Par Vincent Aslangul.
Selon le consensus prévalant, la baisse des taux d’intérêt relance la croissance du PNB. Tiré de l’analyse de la Grande Dépression des années 1930, ce paradigme a permis d’endiguer l’impact de l’éclatement de la bulle Internet et de répondre à la crise financière de 2007-2008. Mais une fois passée la gestion de crise, un constat contre-intuitif s’impose : des taux d’intérêt durablement bas ont des effets pervers considérables, freinant la croissance et accentuant les inégalités.
Les économistes américains Modigliani et Miller l’avaient démontré ; les vingt dernières années l’ont confirmé : lorsque l’on diminue le coût de l’endettement, les débiteurs s’endettent jusqu’au maximum de leur capacité au lieu de se désendetter. Ainsi les baisses de taux directeurs orchestrées par la Réserve Fédérale américaine, sous Alan Greenspan (de 6,5 % à 1,75 % en 2001) et Ben Bernanke (de 5,25 % à presque 0 % en 2007-2008), et surtout la stagnation de ces taux à des niveaux très bas (de 2002 à 2004, puis de 2009 à 2015), ont entraîné une augmentation massive de l’endettement aux États-Unis. Les crédits des banques commerciales y ont doublé entre 2001 et 2007. L’endettement des entreprises privées a presque triplé et la dette fédérale a doublé depuis 2009. Les mêmes causes ont eu les mêmes effets en Europe et dans le reste du monde. D’après le FMI, la dette mondiale s’est élevée à 225 % du PIB de la planète en 2017.
La dette publique, contre-productive et néfaste
Au-delà d’un certain niveau, le poids de l’endettement dans les budgets privés et publics devient contre-productif. D’après la BRI (Lombardini et al, 2017), lorsque la dette des ménages dépasse 60 % du PNB, les effets négatifs à long terme sur la croissance tendent à l’emporter sur les effets bénéfiques. Un phénomène similaire concerne la dette publique (Cecchetti et al, 2012). Les intérêts sur les emprunts d’État américains dépasseront 10 % du budget fédéral en 2020, égalant le budget de la défense d’ici à 2023. Cette ponction réduit d’autant le recyclage des dépenses publiques dans l’économie, affectant la croissance à long terme. Par ailleurs, la baisse des taux est un manque à gagner pour les fonds de retraite par capitalisation investis sur les marchés obligataires. La diminution des rendements obligataires a donc un effet négatif sur le pouvoir d’achat des retraités, dont le poids sur la consommation ne fait qu’augmenter du fait du vieillissement de la population.
S’ajoutent à ces effets mécaniques des incidences comportementales. Illustration de l’aléa moral d’Adam Smith, les marchés financiers sont incités par des taux bas à accepter dans leurs placements un niveau de risque excessif dans la recherche d’un rendement supérieur. Un endettement exagéré pèse aussi sur l’indice de confiance des ménages, tendant à leur faire privilégier l’épargne à la consommation. Un coût de financement trop faible favorise des investissements à effet de levier ou à faible rendement : la spéculation financière l’emporte sur les investissements de productivité. D’après la NBER américaine, des taux bas favorisent la concentration économique, réduisant aussi le besoin de gains de productivité. Enfin, le relâchement du crédit explique la « zombification » de l’économie japonaise des années 1990. L’expansion économique étant tributaire des gains de productivité, des taux durablement faibles freinent donc notre potentiel de croissance.
Les économistes tentent de déterminer un niveau souhaitable de taux d’intérêt, dit neutre, auquel la politique monétaire n’est ni accommodante ni restrictive. Un des objectifs primordiaux des banques centrales devrait donc être de normaliser les taux, comme le souhaiterait le président de la Fed, Jerome Powell. Mais malgré leur indépendance institutionnelle, les banquiers centraux font face à une ingérence permanente du monde politique, qui a sans doute eu pour effet de retarder cette normalisation, contribuant ainsi paradoxalement au ralentissement du PNB. Il leur faudra donc non seulement résister à cette pression, mais aussi comparer plus systématiquement les impacts à long terme de la politique monétaire aux objectifs à court terme qui prévalent aujourd’hui. Car il en va non seulement de la croissance, mais aussi de l’équilibre social.
Les taux bas freinent la croissance et augmentent les inégalités.
L’incapacité des banques centrales à « normaliser » le niveau des taux directeurs est particulièrement dommageable. Car non seulement elle freine la croissance économique à long terme, mais surtout le maintien des taux à des niveaux artificiels a des effets secondaires largement sous-estimés : l’accroissement des inégalités de patrimoine, qui a des répercussions sociales et politiques considérables.
Dans une économie avec un loyer de l’argent anormalement faible, tous les actifs sont inflatés, car leur valeur est inversement proportionnelle au taux d’escompte. C’est le cas des actifs financiers, mais aussi de l’immobilier auquel sont corrélés les loyers. Un excès de liquidité se crée, alimentant une bulle immobilière comme celle du sub-prime américain. Il se développe alors une inégalité entre détenteurs d’actifs, et locataires/débiteurs qui vivent cette disparité comme une profonde injustice. Ce constat n’est pas éloigné de celui de Thomas Piketty dans Le Capital au XXIe siècle, mais il en diffère quant à ses causes. Car si le taux de rendement du capital s’est élevé au-dessus du taux de croissance économique, accentuant ainsi les inégalités de patrimoine (c’est la thèse de Piketty), la principale raison en est la baisse tendancielle des taux d’intérêt depuis les années 1980.
