Affaire Lambert : qui fait le droit ?

Des questions posées par l’arrêt de la CEDH dans l’affaire Lambert.

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Allégorie de la justice (Crédits : Scott, licence CC-BY-NC-SA 2.0), via Flickr.

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Affaire Lambert : qui fait le droit ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 4 juillet 2015
- A +

Par Jacques Garello.

Le 5 juin la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu un arrêt que certains tiennent pour historique : une législation nationale ne peut interdire l’euthanasie.

La CEDH a autorité dans les 45 pays qui ont reconnu la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour avait à trancher sur la requête des parents de Vincent Lambert qui remettaient en cause la décision du Conseil d’État français, s’appuyant lui-même sur la loi Léonetti et les débats parlementaires qui l’avaient accompagnée, ainsi que sur le Code français de la Santé publique. On connaît les circonstances de l’affaire : compte tenu de l’état de « conscience minimale » du patient suite à un accident de la route, une équipe médicale du CHU de Reims avait décidé d’interrompre tout soin pour lui permettre de s’acheminer vers une mort paisible, et son épouse Rachel, avertie, l’a approuvée. Les parents de Vincent, mis devant le fait accompli, ont obtenu une décision du tribunal administratif prescrivant la reprise des soins (consistant à alimenter le patient pour le maintenir en vie). Le Conseil d’État français a annulé la décision du Tribunal administratif mais, au vu de ce qu’en l’espèce il s’agissait d’un procès concernant les droits de l’Homme, et puisque la CEDH avait retenu la requête des parents Lambert, il s’en remettait donc à la Cour pour trancher définitivement.

Par douze voix contre cinq, les juges de la CEDH ont rejeté la demande des parents Lambert, tout en soulignant que l’épouse n’est pas un ayant-droit pour parler au nom de son mari. Comme il est usuel dans les sentences internationales, les cinq juges minoritaires ont publié leur opinion. Ils ont soutenu que la protection du « droit à la vie », qui est du devoir de tout État, n’est pas synonyme d’attribution d’un « droit à la mort ». Ils ont également retenu que les soins administrés à Vincent Lambert consistaient uniquement à l’alimenter, et que refuser toute boisson ou toute nourriture équivalait à le conduire inexorablement à une mort qu’à aucun moment il n’avait demandée. Il n’y aurait donc ni suicide assisté ni euthanasie (au sens de la loi française). La décision des médecins n’était donc pas acceptable.

L’affaire est dramatique, à tous points de vue, Vincent Lambert est enfermé dans une chambre du CHU et les démarches pour le sortir de cette situation carcérale n’ont jamais abouti à ce jour. La famille s’est déchirée et la bataille est sérieusement engagée sur la conduite à tenir.

Dans la tradition de Montesquieu et du Code civil, les Français se croient juristes. Ils estiment en général que la loi c’est la loi. Et il est vrai que la loi Léonetti a été votée à l’unanimité, à l’Assemblée et au Sénat. Quoi de plus ? Rien, si ce n’est que le législateur a précisément voté, dans notre pays comme ailleurs, des lois criminelles, contraires aux droits personnels les plus sacrés. Dans son célèbre pamphlet La loi Bastiat se dressait contre cette idée, défendue par Rousseau en particulier, que le législateur avait un pouvoir absolu, parce qu’il exprimait la « volonté populaire ».

Mais le juge n’aurait-il pas la possibilité sinon de faire la loi, mais au moins de l’interpréter ? C’est un point de vue très répandu chez les Anglo-saxons, mais rien ne garantit que le juge soit infaillible. La jurisprudence est sans doute importante et peut éclairer une décision, mais le risque d’une société « judiciarisée » comme l’est la société américaine a été dénoncé par de nombreux philosophes du droit. Il faut en revenir, une fois de plus, à cet éminent philosophe et économiste Hayek pour comprendre ce qu’est le droit : non pas un texte (c’est une législation, et souvent contraire au droit et de pure circonstance), non pas l’avis instantané d’un ou plusieurs juges (fussent-ils internationaux), mais le produit d’une longue évolution, qui sélectionne des règles permettant aux individus de vivre en bonne intelligence au sein d’une société. Qui fait la sélection ? Personne et tout le monde, le droit est le fruit d’un ordre spontané, qui n’est créé ni par le Parlement ni par les juges.

Alors qui ? Les thomistes s’en remettent d’abord au principe de négativité : on ne sait pas quelles sont les bonnes règles, mais on connaît celles qui sont mauvaises. Et celles qui sont mauvaises sont celles qui détruisent l’homme, qui brisent toute harmonie dans les relations entre les personnes. Sont mauvaises, en particulier les règles qui attentent à la vie, à la liberté et à la propriété. Les règles qui rendent les gens sinon heureux (une affaire très personnelle) mais harmonieux, réduisant au minimum l’imprévisibilité des comportements, vont progressivement émerger, puis s’élargir à des communautés de plus en plus nombreuses et variées. Derrière cette idée on trouve, chez Saint Thomas, le droit naturel ; celui qui naît de la confrontation permanente entre le droit positif (celui que les hommes « posent ») et le droit divin (dont les hommes n’ont qu’une idée imparfaite). Mais Hayek, agnostique, rejette formellement ce droit naturel, alors même que toute son œuvre en est imprégnée.

