Par Gilles Martin.
Vous devez les rencontrer comme moi tous ces gens, consultants, auteurs, journalistes, qui vous parlent de la « transformation digitale ». Essayez de trouver le site d’un cabinet de conseil qui n’en parle pas. Sans parler des 31.800.000 résultats quand on tape les deux mots sur Google.
En fait pour les entreprises qui parlent de « transformation digitale » et les consultants qui s’en disent spécialistes, cela consiste souvent à chercher et à mettre en place des « trucs », des applications mobiles, des sites web de e-commerce.
Finalement cela correspond à des évolutions plutôt incrémentales, qui ne viennent pas revoir structurellement l’innovation. D’où la prolifération des « challenges », des « hackatons », et autres démarches pour trouver les idées géniales.
Peu d’idées nouvelles au final
Mais, honnêtement, combien de ces idées, même géniales, viennent vraiment restructurer l’entreprise, et faire émerger un véritable nouveau, et surtout BIG business ? Pas tant que ça…
Peter Thiel, dans son livre De zéro à Un, explique qu’il y a deux types de progrès, le progrès horizontal et le progrès vertical : le progrès horizontal c’est celui qui consiste à copier ce qui marche, en mieux si possible, et à le développer à une plus grande échelle.
C’est trouver le moyen de vendre plus de voitures, plus de billets d’avions, de toucher plus de monde. C’est passer de 1 à N. C’est le principe de la mondialisation. C’est le programme de la Chine : devenir dans vingt ans ce que sont les États-Unis aujourd’hui.
Le progrès vertical, c’est celui de la technologie, celui qui fait passer de zéro (rien n’existe) à un (quelque chose de nouveau existe). D’où le titre du livre. C’est ça la « pensée Start-Up », remettre en question les idées reçues, faire du neuf à partir de zéro, repenser l’entreprise.
Savoir travailler avec les autres
Or, dans les entreprises les plus grandes, il est justement très difficile de développer de véritables nouveautés, et encore moins d’y parvenir tout seul, même si on est CDO (Ce fameux Chief Digital Officer qui arrive d’une autre grande entreprise, généralement un peu plus « Techno » avec plein d’espoirs).
Car un génie solitaire est peut-être capable de produire une oeuvre d’art ou de littérature qui deviendra un classique, mais jamais de créer un nouveau secteur industriel ou de services tout entier. Pour que les choses se fassent et débouchent, il faut savoir travailler avec les autres, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise.
Et donc tous ces experts qui nous parlent de « transformation digitale » et qui croient que ces deux mots suffisent à caractériser une stratégie en soi se trompent complètement.
L’enjeu de l’innovation
Le véritable enjeu stratégique n’est pas celui du digital, mais celui de l’innovation, passer de zéro à Un. Il ne s’agit pas de se « digitaliser » avec de nouveaux outils (mais qu’est-ce que ça veut dire ?), mais de comprendre que nous sommes dans un nouveau monde où toutes les règles du jeu sont en train de changer.
Et le jeu, c’est celui de l’innovation, et non du « digital ». Dans ce nouveau monde, ce que permet le digital, c’est de répondre plus efficacement à de nouveaux besoins, et d’accroître le rythme et l’origine des innovations ; encore faut-il savoir justement innover.
Innover avec de nouveaux business models, innover en identifiant les blind spots de ses concurrents, innover en planifiant autrement.
Et là, tous ces experts en « digital », « experts du web », et autres, paralysés par leurs outils, vont souvent décrocher, ou se limiter à des trucs digitaux qui ne viendront pas vraiment assurer la pérennité du business, ni protéger l’entreprise contre les attaques des acteurs, surtout les nouveaux (tous ces disrupteurs de la distribution, et aussi ceux qui vont faire de la détention des données une nouvelle force pour attaquer les entreprises installées).
Contre la vision darwinienne du progrès
Car la survie sur le long terme reste liée à la capacité à innover en continu, et non seulement à l’occasion du super « plan de transformation digitale ».
Peter Thiel combat également ceux qui ont une vision qu’il appelle « darwinienne » du progrès : c’est cette conception que la vie progresse sans que ce soit le dessein de personne. C’est « l’évolution », c’est à dire le progrès sans planification. Chaque entité vivante n’est que la version aléatoire d’un autre organisme, et les meilleures versions l’emportent.
Mais voilà, pas sûr que cette théorie qui a expliqué l’origine et la disparition des dinosaures soit encore valable pour parler d’innovation dans les entreprises. Peter Thiel n’y croit pas du tout.
Tous ceux qui disent que l’on ne peut rien prévoir, qu’il faut seulement se laisser porter par l’évolution, en créant des « start-up allégées capable de s’adapter et d’évoluer » dans un environnement en constante mutation, se trompent.
Avec cette théorie darwinienne, il faudrait que l’on abandonne l’espoir de savoir d’avance, mais que l’on se laisse porter en écoutant ce que les clients disent vouloir, et ne rien créer d’autre que ces fameux « MVP » (Minimal Viable Product, Produit Minimum Viable) qui permettent, via des tests auprès des premiers acheteurs, de valider l’existence du besoin, d’identifier le marché, et de valider sa rentabilité.
