Allemagne : la crise énergétique force le changement de cap

L’Allemagne a déjà fait son propre destin en 2011. Elle doit maintenant en assumer les conséquences.

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Olaf Scholz by SPD Schleswig-Holstein 2 (Creative Commons CC BY 2.0)

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Allemagne : la crise énergétique force le changement de cap

Publié le 29 août 2022
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Par Rosanna Weber.

« Nous sommes les artisans de notre propre destin », a déclaré Christian Lindner (FDP, Parti libéral-démorate), ministre fédéral allemand des Finances, lors d’une interview télévisée il n’y a pas si longtemps. Cette déclaration a été faite alors qu’on lui demandait si Vladimir Poutine avait une emprise sur l’Allemagne, compte tenu de sa situation énergétique plutôt désastreuse, maintenant, mais surtout à l’approche de l’hiver.

Tiraillée entre une dépendance de dix ans au gaz russe bon marché d’une part, et un désespoir soudain d’indépendance énergétique face à la guerre en Ukraine d’autre part, l’Allemagne se trouve aujourd’hui dans la position inconfortable de n’avoir ni l’un ni l’autre. Pour reprendre les mots de Robert Habeck (Parti des Verts), ministre fédéral de l’économie et de l’action climatique, « chaque kilowattheure compte ». L’Allemagne a attendu trop longtemps pour se mettre de côté – le temps est écoulé.

Selon l’Agence fédérale des réseaux, 55 % du gaz importé par l’Allemagne provient de Russie, principalement via le gazoduc Nord Stream 1. Dernièrement, l’Allemagne a constaté une baisse du gaz reçu, qui, selon des sources russes, était la conséquence de « problèmes techniques« . Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de doutes pour comprendre comment les circonstances géopolitiques actuelles ont pu jouer un rôle dans cette situation également.

Aujourd’hui, l’Allemagne reçoit environ 40 % des niveaux précédents d’importations de gaz via Nord Stream 1, ce qui réduit considérablement ses réserves. Pendant plus d’une semaine en juillet, elles ont même été réduites à zéro.

 

Comment l’Allemagne s’est-elle mise dans une situation aussi moralement et stratégiquement douteuse ?

Nord Stream 1 était douteux au départ, sans parler de sa suite : Nord Stream 2.

Le projet de dix milliards d’euros a fait l’objet de nombreuses critiques de toutes parts pendant les années de sa construction. Après son achèvement en septembre dernier, le chancelier Olaf Scholz a abandonné le projet en février de cette année en réaction à la guerre en Ukraine.

L’Allemagne a donné son feu vert à la construction de Nord Stream 2 en 2015, quatre ans après avoir commencé à pomper du gaz via Nord Stream 1 en 2011. C’est également l’année où l’Allemagne a pris une autre décision cruciale concernant son approvisionnement énergétique futur : la sortie définitive de l’énergie nucléaire.

À l’époque, cette question avait fait l’objet d’une longue campagne de la part des Verts, avait reçu le soutien d’autres partis, dont le FDP et son secrétaire général de l’époque, Christian Lindner, et avait finalement été inscrite dans la législation par Angela Merkel et la CDU (Union chrétienne-démocrate). D’ici la fin de l’année, les trois dernières centrales nucléaires allemandes encore en activité devraient être mises hors service.

Une enquête a montré qu’à la lumière des récents événements, sept citoyens sur dix préfèrent que ces centrales soient maintenues. Presque ironiquement, même la plupart des électeurs du parti vert y sont favorables, selon le sondage.

Le débat sur l’énergie nucléaire est aujourd’hui aussi divisé qu’il l’était en 2011, mais cette fois les rôles semblent curieusement inversés : le FDP avec Lindner sont pour la continuation. Friedrich Merz (CDU) et Markus Söder (CSU, Union chrétienne-sociale) y sont favorables, même si, en 2011, ils étaient tous trois d’avis que l’abandon de l’énergie nucléaire était finalement la bonne chose à faire.

Les Verts et le SPD, les sociaux-démocrates, s’opposent à l’idée de maintenir les centrales restantes en activité, ce qui n’est pas une surprise. Ce qui est surprenant, en revanche, c’est la proposition de Robert Habeck (Verts) de brûler davantage de charbon au cours des prochaines années, ce qui n’est pas vraiment l’alternative écologique que l’on attendait du ministre fédéral de l’Économie et de l’action climatique.

S’opposer à l’énergie nucléaire en 2011 était à peu près aussi tendance et populaire que les jeans taille basse dans les années 2000 : à l’époque, cela a permis de mettre en place ceux qui veulent maintenant remettre sur la table l’option de relancer les centrales nucléaires. Christian Lindner va même jusqu’à mentionner le mot interdit : fracking. Des opinions qui, autrefois, suscitaient l’indignation ou étaient jugées trop risquées sur le plan politique pour être abordées, sont soudain à nouveau dans le domaine du possible, maintenant que le vent a tourné, de manière assez prévisible.

