Par Pierre Tarissi
Dans un village de 1 500 habitants, en 1650, la situation n’avait pas beaucoup changé concrètement depuis les premiers balbutiements de l’agriculture il y a 10 000 ans… La moitié au moins des enfants mouraient avant 20 ans, il y avait deux ou trois vieillards de plus de 60 ans, et 25 chèvres faisaient vivre – sans doute mal selon nos critères actuels – une famille de 5 personnes (papa, maman et les trois enfants survivants de 7 ou 8 grossesses).
Les gens avaient des métiers de l’époque, « authentiques ». Presque tout le monde (plus de 95% de la population) était berger ou ouvrier agricole. Hors meunier, bûcheron, forgeron, notaire et curé (seuls lettrés), zéro artisan ou commerçant. Dans chaque famille, les femmes cuisaient le pain, tissaient les vêtements, faisaient le fromage, etc. C’était une autarcie « naturelle » à zéro pollution !
En 10 000 ans, peu de changements concrets dans la vie et les jours…
Compte tenu de la consanguinité et de la stratification sociale, chaque jeune avait deux ou trois partenaires possibles pour célébrer l’un des quinze à vingt mariages annuels et fonder une famille. Cela alimentait les 60 à 80 naissances qui permettaient chaque année de maintenir la population ou de la recompléter en cas de grosse famine ou d’épidémie meurtrières, qui survenaient périodiquement. Et Mgr l’évêque, pendant ce temps, se plaignait amèrement des viols et des incestes…
Évidemment, il y avait zéro soins médicaux au sens actuel. Mais comme personne n’avait RIEN, les gens étaient « ÉGAUX » – grand rêve de certains politiques actuels. Le noble du coin avait évidemment un château (peut-être), beaucoup de terres agricoles, des serviteurs, mais il était bien démuni devant la moindre carie dentaire ou un accouchement difficile de son épouse. Et c’était pareil dans le monde entier, ou à peu près.
Pourtant, en 1650, l’humanité avait fait d’énormes progrès depuis 10 000 ans. L’art, peut-être difficile à dissocier du sacré et des religions, existe depuis sans doute des centaines de millénaires. Les États (et les impôts) depuis au moins 5 500 ans (Égypte), comme sans doute l’écriture. Le droit, et donc la justice, remontent à au moins 4 000 ans (code d’Ur-Nammu). Le monothéisme semble émerger au Moyen-Orient il y a plus de 3 000 ans.
… malgré des pas de géant de l’humanité, sans effets notables sur la famine, la maladie et la misère
À l’origine, il y a 2 600 ans en Lydie, la monnaie est un simple outil, jeton de métal rare, permettant de faciliter les échanges… « Battre monnaie » est un monopole des États de l’époque. Ensuite, il y a longtemps (XIe siècle), naissent en Occident les techniques bancaires de crédit donc de création de monnaie privée en sus de la monnaie d’État. Un peu plus tard (XVIe siècle), avec les « grandes découvertes », ce sont les techniques d’assurance : comment mutualiser des pertes aléatoires moyennant une prime (forme d’épargne) payée à la collectivité pour conserver individuellement le maximum de profits.
Ces progrès colossaux ont réussi énormément de choses, mais aucun n’est parvenu à éradiquer les famines, les épidémies, la mortalité infantile, ni la misère (état naturel de l’Homme). Parallèlement, la richesse des individus et des États a en fait fort peu évolué malgré ces gigantesques progrès intellectuels et spirituels.
Pendant très longtemps, cette richesse a consisté en terres et troupeaux, sources, habitations plus ou moins luxueuses, stocks d’objets précieux, armes, et esclaves. La difficulté de l’augmenter par ses propres moyens laissait place à une façon apparemment la seule possible, et plus simple, de procéder : aller casser la figure du voisin pour lui voler la sienne. D’où les guerres incessantes, dont les pertes en vies humaines n’étaient que des épiphénomènes très marginaux parmi les autres calamités.
