La leçon involontaire de stratégie de Vladimir Poutine

La performance misérable de l’armée russe dans la guerre d’Ukraine n’est pas un exemple de bonne stratégie desservie par une mauvaise exécution, mais de l’échec de tout un système.

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Vladimir Poutine (Crédits World Economic Forum, licence Creative Commons)

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La leçon involontaire de stratégie de Vladimir Poutine

Publié le 29 mars 2022
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Au-delà de la tragédie absurde, la guerre en Ukraine continue d’offrir des leçons importantes de stratégie qui vont bien au-delà du seul domaine militaire. Ainsi, la performance misérable de l’armée russe dans la guerre d’Ukraine n’est pas seulement l’exemple de bonne stratégie desservie par une mauvaise exécution, mais de l’échec de tout un système.

Selon le ministère de la Défense ukrainien, la Russie n’est pas en mesure de remplacer ses chars détruits ou capturés parce que les composants de valeur (électronique, optique, etc.) qu’elle a en réserve ont été volés par les soldats. Ce n’est pas la seule indication que quelque chose va mal dans la machine de guerre russe : colonnes de chars immobilisées par manque de carburant, soldats russes errant dans les forêts, fort taux d’échec des missiles, bombardements erratiques, etc. Alors qu’elle a longtemps renvoyé l’image du rouleau compresseur de la « grande guerre patriotique de 1941-1945 », on la découvre mal équipée, mal dirigée et mal organisée, peu motivée avec des soldats mal formés. Quelle que soit l’issue de la guerre, il est certain qu’il s’agit là d’un échec considérable pour la Russie.

De quoi cet échec est-il le symptôme ?

Un échec systémique

Depuis Max Weber, les spécialistes des sciences sociales soulignent que toute régularité dans le comportement d’un système doit être comprise en fonction de son contexte culturel. Quand les échecs sont multiples et répétés, et quand aucune correction n’est apportée, alors c’est le système lui-même qu’il faut interroger. Ce qui s’effondre en Ukraine, c’est le système créé par Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 22 ans, qui présente au moins cinq marques du régime autoritaire.

1. Le dirigeant autoritaire ne s’entoure que de conseillers dociles

C’est ce qu’illustre le remplacement d’Anatoli Serdyukov par Sergueï Choïgou au ministère de la Défense en 2012. Nommé en 2007, Serdyukov avait lancé des réformes ambitieuses, mais il s’était heurté aux intérêts en place. Il est finalement limogé et remplacé par Choïgou, général médiocre dont l’objectif est de ne mécontenter personne et de plaire à Poutine. Le choix des hommes est la première responsabilité du dirigeant : qui il choisit en dit long sur qui il est, et quel système il construit. L’inefficacité actuelle de l’armée russe est le résultat direct du choix de Poutine qui a préféré un ministre docile à un réformateur.

2. Le dirigeant autoritaire ne fait pas confiance

Le manque de confiance n’est pas nouveau dans la société russe, mais cela a été largement accentué depuis vingt ans. Il est très marqué au sein de l’armée. On dit aux soldats d’aller de A à B, sans leur dire pourquoi. Si le plan échoue, et que B ne peut être atteint, ils sont perdus. Considérés comme de simples exécutants, n’ayant pas connaissance de l’intention, ils s’arrêtent et se font cueillir comme des lapins dans la forêt ukrainienne. Tout un système bâti depuis des années sur le manque de confiance s’effondre sur le terrain lorsque le plan initial échoue car il empêche l’action correctrice locale.

3. Le dirigeant autoritaire s’attache aux symboles

Il ne perçoit pas les implications stratégiques de ses victoires tactiques. Ainsi, l’annexion de la Crimée en 2014 est vue comme une victoire de Poutine. Les Occidentaux se contentent d’imposer des sanctions économiques. C’est peu, mais celles-ci affaiblissent l’industrie de défense russe, très dépendante de la technologie occidentale, l’empêchant par exemple de produire son nouveau char. Autrement dit, la victoire tactique de 2014 pose les bases de l’échec stratégique de 2022.

Un système bâti sur le mensonge

4. Le dirigeant autoritaire développe un système basé sur le mensonge

Ancien agent du KGB, Poutine a érigé le mensonge comme principe premier de fonctionnement. Il croît son ministre de la Défense qui lui dit que son armée est prête, parce qu’il l’a nommé pour cela. Il croit son chef du renseignement qui lui dit que les Ukrainiens sont à sa solde, parce qu’il l’a nommé pour cela. Il croit ses conseillers qui lui disent que le pouvoir ukrainien s’effondrera à la première vue d’un char, parce qu’il les a nommés pour cela. Il gouverne sur une machine à mensonges qu’il a patiemment créée depuis vingt ans. Lui, l’hyper pragmatique, pour qui la fin justifie les moyens, calculateur froid, est victime de son propre système. Ce n’est pas le moindre des paradoxes.

