Poutine s’adresse aussi aux Occidentaux

Le communisme a été détruit par des Occidentaux qui avaient pour idéal le respect de l’être humain. Mais où en sommes-nous aujourd’hui ? 

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Poutine s’adresse aussi aux Occidentaux

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 1 octobre 2022
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Les premiers commentaires du discours « historique » ont insisté sur le fait que Poutine s’adressait par priorité au peuple russe pour redorer un blason terni par les Ukrainiens qui ont l’audace de lui résister, avec l’aide des Occidentaux.

De fait, il s’est situé dans ce qui lui semble être à la gloire de la grande et éternelle Russie : de Pierre le Grand à Joseph Staline, des tsars à l’URSS, les Russes peuvent être fiers de leur histoire, et c’est la raison pour laquelle les quatre républiques désormais indépendantes n’ont pas été annexées, mais libérées, heureuses de renouer le cordon ombilical avec le Kremlin.

Par contraste, les commentaires ont prêté peu d’attention au discours adressé aussi aux Occidentaux. Discours d’autant plus remarquable qu’il est subtilement dosé pour séduire des publics occidentaux qui entre eux sont à l’opposé. Pour séduire, Poutine n’a pas hésité à mêler adroitement mensonges et vérités.

Les mensonges ne sont pas nouveaux. Ils sont bien accueillis par tous ceux qui pensent que la colonisation et l’impérialisme ont été sources de malheur pour les peuples qui les ont suivis. En France, c’est le président de la République lui-même qui ne cesse de s’excuser pour les crimes liés à la colonisation, notamment en Algérie. Mais la thèse de l’impérialisme, jadis concoctée par Lénine et Rosa Luxembourg, met le malheur des peuples sur le dos du capitalisme avide d’exploiter les ressources et les esclaves. Contre la colonisation, contre le capitalisme : voilà une clientèle à l’écoute de Poutine. Poutine lui a parlé.

Les mensonges sont aussi dans la prétention de la Russie d’avoir œuvré sans cesse contre ces fléaux. Dans l’immédiat, il semblerait que la guerre contre l’Ukraine ressemble beaucoup à une invasion et une colonisation. Pendant presqu’un siècle entier, l’URSS a réussi à implanter en Afrique, en Amérique Latine et en Asie son virus marxiste. Les plus odieux dictateurs africains ont été formés à l’Université Patrice Lumumba à Moscou. Cuba, le Vénézuela ou la Corée du Nord sont aujourd’hui encore des musées du totalitarisme. Et Poutine a le front de présenter l’année 1991 (fin de l’URSS) comme une agression de l’Occident qui a coupé les peuples européens de leurs frères russes.

Alors, où serait la vérité à laquelle je me réfère ?

C’est la dénonciation par Poutine des vices de la civilisation occidentale qui se sont grandement développés depuis quelques décennies. On ne peut oublier quelques mots frappants dénonçant la dislocation de la famille (« parent n°1, parent n°2,  parent n°3 »), par la théorie du genre (« la négation des genres »). De façon plus générale l’Occident aurait abandonné toute valeur morale et spirituelle, y compris celles prêchées par le Christ lui-même « au mont des Oliviers ».

Bien entendu, il y a là encore un mensonge historique en prêtant à la Russie le monopole de l’éthique et de la religion. Il faudrait oublier la lutte de l’URSS contre l’Église, allant jusqu’à assimiler le rite orthodoxe à une salutaire réserve de foi, d’espérance et de charité. On l’a vu sans aucun doute dans les images télévisées : les plus hautes autorités ecclésiastiques étaient présentes. Mais il faut aussi dénoncer les crimes contre l’humanité commis sans cesse depuis 1917. On n’a pas vu dans le modèle soviétique l’amorce de « la civilisation de l’amour », et le Polonais Jean Paul II a fortement contribué à la libération des peuples européens de l’empire communiste : les « divisions du Pape » dont se moquait Staline ont été aussi efficaces que la « star war » de Reagan.

J’en viens alors à la vérité : le communisme a été détruit par des Occidentaux qui avaient pour idéal le respect de l’être humain. Mais où en sommes-nous aujourd’hui ? Dans un article récent inspiré par la fin du règne de la reine Elizabeth,  je concluais :

« Les libéraux sont donc persuadés que l’Occident ne peut se sauver que s’il retrouve les valeurs qui ont fait son succès : les valeurs de la civilisation, c’est-à-dire du respect de la vie, de la liberté et de la propriété. Valeurs qui se sont au cours de quelque vingt siècles frayé un chemin difficile. On les croyait ressuscitées en 1991 : « fin de l’histoire » disait Fukuyama. Peut-être vont-elles ressusciter à la mémoire d’Elisabeth II, à Londres. »

Mais alors, que cherche Poutine dans son rappel des valeurs de la civilisation ?

