Sobriété : la normalisation du déclin

Les communicants publics ne remercieront jamais assez les officines de l’ultragauche primitiviste pour tout le lexique qu’ils se sont réappropriés pour dominer.

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Sobriété : la normalisation du déclin

Publié le 15 novembre 2022
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Sobriété, sobriété, sobriété : les médias, les amuseurs publics et les éditorialistes se réapproprient les mots du pouvoir politique sans trop se poser de questions. C’est d’ailleurs parce qu’ils ne se posent pas trop de questions qu’ils sont utiles à la classe technocratique, sans quoi le public pourrait s’interroger sérieusement sur l’intérêt de revenir à un modèle préindustriel disparu depuis le XVIIIe siècle.

Parler de « normalisation » ici signifie essentiellement chercher à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Un pays en voie de désindustrialisation qui est passé de pays exportateur d’énergie à importateur, qui a laissé mourir son secteur agricole par paresse, qui voit ses services publics se nécroser par la bureaucratie et la démagogie électorale, qui s’est construit une cage de fer en termes de réglementations écologiques faisant fuir investisseurs, entreprises et propriétaires, sous la plume des technocrates et des bureaucrates qui profitent d’une telle situation, un pays en transition vers la « sobriété ».

Normaliser, c’est euphémiser le déclin pour continuer à vivre dessus sans avoir à faire quelque chose pour l’enrayer.

 

La sobriété comme régression

Seulement, revenir à une économie agraire envisagée comme « normalisation » signifie une régression sans précédent. Contentons-nous de rappeler qu’à la première révolution agricole qui correspond à la révolution néolithique, répond une seconde, capitaliste, qui a changé radicalement les modes de production à partir du XVIIIe siècle. Comme le rappelle Joyce Appleby dans Capitalisme : histoire d’une révolution permanente (2016), l’invention de nouvelles techniques dans le domaine agricole pour produire plus avec moins de ressources n’a pas seulement donné un coup d’accélérateur économique, elle a libéré l’Homme des servitudes de la société prémoderne.

L’intégralité de l’ordre social, statique et inégalitaire était autant paralysée que constituée par la crainte des famines et des mauvaises récoltes endémiques à l’économie naturelle. En permettant de produire plus avec moins de personnes, en créant des marchés là où les économies vivaient en autarcie, le capitalisme a réorienté les activités en dehors du champ de l’agriculture de survie. La division du travail s’est raffinée et le pluralisme économique des sociétés occidentales est né. En d’autres termes, la révolution capitaliste agricole a dynamité les vestiges du féodalisme et le bavardage réactionnaire sur la sobriété vise essentiellement à revenir sur cette étape essentielle.

 

La politique de la nostalgie

Revenir à un modèle agraire c’est accepter d’une part la neutralisation économique, politique et culturelle de la France au profit de ses concurrents, et d’autre part son statut de colonie numérique, énergétique, culturelle et politique. Les États-Unis, la Chine ou l’Allemagne ont tout intérêt à transformer la France en patelin rural. À eux les ordinateurs quantiques et la conquête de Mars, à nous les fromages et les porte-clefs en forme de tour Eiffel. Et la classe bureaucratique continuera, à l’orchestre, de jouer la petite musique de la « sobriété », cette pauvreté que nous aurons choisie. Ou plutôt qu’ils auront choisi pour nous.

Car en effet la rhétorique de la sobriété, qui répond à celle de la peur climatique, énergétique et il y a encore peu sanitaire, vise essentiellement à dissimuler « the elephant in the room » : les responsables politiques de notre déclin sont encore au pouvoir, ils n’ont jamais cessé de l’être et désormais ils prétendent même manager le déclassement qu’ils ont encouragé depuis plus de 30 ans. La tertiarisation de l’économie française, et donc la désindustralisation, est une idée qui vient de la tête de nos énarques et de nos polytechniciens, comme la dénucléarisation, la transition énergétique, la glaciation du marché du travail par les 35 heures ou encore l’incapacité à transformer notre secteur agricole en atout pour le pays. Seulement, aujourd’hui, vous êtes priés de ne plus parler de déclin ou d’appauvrissement, mais de « sobriété volontaire ».

Les communicants publics ne remercieront jamais assez les officines de l’ultragauche primitiviste pour tout le lexique qu’ils se sont réappropriés pour dominer.

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Créer un compte Tous les commentaires (16)
  • sobriété , défenseur de l’environnement, urgence climatique, climato sceptique.. et vous vous souvenez de » l’énergie est notre futur économisons la » .. agriculture industrielle.. l’interdiction des produits « controversés » par un supermarché, et au passage même le terme de capitalisme;. pourquoi diable le pas parler de propriété privée et de liberté individuelle? plutôt que capitalisme qui implique une idéologie?

  • Encore une analyse pertinente. Heureusement, il y a des auteurs réalistes et conscients qui publient sur « contrepoints ». La question sans réponse est : comment faire partager ces opinions à nos gouvernants, qui sont fortement imprégnés d’idéologie écolo gaucho ? et sans réflexion sur le long terme.

