Prélèvements post-mortem à l’attentat de Nice : une dérive inadmissible

Les études sociologiques montrent la difficulté des familles à accepter un prélèvement post-mortem, alors même que le deuil n’est pas encore achevé.

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Prélèvements post-mortem à l’attentat de Nice : une dérive inadmissible

Publié le 14 octobre 2022
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Suite aux attentats de la Promenade des Anglais à Nice le 14 juillet 2016, certains médecins légistes ont décidé de prélever la totalité des organes de certaines victimes sans prévenir leurs familles.

Interrogé par la Cour d’assises de Paris sur la souffrance des proches ayant appris lors de la procédure que des autopsies avaient été effectuées sur leurs parents, le procureur anti-terroriste François Molins affirme regretter la situation et considère que « le prélèvement de la totalité des viscères n’était pas indispensable » tout en défendant l’utilité des autopsies pour le besoin de l’enquête.

Les études sociologiques montrent la difficulté des familles à accepter un prélèvement post-mortem, alors même que le deuil n’est pas encore achevé. Et l’Organisation mondiale de la santé recommande que la famille soit informée par un personnel médical formé tenant compte de la variable affective et de la symbolique (religieuse ou non) attachées au corps. S’il semble compréhensible que par la nécessité d’une enquête judiciaire des prélèvements soient effectués, ceux-ci doivent se faire dans le respect des règles de la dignité du cadavre (art. L1232-5 du Code de la santé publique).

 

Le régime d’exception de la lutte anti-terrorisme

Tout cela a été visiblement négligé dans l’affaire de Nice.

La légèreté avec laquelle la question a été traitée par les médecins légistes et par le procureur peut trouver une explication à la fois par le régime d’exception de la lutte anti-terroriste et par la manière dont l’État s’approprie nos corps après la mort.

Le choix politique du gouvernement français dans le nécessaire et indispensable combat contre le terrorisme a eu comme effet la mise en place d’un droit pénal d’exception caractérisé par une répression accrue et un contrôle affaibli. Désormais, au nom de la sécurité nationale (loi du 30 octobre 2017), le droit commun est écarté au profit d’un dispositif qui permet de diminuer les contraintes imposées à l’État en matière de garanties procédurales.

Comme le souligne Jacques Follorou :

« En mettant à l’écart la démocratie dans la réponse à la menace terroriste, en considérant que les règles fondamentales de cette démocratie étaient un obstacle, l’État a changé la nature de notre société démocratique et s’est privé d’atouts redoutables pour faire face aux dangers : le débat et la responsabilité individuelle. »

 

L’État s’approprie nos corps

À ce régime antilibéral qui a vocation à s’étendre à tout autre menace à la sécurité publique (comme ce fut le cas pendant la pandémie : état d’urgence sanitaire), s’ajoute l’encadrement juridique du prélèvement d’organes après le décès.

En effet, depuis la loi Caillavet du 22 décembre 1976, toute personne est présumée avoir consenti au don de ses organes sauf si elle s’inscrit au registre national des refus (article L1232-1 du Code de la santé publique). À défaut d’avoir explicitement refusé, nous sommes tous des donneurs potentiels. Le consentement est présumé et le silence vaut acceptation d’une donation !

Il semble aberrant que la règle soit la nationalisation des organes par une solidarité imposée et non pas la libre disposition individuelle du corps y compris après la mort. Le don, manifestation de la vertu individuelle, devient un devoir, un acte collectif.

Comme l’avait si bien exprimé le philosophe François Dagognet :

« Au nom de la solidarité, le pouvoir devrait s’exprimer sous forme de prosopopée. Je t’ai permis de naître, je t’ai protégé, surveillé, éduqué, entouré. À partir du moment où tu cesseras de vivre, abandonne-moi ton cadavre ».

 

L’affaire de Nice sous le prisme du pouvoir de l’administration sur notre corps

C’est sous le prisme de cette culture du pouvoir de l’administration sur nos cadavres, qu’il faut analyser l’affaire de Nice.

Tant qu’une loi ne viendra pas introduire la possibilité de consentir explicitement au prélèvement posthume (comme c’est le cas de l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni), les abus commis par les médecins légistes risquent de se reproduire. Les usages post-mortem du corps devraient être régis par le principe de souveraineté individuelle et le cas échéant par un droit d’opposition au profit de la famille du défunt. Hélas, ce n’est nullement le cas en France.

La libre disposition de soi constitue le soubassement de la démocratie libérale. Si tout être humain a des droits fondamentaux auxquels aucun pouvoir ne peut légitimement attenter, c’est justement en raison de cette faculté initiale de se posséder soi-même. Si je n’appartenais pas à moi-même, comment pourrais-je déléguer à la société la limitation de mes droits ? C’est de la souveraineté individuelle qui découle la souveraineté populaire. Autrement dit, vis-à-vis de moi-même aucun pouvoir, aucune autorité ne saurait se substituer à moi-même et à mes choix vitaux sous peine de compromettre à la foi mon intégrité et le contrat social auquel je suis censé participer.

Lysander. Spooner a raison d’affirmer :

« … Qu’il est impossible qu’un gouvernement ait des droits autres que ceux déjà détenus par les individus le composant, en tant qu’individus. Ils ne pourraient pas déléguer à un gouvernement des droits qu’ils ne possèdent pas eux-mêmes ».

L’affirmation de la libre disposition de soi constitue ainsi l’acte premier de résistance envers toutes les formes d’assujettissement. Dans cette perspective, les prélèvements d’organes des victimes de Nice vont bien au-delà du simple fait divers.

Notre identité ainsi que les fondements de l’État de droit, à savoir la protection des libertés fondamentales et la prééminence de l’individu sur le collectif, demeurent les fils conducteurs de la vie démocratique. C’est cette dernière qui se trouve mise à l’écart dès lors qu’au nom de la sécurité nationale, de l’intérêt collectif, de l’enquête pénale ou de la lutte contre le terrorisme, les pouvoirs publics agissent sans aucun contrôle effectif .

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  • Que je sache, une autopsie ne nécessite le prélèvement que de morceaux d’organes.
    Les prélèvement d’organes complets ont-ils été ordonnés ou autorisés par le Procureur, ou faits à son insu ?
    Que sont devenus ces organes ? On peut supposer qu’ils ont été livrés à des hôpitaux en manque de greffons, mais est-ce établi ?
    Bref, espérons que les légistes seront appelés à témoigner.

  • Il est normal que la justice puisse passer outre aux souhaits des personnes. La seule question est de savoir si les prélèvements ont bien été limités aux seuls besoins de la justice, mais si tel est le cas, cette affaire pourrait bien sentir l’exploitation médiatique malsaine.

  • De quoi parle-t-on vraiment ? De conditions d’autopsie un peu rudes ou de dons d’organes ? Le prêchi-prêcha, au parfum de récup, de l’auteur, hostile à une loi vieille de 46 ans, sur la propriété de soi post-mortem* (la belle affaire) n’aide en rien la compréhension.
    Je n’espère qu’une chose : que le cadavre du terroriste n’ait pas été plus épargné que celui des victimes.
    [* que personne ne conteste puisque chacun garde la liberté de s’opposer au don de ses organes]

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