Une réinterprétation de la crise financière de 2007-2008

Pour la majorité, c’est une affaire entendue, la crise financière de 2007-08 qui a secoué le monde est due au dysfonctionnement du marché des subprimes aux États-Unis. C’est vrai mais insuffisant.

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Une réinterprétation de la crise financière de 2007-2008

Publié le 13 octobre 2018
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Par Jean-Pierre Dumas.

« Why did nobody notice it ? » asked Her Majesty, the Queen Elizabeth II to Professor Luis Garicano (Director of research at the LSE Nov. 2008).

« The implosion of a new system (was) not just of bank lending, but of bank funding » (Tooze, 2018)

Sa gracieuse Majesté demanda en 2008 à propos de la crise financière, « Why did nobody notice it ? » Elle était particulièrement intéressée, car sa fortune personnelle a baissé de 25 M£ durant le credit crunch. Les réponses ont été pour le moins diverses et parfois confuses. À l’occasion du dixième anniversaire de la crise, de nombreux articles ont été écrits sur le sujet. Nous proposons l’interprétation qui nous paraît la plus originale et la plus pertinente.

Dans un article fascinant de Prospect Magazine  (« The Secret history of the banking crisis » 2018, 2018), Adam Tooze explique clairement la cause principale de la crise financière 2007-2009. Elle ne peut être limitée au dérèglement du marché des subprimes aux États-Unis comme le croient la plupart des commentateurs européens, mais aussi au financement des banques européennes aux États-Unis.

Pour la majorité, c’est une affaire entendue, la crise financière de 2007-08 qui a secoué le monde est due au dysfonctionnement du marché des subprimes aux États-Unis (N. Sarkozy, la Commission Européenne et tant d’autres). C’est vrai mais insuffisant.

Le rôle des banques européennes

En général, les banques font des prêts (actif) à partir de leurs dépôts (passif). Les banques européennes (et d’autres continents) ont trouvé qu’au lieu de limiter leurs prêts en monnaie nationale, il fallait faire des prêts en dollars aux États-Unis en empruntant des dollars sur le marché de gros (wholesale market) des États-Unis afin d’accroître leur bilan et leurs profits. Les marchés monétaires offrent des fonds au jour le jour, ou pendant quelques semaines.

C’était considéré, à l’époque, comme la poule aux œufs d’or, plus la peine d’ouvrir de coûteuses succursales aux États-Unis, il suffisait d’emprunter sur le marché des dollars et prêter avec un spread aux agents américains (c’était le modèle suivi par Northern Rock qui a fait faillite en 2008). C’était évidemment une pure folie pour les banques européennes d’emprunter sur le marché monétaire pour financer des investissements à long terme (prêts immobiliers) dans une autre monnaie.

Les banques européennes ont emprunté en dollars US pour les réinvestir aux États-Unis (dans le marché hypothécaire américain).  « Au cours des années 90, les banques européennes se sont transformées en une gigantesque annexe transatlantique du système bancaire américain » (A. Tooze, 2018). Elles ont accru leur niveau d’endettement (leverage)  il y avait une différence de maturité entre les fonds prêtés  (à court terme)  et crédits à long et moyen terme  (maturity mismatches). La transformation est bien la caractéristique d’une banque, néanmoins ce système fonctionne s’il existe un marché secondaire qui permet à la banque de se refinancer (puisqu’il n’y a pas de dépôts). Ces banques devaient recycler leurs emprunts en dollar américain à court terme en empruntant à nouveau sur le marché de gros des États-Unis (money market).

Crise du marché immobilier

En 2007, le marché de l’immobilier s’inversa soudainement. En août 2007, la BNP a fermé trois fonds spécialisés dans les prêts subprime. La BNP est une des grandes banques mondiales, si ses prêts dans le secteur hypothécaire étaient non performants, qu’en est-il des autres banques ?  « Si le marché monétaire où elles ont obtenu ces dollars cesse de fonctionner, de nombreuses banques dans le monde devraient se trouver en risque de faillite ». A. Tooze, 2018.