Qu’on le sache donc : pour blessante ou exaltante qu’elle soit, la décision de la CEDH, comme celle de millions de textes écrits par des élus, ou de sentences rendues par des tribunaux, ne pourra durablement échapper à la vraie vocation du droit. Ce qui est contre la nature et la dignité de l’être humain ne peut résister longtemps à l’épreuve du temps. Notre liberté, qui nous fait aussi devoir, est de revendiquer le droit au droit.

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  • Bonjour

    « .. avait décidé d’interrompre tout soin pour lui permettre de s’acheminer vers une mort paisible, »

    La loi Leonetti ne dit pas cela, elle dit « un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie »

    D’un coté l’intention de mort, de l’autre l’arrêt d’une thérapeutique déraisonnable, arrêt qui peut entraîner la mort.
    Il n’y a pas de VOLONTE de tuer.

  • Si on commence à penser qu’alimenter et donner à boire est un « traitement » qu’on peut décider d’arrêter quand on est légalement dans cette position ouvre le droit à l’infanticide généralisé par déshydratation, ainsi qu’à la liquidation de tous les vieux et autres personnes à mobilités restreintes.

    « Ho, m’ame Michu, le docteur trouve que les soins sont trop couteux et que vous ne valez plus trop la peine… donc maintenant si vous voulez manger, boire et on ne vous parle même pas d’un aspirine, va falloir vous débrouiller vous même !
    – Mais, heuuuu…..  »

    Encore plus simple avec les bébés qui crient trop… on n’a rien à leur dire on suprime juste les soins (les biberons, donc)

    • Il s’agit d’alimenter et boire en milieu hospitalier à coup de perfusions….. L’intéressé (si on peut l’appeler ainsi) n’est pas capable de boire un verre d’eau qu’on lui présente.

  • On peut discuter à l’infini de l’affaire Lambert. Ce qui est dit dans cet article, c’est que la loi n’est pas représentative du droit, que le jugement de la CEDH ne l’est pas davantage et que la position de l’auteur (il est contre) est fondée sur des considérations supérieures, comme le respect de la vie. Remarquons d’abord que la définition même de celle-ci n’est plus si assurée, depuis que l’on peut maintenir des gens en survie apparente, sans trop savoir si l’état dans lequel ils sont est réellement de la vie.

    Il est vrai que la théorie de la souveraineté qui en fait un pouvoir sans limites ne peut être acceptée. Il n’y a pas de vrai contrepouvoir en France, si c’est cela le sujet. Il vaudrait mieux le dire en permanence jusqu’à ce que les choses changent plutôt que de s’en souvenir brusquement lorsqu’une décision de justice vous déplait.

    Sinon, on ressemble à tous ces trotskistes qui considèrent que la loi est une émanation du pouvoir bourgeois et qu’il ne faut pas la respecter, à tous ces intégristes qui considèrent que la seule source du droit est la volonté divine exprimée dans des livres – chacun le sien. On n’en est pas très loin ici lorsqu’on oppose à la loi des valeurs qui lui sont supérieures. Qui est habilité à dire qu’elles le sont ? Toute personne qu’aura choquée une décision donnée ?

    Cet article dit des choses bien plus graves et pernicieuses, finalement, que la manière dont aurait dû être tranché un différent entre une épouse et ses beaux-parents, tous frappés par le malheur.

  • On ne sait pas dans quel état de conscience réel est Vincent Lambert : il y a de sacrés doutes ! Où est le principe de précaution ?

    Il a déjà tenu 31 jours sans alimentation… n’y aurait-il pas une volonté de survivre ?

    Enfin, pourquoi vouloir sa mort, quand des établissements spécialisés sont prêts à le prendre en charge ???

  • Il est toujours instructif de voir (ce n’est hélas pas le premier…) un intellectuel français censé incarner le libéralisme, apparaitre pour ce qu’il est vraiment. A savoir un conservateur de plus, sans aucun doute guidé par sa foi catholique comme la plupart des conservateurs. Un sinistre personnage prêt à laisser souffrir un être humain au nom de sa religion.

    Dans l’histoire, le plus « scandaleux » est que Garello se permette de convoquer Bastiat et Hayek pour tenter de maquiller son intégrisme religieux en un jusnaturalisme cher aux vrais libéraux. Quel pitoyable hold up.

    L’atteinte au droit naturel se trouve au contraire chez ceux qui refusent de le laisser partir dignement afin de servir leur combat. Les médecins experts en ces matières si complexes ayant clairement expliqué qu’il n’y a plus de vie consciente chez Vincent Lambert, le laisser ainsi croupir dans sa prison corporelle relève d’un manque flagrant d’humanité.

  • Les commentaires sont fermés.

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