« Virtue signalling » : même Molière nous avait dit de nous en méfier !

Faites ce que je dis mais pas ce que je fais, pendant que je me donne le beau rôle social en promouvant des actions inutiles : voilà ce qu’est le virtue signalling.

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« Virtue signalling » : même Molière nous avait dit de nous en méfier !

Publié le 17 mai 2021
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Par Nathalie MP Meyer.

Le virtue signalling en quelques exemples

Il y a quelques semaines de cela, j’ai failli commettre un crime épouvantable : jeter un masque chirurgical usagé, comme ça, direct, dans la poubelle ! Halte-là, me dit en substance l’ami parisien chez qui j’étais en visite, sortant illico une paire de ciseaux d’un tiroir et se mettant à couper consciencieusement les élastiques. J’ai vu un reportage horrible, tous les déchets vont à la mer, les mouettes se prennent inextricablement les pattes ou les ailes dans les élastiques des masques et finissent par en mourir.

Ah bon, à la mairie de Paris, chez madame Hidalgo et ses alliés écologistes, les ordures ménagères partiraient directement à la mer ?

C’est faux, naturellement. Après recherche sur internet, j’ai effectivement constaté que des associations de protection de la nature alertaient sur le danger que des déchets tels que masques ou gants chirurgicaux pouvaient représenter pour les animaux marins (encore que les exemples effectifs soient assez peu nombreux), mais il s’agit uniquement de ce qui peut être jeté dans la rue ou sur les plages. Et pour ces derniers déchets, la solution ne consiste certainement pas à couper pieusement les élastiques, mais plus généralement à s’abstenir de jeter quoi que ce soit sur la voie publique.

Autrement dit, mon ami s’est offert le petit luxe de m’expliquer que je manquais cruellement d’empathie envers la planète et la vie animale tandis que lui, toujours très conscientisé à propos de tout, pensait toujours à ces choses avant de penser à lui et à son petit confort immédiat. Que cela passât par la soumission à des comportements parfaitement inutiles n’a pas eu l’air de l’effleurer le moins du monde.

Et comme je sais qu’à une époque, cet ami ne voyait aucun inconvénient à faire jouer ses relations auprès d’Anne Hidalgo pour obtenir en priorité le renouvellement d’un passeport malencontreusement égaré à deux jours d’un voyage à l’étranger quand le Parisien moyen devait attendre trois semaines, inutile de vous dire que sa petite leçon de supériorité morale m’a prodigieusement agacée.

En anglais, l’attitude que je viens de dépeindre, qui consiste donc à montrer ostensiblement à quel point on est « une belle personne » totalement investie dans tous les comportements vertueux socialement à la mode, est moquée sous le terme de virtue signalling.

Et comme le montre mon anecdote (dont je garantis la parfaite authenticité), elle s’organise autour de deux dimensions :

  1. Se donner le beau rôle social en promouvant des actions qui, réflexion faite, se révèlent au mieux inutiles (couper les élastiques avant de jeter les masques à la poubelle) mais parfois foncièrement nuisibles.
  2. S’inscrire hypocritement dans le double standard du « faites ce que je dis, pas ce que je fais » (faire jouer ses relations politiques pour obtenir une priorité administrative tout en saoulant son entourage de multiples rappels sur tous les poncifs bien-pensants de l’époque).

À ce dernier titre, l’ancien ministre du Budget de François Hollande Jérôme Cahuzac fait incontestablement figure de champion toutes catégories de ces dernières années.

Si vous vous rappelez, à peine arrivé en fonction, il voulait « renforcer l’arsenal législatif contre la fraude et l’optimisation fiscale »… tout en ayant détenu pendant de nombreuses années un compte non déclaré à l’Union des banques suisses (UBS) de Genève.

Plus récemment, et plus en rapport avec la situation d’état d’urgence sanitaire que nous vivons depuis plus d’un an en raison de la pandémie de Covid-19, on peut citer également ces notables, magistrats et autres commissaires surpris à déjeuner dans des restaurants plus ou moins clandestins et qui échappent aux poursuites quand le citoyen de base se fait lourdement verbaliser pour non-port du masque en pleine campagne ou consommation d’un verre de rosé sur une plage pratiquement déserte.