C’est exactement ce qui s’est passé lorsque le marché a commencé à se rendre compte que de nombreuses banques, comme la BNP, détenaient des prêts non performants. Le marché bancaire de gros se contracta et les banques européennes exposées en dollars n’étaient plus en mesure de se refinancer auprès de ce marché interbancaire. La BRI a estimé que les mégas banques européennes devaient refinancer plus de 1 trillion de dollars en financement à court terme. Ces besoins en dollars ne se limitaient pas aux banques européennes, mais aussi aux banques japonaises et coréennes. Toutes les banques recherchaient désespérément des dollars.

Le monde aurait pu faire face à une ruée sur les banques (a run) s’élevant à plusieurs milliards de dollars sur les banques européennes et du monde entier avec aussi des conséquences dramatiques aux États-Unis si les banques européennes avaient liquidé leurs actifs américains à vil prix. « Le problème de fond est que les banques du monde nécessitaient des crédits en dollars » et la BCE n’avait pas de réserves suffisantes pour résoudre ce problème, seule la Fed pouvait le faire.

Le Président de la réserve fédérale de New York a proposé en août 2007, un échange de devises (currency swap lines) entre la Fed et les banques européennes (et autres banques).

A currency swap line est un accord entre deux banques centrales qui permet d’échanger leurs monnaies pour une courte période de temps. La banque centrale des États-Unis, la Fed, échange des dollars contre la monnaie nationale d’une banque centrale étrangère (ce n’est donc pas un crédit).  La banque centrale étrangère verse une faible commission à la Fed contre ce swap. Ce type de swap de liquidités a été utilisé pour aider la Banque Centrale du Mexique en 1994-95.

Les bénéficiaires de swap

Les swaps de liquidités ont été introduits par la Fed en décembre 2007. Les principaux bénéficiaires de la facilité de swap ont été les banques centrales européennes qui ont transmis les dollars reçus de la Fed à leurs banques locales. Les lignes de swap sont à court terme (environ trois mois) et peuvent être renouvelées.

Ces accords de swaps de liquidités entre la Fed et les banques européennes, asiatiques et latino-américaines se sont élevés à environ 4,5 trillions de dollars(la BCE en a pris 55 %). Le programme de swap de liquidités s’est terminé en 2009 lorsque les marchés privés ont commencé à se rétablir, et la Fed n’a pas perdu d’argent. Ce programme devait être approuvé par le Trésor américain et le Département d’État.

Grâce à ce système massif, rapide et flexible, la Fed a sauvé les banques européennes de la faillite. Ce n’est pas encore reconnu aujourd’hui. Contrairement à ce que pensent les Européens, l’origine de la crise ne provient pas que des États-Unis, mais elle vient aussi de l’hubris des banques européennes qui voulaient jouer dans la même cour que les puissantes banques américaines.

Les banques centrales mondiales sont devenues des divisions offshore de la Fed et la Fed devint le prêteur mondial de dernier ressort (le FMI ne peut pas être un prêteur de dernier ressort pour la simple raison qu’il n’émet pas de monnaie). La Fed et le dollar des États-Unis sont le pivot du système financier mondial et cela n’est pas dû à  « l’impérialisme américain », mais à la folie et à l’hubris des banques européennes qui ont emprunté massivement dans une monnaie qui n’est pas la leur.

Le cas de l’Argentine

Pourquoi ne pas appliquer le même instrument à l’Argentine et aux autres pays émergents ?  Ils ont été gravement touchés par le changement de politique monétaire aux États-Unis et par l’augmentation des taux aux États-Unis.

Le prêt massif du FMI à l’Argentine (57 Md$) ne sera sans doute pas suffisant pour servir la dette publique externe sur les trois ans à venir (il ne faut pas oublier que la fragilité de l’Argentine vient du fait qu’elle a des déficits budgétaires élevés qu’elle finance essentiellement par des emprunts en dollars (cf. « A Dollar Swap for Argentina »).

