Systèmes électoraux : la France à la traîne

Découvrez les failles du système électoral français et les pistes pour une démocratie plus équilibrée et juste

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Systèmes électoraux : la France à la traîne

Publié le 21 avril 2023
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Parmi les slogans qui ont émergé en mai 1968, il y a eu « élections, piège à cons ».

Ce slogan sans doute excessif portait néanmoins en lui un questionnement profond à ce qui se nomme démocratie. J’allais écrire « qui s’auto-nomme » tant il est fréquent que des individus au pouvoir ou aspirant à y accéder manipulent sans grâce ce concept.

 

L’archaïsme du modèle électoral français

Comparée aux autres États de l’Union européenne, la France détient en ce domaine le record de l’archaïsme avec son système électoral fermé. Il est de bon ton de larmoyer dans les gazettes sur le taux d’abstention sans chercher à comprendre ses causes profondes.

Le mode électoral de vote uninominal majoritaire à deux tours est éminemment non-démocratique. Pour ne prendre que les plus proches, les élections législatives des années 2012-2017-2022 montrent que 40-45 % des choix exprimés au premier tour ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale.

D’un point de vue « scientifique », si ce qualificatif veut bien s’appliquer aux choix erratiques de millions de personnes très souvent peu documentées sur les enjeux en présence, le seul mode électoral crédible est le vote à la proportionnelle intégrale. Rappelons que sur les 27 États membres de l’UE, 24 votent à la proportionnelle selon des modalités adaptées. 1

La proportionnelle ne gomme pas les imperfections dues aux absences de documentations des votants. Néanmoins, en faisant du pays une seule et unique circonscription, comme en Israël, elle répond à l’exigence d’égalité totale selon l’endroit où vote l’électeur, elle donne une image la plus précise des différentes sensibilités politiques, elle évite le charcutage des circonscriptions.

À ce sujet, rappelons qu’il y a eu en France une longue période où pour élire un député communiste il fallait deux fois plus de voix que pour élire un député gaulliste…

Rappelons aussi qu’un député élu au scrutin uninominal de circonscription ne représente en aucun cas celle-ci : élu national, il siègera à l’Assemblée nationale pour voter (ou pas) des lois nationales.

 

Le modèle irlandais

Si la proportionnelle intégrale n’est pas adoptée, je propose comme solution de repli le mode électoral utilisé en République d’Irlande qui marie vision proportionnelle des forces et choix raisonné de la part d’un électeur : single transferable vote.

Exemple.

Je vote dans une circonscription où se présentent sept candidates et candidats. Sur le listing de vote, je coche le candidat du Fine Gael ; puis, au cas où mon candidat ne recueillerait pas le quota ad hoc pour être élu, je décide de reporter mon choix vers la candidate du Sinn Fein dont j’ai apprécié les actions locales ; puis je reporte mon choix sur le candidat indépendant, etc. Le dépouillement est un peu long. En 2022, le dernier élu l’a été au quatorzième report. Néanmoins la vision politique est fine. Avec les premiers choix consolidés au niveau national, nous obtenons une vision panoramique des forces politiques en présence ; avec les reports, nous respectons les choix raisonnés et la qualité des vrais engagements des candidats. Au Parlement de Dublin « Dail Eireann », sur les 160 députés actuels, 22 sont des indépendants.

Quel que soit le mode électoral adopté, il convient aussi de calculer les choix en rapport du Corps Électoral Total (CET) c’est-à-dire toutes les personnes en âge de voter et dotées de leurs droits civiques, inscrites ou pas sur les listes électorales. En se contentant des suffrages exprimés les analyses sont faussées et ne prennent pas en compte la sociologie électorale globale. Exemple : au référendum de juin 2016, 65 % du corps électoral de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord n’ont pas voté Oui au Brexit ! 2

Le référendum est une mécanique étrange. Comme l’a dit un sage indien : « Vous avez un truc bizarre en Occident, vous appelez ça référendum ; vous comptez des têtes sans savoir ce qu’il y a dedans… ! »

 

Le dilemme des démocraties

De fait, les démocraties sont hantées par ce dilemme : d’un côté, elles ont besoin de voir leurs lois largement approuvées par les citoyens ; de l’autre, elles sont manifestement incapables de résoudre leurs problèmes majeurs sans passer par une centralisation du pouvoir et donc des lois très générales qui excluent par principe l’approbation populaire. Si l’on veut que la confiance envers la démocratie revienne, il faut la décharger des illusions qui ont transformé le rêve d’une vie publique harmonieuse en un cauchemar : demander aux citoyens de s’occuper d’affaires pour lesquelles ils ne sont pas outillés intellectuellement. 3

