Valeur travail ou valeur du travail ?

Ceux qui pensent qu’il faut travailler plus longtemps invoquent la « valeur travail », accusant les autres de contester la « valeur travail » au profit d’un droit à la paresse.

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Valeur travail ou valeur du travail ?

Publié le 2 février 2023
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L’expression est de nouveau à la mode à l’occasion du débat sur les retraites : ceux qui pensent qu’il faut travailler plus longtemps invoquent la « valeur travail », accusant les partisans de la retraite à 62, voire 60 ans, de contester la « valeur travail » au profit d’un droit à la paresse.

Le débat n’est pas nouveau et périodiquement les hommes politiques polémiquent sur la valeur travail ou au contraire sa négation. Or, comme le disait Camus, « mal nommer des choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

 

La valeur travail

En effet, toute cette discussion sur la durée du travail n’a rien à voir avec la valeur travail, qui est un concept marxiste ayant une tout autre signification. Pour Marx, la valeur d’un bien dépend de la quantité de travail nécessaire à sa production. Peut-être cela a-t-il un lien avec l’inconscient des hommes politiques mais je ne suis pas sûr que tous ceux qui préconisent de travailler davantage soient marxistes et que tous les adversaires d’un allongement de la durée du travail soient devenus brutalement antimarxistes ! Donc utiliser dans ce débat l’expression valeur travail est totalement inapproprié.

Bien entendu, ce concept marxiste est faux. Même dans une optique objective de la valeur, le travail, entendu ici au sens du travail salarié, n’est pas seul à créer des richesses, sinon on oublie les autres facteurs de production, le capital et surtout l’entrepreneuriat, qui joue un rôle primordial dans la production de richesses.

Mais là n’est pas l’essentiel : la notion de valeur d’un bien ou d’un service est une notion subjective qui dépend de chaque client. Un bien peut avoir une valeur immense (par exemple une œuvre d’art en peinture, musique, littérature, etc.) et n’avoir nécessité que peu de travail et on peut aussi travailler beaucoup pour produire un bien qui n’intéresse personne et dont la valeur est donc nulle. C’est le client qui détermine la valeur qu’il attache à un bien ou à un service et cela peut n’avoir que peu de rapport avec la quantité de travail utilisée ou avec le coût de production.

L’échange, qui est la base de l’économie, n’a justement lieu que parce que vendeur et acheteur ont des visions différentes de la valeur du bien. Contrairement à ce que pensait Aristote, on n’échange pas des valeurs équivalentes car sinon pourquoi échanger si ma satisfaction n’est pas modifiée par l’échange ? L’acheteur attache plus d’importance et de valeur à ce qu’il reçoit qu’à ce qu’il donne en échange, sinon il n’achèterait pas ; et en sens inverse le vendeur accorde davantage de valeur à ce qu’il reçoit qu’à ce qu’il vend.

Pour cette raison, l’échange est donc un jeu à somme positive, sinon il n’aurait pas lieu.

 

La valeur du travail

Dans les débats sur le sens et la durée du travail, il ne faut donc pas utiliser l’expression « valeur travail ». Il vaut mieux parler de la « valeur du travail ». Mais même là, on peut discuter. Certes, d’une certaine façon, la valeur du travail existe : travailler fait partie de la condition humaine, et il y a une « valorisation » par le fait de rendre un service utile à autrui par son travail, et bien sûr c’est l’une des sources du revenu.

Les chômeurs savent très bien que l’absence de travail a un côté négatif. Il est plus satisfaisant pour chacun individuellement comme pour la société en général de travailler que de vivre d’assistanat, chaque fois que cela est possible.

L’ambiguïté commence quand certains assimilent travail et travail salarié ; il y a en effet diverses formes de contribution à l’activité productive et l’épargnant comme l’entrepreneur apportent leur part ; les agriculteurs exploitants, les professions libérales et autres non-salariés travaillent eux aussi. Mais on peut élargir la notion : la production domestique faite par les ménages pour eux-mêmes et leur famille (ménage, éducation, etc.) est une forme d’activité et donc de travail non marchand.

De même, tout le bénévolat qui est au cœur de la société civile et qui repose sur le don et la gratuité est aussi une forme de travail, en tous cas d’activité. Donc parler de la valeur du travail ne s’adresse pas seulement à « la France qui se lève tôt », mais à tous ceux ayant une activité salariée, non salariée ou encore bénévole.

D’une certaine façon, il y a donc une forme de valeur dans le travail. Chaque famille préférera sûrement un enfant qui travaille à l’école à un enfant paresseux : c’est une valeur pour la personne, pour sa famille et pour la société. C’est dans tout cela que se tient un débat entre la valeur du travail et le droit à la paresse. Rappelons que c’est le titre d’un ouvrage publié par Paul Lafargue, qui était… le gendre de Marx.

