Les libéraux, le libéralisme et l’islam

Face aux débats contemporains autour de la place de l’Islam en France, il peut être utile de lire les philosophes et penseurs libéraux des XVIIIe et XIXe siècles.

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Les libéraux, le libéralisme et l’islam

Publié le 7 novembre 2023
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Parmi ceux qui, en France, condamnent l’islam et les musulmans, il y a les croyants et les non-croyants.

Or les croyants, d’abord, doivent se souvenir que la religion a besoin de concurrence. À peine la démonstration a-t-elle besoin d’être faite.

Dès 1684, Basnage de Beauval explique que quand une religion n’a point de concurrents à craindre, elle s’affaiblit, se corrompt.

En Angleterre, Voltaire fait cette remarque que la concurrence des religions y est extrêmement favorable à la liberté :

« S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, dit-il, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses ». (Lettres sur les Anglais, 1734, 6e lettre.)

Alexis de Tocqueville consigne presque exactement les mêmes mots dans ses Carnets américains. (Œuvres complètes, t. V, vol. I, p. 70)

Enfin, dans ses Principes de politique de 1806, Benjamin Constant a un chapitre pour prouver les avantages de la concurrence des religions, en particulier sur la pureté de la morale. (Œuvres complètes, t. V, p. 278)

Ceux qui ne croient pas n’ont pas seulement, comme les autres, à dompter et à vaincre les fanatiques, qui menacent de brûler les hérétiques. Ils doivent encore éclairer les superstitieux. C’est que pour eux toute religion pose problème, étant fondée sur le principe d’autorité.

Les commandements de la Bible sont tyranniques au premier degré.

« Suivez mes lois, gardez mes commandements, mettez-les en pratique », c’est ce que le Lévitique donne à lire.

En bon français, cela signifie : que ces commandements vous paraissent bons ou mauvais, utiles ou futiles, vous les respecterez, car j’en suis l’auteur, moi, votre maître. Car le vrai vocabulaire des religions est celui des régimes d’esclavage, de servage, ou du moins de tutelle. Chez les libéraux français, on a pu débattre pour savoir si le catholicisme était compatible avec la liberté. Tocqueville la croyait surtout compatible avec un régime monarchique (Lettre à Ernest de Chabrol, 26 octobre 1831 ; Œuvres complètes, t. XVII, vol. I) ; elle aussi serait donc anti-républicaine ?

On dira que l’islam est une religion moyenâgeuse. C’est une façon de parler : car ce sont les Arabes qui, au Moyen Âge, nous ont révélé le monde gréco-latin. Mais peut-être l’islam serait-il incompatible avec le progrès, la civilisation ?

Tocqueville, qui a séjourné en Algérie, qui a lu le Coran crayon en main, ne le croyait pas :

« La propriété individuelle, l’industrie, l’habitation sédentaire n’ont rien de contraire à la religion de Mahomet […] L’islamisme n’est pas absolument impénétrable à la lumière ; il a souvent admis dans son sein certaines sciences ou certains arts. » (Œuvres complètes, t. III, vol. I, p. 325)

On dira que les musulmans sont dangereux. C’est un propos malséant, pour nous qui ne devons voir que les individus.

Au surplus, Benjamin Constant (qui a passé 30 ans à étudier les religions) enseigne que « l’autorité ne doit jamais proscrire une religion, même quand elle la croit dangereuse. Qu’elle punisse les actions coupables qu’une religion fait commettre, non comme actions religieuses, mais comme actions coupables : elle parviendra facilement à les réprimer. Si elle les attaquait comme religieuses, elle en ferait un devoir, et si elle voulait remonter jusqu’à l’opinion qui en est la source, elle s’engagerait dans un labyrinthe de vexations et d’iniquités, qui n’aurait plus de terme. » (Œuvres complètes, t. IX, p. 832)

C’est l’idée que défendait déjà Turgot un demi-siècle plus tôt, au milieu des grandes controverses religieuses du temps :

« Une religion qui aurait établi un grand nombre de dogmes faux et contraires aux principes de l’autorité politique, écrivait-il, et qui en même temps se serait fermé la voie pour revenir de ses erreurs qu’elle aurait consacrées, ou qu’elle se serait incorporées, ne serait pas faite pour être la religion publique d’un État : elle n’aurait droit qu’à la tolérance. » (Œuvres de Turgot et documents le concernant, t. I, p. 347)

Mais l’islam est éminemment politique, et les musulmans, sans doute, veulent remplacer nos lois par les leurs.

D’abord, aucune religion ne s’est jamais accommodée des lois qu’elle trouvait établies.

Dieu dit à Moïse :

« Vous n’agirez ni selon les coutumes du pays d’Égypte où vous avez demeuré, ni selon les mœurs du pays de Chanaan dans lequel je vous ferai entrer. Vous ne suivrez ni leurs lois ni leurs règles. » (Lévitique, XVIII, 3)

Naturellement, il ne faut pas le permettre. En son temps, rappelle Édouard Laboulaye, l’Église catholique, « qui était la religion, a voulu être la science, elle est arrivée un jour à être le gouvernement ; on s’est aperçu enfin qu’elle voulait tout envahir. On a secoué le joug, et elle est rentrée dans le temple. » (Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 432)

Pour dompter et vaincre les fanatiques, qui portent atteinte aux personnes ou aux propriétés, il faut la rigueur des lois. Pour éclairer les superstitieux, il faut autre chose : des lumières, du temps et de la bienveillance. C’est-à-dire qu’il faut de la liberté : car d’un côté un « État gendarme » vaut mieux qu’un État qui se mêle de tout et ne remplit pas ses missions ; de l’autre, la diffusion des idées ne peut se faire qu’en milieu libre.