Le problème n’étant pas – je préfère le préciser – que des personnes adultes et responsables organisent des déjeuners mais le deux poids deux mesures qui reste de mise entre les gouvernants qui imposent des mesures discutables dont certains s’affranchissent et les citoyens ordinaires qui subissent les erreurs et approximations des premiers.

Se donner le beau rôle, socialement

Quant à la première dimension, j’aurais tendance à y inscrire toutes ces politiques publiques généralement très bien portées à gauche qui consistent à lutter contre la pauvreté, les discriminations, la malbouffe, les inégalités d’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi, etc. (jusque-là, tout va bien) par des mesures qui font merveille sur un tract électoral tant elles se positionnent dans le camp du bien, mais qui échouent systématiquement et lamentablement à délivrer les résultats souhaités.

Je pense notamment aux décrets administratifs sur la hausse du salaire minimum (qui ont surtout pour effet d’écarter les travailleurs peu qualifiés du marché du travail), à la discrimination positive (qui reste une discrimination et qui jette un voile de suspicion sur les capacités effectives des personnes qui en bénéficient) ou au retour de l’ISF (mesure purement symbolique qui flatte surtout la jalousie maladive des Français vis-à-vis de ceux qui réussissent mieux qu’eux).

Ajoutons-y cette nouvelle idée lancée par Joe Biden, approuvée par Emmanuel Macron et défendue par Jean-Luc Mélenchon : la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid pour en élargir l’accès aux pays les moins riches. Il faut dire qu’elle coche à peu près tous les standards du virtue signalling : on pense aux autres, on pense aux damnés de la Terre et en plus on se fait les big pharmas. Bingo !

Sauf que la question du moment n’est pas de savoir qui détient les droits de propriété sur les vaccins mais comment en accélérer la production pour obtenir davantage de doses rapidement. Alors on peut toujours lever les brevets et ajouter ça à la liste de ses bonnes actions, mais il faut savoir que cela ne résoudra nullement le vrai problème du jour qui est celui de la disponibilité des doses.

Mais après tout, pourquoi se soucier d’obtenir des résultats puisque de toute façon, il est entendu depuis longtemps que c’est l’intention qui compte ? Qui aurait la dureté de reprocher à qui disait vouloir bien faire de ne parvenir à rien de tangible ?

Dans le virtue signalling, peu importe le résultat, c’est l’intention qui compte

Le mot qui trône au centre du virtue signalling est lâché : l’intention. Comme personne ne peut prétendre déchiffrer à coup sûr le cœur et l’esprit d’autrui, il suffit de se proclamer soi-même comme animé des meilleures intentions, le dire et le répéter beaucoup, pour désamorcer immédiatement toute parole un peu critique sur les possibles conséquences malencontreuses de certaines bonnes actions.

C’est précisément ce que nous disait déjà Molière à travers son intemporel et inoubliable personnage de Tartuffe (ou l’Imposteur) en 1669.

Alors que ce dernier avait pris grand soin de se présenter dans la maisonnée d’Orgon sous le jour d’un saint homme tout pétri en confiteor qui n’aspirait qu’aux délices du ciel, il avait en réalité le sombre dessein de s’approprier le beurre d’une pieuse réputation, l’argent du beurre, c’est-à-dire tous les biens de son hôte, et la crémière en la personne d’Elmire, la femme de son hôte.

Dans l’Acte IV Scène 5, alors qu’il assure cette dernière de ses sentiments les plus vifs et qu’il la presse de répondre à sa flamme par des « réalités » et des « témoignages » bien concrets, Elmire s’étonne, mettant ainsi le doigt sur la duplicité du faux dévot :

« Mais comment consentir à ce que vous voulez,
Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez ? »

La réponse du sieur Tartuffe est admirable :

« Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.
Le ciel défend, de vrai, certains contentements ;
Mais on trouve avec lui des accommodements.
Selon divers besoins, il est une science
D’étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention. »

Tout est question d’accommodements pratiqués en cachette de la société. Tartuffe ajoute même ensuite que « ce n’est pas pécher que pécher en silence », c’est-à-dire en secret, sans que quiconque n’en sache rien afin que tout le monde continue à vous prendre pour la vertu personnifiée.

