Le clivage droite gauche nous manque déjà

Le dépassement du clivage entre droite et gauche a bien eu lieu mais ne semble pas avoir rendu ce pays spécialement plus gouvernable.

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Le clivage droite gauche nous manque déjà

Publié le 22 avril 2022
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Par Jean Granville.

Il est fréquent d’entendre dire que la droite et la gauche sont dépassées car la vraie fracture oppose désormais X et Y (riches et pauvres, somewhere et anywhere, etc.).

Cette idée repose sur un contresens : la bipolarité ne tient pas à une quelconque fracture au sein de la société mais au simple besoin d’organiser rationnellement les choix politiques. La gauche et la droite ne sont pas des philosophies mais des emplacements qui, dans une démocratie fonctionnant correctement, forment les deux plateaux d’une balance politique pérenne : le parti qui gouverne fait face à la réalité et sa popularité diminue, tandis que l’opposition propose ce qu’elle veut, rallie les mécontents et finit par accéder aux affaires, et ce jusqu’au prochain tour.

Les idées politiques alimentent la vie politique. Elles sont discutées, contredites, affinées, triées stratégiquement entre droite et gauche, puis reprises par les politiciens selon leur compatibilité et leur impact électoral, chacun s’efforçant en responsabilité et en conscience de remporter la prochaine élection. La vie politique repose sur cet équilibre entre cohérence et compromis.

Une bipolarité politique

La bipolarité politique est un mécanisme qui a fonctionné en France du début de la Cinquième république à l’année 2017, au cours de laquelle nous avons basculé dans la tripolarité.

Avant 2017, il y avait de chaque côté un grand parti modéré et un ou plusieurs petits partis, modérés ou non. Chaque grand parti s’efforçait d’accéder au second tour de la présidentielle, généralement avec succès, puis de créer une coalition en faisant appel, selon le besoin, aux petits partis du même camp, en adoptant certaines idées radicales afin d’obtenir les suffrages correspondants tout en s’efforçant de ne pas perdre trop de voix chez les modérés. Le parti vainqueur de la présidentielle remportait ensuite systématiquement les législatives organisées dans la foulée, notamment parce que les perdants étaient généralement trop occupés à s’entredéchirer pour pouvoir mener une campagne digne de ce nom.

L’immigration, phénomène majeur de ces dernières décennies, en France comme dans les autres démocraties, a sans doute été l’élément déclencheur de la transition car elle a entraîné les conséquences suivantes :

  • un nouvel électorat a émergé au fil des naturalisations, créant une opportunité pour les partis politiques souhaitant les rallier ;
  • un courant anti-immigration est symétriquement apparu au sein de la population d’origine, créant une opportunité électorale supplémentaire.

 

Le détail du jeu politique qui s’est mis en place autour de cette problématique appellerait des développements sans fin, mais le point important est que l’on a alors introduit dans la mécanique démocratique ce que l’on a appelé le cordon sanitaire.

Ce cordon sanitaire politique, motivé par le souvenir de la Seconde Guerre mondiale, est l’interdiction faite à la droite modérée de s’allier à la droite radicale anti-immigration. Le mécanisme décrit plus haut a donc cessé de fonctionner à droite, les politiciens de droite ne pouvant plus emprunter d’idées à la droite radicale ni passer des alliances avec elle.

Ce cordon sanitaire politique appliqué à la droite s’est cependant doublé, à gauche, d’un paravent sanitaire intellectuel qui a empêché la gauche de s’intéresser à l’immigration autrement qu’en s’en réjouissant, permettant à la gauche radicale non seulement d’ignorer ses inconvénients, mais également de se livrer à une captation très agressive des suffrages issus de la diversité en reprenant les revendications correspondantes, tandis que les politiciens de la gauche modérée qui tentaient de répondre aux inquiétudes que suscitait l’immigration chez leurs électeurs étaient immédiatement discrédités dans leur propre camp.