Cependant, ces évolutions ont fait émerger un environnement d’outils institutionnels : droit civil, droit des contrats et commercial, monnaie, épargne, crédit et assurances… Puis, à la Renaissance en Occident, surgit la « Méthode expérimentale » qui engendrera le progrès scientifique, et ensuite technologique. Combiné aux techniques déjà installées d’assurance et de crédit, qui mobilisent les fonds disponibles pour littéralement payer des gens à ne « rien faire » pendant qu’ils préparent l’avenir, ce progrès permet alors le développement économique fulgurant des deux derniers siècles.
Plus précisément, la production massive de biens et services totalement nouveaux, apportant un confort inespéré à leurs acheteurs et accessibles au plus grand nombre grâce à la miraculeuse énergie à bas coût du charbon puis des hydrocarbures. C’est le phénomène d’innovation.
Début XIXe siècle, déclenchement de la « croissance » : énergie à bas coût et progrès technologique massif
La croissance devenue sensible dans la vie quotidienne courant XIXe siècle, on constate alors concrètement que famines, épidémies, mortalité infantile et misère reculent de plus en plus vite depuis 200 ans. Très récemment, la production de richesses explose littéralement depuis 1945 dans le monde entier, avec des résultats inespérés et jusqu’alors inédits dans l’Histoire. En particulier, la population humaine a triplé en 70 ans, entre 1945 et 2015, ce qui n’était jamais arrivé, et ne se reproduira pas à un horizon perceptible.
Enfin, au XXe siècle, la monnaie elle-même se dématérialise. Elle n’est plus garantie par un stock physique de métal dit précieux, le plus souvent or ou argent, mais seulement par la capacité des citoyens de son État émetteur à produire des richesses… Elle n’est quasiment plus concrètement représentée aujourd’hui que par des enregistrements informatiques.
La notion de richesse a donc pris deux sens nouveaux bien distincts, mais parfois confus. Pour un individu, une richesse, concrètement au XXIe siècle, est un bien ou un service (appartement, automobile, action CAC40, coupe de cheveux, abonnement Internet…) qu’il achète volontairement au prix qui lui convient et au fournisseur (le producteur du bien ou du service) qu’il choisit. Il estime en effet que ce bien ou service lui sera utile et que cette utilité vaut le prix demandé.
On peut toujours discuter à l’infini sur la notion de « vrais » et « faux » besoins, sur l’utilité réelle ou non de tel ou tel produit ou service, mais l’intérêt de nourrir, loger, vêtir, soigner, distraire, les êtres humains ne fait de doute pour personne. Pour le faire envers de plus en plus d’humains, il faudra savoir produire et mettre à leur disposition de plus en plus de biens et de services, tant qu’il y aura sur Terre des gens pauvres, à un niveau qui reste à définir, mais bien au-dessus de l’actuel niveau de grande pauvreté reconnu internationalement (environ 2 US$ disponibles par jour et par personne).
La prospérité de tous dépend aujourd’hui de ce que chacun sait produire et vendre
Dans ces conditions, la prospérité physique de chacun dépend directement du volume de richesses qu’il peut acquérir, donc de deux éléments. D’abord, chacun peut acquérir d’autant plus de richesses que lui-même sait en produire et en vendre plus aux autres, qu’il soit entrepreneur, indépendant ou salarié. Ensuite, encore faut-il pour acquérir des richesses que des entreprises les produisent et les vendent à un prix de plus en plus bas.
À partir du moment où quelqu’un produit et vend plus de richesses qu’il n’en consomme, il peut stocker son travail sous forme de monnaie (épargne). Cela définit une autre notion de richesse : est riche celui qui a dans sa vie les moyens d’épargner. Cela ne dépend pas uniquement de son niveau de revenus, mais aussi de sa démarche de consommation, qui permet à tel individu d’épargner, à revenu égal, davantage qu’un autre.