« L’opinion publique n’existe que là où il n’y a pas d’idées. » Oscar Wilde

Le cas de la Suisse est vraiment à part. Un sujet validé par le Conseil fédéral va être documenté et débattu partout et jusqu’à deux années avant d’être soumis à la votation. Des balances sont prévues. Ainsi pour un texte de portée fédérale, outre le fait qu’il doit recueillir plus de 50 % des votes (Oui/Non), il faut aussi que les deux tiers des votants des 26 cantons aient voté Oui ou Non, parfois avec pondération démographique. Il est vrai que les pratiques des Suisses ont débuté en 1291, ils ont eu le temps de les peaufiner.

Les problèmes les plus frustrants de la démocratie sont justement ceux qui ne peuvent pas être résolus par des principes démocratiques. Ceci étant acquis et le 51/49 étant absurde d’un point de vue scientifique, je préfère faire confiance à des élites irrécupérables, des compétences très variées et de haut niveau de connaissances, des mixités d’âges, de sexes, de lieux géographiques, des choix pondérés par des confrontations sérieuses hors des imprécations démagogiques… Pour découvrir des tendances, pas des majorités. Dans des comités ainsi constitués, les membres nommés seraient choisis pour une durée limitée (cinq ou dix ans) et sans redoublement possible.

Je sais, ce n’est pas « démocratique » …

 

« Will our children be better off than we were ? Yes, but it’s going to be due to the engineers, not the politicians. » Thomas Massie, (Kentucky)

 

  1. Liam Fauchard, La Comédie Démocratique / Liberté – Fraternité -Autogestion, Ed2A 2017.
  2. ONS – Office National des Statistiques (UK).
  3. Walter Lippmann, Le public fantôme, Démopolis 2008.
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  • Les Européennes montrent que la proportionnelle est loin d’être une solution. On ne saurait plus favoriser l’irresponsabilité des élus devant leurs électeurs, et la connivence au sein des appareils qui vont de fait les choisir. Le système irlandais est plus attrayant, mais le problème est ailleurs : nous avons déjà 10 fois trop de lois, d’interdictions et d’obligations, et voilà que nous estimons indispensables de désigner des représentants à seule fin d’en rajouter. L’important dans le système suisse est qu’on débat et qu’on vote sur des sujets et non sur des personnes. En France, tout ce qui n’est pas querelle de personnes est délaissé par les médias et ignoré par les électeurs, voilà ce qu’il faudrait changer en priorité, le système électoral suivrait alors sans le moindre doute.

  • On parle beaucoup en ce moment de nos institutions, de la pratique politique, de Macron etc et ce qu’il faudrait pour que le pays se sente mieux. C’est assez confus, chacun ayant ses préférences, probablement aussi parce qu’il y a plusieurs moyens, qui peuvent résoudre par exemple la représentation et participation citoyenne, mais on ne sait trop rien sur moyen-long terme quels effets bénéfiques sur le pays.
    En ravanche, ce que je sais c’est que chaque matin dès que je me lève, déjà plane sur moi l’ombre pesante et déficiente de l’Etat central mégalomane.

  • Notre système a été mis en application par De Gaulle parceque la proportionnelle ne fonctionnait pas dans la 4ieme République. D’ailleurs, en Italie, cela ne fonctionne absolument pas et les gouvernements tombent tous les 9mois en moyenne. Il semble que la proportionnelle ne fonctionne pas dans les pays latins…
    Notre gauche caviar l’apprécie particulièrement depuis Mitterrand : lui qui voulait créer la 6ieme République, a trouvé super la 5ieme une fois qu’il a été élu et réélu en monarque dictateur. Il en serait de même si les écolos ou LFI arrivaient au pouvoir.
    La réalité est que députés et sénateurs qui protègent leurs intérêts personnels plus que ceux des électeurs pour leur réélection ne devraient pas pouvoir être élus plus de 2 mandats dans leur vie. Et s’ils sont fonctionnaires, devraient démissionner de la fonction publique sans jamais pouvoir y retourner (pour cause de conflits d’intérêts). On éviterait ainsi cette complaisance qui fait que nos services publics fonctionnent si mal et deviennent si obèses. Comptez combien de fonctionnaires il y a parmi les députés !