Face aux questions délicates que posait l’immigration, la société et le monde politique français ont donc opté pour le silence pudique et l’intimidation morale. En limitant la liberté d’expression et de réflexion, ainsi que les options tactiques des politiciens, on a à la fois perturbé la discussion indispensable au tri des idées et créé des électorats distincts pour les partis marginaux, qui ont progressivement cessé de l’être. Tout ce qui empêche la circulation des idées empêche leur examen et entraîne leur radicalisation. Ce choix a gravement endommagé la machine démocratique.

Le dépassement du clivage entre droite et gauche

Le basculement de la bipolarité vers la tripolarité s’est effectué en plusieurs temps.

La gauche modérée, qui attendait son Bad Godesberg depuis des décennies sans oser le créer, a transformé le Parti socialiste en groupuscule en rejoignant le parti de Macron dès 2017.

La droite, empoisonnée par le Front national depuis le début des années 1980, a achevé sa décomposition entre 2017 et 2022, et ses membres modérés ont également rejoint progressivement la grande famille macroniste.

Le clivage droite-gauche a donc bien été dépassé, mais les anciennes droite et gauche modérées n’ont pas disparu, elles se sont associées. Trop faibles pour diriger leurs camps respectifs, elles ont fusionné pour former un camp unique dont la stratégie consiste à occuper une position minoritaire mais stratégique face à une opposition structurellement divisée en pôles fondamentalement antagonistes, bien qu’ils se disputent en partie le même électorat.

Nous en sommes donc revenus au schéma politique de la Quatrième République, avec une coalition centrale quasiment inamovible et une alternance improbable qui prendrait l’allure d’un changement de régime.

L’ère du compromis politicien étant révolue, nos trois pôles sont aussi plus purs idéologiquement que ne l’étaient les anciennes droite et gauche. Chacun croit détenir la vérité ultime, diabolise les adversaires et pratique un culte de la personnalité intense autour d’un chef inamovible qui fait le vide autour de lui.

Le premier tour de la présidentielle reflète bien cette situation. Dans l’ancien modèle, on pouvait voter comme on voulait au premier tour en étant à peu près sûr d’avoir encore un candidat de son camp au second. Avec trois pôles, il faut voter utile tout de suite. Les perdants en ont fait les frais, généralement au sens propre du terme.

La vie politique est devenue plus virulente, voire paranoïaque, la désinformation étant constamment dénoncée et l’indignation devenant la posture par défaut. La partition de la vie politique se faisant autour de thèmes sensibles comme l’immigration ou, ces temps-ci, l’invasion de l’Ukraine, la campagne du second tour n’est plus qu’une suite d’insultes et les alliances sont inconcevables. Aucun des deux candidats du second tour ne pouvant se rapprocher idéologiquement de celui qui est arrivé troisième, la chasse aux voix ne peut reposer que sur leur diabolisation mutuelle. Les triangulaires des législatives seront sûrement l’occasion de tragédies déchirantes, mais la suite est imprévisible.

Le dépassement du clivage entre droite et gauche a bien eu lieu mais ne semble pas avoir rendu ce pays spécialement plus gouvernable.

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  • «La bipolarité politique est un mécanisme qui a fonctionné en France du début de la Cinquième république à l’année 2017, au cours de laquelle nous avons basculé dans la tripolarité.»
    Justement la bipolarité n’a pas fonctionné (ou plutôt elle s’est montrée inadaptée) sinon pourquoi cette évolution. Elle a fonctionné au début sous l’aura d’un De Gaulle et certainement dans un contexte porteur, mais je pense que notre organisation politique est contre-nature dans la durée. Chassé le naturel, il revient au galop.
    Ce bipartisme artificiel car les coalitions sont avant tout politiciennes a étouffé la pluralité politique, les courants minoritaires ne pouvant existé. C’est d’autant plus marqué que les assemblées sont également inaccessibles à ces courants secondaires. Tout cela dans un pays très centralisé.
    De mon point de vue notre organisation politique (et donc administrative) n’est pas assez résiliente face aux changements inévitables.
    Mais paraît-il c’est juste une question d’idées ou d’idéologies ! Alors la messe est dite !

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