Poutine tiers-mondiste

Poutine est-il en train de souffler sur les braises du ressentiment et du tiersmondisme pour embraser l’Asie dans sa croisade personnelle ?

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Poutine tiers-mondiste

Publié le 4 octobre 2022
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La tension entre la Russie et l’Occident est encore montée d’un cran vendredi dernier.

Tout en annonçant l’incorporation de quatre régions ukrainiennes à la Fédération de Russie Vladimir Poutine a fait le procès d’un « Occident collectif » tout occupé à vouloir asservir la Russie. Parmi les récriminations les plus saillantes, les accusations de néocolonialisme, de racisme et de totalitarisme de la part des Occidentaux sont régulièrement revenues dans la bouche de l’autocrate qui a déclaré :

« L’Occident a continué de rechercher de nouvelles occasions de nous frapper, d’affaiblir et d’écraser la Russie, comme il a toujours rêvé de le faire, de fragmenter notre État, de dresser nos peuples les uns contre les autres, de les condamner à la misère et à l’extinction. »

 

Contre l’hégémonie occidentale

L’Occident est également accusé d’utiliser sa position hégémonique pour asservir le reste de l’humanité :

« L’Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial qui lui permet de parasiter, de dépouiller le monde grâce à la puissance du dollar et de la technologie, de percevoir un véritable tribut de l’humanité tout entière, de jouir de la principale source de richesse indue : la rente de l’hégémon. La préservation de cette rente est leur principale motivation, leur motivation réelle, fruit de la pure avidité. »

Après avoir contesté le magistère moral que l’Occident prétend avoir sur le monde, Vladimir Poutine tire la conclusion suivante : « Il n’y a rien de nouveau là-dedans, parce que les élites occidentales sont restées ce qu’elles étaient : colonialistes. »

L’adresse de Poutine n’est pas tant dirigée contre ses ennemis qu’en direction de ses amis et alliés, qui partagent la même vision tiers-mondiste et passionnelle à l’endroit d’un Occident largement fantasmé et confondu avec la politique étrangère des États-Unis.

L’économie de marché décrite par Vladimir Poutine semble tout droit sortie d’un tract gauchiste des années 1980. Elle est présentée comme un jeu à somme nulle dans lequel les pays occidentaux exploitent le reste du monde à leur seul profit, et au détriment des pays émergents. On se contentera de remarquer que c’est l’intensification des échanges liée à la mondialisation économique qui a permis la disparition de l’extrême pauvreté, qui ne s’est maintenue que dans les pays les plus ravagés par le modèle soviétique de l’économie dirigée. La raison est assez simple : contrairement à ce que nous vendait l’idéologie tiers-mondiste dominante avant la chute de l’URSS, l’échange libre porté par l’économie libérale se fait à l’avantage mutuel des parties à la transaction.

À l’inverse, la guerre initiée par Vladimir Poutine va faire perdre 2800 milliards de dollars à l’économie mondiale selon l’OCDE :

« L’attaque de la Russie a déclenché une flambée des prix de l’énergie qui a affaibli les dépenses des ménages et sapé la confiance des entreprises, notamment en Europe. Le conflit a bouleversé les chaînes d’approvisionnement, provoqué des pénuries de denrées alimentaires et d’autres produits essentiels et ébranlé les marchés du monde entier » commente le Wall Street Journal lundi dernier.

 

Inversion des valeurs

La Russie de Poutine emploie les mêmes mots que la Chine de Xi Jinping : l’esprit des Occidentaux est colonialiste, raciste et cherche à maintenir leur hegemon sur le monde par la force et la ruse. Le bloc russo-chinois est donc, en creux, le remède, la tutelle de cette marâtre décadente : il est du bon côté de l’Histoire, celle des « décolonisateurs », de l’antifascisme et surtout du « vrai » pluralisme au sein des relations internationales.

Que le Kremlin s’exprime ici comme les indigénistes de la République peut surprendre et même faire sourire : qu’un autocrate illibéral qui vient d’annexer une partie d’un pays étranger fasse la promotion d’un monde « libre » dans lequel la Chine totalitaire dominerait le monde a quelque chose d’ubuesque.

