L’entrepreneuriat « à impact » n’est qu’une posture morale

Plutôt qu’à la recherche du profit personnel, les entrepreneurs à impact affirment mettre leur talent au service de l’intérêt général.

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L’entrepreneuriat « à impact » n’est qu’une posture morale

Publié le 19 mai 2021
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Par Philippe Silberzahn.

Depuis quelques années a émergé un phénomène qui porte un nom étrange, celui de l’entrepreneuriat « à impact » ou entrepreneuriat social. Plutôt que la recherche du profit personnel, les entrepreneurs à impact affirment mettre leur talent au service de l’intérêt général. C’est là une curieuse présomption, à double titre : d’une part, la recherche du profit a eu historiquement un impact considérable au service de l’intérêt général, et d’autre part, nombre d’entre eux n’auront pas le moindre impact en raison même de leur posture.

L’entrepreneuriat social est généralement défini comme « une manière d’entreprendre qui place l’efficacité économique au service de l’intérêt général. » Cela semble simple, que n’y a-t-on pas pensé avant ? Mais comme souvent, ce qui semble simple ne l’est pas tant que ça.

Des modèles mentaux discutables

Ici l’ambition de mettre l’efficacité économique au service de l’intérêt général repose sur pas moins de trois modèles mentaux très discutables.

Opposer économique et sociétal

La distinction entre les deux est artificielle et ne correspond pas à la réalité. L’économique et le social sont indissociables. Toute entreprise, par son personnel employé, ceux qu’elle fait vivre (fournisseurs, banquiers, investisseurs), les impôts et charges sociales qu’elle paie, a nécessairement un impact économique et social. Quelqu’un qui a un emploi a beaucoup plus qu’un salaire. Il a un statut, un réseau social, une fierté, un sentiment d’accomplissement, etc. L’économie est affaire de parties prenantes, elle est profondément sociale. Le lien social est le contexte dans lequel l’économique prend place.

Opposer recherche du profit personnel et intérêt général

C’est une vieille opposition, et il faudrait choisir entre les deux. Sans compter que ceux qui choisiraient le premier seraient les méchants se désintéressant de l’intérêt général, tandis que ceux qui choisissent le second seraient les gentils qui se sacrifient pour lui.

Adam Smith et à sa suite 200 ans d’histoire économique ont montré que cette opposition n’avait aucun fondement, et que la recherche du profit et l’efficacité économique qui en résulte servent l’intérêt général par l’enrichissement qu’elles permettent, entre autres. Évidemment cet incroyable paradoxe n’a jamais été admis par nombre d’intellectuels qui continuent d’opposer les deux et qui voudraient que la seule façon de défendre l’intérêt général soit pour l’individu de s’y sacrifier, comme un soldat part à la guerre. Cette notion sacrificielle empreinte de religiosité reste très présente dans la pensée économique actuelle dans les débats sur l’entrepreneuriat social et sur la mission d’entreprise.

Comment définir l’intérêt général

Lorsqu’on l’oppose à l’efficacité économique, on exclut de facto celle-ci. Autrement dit, l’intérêt général est implicitement défini comme quelque chose de purement social. Augmenter la richesse n’y contribuerait pas. On le voit, l’une des difficultés d’un mouvement qui prétend se consacrer à l’intérêt général est que celui-ci est un concept vague.

Qui le définit ? Comment prétendre qu’il est le même pour tous ? Comment penser que dans un monde complexe et incertain, nous serons tous d’accord sur sa définition pour tel ou tel sujet ?

L’entrepreneuriat à impact, quel impact ?

Au-delà des questions posées par ces trois modèles mentaux sur la validité des bases philosophiques de l’entrepreneuriat social, c’est la notion même d’impact qui pose problème.

En effet, en se déclarant entrepreneurs à impact, ces derniers semblent supposer que les autres entrepreneurs en sont dépourvus. Or l’impact profond et massif de l’entrepreneuriat motivé par le profit est pourtant une évidence depuis longtemps.

Pour prendre un exemple actuel parmi d’autres, des startups comme BioNTech ou Moderna sauvent des millions de gens avec leurs vaccins ; elles ont un impact massif sur la santé mondiale et par extension sur l’économie et le social, et servent donc l’intérêt général. Et pourtant elles sont un pur produit du capitalisme entrepreneurial porté en partie par la recherche du profit, et n’entrent donc pas dans la définition d’entreprise à impact. BioNTech et Moderna, pas d’impact ? De qui se moque-t-on ?

Ce qui est en question ici n’est pas la capacité ou non de l’entrepreneuriat à impact à avoir un impact effectif. Ce sera certainement le cas de certaines de ces entreprises. Ce qui est en question, c’est la présomption que seul ce type d’entrepreneuriat peut en avoir un. Cette présomption balaye d’un revers de main les leçons de 200 ans d’histoire économique. Elle permet de s’arroger le terme impact sans la moindre légitimité pour cela. N’importe quelle PME de 500 personnes a davantage d’impact que la plupart des startups sociales en vogue.