Le résultat de l’épargne de chacun est son patrimoine, c’est-à -dire la valeur subsistante en euros (ou toute autre monnaie) de tous les biens durables qu’il a pu acquérir. Un bien durable pouvant rester entre les mains de son propriétaire éternellement (terrain) ou pour une durée limitée (automobile, machine à laver le linge, parts d’entreprise, voire logement) contrairement à un bien de consommation (yaourt, essence ou lessive…).
Enfin, la richesse d’une population (aujourd’hui plutôt mal mesurée par le PIB) est égale au volume de biens et services que ses membres produisent par leur travail total, et échangent volontairement avec d’autres.
Le développement des systèmes étatiques d’assurances de personnes menace cette prospérité
États, droit, arts, religions, culture, ont prouvé pendant des millénaires qu’ils étaient et demeurent incapables à eux seuls d’initier cette prospérité, sans faire appel massivement au progrès technologique et à son industrialisation (sa mise en œuvre concrète dans des produits et services commercialisés) – qui ne remonte vraiment qu’à environ 200 ans.
Mais depuis des décennies, depuis 1945 surtout, les États, surtout européens, ont profité de cette prospérité totalement nouvelle pour développer des systèmes extrêmement puissants et complexes d’assurances (maladie, vieillesse, chômage, invalidité, pauvreté…) dans le but louable de protéger leurs citoyens contre ces aléas de la vie. Tous ces systèmes ont en commun de mutualiser les risques (la collectivité paie pour aider celui qui est frappé par le risque) moyennant un prélèvement financier (en clair une épargne forcée) sur les richesses produites par chacun. Ce développement des assurances dites sociales a même fourni à chaque citoyen une capacité d’épargne forcée minimale individuelle, à savoir la retraite, destinée à couvrir le risque vieillesse, en clair une rente viagère servie à partir d’un certain âge.
Tous ces systèmes obligatoires fonctionnent par prélèvement monétaire croissant sur les richesses produites. Et les dépenses correspondantes sont beaucoup plus tournées vers la consommation que vers l’investissement et l’innovation. Mais pour que cela fonctionne durablement, chacun doit être capable de « payer sa place » dans cette société développée, à savoir être pour elle un « contributeur net » d’impôts et de taxes, toutes prestations déduites, à l’exception évidente des handicapés ou malades. Quant à eux, les biotechnologies et la recherche médicale sont chargées de réduire en permanence leur nombre en éliminant les causes et les effets de leurs maladies et handicaps.
Si ce n’est pas le cas, ces systèmes d’assurances confisquent une part de plus en plus grande de la production de richesses (surtout en France), au détriment de l’effort de recherche et d’investissement, seul capable de propulser l’avenir au niveau supérieur de prospérité. Ce niveau supérieur de prospérité résoudra d’ailleurs certainement d’ici la fin du XXIe siècle le problème de la pauvreté.
Les deux seuls paramètres sur lesquels une collectivité peut jouer au niveau individuel pour augmenter la production de chacun, et donc assurer l’équilibre des prestations sociales, sont la formation individuelle, et plus marginalement, le temps passé à travailler.
L’enjeu majeur pour entretenir progrès technologique et prospérité est la formation de la population
Dans nos sociétés occidentales, il est en effet de plus en plus difficile à un non qualifié de produire des richesses parce que les processus de production y sont de plus en plus complexes. Depuis le milieu des années 1980, ils excluent littéralement les non qualifiés : c’est totalement nouveau dans l’Histoire. Tout citoyen doit donc posséder la formation minimale pertinente pour être capable de produire des richesses. De la même façon, le citoyen athénien de Périclès devait être capable de combattre dans la phalange et de payer pour cela son équipement d’hoplite ou, s’il ne le pouvait pas, devait apprendre à ramer en cadence sur une trière.
En France, un non qualifié est un enfant sorti du système scolaire au mieux en fin de troisième, sans aucun diplôme. Ils sont plus de 100 000 par an en France, ce qui est une vraie catastrophe nationale. Rien ne permet ensuite à ces jeunes de rattraper au cours de leur vie d’adulte. Ils sont donc condamnés à être chômeurs, au mieux smicards à vie.
