Messageries cryptées : jusqu’où peut agir l’État de droit ?

Ces enjeux posent la question de la limite entre la protection de la sécurité nationale, l’impératif pour un gouvernement de disposer de renseignements, et la protection des libertés civiles. Le point par l’avocat Pierre Farge.

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Messageries cryptées : jusqu’où peut agir l’État de droit ?

Publié le 11 avril 2023
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Par Pierre Farge et Shana Elkaim.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a demandé la fermeture de groupes de discussions sur les messageries cryptées telles que Telegram appelant à des actions violentes à l’encontre de la communauté musulmane durant la rupture du jeûne du ramadan.

Ces enjeux posent la question de la limite entre la protection de la sécurité nationale, l’impératif pour un gouvernement de disposer de renseignements, et la protection des libertés civiles. Le point par l’avocat Pierre Farge.

« Quand tu agresses un musulman tu sais que tu fais ça pour la bonne cause parce que ce musulman, il se battra contre la France quand l’heure viendra ». Voilà les propos tenus par certains néonazis sur la messagerie cryptée russe Telegram. Vecteur de ces actions violentes, cette application pose la question pour la sécurité publique de savoir comment fermer ces boucles de discussions haineuses.

Et donc ce défi complexe :

– D’une part, faire droit aux demandes du ministre de l’Intérieur du 3 avril 2023 de supprimer à titre conservatoire ce groupe de 7300 membres et donner les suites judiciaires qui s’imposent pour menace et incitation à la haine ;

– D’autre part, pour l’application cryptée Telegram, respecter ou non l’impératif de confidentialité qui a fait son succès ; et paradoxalement souvent utilisée par l’Élysée et les membres du gouvernement pour les mêmes raisons.

Ces enjeux renvoient à la question de la régulation des géants du numérique, insufflée par l’Europe à l’initiative de la France.

 

Le droit européen

En 2016, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur français avait demandé à l’Union européenne de légiférer sur l’utilisation des messageries chiffrées en Europe.

La Commission européenne souhaitait à ce titre que les conversations privées soient analysées automatiquement grâce aux algorithmes, quand bien même elles seraient chiffrées. C’est dans ce sens qu’au mois de juillet 2021, le règlement européen « ePrivacy » a été adopté. Il autorise l’analyse des conversations et communications par les entreprises de réseaux sociaux dans le but de lutter contre l’envoi de messages illégaux (malware, contenu haineux ou pédopornographique).

En automne 2021, la Commission européenne avait annoncé un texte visant à rendre la surveillance des messageries obligatoire pour toutes les plateformes, y compris chiffrées. Autrement dit, WhatsApp ou Signal (messagerie cryptée américaine) seraient forcées de créer une faille dans leur chiffrement pour contrôler les conversations, soit autant de limites au respect de la vie privée. Pour l’instant, ce règlement adopté en mai 2022 ne s’applique qu’en vue de protéger les enfants d’abus sexuels et contenus illicites en ligne associé. Mais il pourrait être étendu à la diffamation et à la défense de la sécurité publique.

Sous cette influence européenne, la France a aussi mis en place certains outils pour lutter contre les déviances des plateformes numériques.

Pour commencer, la Plateforme d’harmonisation d’analyse de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS) a été créée en 2009. Elle permet de recenser tous les signalements effectués, les analyser par une équipe de police ou de gendarmerie, et alerter les autorités compétentes. En l’occurrence, c’est cette plateforme qui a adressé un signalement concernant les groupes d’extrême droite en avril 2023 à Telegram.

Inspiré du futur règlement européen « E-Evidence », un projet de loi de janvier 2023 souhaite mettre en place des réquisitions judiciaires portant sur les contenus électroniques. Autrement dit, les réseaux sociaux et autres plateformes en ligne devront répondre dans un délai de dix jours, voire de huit heures maximum en cas d’urgence « résultant d’un risque imminent d’atteinte grave aux personnes ou aux biens ».

Rappelons aussi que le tribunal judiciaire de Paris a ordonné à Twitter et Telegram en août 2021 la levée de l’anonymat dans certaines circonstances. Il était question de faux comptes reprenant les caractéristiques des comptes officiel du parti politique LREM et générant la confusion dans l’esprit du public.

Rappelons enfin le scandale de février 2019 révélant l’existence d’un groupe Facebook privé baptisé Ligue du lol, regroupant une trentaine de journalistes poursuivis pour avoir cyber-harcelé d’autres journalistes et blogueurs.

Cette affaire met en exergue qu’une discussion sur une messagerie privée ne donne pas le droit de tout dire. En effet, la législation française permet de poursuivre certains propos tenus lors de ces échanges privés a priori confidentiels, tel qu’en dispose l’article R625-7 du Code pénal concernant les provocations, les diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire.

Bien que cette affaire a finalement été classée sans suite en février 2022, la question de l’effectivité de la réponse pénale se pose considérant les trois ans pris par la justice faute d’une « infraction insuffisamment caractérisée ».

Peu d’espoir donc en l’état des textes et de la jurisprudence pour que les poursuites des auteurs de ces groupes nationalistes néonazis voient le jour.

 

 

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  • Eh bien je dirais tant mieux et pourvu que ces projets de textes n’aboutissent pas.
    Car, comme dans la vraie vie, on poursuivra en justice et interdira tel groupuscule déclaré d’esstreme-drouate, n’ayant jamais agressé personne (comme génér.tion identi.aire) mais les fich.s S ,eux, malgré leur passé et présent d’agresseurs, continueront de prospérer et d’agresser en toute impunité grâce à leurs « troubles mentaux ». Les photos des familles de policiers continueront de s’exposer sur les murs des cités quand les vrais dangereux délinquants le voudront, autant qu’ils le voudront. Les murs des fac continueront de jeter en pâture les noms et adresse des profs jugés d’essstreme-drouate. N’importe qui, n’importe quel propos sera déclaré « facho » ou appelant à la « haine » comme on le voit déjà.
    Toute tentative de contrôle et de limitation de la liberté d’expression de la population, sous couvert de « protection », finira comme pour les camionneurs canadiens dont les comptes bancaires ont été joyeusement gelés, arbitrairement : fort contre les faibles, faibles contre les forts. Suffit de repenser à l’épisode Covid : un conseil « scientifique » nommé comme il plaisait au Gvt, et hop, fin de l’information fiable et neutre.
    Ni la paix civile ni la démocratie ne sortiront gagnants de tels textes.

  • C’est pourtant celui qui sort les textes du groupe privé qui est responsable.
    En quoi est-ce si compliqué?

  • Seriez-vous d’accord pour que votre courrier personnel soit également ouvert par souci de protection? Le principe avec les messageries chiffrées est strictement le même. Posez-vous la question.

  • La liberté avant tout. Toutes ces lois se retourneront contre le citoyen sans histoire à la première occasion. L’épisode Covid a montré que les démocraties peuvent se comporter comme la Chine communiste & totalitaire. Qu’un gouvernement puisse « fouiller » facilement dans nos e-mails et données personnelles, c’est non ! Une messagerie comme Proton permet déjà un bon niveau de confidentialité mais il nous faut plus de protection de notre vie privée et le cryptage des communications en fait partie sans aucun doute.

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