L’entrepreneuriat à impact est une posture morale

L’impact n’est donc pas le seul apanage des entrepreneurs qui s’en réclament. Mais alors qu’est-ce qui fait leur spécificité ? Pourquoi BioNTech et Moderna ne sont pas qualifiées comme tel ?

L’explication est simple.

Ce qui distingue l’entrepreneuriat à impact n’est pas le fait qu’il en ait un, c’est qu’il refuse a priori la recherche de profit. C’est le comment qui le distingue, pas le quoi. Si ces entrepreneurs recherchaient vraiment l’impact d’un problème résolu, ils seraient neutres à propos des moyens à mettre en œuvre pour ce faire.

Ils diraient :

« Il faut absolument vacciner les populations contre la Covid-19. C’est l’intérêt général. Comment faire ? Eh bien, si la solution passe par des startups qui lèvent des milliards de dollars auprès de capitaux risqueurs alliés à de grands laboratoires pharmaceutiques, ainsi soit-il. »

Mais ce n’est pas la bonne posture, qui consiste à essayer de résoudre le problème à condition que la réponse ne repose pas sur la génération de profit. Cela revient à courir un marathon en se liant les deux jambes. C’est poser une condition rendant de facto presque impossible le moindre impact. Autrement dit, l’entrepreneuriat à impact est une posture morale, voire idéologique, pas une démarche de résolution de problème. Tout en prétendant subordonner le profit à l’impact, il subordonne surtout ce dernier à l’idéologie.

Sans compter que l’entrepreneur social, sous couvert de sacrifier sa recherche de profit, profite en fait considérablement de cette posture morale.

En effet, en mettant son action au service d’un objectif moralement indiscutable, car rangé sous la bannière fourre-tout de l’intérêt général par lui défini, et en prétendant sacrifier toute ambition personnelle, l’entrepreneur gagne un prestige social important dans certains cercles auxquels il signale sa vertu. C’est une véritable rétribution, car ce prestige est un capital qui peut se monnayer en espèces sonnantes et trébuchantes ou en pouvoir.

À l’extrême, l’entrepreneur peut même justifier la médiocrité de sa performance économique par ce sacrifice, voire que celle-ci constitue la preuve de son engagement sociétal. Il fera vivoter une structure semi-sociale sans véritable impact, mais se paiera sur le prestige social obtenu par l’affichage de sa vertu, et ce qu’il peut en retirer. En ce sens, son entrepreneuriat social n’est qu’un moyen au service de son ambition personnelle, le contraire de ce qui est affiché. Autrement dit, l’entrepreneuriat social est tout sauf désintéressé, c’est un entrepreneuriat comme un autre mais avec une constitution de capital un peu différente.

Cette approche n’a rien de nouveau : créer une structure sociale, se consacrer aux bonnes œuvres et en tirer parti pour construire un capital social monnayé ensuite en argent ou en pouvoir est un jeu aussi vieux que l’humanité, mais simplement habillé de nouveaux mots. C’est un jeu légitime. Il s’agit seulement de ne pas en être dupe et de ne pas laisser ceux qui le jouent acquérir une supériorité morale sur ceux qui ne le jouent pas et qui font œuvre tout aussi utile dans leur propre projet entrepreneurial.

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  • Le premier « intérêt général » ou « impact social » d’une entreprise, bien avant les salaires et les impôts, est celui de rendre service à ses clients.
    Si elle ne le fait pas alors elle disparaît, et toute tentative de la maintenir à flots autrement que par la concurrence est du vol.

  • Ce n’est pas pour rien que les associations sans but lucratif ont été créées.

    Il semble, malheureusement, qu’elles attirent plus les subsides que les bons dirigeants et qu’elles sont donc consommatrices nettes de richesse tout en étant peu ou pas du tout efficaces.

  • Pas de profit. Pas de développement. Pas d’avenir. Plouf !

    • En Socialie, les zombies ne sont pas une fiction. Tous ces fameux entrepreneurs « sociaux et solidaires » vivent sur votre dos, tels les parasites qu’ils sont.

  • Vous ajoutez « Bio, Ecolo, Social et Solidaire, Renouvelable, … Tout qualificatif ne voulant rien dire dans une phrase et vous êtes un génie du monde d’aprés…. Quand le sens de rotation de la terre aura été changé grâce a l’éolien surement.

    • Si le verbiage influait efficacement et positivement sur l’économie, on s’en serait déjà aperçu !

  • Il faut quand même constater que depuis 40 ans, le top1% s’accapare une part plus importante de la richesse créée au détriment de la classe moyenne qui voit ses revenus stagner corrigés de l’inflation donc l’enrichissement de cette dernière par la recherche du profit des premiers n’est plus vérifié.

  • Les commentaires sont fermés.

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Les auteurs : Miruna Radu-Lefebvre est Professeur en Entrepreneuriat à Audencia. Raina Homai est Research Analyst à Audencia.

 

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