Chez Cahuzac, cela devient : « Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS, c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques. »

Tout est question de souplesse opportuniste de la conscience, exactement comme certains jésuites contre lesquels Pascal s’était élevé quelque trente ans plus tôt dans sa VIIème Provinciale le préconisaient sous le nom de « direction d’intention ».

En l’occurrence, il devenait possible à tout gentilhomme de défendre son honneur quitte à tuer un homme en duel (ce que le christianisme réprouve) pourvu qu’il transformât sa mauvaise intention (colère, désir de vengeance) en bonne intention.

Tout repose donc sur la « pureté de l’intention », une intention adéquatement travaillée et modelée pour faire ressortir l’intrinsèque bonté de qui l’abrite en son cœur et une intention qui seule doit entrer en ligne de compte au moment d’évaluer l’action, y compris dans tout ce qu’elle pourrait avoir de mauvais, de raté ou de dommageable à autrui. Comme disait encore Blaise Pascal dans ses Pensées, il se trouve hélas trop souvent que « qui veut faire l’ange fait la bête ».

Molière nous l’avait dit, Pascal également : il faut toujours se méfier d’une surabondance de virtue signalling.

Sur le web

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  • Delicieux. Merci.
    Relire Tartuffe

  • le virtue signaling serait assez bénin si il s’agissait bien de vertu, mais justement non…

    le vrai danger c’est la croyance dans des trucs absurdes..

    SI le masque allait en mer et tuait un animal….(et que, il ne faut pas oublier, le traitement du masque faisait moins de dégât que son abandon négligent) alors la petite leçon de morale serait acceptable..il faudrait juste la « completer » faire un bilan « complet »..pour dire qui est vertueux ou non..
    je digresse …
    mais justement le vrai danger c’est la promotion d’idées contreproductives pour des raisons idéologiques via l’emotion et des méthodes fausses..

    au bout du bout d compte, un être humain a un impact environnemental, il accapare au dépens d’autres animaux disons une part de l’ecosystème…

    même si vous êtes attaché à rendre cette part la plus petite possible vous allez vous heurter de front à l’impossibilité de calculer cette part d’une façon qui permette d’ordonner …

    sans parler du dilemme…quand le calcul de l’impact environnemental d’un truc a un impact environnemental plus grand que ce truc…. (pour le collectivisme, c’est le poids de la police regarder et savoir ce que font « tous les autres » vous prend une partie substantielle de votre temps, sans parler d’appliquer des sanctions…) enfin bref…

    • mais pardon le point essentiel du virtue signaling actuel, c’est qu’il n’est en rien associé à de la vertu.. il faudrait l’appeler signalement de vertu illusoire…

      • Comme beaucoup de prêcheurs en des temps pas si éloignés qui confondaient volontiers la vertu avec l’apparence de la vertu. Different religion, same shit

      • Il faut l’appeler « tartuferie » ou « hypocrisie », 100% en phase avec l’article.
        J’aimerai bien une version de Tartuffe salafiste.

  • Le rappel de l’affaire Cahuzac me ramène toujours à l’esprit cette jolie boutade : « les Valeurs de la Gauche sont en Suisse »

  • Pour Tartuffe, je suivais une émission sur la déforestation amazonienne,les partcipants tirant à boulets rouges sur Bolsonaro.