La liberté de circulation des personnes, la tolérance religieuse, sont des principes majeurs du libéralisme. L’immigration a ses inconvénients, si elle a ses avantages. Mais renier nos principes et nos valeurs historiques ne peut se faire qu’au prix d’un affaiblissement.

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  • Les arabes « révélant » les lumières gréco-latines au Moyen Age : n’importe quoi !!! et tout le reste à l’avenant !!! Impressionnant d’ignorance, de plus en plus déçu par la médiocrité des intervenants, et je lis Contrepoints depuis très longtemps…

    • Probablement à nuancer mais pas faux non plus. Pas de quoi être indigné à ce point à moins d’être soi-même dans un parti pris idéologique.

      • Peut-être l’expression d’un ras-le-bol d’articles décevants à répétition ? Perso, c’est ce que je ressens et je ne viens plus quotidiennement sur Contrepoints.
        Facile à comprendre, puisque seingelt le dit lui-même, à moins que vous ne soyez, vous, dans un parti-pris idéologique ?

  • Étonnant. Je ne savais pas qu’au siècle des Lumières en France il y avait concurrence entre la religion judéo-chrétienne et une autre religion. C’est à cette période pourtant que l’influence de la religion a commencé à baisser.
    Je ne savais pas non plus que la religion judéo-chrétienne imposait un ensemble de lois comme celles de la charia : je savais que la bible édictait de principes moraux comme « tu ne volera pas », mais pas qu’elle disait qu’il fallait couper la main et le pied opposé du voleur comme le fait le Coran.
    On peut aussi parler des régimes politiques du Khalifa imposé par l’islam mais je n’ai pas trouvé de régime politique imposé dans la bible.
    Vraiment très instructif cet article. L’auteur en a-t-il d’autres de ce niveau ?

    10
    • Je pense qu’ils considéraient que les courants du christianisme étaient des religions différentes… Alors que là on parle bien de type de religions différentes : islam vs christanisme vs bouddhisme, etc.
      Un raccourci bien dangereux…
      Sachant que l’Islam n’est pas une religion, mais un projet de société (avec la Charia comme loi juridique)…

  • Dès qu’une religion prone la condamnation à mort pour apostasie (dans ce cas c’est juridiquement une secte) ou l’assassinat de croyants en d’autres religions, ses adeptes devraient être bannis. Il est absurde de parler de tolérance pour des intolérants sanguinaires.

  • Ravaler la religion au rang de superstition … Pascal et Descartes – entre autres – ont du rigoler dans leurs tombes.
    Ne pas évoquer l’importance de l’individu, de la responsabilité et de la liberté en parlant du christianisme, c’est quand-même rater un éléphant dans un placard. Il me semble que le christianisme est l’ancêtre de l’humanisme qui est lui-même l’ancêtre du libéralisme. Pour mémoire, le salut est une affaire individuelle.
    Cet auteur m’avait habitué à beaucoup mieux…

    • @swap l’auteur a fait l’impasse du Jésus pour parler du christianisme , quel tour de force ! c’est gondolant.
      Il a lu la bible comme il lirait un livre de cuisine , il y a cherché des lois , et il pense que c est comme cela que lisent ces imbéciles de superstitieux de croyants . Qu’il reste avec ses croyances , le christianisme n’est pas fait pour les flemmards .

  • Les commandements de la Bible sont tyranniques au premier degré.
    « Suivez mes lois, gardez mes commandements, mettez-les en pratique », c’est ce que le Lévitique donne à lire. Oui , c’est ce que le Lévitique donne à dire . Mais après il y a eu un certain Jésus qui a dit « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2, 23-28) ce qui veut dire que la loi est faite pour l’homme et non l’inverse . L’ancien testament doit toujours être lu avec le nouveau. Si on en reste à l’ancien , eh bien , ce n’est pas le christianisme …

    • Le Coran dit aussi « nulle contrainte en Islam ». Ça ne signifie pas que les lois divines ne soient pas contraignantes mais que l’homme est naturellement porté à les suivre.

      • « Nulle contrainte en Islam » signifie qu’on ne peut forcer juifs et chrétiens à se convertir. De fait, la plupart des conversions, dans les premiers siècles de l’Islam, ont été la conséquence d’un régime fiscal qui pénalise juifs et chrétiens.
        En revanche, cela ne signifie en aucun cas qu’un croyant peut se soustraire aux obligations de l’Islam (jeûne, prière,…). De plus, le Coran stipule bien que l’apostasie doit être punie de mort (ce qui est le cas dans la plupart des pays musulmans.

  • la question pour un libéral est de savoir si la religion empiète sur les libertés individuelles des autres;.

  •  » le vrai vocabulaire des religions est celui des régimes d’esclavage, de servage, ou du moins de tutelle. »
    Ah bon ?
    Je vous invite à lire l’Evangile de St-Jean (15.14-15) : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon père ».

  • Les commentaires sont fermés.

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