Seulement, l’ambition de Poutine ici n’est pas de raisonner, mais de jouer sur le ressentiment anti-occidental pour mobiliser l’opinion publique contre, et peut-être faire évoluer l’allié chinois vers une position moins ambivalente. Comme l’avait bien vu Pierre Hassner dans La revanche des passions (2013) la dialectique des passions qui traverse le monde risque fort de dégénérer en confrontation directe entre les deux empires :

Sur le plan des intérêts, il y a entre les États-Unis et la Chine une relation complexe faite d’interdépendance portant sur la coopération (les États-Unis ayant besoin des investissements financiers chinois pour soutenir le dollar, la Chine ayant besoin du commerce des États-Unis), mais aussi peut-être au conflit pour le pétrole ou au partage. Mais la logique de l’acquisition et de la prospérité peut être mise à mal par celle du ressentiment et de la vengeance à laquelle aspirent bien des Chinois pour les avanies et les humiliations subies de la part de l’Occident et du Japon, et par la crainte américaine du défi chinois à l’hégémonie des États-Unis.

Poutine est-il en train de souffler sur les braises du ressentiment et du tiersmondisme pour embraser l’Asie dans sa croisade personnelle ?

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  • « Particulièrement bien adapté pour vivre dans un climat froid, l’Homme de Néandertal était physiquement plus robuste, plus lourd et plus trapu qu’Homo sapiens. La forme oblongue de son crâne se distingue nettement de celle de l’Homme moderne, plus globulaire. Néandertal avait un cerveau un peu plus volumineux en moyenne, mais avec un coefficient d’encéphalisation légèrement moindre
    […]
    Jean-Jacques Hublin, [un] chercheur français, […] émet l’hypothèse que « l’homme de Néandertal ne voyait pas le monde de la même façon que nous » et que son incapacité à créer des liens sociaux complexes serait à l’origine de son extinction. »

    J’attends avec impatience l’extinction définitive des derniers spécimens survivant encore en Russie ou en Chine.

    -9
  • Les Occidentaux (et particulièrement les Français) ne savent jouer ni aux échecs, ni au go.

  • La Russie a colonisé la Sibérie. Et les peuples autochtones n’ont pas beaucoup de droits (enfin les russes non plus…). Si Poutine a peur de la colonisation européenne, il ferait mieux de renforcer l’économie de son pays. Pour rappel, comment a eu lieu l’humiliation de la Chine par les traités inégaux? Les chinois étaient ultra protectionnistes et sous développés, donc on y est allé en force.
    Comment le Japon l’a évité? De peu, des réformes importantes, de l’ouverture, du développement. Après seulement ils ont commencé à tuer du chinois.
    La Chine a maintenant pourtant compris que le développement économique devait précéder les diatribes guerrières. Poutine non apparemment…

    -4
  • Amusant. Mais ces propos sont exactement ceux de Jadot et de Mélenchon voire de Macron. Quand la Nupes et une partie des LREM les aboient, les médias les soutiennent et quand c’est Poutine, elles les rejettent. Et les Français ont votés à majorité pour ces 2 mouvements politiques.
    – LFI : nous sommes des racistes qui refusons l’immigration et l’islam.
    – Écolos: arrêtons la mondialisation, et la destruction de la planète
    – Macron : la France est criminelle contre l’humanité d’avoir colonisé des pays (qui, depuis plus d’1/2 siècle de décolonisation, s’en sortent tellement bien que leurs habitants veulent tous immigrer en France) .
    Il est sûr et certain que Poutine, s’il s’était présenté aux présidentielle française, aurait été élu au 1 Ier tour avec un tel discours !
    Ça s’appelle de la manipulation d’esprit par nos medias avec le support de notre gouvernement.

  • Bof, rien de nouveau dans la toundra russe. Avec l’Urss, il y avait les alliés « non alignés ». Depuis, quelques pays se sont échappés du tiers monde, d’autres y sont restés résolument comme la RPCN (Corée du Nord), et le Vénézuéla y fait un séjour prolongé pour le bonheur de Poutine. Les quelques pays africains qui étaient nos amis ont trouvé un nouveau bienfaiteur, sommes nous vraiment perdants ?

  • la victimisation , ça marche..

    Des américains et Des européens font des choses pas joli joli.. c’est certain
    mais pas par dessein..

    alors on dénonce ces choses.. en général les gens seront d’accord..

    la faute de l’homme blanc, des racistes..du suprémacisme blanc, etc etc…

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Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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