Presse, médias : refusons la liberté surveillée !

L’indépendance financière et la concurrence sont les meilleures armes contre les mesures d’intimidation des médias par l’État français.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Newspaper colour by Jon S (CC BY 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Presse, médias : refusons la liberté surveillée !

Publié le 2 juin 2019
- A +

Par Aurélien Véron.

Neuf journalistes ont été convoqués au cours de ces derniers mois par les services de renseignement français pour des soupçons de « compromission du secret de la défense nationale », délit passible de cinq  ans de prison et 75 000 euros d’amende.

Le 29 mai, c’est au tour d’Ariane Chemin pour une révélation ou divulgation d’information conduisant à l’identification d’une personne appartenant à une unité de forces spéciales (en l’occurrence l’entourage d’Emmanuel Macron) dans le quotidien Le Monde. Ces journalistes travaillent pour Radio France, l’émission de Yann Barthès Quotidien, ou Le Monde. Les affaires en cause concernent Alexandre Benalla et les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, impliqués dans le conflit sanglant au Yémen.

Étrangement, aucun des partis en lice aux européennes du 26 mai n’a réagi lorsque la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a défendu le bien-fondé de cette tentative d’intimidation de la presse. Aucun n’a dénoncé son propos menaçant envers les journalistes qui, selon elle, sont des « justiciables comme les autres » ce qui n’est pas tout à fait vrai puisque la loi Renseignement prévoit un régime spécifique pour les journalistes qui ne peuvent pas faire l’objet d’une surveillance « à raison de l’exercice de leur mandat ou de leur profession ». Hélas, rien d’étonnant à ce mutisme des partis politiques : le mot « Liberté » n’est apparu que dans une seule des 34 professions de foi des candidats.

Trente-neuf rédactions ont signé un texte rappelant que « Le secret-défense ne saurait être opposé au droit à l’information, indispensable à un débat public digne de ce nom. » Une première brèche avait déjà été ouverte par la loi Dati de 2010 disposant que le secret des sources pouvait être remis en cause « si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but poursuivi. »

Flou autorisant toutes les interprétations possibles. Depuis, les attaques sont de plus en plus fréquentes en France contre le secret des sources. Elles fragilisent la nature même du travail et du devoir d’informer. Au lieu de tenter de museler la presse, la France ferait mieux de considérer comme un délit l’atteinte au secret des sources, comme l’ont fait la Belgique ou la Suède.

On en est loin. La triste vérité est que la liberté de la presse en France recule chaque jour un peu plus. Elle se retrouve en 32ème position dans le classement de Reporters Sans Frontières, au dernier rang de l’Union européenne, et derrière l’Afrique du Sud, le Ghana ou l’Uruguay. Le harcèlement en ligne de journalistes, les insultes et menaces de personnalités politiques contre la presse, les agressions physiques par les forces de l’ordre et certains Gilets jaunes lors de la couverture de manifestations, ne sont plus des exceptions.

Il faut ajouter à cette triste énumération la loi fake news qui place la presse sous la menace d’une police de la vérité, alors que la profession développe elle-même des sites et des rubriques dénonçant avec pertinence et efficacité les intox et autres fausses nouvelles.

La critique des journalistes et la vigilance à l’égard des informations qu’ils émettent sont parfaitement légitimes, et même nécessaires. Mais l’indépendance de la presse doit être défendue contre les abus des pouvoirs, qu’ils soient politiques ou économiques.

En février dernier, la revue Mediapart a dû s’opposer à une perquisition dans ses locaux. Le gouvernement aux abois voulait évidemment trouver l’origine des enregistrements téléphoniques entre Alexandre Benalla et son coprévenu Vincent Crase. Un magistrat avait tenté sa chance sans mandat. La rédaction ne l’a pas laissé poursuivre son bluff.

L’État dispose cependant de leviers plus discrets pour intimider les journalistes et inquiéter leurs directions. Lorsqu’ils ne sont pas directement sous l’autorité de l’État comme France Télévisions et Radio France, nombre de médias restent dépendants de lui et de ses aides colossales. Les 7,5 milliards de chiffre d’affaires des huit mille titres actuels se voient complétés de 1,7 milliard, en dessous de la fourchette haute estimée par la Cour des comptes dans son rapport de février 2018, et qui se décomposent ainsi :

  • 130 millions d’aides directes
  • 1,1 milliard de niches fiscales (135 millions d’allègements fiscaux et sociaux des journalistes et 970 millions de taux préférentiel de TVA)
  • 245 millions versés à La Poste
  • 200 millions issus des obligations arbitraires de publication des annonces judiciaires et légales

Si la publicité peut avoir un impact sur les lignes éditoriales, chacun peut imaginer celui des aides publiques. Et plus de 100 millions annuels pour l’agence publique d’information (AFP), auxquels s’ajoutent des aides ponctuelles (11 millions en 2018) et les achats par l’État (20 millions).

L’État doit cesser de subventionner la presse afin de restaurer son indépendance. L’AFP et l’audiovisuel public devraient être privatisés maintenant qu’existe une grande diversité de contenus de qualité grâce au net et à la multiplication de nouveaux acteurs audiovisuels. La protection du secret des sources mérite d’être non seulement préservée mais renforcée contre les assauts insidieux de l’exécutif. Les verrous traditionnels de non-concurrence entre les journaux régionaux doivent également sauter. L’indépendance financière et la concurrence sont les meilleures armes contre les mesures d’intimidation des médias par l’État français.

Voir les commentaires (15)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (15)
  • sans l’argent public , il n’y plus de presse devouée..
    autrement dit la presse ne manquera jamais d’argent

  • La LIBERTE, qu’elle soit de la presse ou autres, est la devise la moins bien partagée de la France.
    Et les français ne sont pas les plus innocents en la matière qui préfèrent être des toutous bien gras assujettis plutôt que des humains libres et responsables de leurs actes!