Plus la formation de tous est élevée, plus la population génère les rares chercheurs, entrepreneurs, investisseurs (beaucoup moins de 5% de la population), qui initieront la production de richesses nouvelles. Ces profils sont rares parce qu’ils ne sont pas seulement déterminés par des capacités cognitives, mais aussi et surtout par un profil psychologique particulier (imagination, ténacité, goût du risque, volonté d’innovation). Le niveau de formation élevé de tous leur procurera aussi les nombreuses personnes très qualifiées capables de les seconder efficacement pour organiser et réaliser  les deux actions fondamentales de l’enrichissement, innover et écraser les coûts.
Seule la formation permet de multiplier les instigateurs de prospérité
La formation de la population est assurée avant tout par l’enseignement en maternelle, primaire et secondaire. Les professeurs devant une classe sont le vecteur quasi-unique de cette transmission du savoir. Ils sont aujourd’hui très mal payés par rapport à ce qu’ils produisent (les richesses de demain). Mais ils ne peuvent être bien payés que si leurs élèves d’il y a 5 à 50 ans produisent au jour le jour assez de richesses pour prélever (entre autres) la rémunération des professeurs.
L’enseignement doit donc impérativement intégrer cette nécessité pour que chacun puisse produire globalement dans sa vie beaucoup plus de richesses qu’il ne recevra de prestations sociales. Pour cela, il devra d’abord d’une part réhabiliter les filières technologiques et d’apprentissage dans l’enseignement général, et d’autre part introduire les concepts de base de l’innovation et de la production de richesses par l’entreprise.
Cela suffira un temps jusqu’à ce que neurosciences et biotechnologies soient capables de faire progresser massivement les capacités cognitives de toute la population dans une société où la production sera très majoritairement assurée par des outils de production totalement autonomes, à temps de travail humain nul. Ce niveau supérieur ne pourra être obtenu que par accroissement massif du progrès technologique appliqué en particulier à la production d’énergie, à la réduction drastique de la production de déchets (pollution) et au contrôle de l’emploi des matières premières. Le tout afin de répondre aux besoins de 10 à 12 milliards d’humains.
La ligne de crête du XXIe siècle est le choix ou non de la formation de tous et du progrès technologique en priorité par rapport aux « assurances de personnes », certes rassurantes mais fort peu innovantes.
Une première remarque : la faible espérance de vie au Moyen Age s’expliquait en partie par les émanations et fumées produites par les feux entretenus en continu dans toute agglomération humaine, aux fins de travailler métaux, bois et terre, cuire le pain, ses aliments, avoir de l’eau chaude, se chauffer… donc, on n’était pas dans le zéro pollution.
Pour ce qui concerne votre anticipation d’un avenir technologique producteur de richesses, autant dire que nous sommes mal partis. Si nous éliminons les trappes de pauvreté que dénonce Edouard Philippe, qui sont en effet inefficaces même si elles constituent de nécessaires filets de protection – et le garant de la paix sociale, sachant que nul ne gagnera rien à précipiter des masses d’individus dans des situations où elles n’auront plus rien à perdre – nous allons les remplacer par quels types de formations, organisés par qui, destinés à quels publics, financés par qui, et débouchant sur quels emplois durables ?
On a raté le coche. Ces solutions-là auraient dû être exploitées il y a trente ans, avant que l’adoption des sous-emplois précaires ne créent des processus de marginalisation de masse qui sont à difficilement rattrapables. Avant que des générations, puis des lignées entières ne soient cantonnées à une marginalité durable. Il suffit de voir ce qu’il en est de la vie dans les cités et chez les néo-ruraux pauvres chassés des villes par l’explosion des loyers pour s’en convaincre. On a créé à la fin des années 80 un lumpenproletariat qui existait avant cela à l’état embryonnaire. La complexité née des exigences européennes, les délocalisations, la désindustrialisation, certains choix économiques privilégiant l’actionnariat au détriment des salaires, la marchandisation des formations qualifiantes, la précarisation des emplois n’ont fait qu’aggraver ce processus que nos politiques n’ont cessé depuis une génération de traiter par le déni, faute d’être en capacité de le gérer. Rien n’a évolué, bien au contraire, depuis la « fracture sociale » dénoncée par Jasques Chirac en 1995, dont il avait fait le cheval de bataille de son élection.