Si cet épisode démontre quelque chose, c’est bien la préférence pour le temps qui vient avec l’accession à un poste politique. Du gaz bon marché, rapide et facilement disponible, c’est très bien ici et maintenant, et l’idée que la Russie puisse devenir une menace géopolitique pour la souveraineté de la nation est quelque chose dont l’Allemagne future peut se préoccuper.

Certes, après le présage de ce qui était sur le point de se produire lorsque la Russie a envahi la Crimée en 2014, vous avez une recette pour le désastre.

Herr Lindner, l’Allemagne a déjà fait son propre destin en 2011. Elle doit maintenant en assumer les conséquences.

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  • L Allemagne est actuellement potentiellement dans une mauvaise passe mais si nous regardons la situation autrement.
    Nous pouvons constater que pendant plus d une décennie que leurs choix leurs ont permis de s affirmer comme le leader économique européen.
    Ce qui permet aujourd’hui de préparer les moments difficiles plus facilement.
    Entre autre d après les dernières informations les réserves de gaz sont de 85 pourcents lis prévoient d atteindre le plein pour octobre .
    M Linder dans un interview précisé à qu’il n est pas favorable a une remise en fonction de la production nucléaire vu du coût énorme que cela engendrerait à la même occasion Il a renvoyé les verts devant leurs responsabilités dans le rôle tenu pour l arrêt du nucléaire.
    Les Allemands ont déjà mis un plan pour les économies d énergie.
    Nous nous sommes encore dans les starting-blocks et pour couronner le tout nous devons importer de l électricité bien vu.

    • Les réserves de gaz à 85%, il faudrait préciser un peu. Il me semble avoir lu qu’en France, les réserves devaient représenter 29.5% de la consommation de l’année précédente. A 85%, ça fait donc 90 jours de consommation moyenne.
      Combien est-ce en Allemagne ? Sans doute pareil, donc de quoi tenir 3 mois, un peu plus avec les autres fournisseurs, pas un hiver, surtout s’il est rigoureux..

      • La consommation moyenne annuelle allemande étant de 1000 TWh* et le stockage maximum de 256 TWh*, on peut donc parler du 1/4 de la conso annuelle. Sauf que c’est pour l’hiver, et là, comme personne ne peut savoir comment il sera…
        *Source : INES (Initiative Energien Speichern) via Handelsblatt

        • Selon toute probabilité, les réserves seront dangereusement basses à un certain moment l’hiver prochain, et la Russie offrira alors de livrer autant de gaz qu’ils veulent aux pays qui s’engageront à ne pas soutenir l’Ukraine. Bien entendu, les politiciens dénonceront un chantage immonde, mais leur position n’en sera pas raffermie pour autant.

      • Source de la Tribune.fr du 29 août 2022

    • « Les Allemands ont déjà mis un plan pour les économies d énergie »
      Vous pourriez nous en dire plus sur ce plan ? Car à part moins chauffer, moins se laver, manger froid et que des entreprises ralentissent leur production en cas de besoin, je n’ai rien entendu qui ressemble à un plan.

      • Utilisation du charbon. On va voir ce que Greenpeace et et autre écologistes européen va dire lorsque ces centrales tourneront à plein régime pour produire de la métallurgie et des OGM/pesticides (Bayer).

      • Dans le plan Allemand en plus des diverses mesures d économies sur la consommation le plus important est l achat pour un 1,5 milliards de gaz liquefie et surtout la construction de cinq terminaux GNL dont celui de WILHELMSHAVEN en mer du Nord qui devrait être terminé pour la fin de l année

        • Et le jour où l’Ukraine ayant gagné la guerre, on remet en service les 2 NordStream, que fait-on de ces terminaux ?

          • Bonne réflexion.
            En supposant que l Ukraine gagne la guerre…
            Et avoir plusieurs sources d’approvisionnement n est pas néfaste.Non?

            • Plusieurs sources, certes, mais si le processus liquéfaction/regazéification est bien plus coûteux que celui de l’envoi dans un gazoduc, va-t-on entretenir ces terminaux juste au cas où les gazoducs (et il y en a depuis d’autres pays) deviendraient indisponibles ?
              D’autre part, j’ai écrit « En supposant que l’Ukraine gagne la guerre » parce que c’est le souhait affiché de l’Allemagne, qui construit donc des terminaux qui deviendraient caducs si ce souhait se réalise. Mais en fait, le seul cas où ces terminaux peuvent être rentabilisés est celui où la guerre s’éterniserait. Tout ça ressemble à notre bon Gribouille français, qui se jette dans la mare pour éviter que la pluie ne le mouille.

              • Bien sûr le GNL est plus cher.
                L issue de le guerre en UKRAINE est très incertaine et personne ne peut dire qui sera le gagnant.Une chose est sur dans une guerre tout le monde est perdant au final

  • NordStream 1 et 2 étaient, quoi que vous et certains partis politiques en disiez, d’excellents investissements industriels. La décision politique de ne pas mettre NordStream 2 en service, comme celle de cesser d’acheter du gaz sur des critères n’ayant rien à voir avec sa qualité et son prix, revient à se tirer une balle en or dans chaque pied, au moins. Si l’Allemagne, et la France dans une moindre mesure, avaient utilisé leur puissance pour défendre leur neutralité plutôt que de soutenir des sanctions à contresens, leurs économies se porteraient comme un charme. Je vous mets au défi de prouver le contraire.