  • « La sobriété comme régression » . Non, La regression organisée par Hollande et surtout Macron, nous est présentée comme de la Sobrité qui serait écolo, et garantie 100 % Moraline.
    « J’ai trés envie d’enmerder… », « Le Pass-Vaccinal… » La Sobriété nous est servie, Imposée, accompagnée d’une « Sédation profonde ». La France est deja sous soins palliatifs. En 2027 il sera trop tard.

  • Le peuple vote pour que ses élus l’apauvrissent physiquement et intellectuellement. Et cela, depuis Mitterrand. Donc les Français adorent être pauvres et benêts.

  • On n’est pas sortis de l’auberge, hier « Ouvrons les yeux » émission catastrophistes sur BFM et sur la 5 Yannick Rousselet de Greenpeace et Hugo Clément pour parler du nucléaire, le bourrage de crâne continue.

    • Avatar
      The Real Franky Bee
      15 novembre 2022 at 11 h 51 min

      Ego Clément : « Tout pour mon nombril et mon petit oiseau ». Le gars n’a rien d’un véritable amoureux de la nature, mais tout d’un influenceur Instagram radical chic à deux sous. On a les idôles qu’on mérite en France !

  • Pompidou : lettres classiques, mais avec les pieds sur terre (« Arrêtons d’emm**der les français »)
    Giscard : polytechnicien,ENArque, inspection des finances
    Chirac : sciences Po, ENA
    Mitterrand : Avocat
    Sarkozy : avocat
    Hollande : ENA ± avocat…
    Macron: ENA , inspection des finances.
    Que des beaux parleurs pour lesquels la communication prime.
    Un seul ayant eu contact avec les sciences « dures » : Giscard. Et pourtant il ne fut pas le meilleur pour autant.
    Elisabeth Borne sort également de polytechnique mais nous enferme néanmoins dans la décroissance de fait en nous vendant un avenir radieux grâce à l’éolien et autres ENR…
    Cerveaux mal formés ou politicaillerie ?
    On a besoin d’avoir des dirigeants qui ont les pieds sur terre, qui doivent montrer l’exemple et « tout sauf des rêveurs »…
    On peut faire campagne avec du rêve (hélas) mais pas gouverner.

    • Comme vous le dites justement, Borne est une polytechnicienne de l’ancienne école et pourtant c’est une décroissante qui n’a rien trouvé de mieux que le plan vélo pour faire face à la pénurie énergétique.
      Un de ses illustres prédécesseurs, Pierre Messmer, est à l’origine de notre parc nucléaire.
      La transition de nos élites vers la médiocrité est effrayante !

      • Borne n’est pas une polytechnicienne de l’ancienne école, l’ancienne école était sur la montagne Sainte-Geneviève, et seuls un ou deux farfelus par promo y intégraient l’ENA comme école d’appli. Le tournant a eu lieu vers 1970, avec le déménagement à Palaiseau, l’arrivée des femmes auxquelles l’EPF n’ouvrait auparavant que les carrières scientifiques, et aussi avec une nouvelle vision de la réussite sociale pour un ingénieur : diriger une grande entreprise publique. La fin des 30 Glorieuses et le choc pétrolier ont profondément changé le concept d’éducation scientifique et celui d’élite.

        • Je ne résiste pas à vous montrer ce qu’est l’X devenue, à partir d’extraits des sujets polytechniciens que je me suis procurés :
          « Benoit Bazin, directeur général du groupe Saint-Gobain, est l’invité de notre prochain Petit-déjeuner polytechnicien. Il nous parlera de l’impact de la construction sur la décarbonation ; des leviers qu’il identifie et de comment son groupe peut contribuer à un monde plus durable. »
          « Parmi les pistes explorées : repenser la formation pour développer la filière des ingénieurs quantiques, comprendre comment transitionner de la recherche fondamentale vers l’ingénierie quantique, se doter d’une stratégie nationale permettant de répondre à des enjeux encore à définir. »
          J’adore ce dernier objectif… 🙂 🙂 🙂

  • Avatar
    The Real Franky Bee
    15 novembre 2022 at 12 h 05 min

    La question environmentale est en train de tourner à l’hystérie collective en France. Et les petits influenceurs de salon, tels que le soldat des élevages Ego Clément ou le Bon Pote toxique, sont là pour vous rappeler à quel point vous n’êtes qu’un beauf égoïste. Quant aux médias français, c’est déjà la fin du monde selon eux. Vue de l’étranger, cette auto-destruction est fascinante.

    • Vous avez entièrement raison. Ceci étant, cela fait un certain temps que je ne regarde plus les émissions type BFMTV et leurs discours pré-digérés dans l’air du temps qu’il faut absolument faire pénétrer dans toutes les têtes.

  • Et pour résumer, la France est foutue, d’ailleurs, peut on encore parler de France alors qu’elle n’est plus qu’une banlieue bruxelloise et Bruxelles les bas fonds de l’Amérique…. Ou de la city, on ne sait plus trop qui est aux commandes.

    • Pertinente remarque. Nos dirigeants n’ont plus de marge de manoeuvre. C’est peine perdue que de les accabler pour ce qu’ils disent, font, décident.
      Leur seul tort est de ne plus être en mesure de se rebeller contre le costume d’ectoplasme que d’autres ont confectionné pour eux.

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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