Il faut compter avec ce phénomène social si l’on veut appréhender l’avenir avec ludidité et pragmatisme.
Bonjour Springtime et à tous,
Je ne pense pas qu’il soit « trop tard » … juste que ces sujets – à mon sens vitaux – ne sont pas traités dans le débat public, et que les mesures prises ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux, à part peut-être actuellement par l’action de Jean-Michel BLANQUER à l’Education Nationale (et encore, tant qu’on le laisse agir …).
Mais la France transformée vraiment en pays « à deux vitesses » avec des citoyens producteurs de richesses et d’autres exclus assistés permanents est déjà présent et s’aggravera lourdement faute de mesures suffisamment efficaces …
Ce point conditionne du reste largement les réflexions que l’on peut mener (ou non) sur la notion de « revenu universel » ( https://www.linkedin.com/pulse/revenu-universel-pr%C3%A9misse-dune-r%C3%A9flexion-beaucoup-plus-pierre-tarissi/ ) et surtout sur les conditions technologiques nécessaires à sa mise en oeuvre « saine » … ( https://www.linkedin.com/pulse/ia-faible-production-%C3%A0-co%C3%BBt-nul-revenu-universel-la-vraie-tarissi/ )
Là encore, je vois peu ces sujets abordés dans le débat public, hormis les sempiternelles incantations sur la « transition énergétique » ou la « transition écologique », discours dépourvus de « colonne vertébrale », i.e. de budgets affectés à la Recherche et de cohérence dans les projections de mise en oeuvre …
Amitiés,
Pierre
Bonjour Pierre,
Pour moi, le revenu universel permettrait d’en finir avec ce que je trouve le plus inacceptable dans notre société, qui se prétend évoluée et obéissant à des principes républicains : la misère de masse, les sans-logis, l’exclusion sociale. Le socle même de notre civilisation, depuis le néolithique et la sédentarisation de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, c’est de disposer d’un toit.
Disposer d’un toit.
Or ce socle, sans quoi il n’y a plus de civilisation pensable, il est compromis dès lors que des individus, qui sont nos semblables, n’ont plus accès, pour des questions d’argent, au droit en principe fondamental de disposer d’un toit. Rupture qui vaut pour un arrêt de mort différé. Heureusement, il existe dans certaines communes des dispositifs permettant à des personnes marginalisées d’obtenir un toit ou de pouvoir en conserver un au titre de « logement très social ». Ce qui n’empêche pas d’autres personnes, disposant elles d’un emploi ou d’un revenu correct, de se trouver mal logées – mais là nous touchons à un autre problème.
Donc, ce premier aspect pour lequel la mise en place d’un revenu universel m’apparaît comme une hypothèse à retenir, dans le cadre d’un projet de société vraiment innovant.
Second aspect : même si j’apprécie vos inclinations à la prospective en matière d’IA et de transhumanisme, je préfère pour ma part m’en tenir à des données plus immédiates.
L’éducation et la formation sont une base essentielle, c’est entendu. Toutefois nous ne sommes pas tous égaux devant les impératifs productivistes. Il se trouve des gens, pas forcément inintelligents ni inadaptés, qui pour différentes raisons n’auront jamais la capacité de répondre à des impératifs productivistes. Qui ne seront simplement pas en capacité de fournir la force de travail requise. Qui se montreront plus doués pour les arts, mais pas du tout pour un travail d’équipe. Qui chercheront leur épanouissement hors d’une logique de production. Et d’autres qui se montreront retors à tout principe d’éducation.
