Peut-on décrire les processus créatifs ?

L’apprentissage n’est pertinent que si l’accumulation de nouvelles connaissances s’accompagne de compétences renouvelées permettant d’accroître notre adaptation à notre environnement affectif et socioprofessionnel, voire d’en découvrir de nouveaux.

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Peut-on décrire les processus créatifs ?

Publié le 25 mars 2017
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Par Richard-Emmanuel Eastes.
Un article de The Conversation

Dans un monde dont les disruptions technologiques entraînent autant de soubresauts du tissu social, la créativité vue comme une ressource mentale utile au développement personnel et professionnel mérite d’être considérée comme un objectif de formation pertinent pour l’école autant que pour la formation professionnelle et l’andragogie.

L’apprentissage tout au long de la vie n’est en effet pertinent que si l’accumulation de nouvelles connaissances s’accompagne de compétences renouvelées permettant d’accroître notre adaptation à notre environnement affectif et socioprofessionnel, voire d’en découvrir de nouveaux. The Conversation

Des compétences créatives

Selon les auteur(e)s, la créativité est vue soit comme « un ensemble de compétences intellectuelles définissant la capacité à produire des solutions originales et efficaces à un problème préalablement bien posé », soit comme « l’art de se poser des problèmes ou des questions et de leur proposer des solutions nouvelles » (Lardinois, 2005).

Le terme est récent : il ne fut caractérisé en français que dans les années 50 à la suite des travaux des psychologues humanistes américains Abraham Maslow et Carl Rogers. C’est en premier lieu Joy Paul Guilford qui, travaillant sur l’idée de « pensée divergente », initia en 1956 une réflexion sur les aptitudes créatives dans sa « théorie de la structure de l’intellect ». Puis sur cette base, Ellis Paul Torrance élabora en 1974 ses fameux Torrance Tests of Creative Thinking (TTCT), identifiant l’implication de quatre types de compétences cognitives principales :

  • La fluidité est la capacité à produire un maximum d’idées, mêmes proches les unes des autres, dans un temps donné.
  • La flexibilité est la capacité à élaborer un maximum de catégories d’idées différentes, indépendamment du nombre total d’idées produites.
  • L’originalité est la capacité à produire des idées inédites et rares, que peu d’autres personnes sont susceptibles de développer.
  • Enfin la capacité à élaborer décrit le degré de sophistication atteint par une idée ou un enchaînement d’idées.

À ces quatre « variables de la créativité », nous ajoutons le lâcher-prise comme compétence métacognitive générale consistant à être capable de ne pas céder à l’autocensure, d’interpréter et de transgresser les règles, voire même de simplement s’estimer capable de produire des idées neuves.

Illustration par un cas

Demandez à un groupe de réfléchir en deux minutes et demie aux objets qu’il est possible de construire avec un tas de briques ; puis demandez aux participant(e)s de regrouper leurs idées par catégories. Les esprits les plus alertes trouveront jusqu’à 50 idées alors que les moins créatifs plafonneront à 5.

En termes de catégories, les résultats varieront entre 1 et 10. Mais paradoxalement, les personnes ayant développé le plus d’idées ne l’auront pas toujours fait au sein du plus grand nombre de catégories. Enfin, la diversité des idées et des catégories ne garantira ni l’originalité, ni le degré d’élaboration.

Quelles compétences créatives distinguent ces différents cas ?

Les premières personnes, pour parvenir à une telle accumulation d’idées, auront sans doute listé plusieurs dizaines d’ouvrages d’art ou de bâtiments différents : elles auront fait preuve de fluidité.

Les secondes, bien qu’ayant probablement mentionné une maison et un pont, se seront abstenues de les décliner selon leurs différentes variantes ; par absence de fluidité ou par manque de lâcher-prise.

Mais le temps ainsi gagné leur aura peut-être permis d’explorer une plus grande diversité de catégories et d’être plus flexibles, en imaginant construire « une étagère pour livres très très lourds », « un jeu robuste pour enfants hyperactifs », « un autel sacrificiel », « une échelle à poissons », « un obstacle d’équitation »…

Certaines de ces idées seront véritablement étonnantes : ainsi la variable originalité caractérisera-t-elle par exemple la personne qui aura eu l’idée de réduire les briques en poudre pour en faire un masque de beauté. D’autres apporteront spontanément la preuve de leur capacité à élaborer en imaginant de véritables récits pour soutenir leur idée.

