Le mot “social” : un trou noir idéologique

La toxicité du mot « social » a déjà été maintes fois dénoncée, ô combien à juste titre, par des observateurs libéraux.

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Une manifestation contre la réforme des retraites en 2010 à Lens by Parti socialiste(CC BY-NC-ND 2.0)

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Le mot “social” : un trou noir idéologique

Publié le 23 décembre 2022
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Comme nous l’avons vu dans notre article précédent, les citoyens des démocraties contemporaines sont confrontés à un mouvement de fond de la langue de bois politique : autrefois apanage de la gauche communiste, elle a contaminé la gauche unie, puis le centre et elle recouvre aujourd’hui tout le champ politique jusqu’à l’extrême droite.

En s’adoucissant et en s’assouplissant, la langue de bois s’est universalisée. Elle uniformise aujourd’hui le débat, au point que beaucoup de nos contemporains s’imaginent dirigés par une « pensée unique »  alors qu’en réalité, les idées, les opinions, les convictions des différents partis et leaders restent multiples en profondeur : ce sont plutôt leurs modes d’expressions qui sont devenus, par contagion, un seul et écrasant monolithe.

La langue de bois est unique et elle est partout. Opinion après opinion, elle absorbe la pensée politique et la fait disparaître, provoquant chez les Français une angoisse profonde. Nous sommes happés par le tourbillon d’une langue concentrique d’autant plus cauchemardesque qu’elle est unanimement considérée comme vaine, bête, cynique et laide, que tous les politiciens s’efforcent de la dénoncer tout en la parlant et que cette dénonciation même est désormais intégrée à la spirale et la renforce. S’ensuit le désespoir de la rue, logiquement assorti de toutes sortes de nihilismes extrémistes et complotistes. L’omniprésence de la langue de bois constitue une souffrance morale permanente pour les peuples vivant sous sa domination. Elle les rend positivement fous.

 

La spirale infernale

Mais qu’y a-t-il au centre de cette spirale infernale ? Rien de bien extraordinaire : de simples mots du vocabulaire courant, que leur phagocytage par la langue de bois a vidés de leur signification, et qui attirent à eux le vocabulaire politique dans son intégralité. À titre d’exemples, on peut citer « valeur », « haine », « tolérance », « identité », « égalité ». Mais le plus efficace de tous, le plus virulent, semble être « social ».

La toxicité du mot « social » a déjà été maintes fois dénoncée, ô combien à juste titre, par des observateurs libéraux. Sa capacité à dévitaliser les termes auxquels il est accolé est notoire. Ainsi, on ne peut définir la « justice sociale » qu’à condition de redéfinir la justice, de la relativiser et de la rendre floue, à géométrie tellement variable qu’elle y perd sa clarté, sa rectitude, et se retrouve offerte, sans défense, à tous les délires idéologiques.

S’ensuit un véritable viol en réunion conceptuel, où le marxisme, le progressisme, l’écologisme, le féminisme, l’altermondialisme, le wokisme, l’antiracisme, s’érigent en procureurs indignés et en juges implacables, poussant les États à faire pleuvoir sur les innocents un déluge ininterrompu de lois aberrantes et de règlements parasites. Le plus infime détail de la vie humaine devient « une question de justice sociale » : le ressentiment, l’esprit de vengeance et la quérulence règnent en maîtres. La dénonciation est récompensée, la mentalité totalitaire rôde. « L’envie du pénal » brillamment décrite par Philippe Muray (Essais, éditions des Belles Lettres) anéantit le paisible équilibre de la civilisation. La liberté devient l’ennemi, son procès s’ouvre.

 

La taupe idéologique

Examinons une autre application de « social », plus rare, mais passionnante.

Sur un site de sociologie, secession.fr, lisons la définition de la « liberté sociale » :

« Cette notion signifie que les êtres humains ne peuvent réaliser leur liberté individuelle chacun pour soi. La liberté individuelle ne doit plus être envisagée comme la licence de poursuivre des intérêts égoïstes, mais comme la capacité à nous compléter les uns les autres. »

Autrement dit, la liberté telle que l’entend la philosophie occidentale depuis Saint Augustin – le libre-arbitre – est un organe malade. Elle n’est viable qu’à condition de se nier elle-même pour se transcender : elle doit s’immoler et devenir « sociale ». Au terme de ce processus, le mot « liberté » est évidemment privé de contenu : il n’est plus qu’une enveloppe vide. Arrive alors la conclusion : « Au point de vue social, liberté et solidarité sont des termes identiques. » Le tour est joué. « Social » a accompli sa mission de contamination : « liberté » est devenu un synonyme de « solidarité ». Il n’est plus possible de défendre la liberté que d’un point de vue de gauche.

Le mot « social » est la taupe de l’idéologie socialiste : il infiltre et recrute le lexique de ses ennemis. Leur langage, autrefois prospère (les lecteurs les plus âgés se souviennent avec nostalgie de l’insolence et du grand style des éditorialistes du Figaro dans les années 1970), se métamorphose en langue de bois et se retourne contre eux.

« Social » semble pourtant inoffensif au premier abord.