Certes, l’inflation des actifs a des effets positifs sur le pouvoir d’achat, avec des retombées positives sur le PNB. Mais à l’inverse, les non-détenteurs d’actifs se trouvent pris au piège d’une inflation déguisée qui les déclasse. Car si l’indice des prix à la consommation (IPC) reste contenu, ce qui explique en partie le biais accommodant des banques centrales, le coût de la vie réel, qui n’est pas dans le collimateur des banquiers centraux, a augmenté beaucoup plus rapidement. Ce coût de la vie inclut notamment des dépenses autrefois jugées discrétionnaires et aujourd’hui considérées comme nécessaires par les consommateurs (certains biens ménagers, technologiques, ou vestimentaire) mais aussi la principale dépense qui n’est pas contenue dans l’IPC, les loyers d’habitation.
L’immobilier, source d’inégalités
C’est précisément l’augmentation des loyers, corrélée aux prix de l’immobilier, qui est devenue l’une des principales causes des inégalités de vie dans nos économies. Dans les centres-villes des grandes agglomérations, dans les villages de résidences secondaires, les habitants non-propriétaires ont vu les loyers grimper à des niveaux parfois trop élevés pour leur permettre d’y demeurer. Il s’ensuit un déplacement involontaire des résidents, séparés en ghettos définis par la valeur locative. La segmentation géographique qui en découle va jusqu’à différencier la qualité des services publics, comme l’éducation, la santé, la sécurité, ou les logements sociaux, qui varient selon le niveau de richesse moyen des localités. Responsable d’un écartement des niveaux de vie géographiques, l’inflation immobilière, causées par 30 ans de baisse des taux, a donc créé une énorme frustration dans la classe moyenne qui se sent à la fois déplacée et déclassée. Difficile de ne pas y voir l’une des amorces des mouvements populistes comme celui du Brexit ou des Gilets jaunes.
L’enjeu de la normalisation des taux d’intérêts est donc bien plus important que le retour à des marges de manœuvres de politique monétaire permettant de baisser les taux en cas de récession. C’est non seulement le potentiel de croissance économique à long terme mais aussi et surtout l’équilibre social et politique de la société qui sont en jeu et il est essentiel que nos gouvernants figés sur le court terme en prennent conscience. Or, du fait du surendettement, la normalisation du niveau des taux ne peut se réaliser que sur l’horizon d’une décennie. L’économie mondiale est tombée dans un double piège : celui d’un environnement de taux durablement bas et celui d’une gouvernance atteinte de myopie. Il faudra à nos banquiers centraux et nos politiques une nouvelle optique, à l’opposé de la démagogie et du populisme ambiants, pour sortir de ce piège et normaliser nos économies sur le long terme dans l’intérêt de la société et de la génération suivante.
La liste est longue qui freine la croissance, et si on parlait de ce qui pourrait la libérer ?
Les banques centrales devraient se contenter d’assurer la liquidité du système bancaire, et ne pas intervenir dans les taux d’intérêt. Laissons faire librement les marchés et je doute que les taux tombent à zéro.
Oui, et on peut dénoncer l’ingérence des politiques sur les banquiers centraux, mais ces derniers défendent aussi des intérêts…
Ce qui est sûr, c’est que les taux bas ne bénéficient, ni à l’économie réelle, ni aux épargnants.
Elles pourraient le faire si elles étaient indépendantes, mais contrairement à ce qu’indique leur statut, elles sont à la merci des chantages politiciens à la crise.
pas besoin de banque centrale pour assurer la liquidité, il suffit de redonner de la liberté au système,de réindexer les monnaies sur l’or ou mieux de libérer la monnaie de l’emprise de l’état. Banque libre, monnaie libre et tout rentrera dans l’ordre naturellement.
tres bonne Synthese de l impact des taux faible. Ceux ci ont cree une inflation non mesuree puis qu il s agit de l inflation des actifs (actions/immobilier) et non du prix de la baguette de pain.
Le Probleme est que l economie est maintenant completement accro a sa drogue et que le sevrage va etre delicat. Remonter les taux va faire baisser les actions (pas vraiment un Probleme), exploser la bulle immobiliere (deja plus problematique car ca concerne bien plus de monde et sur des montants significatifs) et mettre les societes zombies en faillite (autrement dit hausse du chomage et faillite en cascade car le zombie risque de ne pas chuter seul)
Le problème n’est pas là , mais dans le virage budgétaire auquel ça obligerait les états.
S il est difficile d agir sur les taux (decide par la BCE et dependant des taux des autres monnnaies), au moins l Etat peu agir sur un levier: le logement.