    • C’est en effet impossible de prouver le contraire 😉
      + 1 quand même.

      • Oui, mais c’était juste la réponse du berger à la bergère face à l’affirmation d’autorité que NordStream aurait été une erreur, qui m’a un peu énervé.

    • Ce qui peut être affirmé sans preuve peut être nié sans preuve (Euclide).

    • @ Michel
      « Si l’Allemagne, et la France dans une moindre mesure, avaient utilisé leur puissance pour défendre leur neutralité plutôt que de soutenir des sanctions à contresens, leurs économies se porteraient comme un charme. Je vous mets au défi de prouver le contraire. »

      Peut être pour l’Allemagne, mais pour la France, même avec du gaz à 20€ le Mwh, on était mal barré pour que notre économie se porte comme un charme… Bon c’est sur le gaz à 300€ le Mwh n’arrange pas les choses…. ça va juste précipiter la fin de partie…

  • Un jour j’irai vivre en Utopie ; le pays ou tout le monde il est gentil… Ça me rappelle la fin de l’empire byzantin et ses discussions sur le sexe des anges. Les contes pour les enfants se terminent mal dans la vraie vie.

  • Message de mon frère vivant et travaillant en Allemagne:  » aux actualités allemandes on explique en boucle que la France doit une bonne partie de son électricité aux centrales à gaz allemandes, hollandaises et belges, je ne suis pas certain qu’ on explique ça aussi clairement aux infos françaises ».
    Info ou intox, il est tout même malheureux de jouer sur les ressentiments nationaux. On file un très mauvais coton.

    • Une très large majorité de l’électricité consommée en France est encore produite sur le sol Français, très majoritairement par le Parc nucléaire encore en activité…

      Mais l’info n’est pas inexacte, sans les voisins il y aurait probablement des coupures de courant en France… (En principe la France était très souvent exportatrice…)

      3 raisons:
      – Démolition des centrales de backup au prétexte qu’elles émettent du CO2 en les « remplaçant » par du solaire- éolien ( en gros on remplace un camion par un troupeau d’ânes avec charrettes… )
      – Les imb*eciles qui ont géré le covid n’ont pas mis la maintenance des centrales électriques dans les trucs prioritaires ce qui a complétement désorganisé les phases d’entretien, ça impacte la disponibilité en hiver et la disponibilité des tranches en bord de mer en été pas sensibles à la sécheresse..

      – Au surplus la destructuration complète de l’industrie française qui ne sait plus ni gérer les priorités, ni réparer des fissures sur quelques coudes (qu’elle a su construire rapidement par le passé)…

      Pour résumer: La chienlit est enfin arrivée…

    • Intox au carré !
      Depuis au moins 20 ans, le solde export-import de la France est largement positif. La France est régulièrement dans le top five des pays les plus exportateurs, et plusieurs fois première.
      Avec l’Allemagne, spécifiquement, le solde est tantôt positif, tantôt négatif.
      Ce qui prouve deux choses :
      – le réseau européen est plutôt bien interconnecté
      – les Allemands sont de sacrés charlots !

    • Il semble que la France soit passée au printemps dernier de première exportatrice à importatrice nette d’électricité. L’information a été publiée et oubliée.

      • C’est vrai sur les 6 premiers mois de l’année 2022. Because maintenance et arrêt de nombreux réacteurs. On comptera les bouses à la fin de la foire.

  • La rationalisation Allemande devrait faire son effet dés l’hiver, « die Grünen » étant le vecteur principale de la fermeture des centrales nucléaires, cet hiver tous les écolos seront privés de gaz, de cigarette, de voiture, de moto, ils utiliserons les vélos sans moteurs électriques, par ailleurs Macron devrait obliger ses pingouins verts à en faire autant

    • Fin 2021 l’Allemagne avait encore 11 GW de nucléaire fonctionnant en base càd plein pot. En décembre dernier ils ont arrêté définitivement 7 GW de centrales en parfait état, il en reste 4 GW qui devraient être arrêtées en décembre, au pic de la consommation, continueront-ils cette politique suicidaire? En France l’hiver s’annonce mal, dès aujourd’hui (et pourtant l’hiver est encore loin!) on importe 11 GW à un prix prohibitif venant d’Allemagne où le charbon tourne à fond (800€ le MWh) et plus raisonnable d’Espagne (150€ le MWh) On cumule, maintenance décalée because COVID (devrait aller mieux cet hiver), corrosion sous contrainte et barrages au plus bas + en ce moment peu de vent. On pourrait espérer que l’ASN autorise le redémarrage de certaine tranches même si le problème de corrosion n’est pas résolu, après tout il s’agit de fissures de 2 à 3 mm à évolution lente sur des tuyauteries de 3 cm, mais ça déclencherait un tollé et depuis longtemps l’ASN a décidé de « se faire » EDF, conflit d’egos.

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