Rien sans audace
Mais cela ne permettra pas forcément d’innover vraiment. Comme Peter Thiel le signale, « vous pouvez élaborer la meilleure version possible d’une appli qui permet aux gens de commander du papier de toilette à partir de l’Iphone ».
Mais cela ne permettra pas d’atteindre le maximum global. Sans plan audacieux, aucune progression itérative ne nous mènera de zéro à un. C’est quand même, in fine, la conception intelligente qui fera gagner.
Et la conception, l’innovation, par opposition à la confiance dans le hasard uniquement, c’est du sérieux. Comme le dit Peter Thiel, pour nous inciter à rejeter la tyrannie du hasard : » Vous n’êtes pas un billet de loterie ».
Cela rappelle ce concept de W.Chan Kim et Renée Mauborgne, « la stratégie Océan Bleu »: toute une approche pour aller chercher les domaines et les innovations qui nous feront dépasser les concurrents qui se copient et se tuent dans « l’océan rouge » pour aller nager au large dans « l’océan bleu ».
La transformation digitale ne remplace pas la stratégie
Alors, « la transformation digitale » ? Ne nous laissons pas avoir.
Prenons au sérieux l’innovation et la compréhension des nouvelles règles du jeu, et l’identification planifiée des ripostes et des armes de la nouvelle guerre stratégiques. Car la « transformation digitale » ne pourra pas remplacer la stratégie.
Cela changera du hasard et des conseils bidons de tous ces « experts du digital » auto-proclamés, qui ignorent l’innovation et la stratégie, et nous font investir dans des applis et des sites internet sans lendemains.
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Se débarrasser de la transformation digitale c’est très bien car ce n’est qu’un progrès de communication sans aucun progrès de la réflexion et de l’action.
Mais n’est-ce pas une erreur identique que de tout attendre de l’innovation c’est à dire de nos rêves que l’innovation rendra, parait-il, réalité.
Ne faut-il pas revenir sur Terre et commencer par comprendre qu’aucun pays ne peut, sans réintroduire l’esclavage sous une forme ou sous une autre, consommer à un prix inférieur à celui auquel il est capable de produire ?
http://www.surlasociete.com
Se débarasser de la transformation digitale revient à se débarasser d’internet et de l’ordinateur. Jusqu’ou veux tu régresser ? Es tu sur que cela va améliorer les choses ? Ces outils ont enormément apporté à l’humanité, que ce soit au niveau de la recherche, de la communication (qui a toujours été défaillante par ailleurs, meme sans ordinateur ni internet) : la recehrche s’est distribuée, n’importe qui peut travailler et participer en collaboratif (n’importe qui de compétent), le grid computing, le blockchain, …
« revenir sur terre » signifie quoi exactement ?
Tous les chantres de « c’était mieux avant » se mettent le doigt dans l’oeil : cela n’a jamais été mieux avant, c’est un mensonge. Il y a un facteur qu’il faut prendre en compte, c’est l’amnésie générationnelle. On redescine le passé avec les connaissances d’aujourd’hui: en partant de notre situation actuelle (point zero), notre aversion à la perte liste toutes les éléments perdus entre avant et maintenant. Mais notre aversion à la perte ne s’interesse que trop peu à tout ce que l’on a gagné entre temps.
« réintroduire l’esclavage moderne »
il faut définir davantage ce que tu sous entends par la, plutot que de laisser à l’appreciation de chacun. pas tres philosophique comme approche, et plutot manipulation dans la communication.
l’economie est un outil : froid, inerte. Elle n’existe que par son mode d’application, très humaine. Et ce que tu reproche la, c’est son coté opportuniste, comme l’est la biologie.
Paradoxalement, l’economie permet tous les jours de financer de la recherche pour luter contre l’opportunisme naturelle (maladie, biologique, education, alimentation, …).
L’ironie de l’histoire, c’est que l’economie permet de financer la plus grande révolution de la société humaine en cours, en etant capable à terme, de s’affranchir du travail et de l’economie.
La transformation digitale est également une nécessité, liée au changement d’habitudes des utilisateurs.
si tu n’évolue pas en meme temps que ton environnement, alors tu régresses et tu disparais.
J’aime bien la premiere partie de l’article, mais vers la fin, j’ai comme un arriere gout d’intelligent design, secte tres en vogue dans un autre registre aux états unis.
D’abord en bon Français on parle de transformation numérique.
Ensuite, la « transformation » truc ou machin c’est du blabla journalistique. C’est le truc à la mode dont il faut parler dans les dîners en ville. On transforme quoi? Tout et rien! En quoi? Peu importe du moment que c’est dans l’air du temps, avec des applis mobiles indigentes, ou des sites web au goût du jour.
Je suis assez d’accord avec l’auteur. Quand on n’a pas de stratégie on dit qu’on va tout transformer… Donc oui, la transformation numérique j’en ai par dessus la tête.