leur travail.

Tant que la mondialisation était limitée, ce SMIG (devenu smic) n’a pas posé de problème majeur hormis l’effet de trappe à pauvreté qu’il a induit1 : mais l’accès facilité à la main d’œuvre des pays à bas coût a mis au chômage les travailleurs peu qualifiés de notre pays. Ceci n’est pas la seule explication du chômage de masse2, mais c’est une cause importante concernant les emplois peu qualifiés. De plus, si on considère la France, le chômage élevé des peu qualifiés met une pression à la baisse sur les salaires des moins qualifiés : les smicards restent smicards.

On a posé des rustines (prime à l’emploi, prime d’activité, etc), mais rien n’y fait, notre pays continue de s’enliser.

En cas de fermeture du site d’Amiens, quels emplois peuvent-ils espérer ?

Même avec une formation (sauf si elle est longue et appropriée à son cursus), un ouvrier ne va pas devenir beaucoup plus employable : il peut espérer un emploi similaire (c’est-à-dire : nécessitant peu de qualifications).

En effet, même en cas d’accompagnement, de formation, on ne peut espérer, dans la grande majorité, qu’ils parviennent à augmenter leur valeur de marché de manière significative.

Pour cela, le temps long est nécessaire, en exerçant un métier. Cet ouvrier restera donc en concurrence avec les ouvriers d’Europe et du monde entier. Ils ont donc un risque important de rejoindre les rangs des 5 millions de chômeurs et assimilés que compte notre pays.

La question principale à se poser est : que veut-on faire pour eux ? Les laisser à leur triste sort de futurs chômeurs en laissant se faire les délocalisations ?

Dans une approche « libérale », l’Allemagne n’avait pas de SMIC

L’Allemagne n’a un salaire minimum légal que depuis 2015. Il y avait quelques seuils légaux auparavant, mais bien en deçà de ce qui a été finalement été accordé. L’Allemagne a travaillé dur pour retrouver la compétitivité suite aux Lois Hartz (2003), et maintenant que son industrie est florissante, les ouvriers sont mieux qualifiés. Ils sont meilleurs : ils ont appris leur travail, sont plus productifs, et ont donc une valeur plus importante sur le marché.

On notera que de plus en plus, ces salariés veulent définir comme des acquis sociaux leurs salaires. On le verra à l’avenir, mais cela finira probablement par induire des effets similaires à ce qu’on connait en France : augmenter la rigidité du marché du travail et donc augmenter le chômage.

Comment résoudre ces problèmes en France ?

Puisque le SMIC et la compétitivité d’une partie de notre population ne sont pas toujours compatibles, la seule solution pour résoudre leur problème est de :

  • Limiter le coût du travail perçu par l’entreprise (diminuer le SMIC)
  • Compenser la baisse de revenu par des mécanismes de redistribution (revalorisation de la prime d’activité, revenu universel3, autre).

Enfin, pour que ceci soit efficace, il est nécessaire d’observer quelques conditions à la mise en place :

  • Faire entrer les personnes progressivement dans ce système : un changement en mode « big bang » risque de modifier les équilibres précaires observés dans notre pays. Une bonne porte d’entrée serait la population des chômeurs elle-même.
  • Il faudrait idéalement coupler ce système à une revue du droit du travail et à la définition d’un nouveau contrat de travail dont les droits seraient définis a minima, dans un premier temps, pour faciliter les premiers pas. Le contrat à droit progressif (sans effet de cliquet : pas de période d’essai par exemple) serait un excellent complément.
  • Définir un niveau du smic qui rende ces travailleurs plus compétitifs.
  • Éviter de mettre en place des systèmes complexes et bureaucratiques, comme le sont par exemple aujourd’hui le RSA, la prime d’activité4, etc.
  • Éviter tant que possible les effets de seuils, qui sont symptomatiques de notre mal français : l’égalitarisme qui vise à gérer tous les cas particuliers.