Ce système basé sur le mensonge s’intoxique lui-même et tire donc les mauvaises leçons, y compris de ses succès précédents. Ainsi, le succès en Syrie a convaincu la Russie de la puissance de son armée, et développé sa conviction que l’invasion de l’Ukraine serait facile. Or les deux pays sont très différents, et les contextes n’ont rien à voir. En Syrie, seule l’aviation a vraiment joué un rôle. L’infanterie est très peu intervenue, elle n’a donc pas acquis d’expérience du combat. Mais on imagine que tempérer le sentiment de triomphe en indiquant que l’opération en Ukraine serait différente n’était pas chose aisée dans le système poutinien.

Dans le pays des villages Potemkine, est-ce si surprenant ? Que cela reste si prégnant 200 ans et quatre régimes politiques plus tard illustre la permanence de lourds modèles mentaux sociétaux, et montre en quoi Poutine est tout autant un produit du système russe que son architecte.

Volonté de puissance

5. Le dirigeant autoritaire est obsédé par la puissance entendue comme militaire

Dans ce modèle, l’économie est secondaire, c’est simplement quelque chose que l’on pille. La course à la puissance militaire lancée par Poutine depuis vingt ans s’est faite sur une base industrielle et économique faible qui est allée en s’affaiblissant en raison même de cette course. L’erreur stratégique profonde du système poutinien, c’est de mépriser la base économique, scientifique et technologique indispensable à toute puissance. Le soldat qui méprise l’économie construit sur du sable et se retrouve fort dépourvu lorsque bise vient. La course à la puissance ainsi conçue mène à la faiblesse, encore un paradoxe mal saisi par le supposé grand stratège. Le paradoxe, c’est que celui qui se présente comme patriote finit par laisser sa patrie en ruines, et que celui qui apparaît fort est en fait faible, et inversement.

La stratégie, c’est considérer l’ensemble, c’est un système

L’échec russe en Ukraine n’est donc pas celui d’un brillant stratège desservi par une exécution défaillante, mais celui de tout un système.

La leçon de stratégie de Vladimir Poutine, qu’il nous offre bien involontairement, est de trois ordres :

Premièrement, la stratégie interroge le système dans son ensemble. On ne peut distinguer le stratège de ce système, et encore moins la conception de la mise en œuvre.

Deuxièmement, le système est le produit des choix du dirigeant. Il ne peut s’exonérer des échecs présentés comme tactiques mais qui, en fait, expriment les faiblesses du système qu’il a créé. Ces choix expriment ses modèles mentaux et créent un contexte culturel qui produit ces échecs.

Troisièmement, certains modèles mentaux sont facteurs de fragilité du système, et de façon paradoxale. Ainsi, face à l’incertitude et à rebours d’une croyance largement répandue, la diversité d’opinion est une force, et non une faiblesse.

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  • système autoritaire = système fermé = système corrompu : moins de contrôles (hormis la loyauté) donc plus d’incompétence et de corruption.
    Par exemple j’ai lu quelque part qu’en 2021 à la frontière ukrainienne les soldats russes vendaient leur meilleur matériel. Parait-il leur salaire était le tiers de celui des soldats ukrainiens. Le patriostisme n’est pas seulement une affaire de coeur !

    • « Parait-il leur salaire était le tiers de celui des soldats ukrainiens. »

      L’Ukraine au PIB/habitant en PPP 3 fois moins élevé qu’en Russie et même plus bas que l’Afghanistan Cuba ou même le Venezuela ?
      « Il parait » ?

  • Tout ceci est bien vu. Mais Poutine a tout de même un succès à son actif, il est resté au pouvoir plus de 20 ans, c’est peut-être l’essentiel pour lui.

    • En fait les américains et plus précisément les démocrates ont déclaré la guerre aux Russe en 2014, suivant la fameuse doctrine Brzezinski avec une guerre par procuration en utilisant l’Ukraine. Un des pays les plus corrompu au monde et dont le PIB habitant est plus bas qu’en Afghanistan 30 ans après sa création artificielle.
      La CIA et les Biden, en particulier le fils dont l’ordinateur perdu ne cesse de révéler son degré de corruption (drogue, pédophilie, liens avec l’oligarchie corrompue d’Ukraine) sont d’ailleurs en bonne place dans le réarmement et la montée du nationalisme agressif de Kiev sur les populations russophones du pays.
      .
      Contrairement aux dirigeants européens qui ne défendent plus du tout leur peuple et sont d’une médiocrité absolument consternante, Poutine qui est dans le temps long et qui est un fin renard s’est préparé pendant 8 ans à ce qui arrive.
      .
      Comme les gauchistes ne comprennent jamais rien à rien, Biden va sortir un peu redoré de sa présidence absolument désastreuse, mais il a fait une erreur géopolitique absolument gigantesque en poussant la Russie dans les bras de la Chine. Il ne faut absolument RIEN croire de ce que disent les médias mainstream aussi « impartiaux » et « informés » que durant la crise Covid.
      .
      La Grande perdante de cette histoire va être l’Europe, on en reparle dans six mois si les atlantistes continuent dans cette hystérie guerrière et manichéenne.

  • « Selon le ministère de la Défense ukrainien »…….Franchement, soyez sérieux.

    • Avatar
      LasciatemiCantare
      30 mars 2022 at 0 h 37 min

      Soyez sérieux, donnez-nous la version du gouvernement russe, la seule adoubée par les lecteurs de Contrepoints !