Après tout, nous naissons, vivons et mourons dans la société : l’autarcie individuelle est impossible ! Pourquoi ne pas réserver un peu de place à nos frères et sœurs dans nos réflexions ? Hélas, cette apparente bienveillance dissimule un piège philosophique. La nocivité du mot « social » tient à son sous-entendu holiste : il laisse entendre que le tout est supérieur à la somme des parties. En résumé : si trois personnes possèdent chacune une pomme, elles seront plus riches en les mettant en commun car chacune possèdera ainsi trois pommes. Résultat : il n’y aura plus de jalousie, ni de vol.

Si un cheminot de la CGT exige toujours davantage de « conquêtes sociales », il annonce que ses avantages acquis ruisselleront bientôt sur l’ensemble de la société et donc que ses blocages du réseau ferroviaire au moment des départs en vacances sont des actes de charité. Si un intellectuel étatiste parle d’« économie sociale », il montre que la concurrence libre et non faussée est égoïste et élitiste, tandis qu’une autre est possible, au service de l’ensemble des humains, les plus pauvres en priorité. Il en va de même de la « médecine sociale », du « progrès social », de l’« entreprise sociale », etc. « Social » moralise tout ce qu’il jouxte, à l’instar de ses avatars : « démocratique », « collectif » et « commun ». Il injecte dans les phrases où il figure une dose létale d’utopie.

 

Le trou noir du social 

Mais la dangerosité de l’adjectif « social » n’atteint son paroxysme que lorsqu’il passe à l’état de substantif, avec « le social ». Cette étrangeté linguistique est un déchet sémiologique, une impasse politique et un trou noir idéologique.

La forme, d’abord. « Le social » : l’expression est laide. Elle empeste l’abstraction morte, la vacuité, la théorisation inutile et encombrante. Qu’est-ce que « le social » ? C’est la société considérée comme un cyclope sans âme, primitif, auquel il faut rendre grâce sous peine d’être dévoré par sa fille, la révolution. Le social est le volcan assoupi que veulent réveiller les communistes, aux pieds duquel les socialistes déposent des paniers de fleurs, et qui terrorise les centristes. Pour s’attirer les faveurs du social, il faut participer à son être : « faire du social ». C’est-à-dire : distribuer par tous les moyens de l’argent aux moins riches, quitte à le leur reprendre aussitôt, et plutôt deux fois qu’une, sous forme de taxes, d’impôts, de dette et d’inflation (dans son essence même, « le social » est un « quoi qu’il en coûte »). On ne fait pas « du social » dans l’intention de résoudre des problèmes mais par soumission dévote, pour sacrifier à un rituel obligatoire, démontrer à l’électorat que l’on est « une belle personne » digne de le représenter. Qui ne fait pas de social est fondamentalement un criminel.

C’est dans ce gouffre qu’a plongé le lepénisme et au bord duquel vacille toute la droite française depuis Jacques Chirac. « Le social » est le nouveau nom du socialisme conquérant, qui a abandonné son masque dogmatique pour afficher une identité apolitique plus apte à envahir les contrées de la droite. Que vous soyez libéral, conservateur, réactionnaire, gaulliste, souverainiste, nationaliste, peu importe : seule compte votre propension à « faire du social ». Même l’Action Française parle de « royalisme social ».

Cette catastrophe politique atteint des dimensions métaphysiques. « Le social » empêche de penser. À lui seul, il suffit à faire taire l’individu et à paralyser la vérité. Ce centre de gravité du langage unique dispense l’État jacobin de nous censurer. Reste une question : ce qui sort de nos bouches exerçant une influence évidente sur ce qui se passe dans nos cerveaux, combien de temps serons-nous encore capables de penser différemment, sous la pesante couche de langue de bois 2.0 ? C’est ici que la permanence de médias tels que Contrepoints est cruciale : pour retarder l’échéance de l’unicité.

On trouvera, dans le clip ci-dessous, une intéressante mise en musique de cette situation.

Article mis à jour le 23 décembre 2022

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  • Le mot sociale à plusieurs synonymes :
    Social = socialisme = stalinisme (= plus de 30 millions de morts) = maoïsme (= plus de 30 millions de morts) =”Pol-Pot-isme” (=assassinat de 25% de la population d’un pays) = “maduroisme” (= exode massif d’une population) .
    Bientôt il y aura un nouveau synonyme : le francisme (= retour d’une puissance mondiale au sous développement).

  • L’Etat social où quand une mutuelle belge vous oblige de par la loi à payer 150 € pour des capotes gratuites ….

  • Abonnement direct à la chaîne YouTube d’Alexandre 1 …

    Il y a aussi la dérive du mot « social ». Dans ce cas, la justice sociale devient la justice climatique!

    Il y a aussi: entrepreneur social! Authentique! Ça en jette un peu plus que travailleur social non?

  • J’ai oublié le pire, l’abjecte « ingénierie sociale », creuset de toutes les atteintes à la dignité humaine et au libre-arbitre. On pense à tous ces nouveaux démiurges dont parle Philippe Muray dans son Å“uvre et qui s’emploient à transformer la société (par des transformations « sociales », il va sans dire) selon la conception tordue qu’ils en ont et de leur définition du « bien commun », autre concept valise qui mériterait tout un article.

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