Il est légitime, y compris moralement, de préférer le travail à l’inactivité paresseuse, même si une vie équilibrée ne néglige ni le travail, ni le repos. Mais une société qui se caractériserait par le refus systématique du travail au sens large, disons de l’activité, disparaitrait rapidement faute de production, donc de consommation : les produits, même naturels, n’existent pas comme tels, ils nécessitent une activité humaine, un « travail ».

 

… et ses limites

On peut cependant nuancer cette notion de valeur du travail, car un travail inutile a-t-il de la valeur ?

L’expérience des ateliers nationaux en 1848, où l’on donnait du « travail » aux ouvriers en espérant éviter une révolution, mais dans lesquels concrètement on ne produisait rien d’utile n’est guère enthousiasmante, ni pour les ouvriers en question, ni pour la société. Il faut être keynésien pour imaginer qu’occuper des salariés à creuser des trous le matin pour les reboucher le soir est épanouissant pour la personne concernée, car c’est une forme méprisante d’assistanat, ruineuse en outre pour le contribuable !

Il n’est donc pas certain qu’il y ait toujours une valeur du travail. Encore faut-il que ce travail ait une utilité, soit pour le client (travail marchand) soit pour la personne à qui on veut rendre un service gratuit (activités associatives bénévoles dans les domaines de la solidarité, du sport , de la culture, etc.), soit enfin pour sa famille ou pour soi-même. Mais travailler sans que ce travail ait la moindre finalité personnelle ou sociale n’est guère une valeur, ni pour soi, ni pour les autres.

Alors soyons rigoureux dans les termes. Ne parlons pas dans ce débat de valeur travail ; quant à la valeur du travail, elle existe, mais n’en faisons pas un absolu : créer par son travail et son activité est souvent un bien, à certaines conditions. Et enfin, si le travail fait partie de la condition humaine, pour lui donner tout son sens et sa valeur, il faut aussi ne pas négliger le repos !

L’abus de repos qui conduirait à la paresse est dangereux pour la personne et la société, mais l’abus de travail lui aussi présente des dangers ! Cependant, là aussi la subjectivité des choix est première et imaginer des règles uniformes en la matière est contraire à la diversité humaine et à la liberté de chacun

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  • Parlons de la « valeur de production » ?

  • Lu quelque part :
    – Il faudrait se battre pour le droit à la paresse, mais j’ai la flemme !

  • Que les besogneux, les entrepreneurs, les politiciens réformateurs, les fonctionnaires des Impôts se rassurent : le travail a encore de beaux jours devant lui !
    Car « tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre » (Pascal).

    • Pas sûr. Désormais le droit à la paresse est enseigné dès le plus jeune âge lorsque l’éducation nationale accorde des bonnes notes aux cancres. Ça n’incite pas à bosser pour avoir les mêmes notes : autant aller jouer au foot ou à un jeu vidéo plutôt que de faire ses devoirs et apprendre les leçons. D’ailleurs l’éducation nationale ne donne plus de travail à faire à la maison.

  • Faisant partie des vieux qu’ont de l’âge, (ça donne de l’expérience face aux jeunes c…), j’adore les histoires anciennes, en particulier celle des sociétés plus anciennes, où il était indispensable de « travailler », ou plutôt de se remuer pour chasser, cueillir…. et aussi troquer. L’apparition de « l’argent » a permis de simplifier les échanges, mais nos sociétés modernes « oublient » que l’argent c’est du travail. (Certains en ont fait un « objet » de consommation, un but dans la vie et d’autres, « économistes » ont construit des théories freudiennes). Les écolos qui « aiment » la nature devraient se souvenir du bien fondé du « travail » sans lequel la vie est impossible. .

    • « L’apparition de « l’argent » a permis de simplifier les échanges, »
      Certes, mais cette facilité à échanger a aussi faussé le rapport perçu entre argent et travail. Le troc permettait, comme dit dans l’article, que vendeur et acheteur affectent à l’objet échangé des valeurs différentes (de leur point de vue personnel).
      L’argent, quand il est trop facile, masque un peu cette réalité.

  • Pour déterminer la valeur d’un objet ou d’un service, il existe essentiellement deux écoles, l’anglaise et l’autrichienne (Marx a repris à son compte l’anglaise). La première se fonde sur la quantité de travail effectué, la seconde sur l’offre et la demande. A mon sens, il est évident que la production détermine la presque totalité de la valeur d’un bien ou d’un service, alors que l’offre et la demande ne font que l’ajuster.

  • « Le véritable travail, c’est de savoir attendre. »
    (Jean Rostand)

  • Le travail n’est pas fait pour l’homme ; d’ailleurs, ça le fatigue !

  • Le principe de la retraite par répartition repose, comme toute « pyramide de Ponzi » sur une croissance exponentielle et sans limite. Mais les jeunes travaillent de moins en moins et de plus en plus tard, alors que les retraités vivent de plus en plus vieux. C’est donc voué à l’échec !
    La capitalisation au moins partielle est la seule solution.
    Il est dommage que personne n’en vante le principe en disant : au lieu de faire travailler les humains de plus en plus, il faudrait faire travailler leurs économies. C’est facile à comprendre et très vendeur !

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