EDF est déchiré entre l’État et le marché

Le comportement d’EDF est évidemment inscrite dans son statut hybride : un capital détenu à 84% par l’Etat et à 16% par le privé.

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EDF est déchiré entre l’État et le marché

Publié le 24 janvier 2022
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À la suite de la décision du gouvernement de remonter de 20 TWh l’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique au profit de ses concurrents directs, l’État privera EDF de 8 milliards de recettes qui viennent s’ajouter aux 14 milliards qu’il a déjà mis sur la table depuis septembre pour rendre presqu’indolore l’accroissement des prix de l’énergie devenus fous depuis l’été 2021. Générosité envers les plus démunis affirmeront les uns, câlinerie électorale à trois mois de la présidentielle chuchoteront les autres. Le « quoi qu’il en coûte » pandémique est en train de devenir un quoi qu’il en coûte énergétique.

Pour « protester contre cette décision gouvernementale scandaleuse d’augmentation du plafond de l’ARENH qui vient spolier le rôle d’EDF, voire organiser sa destruction », quatre des principaux syndicats ont lancé un appel à la grève le 26 janvier. Dans le même temps, le CSEC (Comité d’Entreprise) a déclenché une procédure de droit d’alerte économique. Il pointe notamment du doigt la perte sèche que subissent les salariés (ils détiennent 1,32 % du capital) et les petits porteurs : dans une tourmente quasi permanente, EDF a perdu 90 % de sa valeur depuis l’ouverture de son capital en 2004.

 

Le problème du fonctionnement interne d’EDF

Pourtant, après avoir revêtu un court instant sa « veste capitaliste », le CSEC a très rapidement récupéré son « gilet jaune public » en lançant une campagne de publicité dans les rues parisiennes : « la privatisation de l’électricité nuit gravement à votre facture ». Un quasi péché de schizophrénie immédiatement relevé par le ministre de l’Économie « rassurant les salariés EDF inquiets des conséquences des récentes décisions gouvernementales mais leur rappelant néanmoins qu’EDF était un groupe public au service de l’intérêt général ».

Rappelons que le Comité d’Entreprise d’EDF est le plus riche du monde. La loi de 1946 impose à l’électricien de lui verser 1 % du chiffre d’affaires et non un pourcentage du bénéfice comme pour la plupart des entreprises. Une invraisemblable rente de près de 500 millions d’euros par an gérée en toute opacité et dont les gaspillages en tout genre voire les dérives ont été mises en évidence à de multiples reprises par la Cour des comptes. Principalement piloté par la CGT, le CE a même été poursuivi en juin 2014 devant le tribunal correctionnel de Paris pour « détournement de fonds et financement d’activités ne relevant pas de son objet social ».

À la sortie du dernier conflit mondial, dans une France économiquement exsangue, le général de Gaulle n’avait pas d’autre choix que d’organiser la production et la distribution de l’électricité autour d’un grand « monopole naturel » intégré. Sa justification était triple : technico-économique, sociétale et stratégique.

Nécessitant des capitaux très importants (barrages, centrales nucléaires) et acheminant l’électricité au travers d’un réseau de distribution national, un monopole naturel permet de contrôler toutes les sources sur l’ensemble du territoire. Il en résulte des économies d’échelle et une optimisation des coûts en mettant d’abord en œuvre les centrales capables de produire de grandes quantités d’électricité au coût le plus faible (hydroélectricité et nucléaire). Puis, pour répondre aux variations journalières et saisonnières, d’autres sources comme le gaz interviennent comme appoint.

Par ailleurs, un monopole naturel est construit au service de l’utilité collective. Il est conçu comme un service public non concurrentiel pratiquant des tarifs non profitables pratiquement égaux à ses coûts marginaux et ce au sein d’un secteur parfaitement régulé.

Enfin dans certaines circonstances exceptionnelles, comme en cas de conflit, l’électricité devient une commodité stratégique que tout État tient à conserver dans sa sphère d’influence.

Le monopole a évidemment les inconvénients de ses avantages : si l’unicité du producteur/distributeur permet théoriquement de proposer aux consommateurs le « juste prix », sa rente de monopole ne représente pas un gage d’efficacité notamment en termes d’innovation et de rigueur économique. Et ce gage a particulièrement été mis à mal quand au début des années 2000 le marché de l’électricité s’est ouvert à l’ensemble de l’Europe.

La schizophrénie d’EDF est évidemment inscrite dans son statut hybride : un capital détenu à 84 % par l’État et à 16 % par le privé. Ce statut qui empêche l’électricien de fonctionner de façon normale dans un marché européen ouvert est remarquablement décrit dans l’ouvrage de référence de JP Hansen et J. Percebois.

Faudrait-il comme le proposent le Vert Yannick Jadot, l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon et la Frontiste Marine Le Pen renationaliser EDF pour garantir « à la collectivité une production d’électricité fiable et peu onéreuse » ? Ou faudrait-il sortir sortir du marché européen ? Faudrait-il enfin privatiser l’électricien et laisser le consommateur se débrouiller seul face au marché ?