C’est l’humain dans sa diversité qui est à prendre en compte, sauf à prétendre échanger une oppression (le marche ou crève des petits boulots forcés tel qu’il se pratique en Allemagne) contre une autre oppression : contribue à la création globale de richesses, sinon il te reste à faire la manche.
Personnellement, cela ne me gène pas du tout que certains puissent vivre leur vie entière du revenu universel, du moment que le système où ils évoluent soit assez mature pour respecter l’individualité de chacun, ses attentes d’un mode de vie convenu ou clairement alternatif.
On revient à un système où chacun serait éduqué et techniquement formé à la création de richesses, dans le cadre d’une volonté collective d’évolution, et partant du projet selon lequel tout un chacun y trouverait son compte, et non quelques-uns comme c’est le cas actuellement.
Cela suppose quoi ? Une économie saine, vectrice de plein-emploi. Or on voit ce qu’il en est avec la mondialisation. Le plein-emploi est devenu une fiction.
Je suis plutôt dans l’idée d’un retour à la macro-économie, et à la liberté laissée à chacun de développer une activité de son choix sans les contraintes bureaucratiques que nous connaissons, le revenu universel existant pour tous et chacun en tant qu’indispensable filet de sécurité.
Bonjour Springtime, Bonjour à tous,
Vous exprimez clairement votre volonté :
« Personnellement, cela ne me gène pas du tout que certains puissent vivre leur vie entière du revenu universel, du moment que le système où ils évoluent soit assez mature pour respecter l’individualité de chacun, ses attentes d’un mode de vie convenu ou clairement alternatif. »
Vous vous placez dans quelle situation ? Ceux qui « vivent toute leur vie du revenu universel » ? Ou bien ceux qui bossent pour financer ledit revenu ? Parce qu’aussi longtemps que nous ne disposerons pas d’un outil de production de richesses totalement automatisé ( https://www.contrepoints.org/2017/02/06/280036-couts-de-production-devenaient-nuls ), il faudra bien que certains travaillent pour que d’autres puissent – selon votre expression – « vivre toute leur vie » sans rien faire pour les autres …
Reste à savoir si cela est acceptable – ou souhaitable … Une seule chose est certaine : cela ne peut fonctionner que si les gens qui ont envie de bosser sont « suffisamment » nombreux, sinon, ça « se plante » …
Amitiés,
Pierre
Bonjour Pierre,
Je dis seulement qu’on ne peut imposer un modèle, quel qu’il soit, à l’ensemble d’une population, et qu’une société évoluée se doit de respecter l’individualité de chacun et ses projets personnels.
Le type qui toute son existence se contentera du Revenu universel pour vivre, cela ne veut pas dire qu’il va passer sa vie sur un transat à siroter des cocktails aux frais de la Société. Il va créer de l’art, faire de la récupe, réparer des outils, des appareils qu’il aura récupérés, il va cultiver des légumes sur un lopin de terre, il va créer du lien social en montant une compagnie de théâtre, en tournant des courts-métrages, mettre en place dans son quartier, son village, des principes communautaires qui permettront aux vieux de ne pas croupir dans la solitude et de rencontrer des plus jeunes, quelque chose du genre d’une cuisine collective par exemple, ou des ateliers d’art, d’écriture. Vous aurez évidemment des soiffards qui passeront leurs journées à se torcher et des isolés qui se morfondront à trouver à tuer le temps. Et d’autres qui monteront des micro-entreprises, des start-ups, prendront part à des fab-labs, iront d’un job à l’autre sans avoir à redouter ce statut précaire qui vous oblige, après chaque contrat, à faire des tonnes de paperasses avec le risque de vous retrouver en carence de revenu pendant que loyer et factures continuent à tomber.