  1.  Voir les nombreuses études qui existent sur le sujet : même si le SMIC est trop cher, les entreprises embauchent quand même des personnes qui leur rapportent moins marginalement, car ces travaux sont nécessaires. Ainsi, lorsque l’employé progresse (augmente sa productivité), il a tendance à rester à ce niveau de salaire, tant que sa productivité n’a pas atteint la valeur du SMIC.
  2.  Il y a aussi la fameuse rigidité du droit du travail français.
  3.  L’instauration d’un revenu universel nécessiterait la refonte complète de notre système fiscal, afin de garantir la cohérence globale et l’équilibre financier. En ce sens, la première proposition de Benoit Hamon lors des primaires du Parti Socialiste était parfaitement irresponsable. De plus, ce dispositif n’étant pas particulièrement populaire en France, cet argument est à prendre avec beaucoup de précaution.
  4.  Appréciez la complexité du calcul du RSA ici. Appréciez la complexité du calcul de la prime d’activité ici. Lorsque vous pouvez toucher les deux… le casse-tête est digne du Cube de Rubik.
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  • Il y a un acharnement dogmatique incroyable à vouloir faire payer la solidarité (c’est à dire la part de non marchande de sous qualification) par les entreprises plutôt que par l’Etat, considérant que tout travailleur est par définition exploité par son patron. On en mesure les résultats dans les statistiques du chômage comme dans les discussions avec n’importe quel artisan ou commerçant (qui portent la majorité des emplois en France), alors même que ce cobnst

  • … alors même que ce constat est dénié par toute la gauche et l’ensemble des syndicats. La réduction du niveau du SMIC est donc une solution incontournable (au besoin complétée par une prime d’activité au titre de la solidarité), d’autant qu’il faut reconnaître à l’entreprise qui embauche un salarié non qualifié qu’il le forme réellement à un métier, bien mieux que ne le fait la formation professionnelle entre les mains du syndicalisme qui y puise la majeure partie de ses ressources pour un résultat coûteux et totalement inefficace.

  • Article intéressant mais il ne répond pas à l’une des questions qu’il soulève : que faire des ouvriers peu qualifiés lorsque leur usine ferme ? En général ils peuvent difficilement migrer, famille, liens sociaux, emprunt pour un bien immobilier qui vaut peu, etc… Il est dit que la formation ne sera pas suffisante, mais quoi alors ?

    • Vous essayez de résoudre la conséquence au lieu de vous attaquer à la cause. L’article donne la cause : le niveau du smic.

      Smic élevé > travail non rentable > l’usine ferme

      • @ sam player
        Le smic n’est qu’un des éléments de l’équation dont le niveau est censé garder le travailleur à temps plein au-dessus du niveau de pauvreté réelle. Les autres éléments (durée hebdomadaire de travail, âge de la retraite, formation initiale et continue, valeur ajoutée de la production …) jouent leur rôle!

        L’emploi n’est pas un but en soi puisque c’est le résultat, l’état en voulant plus (créant des emplois sans « besoin »), les entreprises, moins (quitte à payer des heures supplémentaires)!

        Les entreprises riches ont des produits à forte valeur ajoutée, ce qui ne perdurera que par une formation permanente, chère, pour l’avenir (c’est le cas en Allemagne). Whirlpool était délocalisable dans tout pays à bas salaire!

        • Le but des entreprises n’est pas de créer des emplois, ni plus, ni moins.

          « Les entreprises riches ont des produits à forte valeur ajoutée. »
          Manifestement, vous ne savez pas ce qu’est la valeur ajoutée : les entreprises de pure main d’oeuvre ont une valeur ajoutée de près de 100% vs leur CA et ça n’en fait pas des entreprises « riches » (riches, ça ne veut rien dire pour une entreprise, vous devriez parler de performance).

          Il n’y a aucun rapport entre la valeur ajoutée et la performance d’une entreprise. La sous-traitance diminue d’ailleurs la valeur ajoutée mais améliore généralement la performance.

          Idem pour la distribution de masse : il est préférable de vendre 100 fois plus quitte à diminuer de 50% la valeur ajoutée unitaire.
          C’est ce qu’applique celui qui me vend mes e-liquides à 3€50 port inclus vs le distributeur du coin qui est à 5€90 : le premier fait des commandes par 10,000 au fabricant chaque semaine, le 2ème a en stock des liquides près de la date de péremption.

      • OK on connaît les causes et on peut les régler. Mais pendant une très longue période, beaucoup de personnes subiront les conséquences des choix passés. Donc on fait quoi ?