  • faut pas rêver ; notre liberté et celle de la presse indépendante ne connaîtra pas la sérénité tant que nous aurons des gens corrompus à la tête de ce pays ; et dieu sait que les élus aux mains poisseuses de magouilles et de mensonges , ce n’est pas ce qui manque en France ; hélas , trois fois hélas …..

    • Tous les hommes sont corrompus( chacun se bat a son avantage et pour sa survie !) et aucun homme fut il journaliste n’est independant….ainsi sont batis nos societes et cela ne changera jamais, faut faire avec sans se faire d’illusions. Eliot ness avait aussi ses defauts ainsi que mere Teresa..certains defauts sont benefiques pour la societe d’autres moins….et mefions nous des gens ayant l’ambition d’ameliorer la vie de tous , ce sont des monstres en puissance !

      •  » ce sont des monstres en puissance « ….et pour cause vu que leur véritable but , avoué ou non , c’est surtout d’améliorer leur propre vie souvent au détriment de la notre ; belle bande de sagouins …..dont je me méfie comme de la peste ;

    • non …ce sont les institutions qui doivent faire barrage à la corruption.

  • Je ne vois pas pourquoi un « journaliste » bénéficie plus du privilège de la protection des sources que moi.
    Pourquoi par exemple si je mets en danger la sécurité d’autrui en révélant un secret (j’en connais quelques-uns) je serai condamné sauf si je possède une carte de presse qui me vaudra les éloges de tout le microcosme bavard.
    Au diable les aristocraties parasites!

  • « Les socialistes aiment leur liberté mais ont peur de celle des autres. Les libéraux aiment la liberté des autres car elle garantit la leur. » – Vincent Bénard

  • La presse n’est plus libre en Europe depuis des décennies. C’est un pouvoir supranational qui s’exerce sur elle et sur l’information en général que tout un chacun peut (encore?) diffuser sur internet. Les censures et les atteintes à cette liberté fondamentale vont se multiplier au fur et à mesure que le pouvoir dous-jacent va être démasqué et dénoncé

  • Le rôle de la presse est essentiel : bourrage de crâne et culpabilisation des créateurs de richesses pour qu’ils acceptent de se faire tondre sans broncher.

  • Liberté, Égalité, Fraternité, telle est la devise de la République française. En 1880, la Troisième République avait décidé de l’inscrire aux frontons des édifices publics. De nos jours, elle l’article 2 de la Constitution française de 1958.
    La Marseillaise l’exalte dans les termes suivants :
    « Amour sacré de la Patrie,
    « Conduis, soutiens nos bras vengeurs.
    « Liberté, Liberté chérie,
    « Combats avec tes défenseurs ! (bis)
    « Sous nos drapeaux que la victoire
    « Accoure à tes mâles accents,
    « Que tes ennemis expirants
    « Voient ton triomphe et notre gloire » !
    Et elle désigne ses ennemis dans les termes suivants :
    « Que veut cette horde d’esclaves,
    « De traîtres, de rois conjurés ?
    « Pour qui ces ignobles entraves,
    « Ces fers dès longtemps préparés ?
    « Français, pour nous, ah ! quel outrage !
    « Quels transports il doit exciter !
    « C’est nous qu’on ose méditer
    « De rendre à l’antique esclavage !
    …………………………..
    « Quoi ! des cohortes étrangères
    « Feraient la loi dans nos foyers !
    ………………………….
    « De vils despotes deviendraient
    « Les maîtres de nos destinées !…
    Il y a de plus en plus de dérives autoritaires de la part de nos gouvernements successifs, mais cela n’est rendu possible que par la passivité des gens. Ne se préoccupant que de leur pouvoir d’achat et de leur bien-être, les gens renoncent volontiers à leur liberté si cela leur permet de vivre dans l’insouciance. En occident, en effet, ce sont les peuples qui s’asservissent eux-mêmes quand ils préfèrent vivre confortablement plutôt que d’assumer des responsabilités. Mais aujourd’hui, peut-on encore avoir son avis dans un pays libre sans être critiqué, accusé de tous les maux et traités de tous les noms ?
    « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. » (Benjamin Franklin).

  • D’accord !! Il faut supprimer toutes les subventions de l’état aux journaux et tous les médias.
    Pour le reste il faut voir, lorsque les islamoprogressistes seront au pouvoir, si la liberté de la presse existera.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
6
Sauvegarder cet article

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance ... Poursuivre la lecture

Par P.-E. Ford

Jusqu’à présent, la cancel culture au pouvoir à Harvard, Stanford, Yale et consoeurs, ne suscitait guère d’émotion dans les rangs du Parti démocrate, ni dans la presse qui lui est si dévouée. Tout a changé le 5 décembre, grâce aux auditions publiques de la Commission sur l’éducation et la population active de la Chambre des représentants, présidée par la républicaine Virginia Foxx, de Caroline du nord. Ce jour là, la présidente de Harvard, Claudine Gay, son homologue de University of Pennsylvania, Liz Magill, ainsi que l... Poursuivre la lecture

Deux événements se sont produits simultanément le 7 décembre 2023.

Le premier concerne la bronca qui a gagné un collège des Yvelines à la suite de la présentation en cours de français d’un tableau de Giuseppe Cesari datant du XVIIe siècle, Diane et Actéon. Parce que ce tableau représente des femmes dénudées, des élèves musulmans de 6e ont exprimé leur réprobation. Des tensions et des menaces ont suivi, ce qui a conduit les enseignants à faire valoir leur droit de retrait, avant que le ministre Gabriel Attal ne se rende sur place.

<... Poursuivre la lecture
Voir plus d'articles