Je trouve qu’on a assez brimés les gens depuis toutes ces années où tout et tout le monde doit absolument rentrer dans des cases, sous peine d’exclusion. Dans libéral il y a liberté, de quoi découle le terme libertaire et à un autre niveau, libertin. Toutes choses qui s’articulent autour de la liberté. Si le libéralisme se borne à la liberté pour une poignée d’individus de faire du fric sur le dos du reste de l’humanité, et de précipiter dans les marges, au nom de la dette, des délocalisations, des normes budgétaires imposées par la dette, un bon tiers de la population, on court à la catastrophe et ça finira par se solder par des guerres civiles. C’est pour ça que le projet européen est en train de se casser la figure, et il serait vain de mettre cet échec sur au crédit des seuls flux migratoires. Si le libéralisme c’est permettre à chacun de s’épanouir et de faire de l’argent sans avoir à rendre des comptes à tout bout de champ à quarante-douze administrations et devoir se débattre avec des faisceaux de législations contradictoires votées par une caste intouchable de politicards au train de vie princier, on tient la solution. Reste à la mettre en place.
Quant au financement du Revenu universel, quand vous mettez bout à bout les bénéfices que rapportent TVA et autres impôts indirects, si vous prélevez un pourcentage sur ce que rapportent les manifestations sportives, si vous rognez sur le train de vie de l’Etat en cessant d’entretenir des hordes de bureaucrates et de hauts-fonctionnaires tels que les préfets et leur valetaille, si on arrêtait d’entretenir maires et conseillers municipaux pour des communes de moins de 1500 habitants, on aurait largement de quoi financer le Revenu universel, combler le trou de la Sécu et organiser des charters de politiciens véreux vers Mars. D’ici là , tous ces braves gens entretiennent parce que ça les arrange les conditions qui font que le chômage ne cesse d’augmenter depuis les années 70, en essayant de nous convaincre que rogner sur les retraites permettra de combler une dette que ni vous ni moi n’avons contractée, et que réduire les APL freinera la cupidité des propriétaires. Le jour où des Présidentielles, puis des Législatives, seront sanctionnées par 75% d’abstentions à quoi il faudra ajouter les votes blancs et nuls, ou pire, quand elles donneront lieu à la prise de pouvoir de factions extrémistes, comme c’est le cas en Allemagne, en Autriche et en Italie, en Pologne et en Hongrie, il sera peut-être temps pour les peuples dont nous faisons partie de prendre leur destin en main sans plus attendre des politiques, dont nous savons clairement qu’il n’est rien à en attendre. Notre liberté en passera par là .
Amitiés
Re-,
Tout cela est bel et bon … Il n’en reste pas moins qu’à mon âge avancé, retraité, je pratique pas mal le bénévolat …
Ce faisant, mon activité – même importante – ne participe en RIEN directement à la production de richesses : invisible pour le fisc et l’Etat, elle ne génère aucun flux financier qui irriguerait l’activité économique.
Cette activité bénévole n’est en fait possible que parce que je suis retraité, c’est-à -dire ai travaillé à titre onéreux suffisamment longtemps pour en tirer aujourd’hui des revenus qui assurent mon train de vie au jour le jour … En revanche, elle me donne une grande liberté dans l’action, difficile à concevoir dans un contexte d’entreprise.
Mais cela ne peut pas fonctionner si une partie trop importante de la population est « bénévole » …
Amitiés,
Pierre
Bonsoir Pierre,
Vous savez, un nombre inquantifiable de nos congénères n’a pas la moindre notion de ce que représente la production de richesses. Ils peuvent s’acheter ceci ou ils ne peuvent pas se l’acheter, en désespoir de cause ils achèteront cela ou n’achèteront rien. Du temps de nos parents, il n’y avait pas cette invisibilité de l’objet en cours de fabrication, on savait que telle télé était fabriquée à tel endroit, telle voiture à telle autre, on avait une représentation documentaire de la fabrication de ce qu’on appelait les objets manufacturés. L’objet de consommation nous apparaît aujourd’hui ex-nihilo, interchangeable, jetable, fabriqué en Chine, ce qui pour la plupart des gens est abstrait. On évite de penser que ce sont peut-être des enfants qui ont fabriqué ce smartphone, cette télé, cet écran. On peut aussi imaginer qu’à l’instar des Lexus dans cette usine américaine évoquée par De Lillo dans son roman Outremonde qui remonte déjà à pas mal d’années (1997), la fabrication de l’objet est intégralement robotisée. Les flux financiers derrière tout ça, on n’en a pas idée.