        • Vous n’espérez quand même pas rester tel quel sans solution, non ❓

        • « Mais pendant une très longue période… »

          Oui, si vous avez une fuite sur le toit, vous allez avoir des « désagréments » tant que vous ne ferez rien.
          Mais je vous parie que si vous bouchez le trou, ça ira mieux très vite…

  • Analyse plutôt intéressante … à développer.

    Un boulot certes, mais pour produire quoi ?
    Du vital ? Du raisonnable ? Du superflu ? Du luxe ? De l’obsolescent programmé ? Du polluant ? De l’armement pour tyran ?

    « Qui trouve rationnelles et louables nos organisations et pratiques sociétales politiques, économiques et a fortiori environnementales, ne l’est guère »

  • Si l’idée d’un revenu universel est impopulaire en France (alors que ce système semble bien fonctionner ailleurs), c’est que comme à chaque fois qu’on émet un concept un peu hardi dans ce pays, on l’a enveloppé de tellement d’idéologie qu’on en a fait une sorte d’hérésie crypto-anarcho-baba-coolesque, évidemment présentée sur le mode de l’usine à gaz aggravée des ingrédients coutumiers de l’échec à la française, bureaucratie, infantilisation, flicage.

    C’est pourtant un concept qui mériterait d’être expérimenté, si on veut avancer, évoluer, embrayer vers une économie libérale qui serait autre chose qu’une machine à fabriquer la prospérité insolente d’une poignée d’individus, le relatif confort de quelques-uns, le bénef d’une troupaille de rentiers, en sacrifiant une marge impressionnante d’individus dans ces trappes à exclusions (RSA, contrats jetables, emplois dits aidés) qui ne leur laissent pas une traître chance de se relever.
    On aura toujours besoin d’employés de voirie, d’éboueurs, d’agents d’entretien, d’ouvriers peu qualifiés, on va avoir de plus en plus besoin d’aides à domicile, d’assistant(e)s à la personne, d’emplois de service, de fabrication, de maintenance peu qualifiés. Si vous vivez dans une de ces villes dont on déplore qu’elles sont mal tenues, l’évidence vous saute aux yeux qu’il n’y a jamais eu tant de boulot à abattre au niveau voirie, hygiène, entretien des espaces verts, tandis que le chômage progresse autant que les travailleurs pauvres, qui stagnent dans la pauvreté au long des litanies de contrats jetables qui leur tiennent lieu d’emploi. Normal ! Si les municipalités embauchent trop, ça rejaillit sur la fiscalité locale et ça crée des mécontentements qui vont jouer sur les élections suivantes (même si les élus empochent de leur côté des primes parfois conséquentes). On est donc dans une problématique qui va au-delà de la notion de salaire minimum et de son coût pour les entreprises. On a des emplois qui paient mal et qui coûtent cher en étant surimposés, on a du sous-emploi à temps partiel subi, qui paie encore plus mal, qui est mal vécu, et dont on peut dire qu’il ne profite ni à l’employé ni à l’employeur, on aurait du travail mais on ne crée pas d’emplois pour l’accomplir, ou on se rabat sur une main-d’oeuvre étrangère moins chère et ça ne fait que creuser des antagonismes que l’on paiera un jour au prix fort. Situation inextricable dont la mise en place intelligemment pensée d’un revenu universel, pourrait permettre d’envisager la sortie par la grande porte.

  • Je rejoins l’intervenant précédent dans la notion dévoyée de « solidarité ».
    A mon sens,si il faut faire payer la sous qualification, il faut faire payer l’Éducation Nationale qui n’éduque plus depuis bien trop longtemps, toute préoccupée à distribuer le bac même aux plus nuls, où les profs sont inaudibles en classe, mais braient comme des ânes dans la rue, où la sélection est un mot ordurier….
    Tapons dans ce budget pléthorique pour rééquilibrer les revenus des personnes sous qualifiées.
    Pour ce faire virons, non pas les profs devant les élèves, mais les fonctionnaires, pédagogistes hors sols, et politiciens planqués qui encombrent pour 50% les effectifs .
    Instituons une règle qui fera que toute diminution du chômage entrainera une amélioration salariale des profs et inversement…
    On verra très vite les résultats, sur la qualité de l’orientation, la discipline, la motivation des enseignants…

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