Suppression des PTZ et Pinel et limitation de la duree des emprunts a 15 ans max ne coutent rien (voire font faire des economies a l Etat). C est sur que ca va pas plaire aux promoteurs et aux baby boomers mais de temps en temps il faut un peu de courage (et de toute facon la politique des taux bas ne va pas durer eternellement, donc degonfler la bulle maintenant fera moins de degats que la laisser eclater demain)
Que l’Etat se retire totalement de la politique du logement, point.
l’état à énormément bénéficié de la hausse de l’immobilier et n’a pas du tout envis de tuer la poule aux oeufs d’or. Tout le monde sait parfaitement ce qu’il faudrait faire pour faire baisser les prix mais personne ne veut qu’ils baissent sauf ceux qui veulent acheter (et encore, beaucoup achète avec l’espoir que les prix montent encore).
Les taux bas sont surtout favorables à l’Etat ce qui lui permet de masquer d’autant dettes et déficits abyssaux sans faire les réformes nécessaires mais douloureuses électoralement,il s’agit d’accords entre pouvoir et BCE comme autrefois avec la Banque de France quand le pouvoir dévaluait pour remettre les compteurs à zéro sans réformer,Franc ou Euro rien ne change sous le soleil.
Les réformes nécessaires seraient-elles si douloureuses électoralement ? Je n’en suis pas si sûr. En revanche, elles obligeraient aussi à une réduction du rôle de l’Etat, ce qui est encore plus douloureux pour l’amour-propre de nos dirigeants qu’une défaite électorale…
Pour reduire le deficit, l Etat a 2 moyens: augmenter les impots ou reduire les depenses
1) augmenter les impots : la derniere tentative a donné les GJ -> impossible
2) baisser les depenses. Le deficit etant d environ 1/3 des recettes (de Memoire) il va falloir tailler a la hache sur les plus gros postes de depenses (autrement dit supprimer le Senat c est peanuts)
poste numero 1 avec 25 % des depenses : les retraites. Disons -20 % sur les pensions comme en grece. Vous imaginez la reaction ? la non reevalution des pensions a deja fait hurler les vieux, alors -20 % est suicidaire electoralement
poste Numero 2 : securite sociale. La encore, une economie massive implique de derembourser en masse certains soins (une boite d antibiotique c est quelque euros, c est pas ca qui va changer le deficit) ou eventuellement de se rembourser sur l Heritage (50 % du cout d un assuré social est sur la derniere annee). La encore hurlement a prevoir
pour ceux que ca Interesse, voici la ventilation des depenses
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2019/01/16/20002-20190116ARTFIG00199-quand-le-gouvernement-explique-aux-francais-o-vont-1000-euros-de-depenses-publiques.php
les impôts VONT augmenter. le gouvernement à trouvé l’excuse idéale avec le réchauffement climatique. Tout les hausses de taxes et autre « contributions », « taxe carbone », taxe sur les vieilles voiture etc etc viendront abondé le budget de l’état et seule une petite fraction servira effectivement à la soit disante écologie.
Concernant les dépenses et en particulier les retraites on peu s’inspirer du modèle chilien pour un passage progressif aux retraite par capitalisation pour que, enfin, les français retrouve leur liberté de choix pour la retraite.
concernant la sécu il est tout à fait possible de faire beaucoup mieux en dépensant moins. Il faut également faire comprendre aux gens que la santé à un prix contrairement au dicton moisie et il faut de nouveau responsabilisé les assurés : Vous voulez une couverture totale : il faut en payer le prix. Il faut que l’assurance maladie redevienne une assurance comme une autre et le système s’assainira de lui même, pas besoin que l’état s’en mêle.
Je doute que les taxes pseudo ecolo arrivent a boucher le trou. Et l executif doit se rappeler l Episode GJ pour ne pas taxer trop
Pour la retraite, le Probleme est comment passer d un Systeme par Repartition a un Systeme par capitalisation. Si vous dites aux gens qu ils faut capitaliser pour leur retraite vous pouvez pas en meme temps les ponctionner pour les retraités actuel ! Si sans taxes, comment payer les retraités qui sont de plus en plus nombreux (baby boom oblige)
Pour la santé, le Systeme privé comme aux USA montre aussi ses limites. C est le pays ou les soins coutent le plus cher. Une partie de la population n est pas couverte car trop cher. Les medecins multiplient les actes pour suivre les directives des assurances privees qui veulent etre couverte en cas de proces.
Et n oubliez pas l irrationnel. Imaginez une personne passant a la TV en expliquant qu elle va mourrir parce que l affreuse assurance ne veut pas lui payer son Operation …
Evidemment douloureuse électoralement,le clientélisme étant la base du fonctionnement de la démocratie à la française et la garantie de carrières longues dans un mandat, il suffit de prendre le logement social….
Le logement social à été une catastrophe pour la France et pour l »immobilier en général. il à joué une grande part dans le renchérissement des loyers, exactement le contraire de ce pourquoi il a été vendu.
Il faut que toux d’intérêt redeviennent libre, que chaque banque décide d’elle même les taux des prêts qu’elle octroie. Il faut bien sur en parallèle que ces même banque puissent faire faillite (donc que leur clients et actionnaire puisse perdre tout ou partie de leur épargne). Il faut remettre de la responsabilité dans le système il n’y pas d’autre issues.