Le gars qui est employé comme facteur interchangeable par la Poste, il ne se pose pas la question de savoir s’il crée de la richesse. Il pense à son salaire et à la fin de son contrat, qui arrive toujours trop vite. Le chauffeur de bus d’une compagnie appartenant à Veolia, idem. L’éboueur de la compagnie employée en sous-traitance par telle municipalité, et qui est une filiale de Vinci ou de je ne sais quelle grosse boîte, c’est à son salaire qu’il pense, et pas à sa contribution aux profits de la multinationale. Des exemples comme ceux-là , on pourrait en citer à l’infini.
J’essaie de me placer du côté de l’homme de la rue, il m’est plus familier que l’univers des tycoons qui lui, m’est parfaitement étranger. Je n’ai pas une formation d’économiste, je suis autodidacte. Toute ma vie j’ai connu des gens aux prises avec des galères et la volonté de faire quelque chose d’autre de leur vie que ce vers quoi leur appartenance sociale les avaient déversés, l’usine, l’atelier, le chantier, le bureau, le chômage. Se mettre à son compte, monter sa propre boîte, en même temps limiter les risques parce qu’en face il y a le fisc, l’Urssaf, le Rsi, ces machines à couler les ambitions, ce rabot des envies.
Je n’ai jamais été de gauche (impossible de l’être après avoir lu Soljenytsine et côtoyé des communistes propriétaires et fiers de rouler en Merco) ni de cette droite réac qui m’a toujours paru tenir un langage d’un rétrograde délirant. Je n’ai jamais cru aux idéologies toutes faites et me suis toujours arrangé, par un usage plus que modéré de la télé et de la radio, pour me tenir à l’écart de la propag’.
Soucieux de penser par moi-même, je me définirais comme un libertaire. Rien au-dessus de la liberté. Ce qui m’intéresse chez l’humain c’est ce dont il est capable hors des figures imposées, cursus, diplômes, formations, parcours agréés, marketing, que ce soit dans l’art de ramasser des feuilles mortes ou de construire tout seul sa maison. En gros, les idées originales, les techniques improvisées et qui marchent, les découvertes par hasard, ceux qui disent : impossible ? donc je m’y colle.
Et qui se cassent le nez dès qu’il est question de socialiser la chose. D’en faire profiter les autres. De gagner sa croûte avec. Qu’il s’agisse d’arts plastiques ou d’un dispositif permettant de couper des bûches selon la longueur désirée, fabriquée à partir d’une vieille table de bar (du vécu). Les normes, les paperasses dès qu’il s’agit d’ouvrir un petit lieu d’expo où recevoir un maigre public, le fonctionnaire qui va calculer le nombre de cubes de terre destinée à être transformée en bols, en céramiques d’art…. la perte considérable d’énergie et de talents que l’on doit à ce système où trois sous gagnés sont dix perdus et le reste, une guéguerre continuelle avec des guichetiers.
Et les petites villes paumées qui perdent leurs commercent et voient se dissoudre leur liens sociaux faute d’avoir su devenir des bassins d’emploi, mais des petites villes où quand vous creusez bien, il y aurait tant à faire, toute une macro-économie à réinventer….
Voilà , je vous ai donné un aperçu de ma vision de ce que pourrait être un libéralisme autre que celui de la grosse entreprise cotée en bourse, celui des technocrates et des parachutes dorés qui à mon sens, n’a aucune chance de s’imposer en tant que projet de société, même s’il nous a été imposé dans toute sa rigueur. Un libéralisme sociétal, par contre, pourrait être une voie de recours face aux impasses qui nous guettent.
Bonne soirée, amitiés