    Un participant, plus lucide que les autres, ayant souligné que Lula avait également autorisé la déforestation, s’était attiré la réponse « oui, mais lui, au moins, il en parlait »

    Tout comme, sous Hollande, on avait beaucoup parlé de rigueur jusqu’au moment où il a été estimé qu’on en avait assez parlé et qu’il fallait l’abandonner – sans jamais l’avoir appliquée

  • La tartufferie est une plaie ancrée profondément dans notre gauche de tous bords. Dalimier et Stavisky, Mitterand à Vichy puis ministre de l’intérieur de Mendès sous l’Algérie, Fabius et le sang contaminé, le sort de Bérégovoy, le traitement subi par Cresson, les parjures de Cahuzac, le job bidon de Pulvar et son silence de 20 ans sur les viols de ses proches par un autre proche etc…etc…

  • Chere Nathalie,
    Merci pour cet article exquis.

  • Se méfier des Tartuffes, oui.
    Et il faut encore aller plus loin : se méfier de tous les gens qui vous donnent des conseils, même avisés, même dûment suivis par eux-mêmes, alors que vous ne leur avez rien demandé. Se méfier avant tout et surtout de celui qui prétend vouloir votre bien. Voilà le véritable ennemi.

  • Les tartuffes sont si nombreux qu’on n’a pas de mal à trouver des exemples. Duflo, ecolo et sa vieille 4L, Hulo et ces nombreuses autos bateaux motos et milliers d’ heures d’helico… Il y aussi les tartuferies comme les éoliennes en mer necessitant des milliers de tonnes de petrole pour leur construction et exploitation…

  • Ca me fait penser a ce banlieusard qui trouvait formidable ces tentes de migrants a Paris exposés dans les rues, mais quand les gens du voyages ont planté leurs caravanes devant chez lui en était tout retourné.

  • Le sommet d’une politique pleine de « bonnes intentions », c’est le communisme…

  • Vous lui direz à votre ami, que les masques chirurgicaux se lavent très bien. Je les porte 1 semaine avant de laver un petit stock dans un filet. Je suis encore vivant…

  • +1 « Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit. »

    Saint François de Sales

  • Excellent, jubilatoire . Merci mille fois !

  • Excellent article !
    Cela me fait penser à une de mes connaissances, très bobo-écolo, qui s’est acheté une conscience en même temps qu’une voiture électrique. Et moi de lui indiquer le bilan carbone détaillé de son acquisition ainsi que les conditions de fabrication et destruction des batteries de ces véhicules. Réponse impressionnante : « D’accord, mais j’ai la fibre écolo et je voulais faire un geste pour la planète » !!!
    Que répondre à ça ?

  • Le virtue-signaling va en général de paire avec le bobo, l’activiste et est en général centré sur deux thèmes: l’environnement et les nouvelles théories du genre et des races.

    Contre ces individus, il faut être impitoyable. Il faut les ridiculiser en public jusqu’à ce qu’ils ferment leur clapet. Oui, le ridicule tue encore.

    C’est extrêmement facile de le faire car ils n’ont aucune conscience des profondes contradictions de leur philosophie.

    Un exemple: Les anti-mines. A ceux-là je leur dis: vous bénéficiez aujourd’hui de toutes les largesses de notre technologie qui n’existerait pas sans l’extraction minière. Vous ne voulez pas de mines chez nous mais vous n’avez aucun problème avec l’extraction minière dans des jurisdictions où les règles environnementales sont absentes. Cette extraction est par ailleurs réalise en par des esclaves qui sont souvent des enfants.
    En résumé, si vous ne voulez pas de mines chez nous, vous cautionnez l’esclavage moderne et le saccage environmental de pays vulnérables.

    Ça marche également avec le pétrole et les énergies renouvelables.

    Ces arguments sont imparables parce qu’ils sont d’abord factuels et détruisent complètement leur posture humaniste.

  • Des victimes par millions au nom de cette abomination morale dont les totalitaires de tous bords se justifiaient en disant, comme Trotski, « qui veut le fin ne peut répudier les moyens ».
    Des millions de Tartuffe qui justifient leur lâcheté morale avec ce que vous nous décrivez, Nathalie: « il n’y a que l’intention qui compte ».
    Les méchants et les salauds trouvent toujours de « bonnes » raisons…

  • Les commentaires sont fermés.

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