 

La réponse se trouve au niveau européen

Comme souvent la réponse est au milieu du gué mais ne se trouve aucunement ni dans le degré de nationalisation (ou de privatisation) d’EDF ni dans une sortie unilatérale du système électrique européen.

Le marché européen de l’électricité n’est en rien comme le prétendent certains une volonté de dérégulation réclamée par le privé aux dépens du consommateur mais un impératif technique lié à la transition énergétique. Cette dernière consistera en un « grand remplacement » des équipements thermiques par des équipements électriques et consacrera l’électricité comme énergie du XXIe siècle. En France sa consommation devrait doubler d’ici 2050.

Cette électricité reposant en partie sur des énergies renouvelables intermittentes, les échanges sur la grille européenne sont aujourd’hui devenus incontournables sous peine de subir particulièrement en hiver des « blackout électriques » récurrents. Une situation bien différente de celle qui prévalait au siècle dernier quand la consommation d’électricité ne représentait que 15 % de la consommation d’énergie finale et que l’ensemble du mix électrique était construit autour de sources pilotables.

Une sortie du système électrique européen signifierait pour la France de ne plus garantir à ses concitoyens de l’électricité 100 % du temps. Quant à la nationalisation d’EDF, elle ne ferait que reporter sur le contribuable ou la dette (ce qui est équivalent) les prix élevés de l’électron. N’en déplaise aux candidats vert et insoumis la nationalisation d’EDF ne résoudra en rien les problèmes de fiabilité et de prix. C’est en effet la grille européenne qui détient les clés de la fiabilité et les marchés mondiaux de l’énergie celles des prix. Quant à la privatisation totale elle enlèverait intégralement à feu le monopole naturel un rôle de régulateur qu’il n’a que partiellement perdu aujourd’hui sans présager des troubles sociaux que cela engendrerait.

C’est donc au niveau européen que se trouve la réponse.

Les réseaux électriques et gazeux étant fortement interconnectés seule une institution européenne compétente serait capable de réguler le marché. Pourtant, bien que l’article 194 du Traité de Lisbonne introduise une base juridique pétrie de bonnes intentions dans un « esprit de solidarité » (assurer le bon fonctionnement du marché de l’énergie, assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique, promouvoir l’efficacité énergétique, promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques) dans les faits l’énergie reste une chasse gardée nationale. Les États peuvent en effet décider de façon souveraine de leur mix énergétique, de l’exploitation de leurs ressources propres et de leur approvisionnement. Malgré les enjeux nous sommes donc encore très loin d’une communautarisation de la politique énergétique. À notre connaissance cette mesure ne figue au programme d’aucun candidat à la présidentielle.

 

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  • dans l’esprit du français edf lui appartient..
    son électricité bas cout de revient doit être vendue aux français.. avec une faible marge…

    si edf était libre elle vendrait sur le marché européen au prix du marché..ça ne ne nous servirait pas à grand chose que les centrales à bas cout soient en france..

    Je suis juste incapable d’apprehender le bouzin..trop de règles d’intervention de l’etat d’accords politiques..
    onmet en avant ce qu’onveut..

    la politique a engendré une production européenne peu adapté au marché … il vont refiler le bébé au « marché » et les gens vont assimiler la hausse des prix au marché..

    ..

    Mais on va avoir une sacrée hause de tarif après les élections;…

    • Vous mettez le doigt sur le principal problème: un marché européen de l’énergie signifie faire pot commun des mauvais choix de certains pays, étale les avantages et les surcouts mais laisse certains inconvenients locaux …

      De toute façon, à force d’emmerder Poutine, il va finir par envahir l’Ukraine et ça va ajouter un binn’s supplémentaire dans ce montage déjà plus que brinquebalant… ça en serait presque marrant si à la fin ce n’étais pas nous qui allons devoir régler l’addition…

    • Au moins 40% d’un coup.

  • Pour sortir de ce bazar, une seule solution, privatiser EDF, et tant pis pour les alternatifs ne produisant rien.

  • On oublie aussi, qu’exceptionnellement, EDF est meilleur que ses concurrents étrangers, l’Allemagne en particulier, grâce à la décision providentielle du nucléaire. Libéraliser le marché européen aurait un effet catastrophique pour les producteurs allemands, les forçant à l’énergie nucléaire.
    C’est donc hors de question. Le marché européen ne marche que pour des ajustements à la marge, dans les faits la production reste nationale et bien contrôlée par les politiques. Il n’y aura pas de libéralisation, tout au plus une de façade avec pleins de connivences qui font que l’état décidera toujours du prix de l’électricité.
    Je pense que cet aspect nationalisé de l’électricité résistera encore plus longtemps que la sécu ou l’ed nat. La seule vraie concurrence d’EDF est l’installation en site isolé, situation extrêmement marginale.

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