      • Quand on vous donne des liens de spécialiste occidentaux, vous vous contentez de cliquer sur le -1 et pas le lien.

  • Cet article au titre accrocheur et aux sources contestables témoigne d’une réelle incompétence de son auteur pour analyser une stratégie militaire articulée sur des objectifs politiques ! Bien au contraire de ce qui est présenté ici comme une évidence, il apparaît que les cibles atteintes au cours de ce premier mois de combat ont été identifiées et traitées comme les plus déterminantes pour paralyser les capacités ukrainiennes sur les registres militaires et économiques (opérateurs d’importance vitale) ! Si certains éléments de cet article méritent considération, la méconnaissance de l’historique de ce drame combinée à une détestation manifeste de l’agresseur conduisent son auteur à idéologiser de manière excessivement trompeuse une situation dont l’histoire analysera vraisemblablement autrement ! Un article de même facture aurait été apprécié sur les leçons involontaires de stratégies d’autres belligérants dans le monde ….

  • Article de propagande ukrainienne … Sinon pour la stratégie russe, il suffit d’écouter Poutine qui l’explique depuis le début de l’intervention.

    • Avatar
      LasciatemiCantare
      29 mars 2022 at 14 h 58 min

      Et quelle « stratégie » ! 10000 morts côté russe dont de nombreux officiers ! La Russie est partie la fleur au fusil en Ukraine.

      -3
  • Certes la guerre n’est pas une vertu libérale et le système Poutine ou plutôt russe ne l’est pas non plus.
    Mais pour l’analyse de la situation, je ne sait pas d’où l’auteur tient ses renseignements, ceux des médias mainstream ou de nos politiques…qui finissent pas apparaitre assez grotesques.
    Pourtant, il y a d’autres sources et surtout d’autres approches plus factuelles, ne serait-ce que celles de nos propres services de renseignement…
    Ce que déplore par exemple, un ancien Colonel des Services de Renseignements Suisses qui livre une analyse :
    https://www.medias-presse.info/un-ancien-colonel-des-services-de-renseignements-suisses-livre-une-analyse-interessante-de-la-situation-militaire-en-ukraine/154132/

  • ça rappelle l’armée Tzariste qui devait laminer l’armée Allemande !

  • Cela rappelle aussi l’échec de l’UE, qui s’est fait pisser dessus aussi bien par la Russie que par l’Ukraine… Au commande de la diplomatie européenne, M. Borrell.

    • C’est surtout les américains qui vont nous « pisser dessus » en nous privant des matières premières russes, du commerce avec la Russie et en bonus nous vendre hors de prix leurs excédents de gaz de schistes… L’ukraine = Zelensky = les Américains… Bravo…

  • Cela fait un mois qu’on entend ad nauseam que l’armée russe est foutue, qu’elle s’essouffle, fatigue, qu’elle accumule erreur sur erreur, échecs sur échecs, qu’elle perd des hommes et matériel en quantité, matériel obsolète d’ailleurs (photos obligeamment fournies par l’armée ukrainienne bien sûr) témoin de la médiocrité russe (et en aucun cas un témoin de la médiocrité militaire ukrainienne ne nécessitant pas du matériel high tech pour être battue) , que ses gains territoriaux n’en sont pas vraiment, qu’elle recule même en avançant, que le recul de l’armée ukrainienne n’en est pas vraiment un et n’est bien sûr que transitoire, que les villes que les russes encerclent sans chercher à les investir est la preuve de la faiblesse russe et en aucun cas une stratégie voulue économisant homme et matériel en mettant l’armée ukrainienne en restriction dans chaque ville ainsi verrouillée.
    Bien sûr, l’encerclement de 10aines de milliers de militaires ukrainiens à l’est de l’Ukraine face au Donbass n’est en aucun cas une réussite russe et n’est que temporaire. Le verrou Marioupole tombe et la mer d’Azov est entièrement russe mais.. on n’en parle plus car sans intérêt stratégique, n’est-ce pas?
    Bref d’échecs en erreurs, de retraites honteuses en avancée minimes et désorganisées, de tirs inefficaces en objectifs jamais atteints, de stratégies mal pensées (selon les stratèges occidentaux de salon) en tactiques inadaptées, la Russie gagne progressivement et inexorablement du terrain en Ukraine permettant de recouvrir la totalité du territoire du Loudansk et quasi-totalité du Donbass, et de progresser sans interruption sur la moitié est de l’Ukraine tout en verrouillant l’ouest du pays.
    Heureusement que l’Armée russe est en échec. Qu’est-ce que cela aurait été si elle avait été en réussite! 🙂

  • Avatar
    jacques lemiere
    30 mars 2022 at 8 h 10 min

    poutine est un autocrate..l’important est ce que les russes voient..
    son seul problème c’ets les morts… car ils se voient;.

    couper des liens de com avec les occidentaux est une aubaine pour lui..

    le but de poutine n’ets pas l’ukraine mais le pouvoir et limage vis à vis des russes..

    ce qui importe est ce que les russes voient , là est le vrai théatre de guerre et là est où il peut perdre..

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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