Il est de ce point de vue un triste sire. Mais il sait qu’une grave crise traverse l’Occident. Née chez les philosophes français, enseignée dans les plus célèbres des universités américaines, la théorie post-moderne est destruction de l’humanité, et les écologistes y ont ajouté un chapitre nouveau avec la destruction de la planète, de la nature, des animaux, etc. Des écologistes radicaux aux woke en passant par Extinction-Rébellion rien n’est assez extrême pour dénoncer le système économique fondé sur le marché, le système juridique fondé sur les droits individuels, le système culturel fondé sur la liberté religieuse.

Ainsi Poutine réussit-il le tour de force de s’adresser en même temps et ensemble à ceux qui, en Occident :

  • professent la décolonisation et dénoncent l’impérialisme américain,
  • s’opposent au capitalisme et au mondialisme,
  • sont des conservateurs anti-libéraux,
  • sont des croyants choqués par la laïcité militante.

 

Cela fait beaucoup de monde, et de plus les catégories que je propose peuvent se mélanger contre toute logique. Je vous laisse le soin de penser à des célébrités françaises qui ont leur place dans la liste.

Je crois qu’on a tort d’oublier cette face du discours de Poutine. « Timeo Danaos… ». Poutine a enfourché le cheval de Troie.

 

Pr.Em. Jacques Garello, Université Paul Cézanne, Président d’honneur de l’ALEPS, rédacteur de la Nouvelle Lettre, auteur de l’ouvrage Le Vaccin Libéral : contre le despotisme, contre le populisme (IDH éd. Février 2022)

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  • Le discours de Poutine n’a aucune importance, vous ne devriez l’écouter que d’une oreille très distraite. Idem pour le discours de Biden. Tout le monde savait d’avance ce qu’ils allaient dire et ils n’ont effectivement pas dévié d’un pouce de ce prévisible.

    • « Nul homme n’est assez dénué de raison pour préférer la guerre à la paix ».(Hérodote)
      Le fameux adage de l’académicien Raymond Aron à propos de la guerre froide : « Paix impossible, guerre( nucléaire) improbable » revient avec force et contre toute attente sur le devant de la scène, en ce 21 éme siècle……. qui ne fait que débuter !

  • J’avoue ne pas avoir écouté le discours de Poutine.
    Par contre j’écouterais avec grand plaisir le discours d’un ténor européen à propos de « l’incident » du gazoduc percé !
    Je me prends à rêver que nos dirigeants nous dirigent pour notre bien commun…

    • Un ténor européen ne vous dira lui aussi que des lieux communs. A chacun de s’interroger sur qui voient leurs intérêts servis et qui les voient compromis par ces explosions. On peut également se demander qui a les moyens, non pas de commettre cet attentat (c’est facile), mais de maintenir le secret autour d’une telle opération, surtout si comme on peut s’y attendre, les enquêtes ne découvrent rien de clair.

      • Une nouvelle escalade inquiétante vient d’être franchie avec l’explosion des gazoducs, car d’autres formes possibles de sabotages irresponsables aux lourdes conséquences resteraient difficilement sans réponse de la part d’états se sentant directement menacés.

  • Poutine s’est adressé aux peuples de gauche majoritaires en Europe, Afrique et Amérique latine, et aussi aux peuples anti américains composés principalement des peuples musulmans qui se rappellent de la guerre en Irak et en Afghanistan. Ainsi, son discours fait mouche auprès du monde entier.
    Face à lui, aucun des clowns dirigeants des pays d’Europe ne fait le poids. Et il le sait.

  • Ne parlant pas russe je l’ai écouté mais n’ai rien compris. Cela faisait un bruit de fond dans mon salon assez désagréable. Fonds de culotte et bruits de bottes et de bien belles images en couleur meilleures que celles du XX siècle, vive la fin.

    -2
  • Les droits de l’homme ,quand ils s’opposent à l’interet général , finissent par détruire les nations . L’interet particulier l’emporte sur l’interet général..
    Par ailleurs ,personne de bonne foi ne peut nier qu’il y a un impérialisme Américain facilité par la lacheté de l’Europe .

  • Les commentaires sont fermés.

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Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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