Bien sûr, la généralisation des lignes de swap entre la Fed et d’autres banques centrales implique que la Fed introduise la pratique de la conditionnalité parmi ses instruments (comme le fait la BCE avec la Grèce au sein de la Troïka).

Why did nobody notice it ? (Her gracious Majesty the Queen of the United Kingdom)

Sa gracieuse Majesté demandait en 2008 pourquoi ils (les économistes) n’ont rien vu ? Je crois qu’on peut maintenant répondre :

  • Parce que les macro économistes raisonnent en termes de flux et ne sont pas habitués à raisonner en termes de stocks.
  • Les modèles macroéconomiques (plus ils sont sophistiqués sur le plan mathématique, moins ils expliquent) reposent, pour la plupart, sur des hypothèses keynésiennes (output gap, multiplier, fiscal impulse, trade imbalance, etc.) et présupposent que le système financier fonctionne alors qu’il s’agit d’une crise financière…
  • La crise financière de 2007-08 n’est pas qu’une crise d’endettement excessif, c’est aussi une crise de currency and maturity mismatch typique des pays avec une balance des capitaux ouverte.
  • La plupart des économistes ne savent pas lire les bilans des banques commerciales, les comptables ignorent la plupart du temps le raisonnement économique.
  • La cause de la crise financière vient essentiellement du passif des banques (funding), emprunts à court terme en dollars par des banques européennes pour prêter à long terme (pas de préteur en dernier ressort pour les banques non américaines).
  • Elle vient aussi (dans le cas de l’Argentine et de nombreux pays émergents) du passif de l’État, emprunt en dollar pour financer le déficit budgétaire, qui devient explosif avec la dépréciation du taux de change (pas de prêteur de dernier ressort, sauf le FMI).
  • Le mismatch de monnaie et de maturité sont une des causes les plus fréquentes des crises financières dans le monde (d’où l’importance du suivi des bilans des banques et des banques centrales).

 

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  • L’auteur oublie le principal (sans jeu de mots). Consentir des prêts à des ménages dans l’incapacité de rembourser. Ceux qui respectaient l’échéancier pouvaient recharger leur hypothèque. Résultat : politocards débiles comme d’habitude et faux prix immobilier comme d’habitude.

  • tant que les banques n’aurons pas séparer la banque du compte courant et la Banque d’affaires.. nous déposons notre Argent salaire , il travaille sur vôtre argent , les frais banquaire devrait être gratuit , alors qu’il sert d’ajustement pour les banques …
    la B anque d’affaire ,elle prend des risque c’est son droit mais sur mon compte courant .

  • pas sur mon compte bancaire !!

  • Votre argent que vous déposez sur votre compte ne vous appartient plus, il est la propriété de la banque. Vous détenez une simple créance;.. Dormez tranquille braves gens.

    • @ Homo Orcus
      Ben évidemment! Et la banque prête plusieurs fois votre argent, ce qui lui permet de vivre et de faire son travail. Autrement, elle ne pourrait pas vous prêter pour acheter votre maison à du 3 ou 4% mais X 6 ou 8, ça commence à rapporter!
      Et comme tout le monde dépose son argent à la banque et que tous les emprunteurs ne font pas défaut, ça roule!

  • @ mikylus , c’est une obligation que vôtre salaire est versé directement sur vôtre compte bancaire…dans les années 1990 ,l’entreprise vous donner vôtre bulletin de salaire et accompagné de vôtre chèque au porteur et vous récupérer la somme en liquide …fin année 1990 obligatoire d’avoir un compte bancaire pour percevoir vôtre salaire
    c’est un tour de passe passe que les banques s’approprie vôtre argent avec la complicité de L’ÉTAT, ce n’est pas pareil…

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