    • on peut ajouter le décompte des votes blancs (et non uniquement l’abstention).
      Pour la Suisse, ne pas oublier que c’est un pays fédéral : tout n’est pas discuté à Berne, très très loin de là.

  • Nos « proportionnelles » françaises actuelles sont un grand n’importe-quoi…
    On les dit « proportionnelles à prime majoritaire » alors qu’il s’agit plutôt de « majoritaires à modération proportionnelle »: pour les municipales, la « prime » de 50% arrondis à l’entier supérieur garantit plus de 75 % des sièges de conseillers à une liste à peine mieux choisie que les autres. Elles sont assorties de seuils éliminatoires et de seconds tours avec possibilité de fusion…
    L’exigence de listes complètes avec des effectifs pléthoriques réserve le droit de concourir (utilement) à de grosses structures (ou à des coalitions « folkloriques ») et réduit le nombre de listes possibles. Autre exigence rédhibitoire: l’alternance sexuelle dans la constitution de listes ordonnées.
    Les régionales sont le summum de « l’usine à gaz »…
    Au final: représentativité improbable et désintérêt des électeurs. Le tirage au sort (non guidé) serait plus économique pour le même résultat.
    Donc pas question d’étendre nos « proportionnelles » actuelles au niveau national ou même départemental (pour les législatives), sans écarter au préalable les mécanismes contestables ci-dessus.
    Je pense en outre que le départage parfois à une voix près ignore totalement les aléas extérieurs du scrutin: je pense que le résultat ne saurait être acquis sans un pourcentage minimal d’écart entre candidats, quitte à multiplier les tours de scrutin jusqu’à obtenir cet écart.
    Ajoutons que toutes nos élections, sauf les sénatoriales, repartent de la base, fluctuante, de sorte que nos diverses assemblées ne peuvent manquer d’être en conflit…
    J’ai naturellement mon projet de refonte du Code électoral et de la Constitution, mais le détail n’est sans doute pas utile ici…

  • La France n’est pas une démocratie.
    Son système électoral ne peut pas l’être.
    Si nous étions en démocratie, il n’y aurait aucun guignol qui siégerait à l’A.N en n’ayant pas obtenu 51% des voix des citoyens de la circonscription, ni même un P.R à l’Elysée qui n’obtient que 31,5% des voix des citoyens (18 772 819 voix sur 48 752 500 citoyens au total).
    Le suffrage à la majorité exprimée est à bannir car il est antidémocratique. Mais comme je l’ai lu en cours d’Éducation Morale et Civique : « Il faut bien que le poste soit pourvu. » illustré par l’élection d’un président de Région « élu » avec 35% des voix des électeurs et une abstention autour de 55%. J’ai découvert que ce n’était pas une coquille… c’est la norme puisque la règle est ainsi.

    Nouvelles règles des élections :
    1) Pour être élu, il faut obtenir au minimum 51% des voix des citoyens.
    2) Ne pas faire un score meilleur que l’abstention vaut élimination de la course au mandat à pourvoir.
    3) Un citoyen, une voix. La procuration est possible pour ceux ne pouvant se déplacer au bureau de vote (travail, hospitalisation, maladie,…)
    4) Le vote se fait en mettant une pièce de la valeur d’une unité de valeur faciale de la monnaie en cours dans l’urne sécurisée (1 euro en ce moment.) du candidat de son choix.
    Une urne sécurisée par candidat. Le « vote blanc » a aussi une urne sécurisée [l’urne fonctionnerait comme le système de monnayeur des machines à café].
    5) Le vainqueur se voit doter du montant obtenu. Ce montant constitue son dédommagement pour la durée du mandat. Il ne percevra rien d’autre.
    6) Les sommes obtenues par les perdants seront redistribuées aux communes pour leurs budgets.
    7) La sécurisation des urnes et des sommes, leur transport, la redistribution seront assurés par le FiSC et ses agents. Le FiSC et ses agents sont garants du bon fonctionnement des urnes tout le long de l’ouverture des votes.
    8) Le comptage des voix est effectué par les assesseurs.
    9) La triche quelle qu’elle soit est interdite et annule tout. Les tricheurs sont des traîtres.
    10) Les frais de campagne électorale des candidats ne sont pas remboursés par les citoyens, par ni les contribuables.

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