On observe sans grande surprise que les personnes capables de faire preuve des quatre premières compétences créatives sont souvent celles qui disposent du plus grand lâcher-prise, s’autorisant à penser large, aux limites des consignes et des contraintes données (en n’utilisant qu’une seule brique, en les considérant issues d’un jeu de Lego ou au contraire en les imaginant monumentales), voire au-delà.

Les compétences créatives ne sont pas innées

Ces compétences créatives s’entraînent : en tant que participant, après avoir écouté les idées des autres lors d’un tel exercice, on se rend compte avec étonnement de tout ce à quoi on s’est inconsciemment empêché de penser et toutes ces idées sont comme autant de nouvelles portes qui apparaissent dans notre manière de répondre à un problème nouveau. Reste encore à savoir les ouvrir et les emprunter mais la prise de conscience constitue déjà une première étape vers la créativité.

Si certaines personnes semblent spontanément créatives, c’est souvent parce qu’elles ont baigné dans des environnements favorisant cet état d’esprit.

Nous observons toutefois dans nos ateliers, formations et workshops d’accélération que les différents exercices qui ont pour fonction d’entraîner une à une ces compétences sont souvent douloureux pour les participants, voire même effrayants au premier abord.

Ils nécessitent en effet de s’autoriser à penser de manières totalement inhabituelles ; mais la gratification est toujours au rendez-vous lorsque l’esprit, enfin assoupli, est devenu plus impertinent, plus explorateur.

L’apport des sciences cognitives

Depuis une dizaine d’années, il est de bon ton d’invoquer les recherches sur le cerveau pour justifier, grâce à des arguments dont l’autorité est censée être conférée par la robustesse théorique et expérimentale des sciences cognitives, des thèses générales dont les fondements sont désormais considérés comme trop mous.

Hélas – comme c’est le cas de la plupart des compétences cognitives complexes – la « zone cérébrale de la créativité » n’est pas prêt d’être identifiée et très peu de recherches en neurosciences sont capables d’éclairer significativement notre compréhension des processus créatifs.

L’occasion pour nous de dénoncer les neuromythes qui colonisent progressivement et insidieusement les théories pédagogiques contemporaines.

En prenant un peu de recul sur le fonctionnement strictement biologique de notre organe pensant, il est toutefois possible de caractériser les compétences créatives à partir de notre compréhension phénoménologique de la pensée humaine. À cet égard, la psychologie cognitive et les théories du changement conceptuel fournissent, grâce à leurs éclairages théoriques propres, des outils didactiques particulièrement pertinents pour imaginer des actions de formation susceptibles de promouvoir les différentes dimensions de la créativité tout en surmontant les obstacles cognitifs liés à son développement. Elles offrent également des pistes pour contrôler les potentielles contradictions entre l’enseignement des compétences créatives et la structuration de la pensée rationnelle.

Créativité contre pensée rationnelle ?

Rarement évoquée, la question mérite d’être posée. « L’état créatif » se résume essentiellement à sortir de nos schémas de pensée habituels, à inhiber nos réflexes cognitifs classiques, à transgresser certaines règles logiques et à établir des liens inattendus ou usuellement interdits.

Il s’atteint dès lors en cultivant des attitudes et des traits intellectuels que les enseignements scientifiques s’efforcent traditionnellement de juguler, à juste raison au regard de l’importance de l’exigence de rationalité qu’imposent à la fois l’organisation démocratique et le développement technologique de nos sociétés occidentales.

Pourtant, ces enseignements traditionnels sont souvent critiqués pour contribuer à la formation d’esprits insuffisamment ouverts et trop rigides face aux défis du 21e siècle.

Sir Ken Robinson : « Nous éduquons nos enfants en les anesthésiant ».

Si à l’instar des métiers de l’art et de la science, il est prévisible que bien des activités professionnelles nécessitent à l’avenir de larges compétences créatives et collaboratives, l’apprentissage de ces dernières doit-il succéder ou précéder l’acquisition de connaissances structurées ?

Est-il préférable d’attendre que les esprits soient déjà formés avant de les assouplir ou d’ensemencer les connaissances objectives et rationnelles sur des terrains aussi meubles que possible pour éviter qu’elles ne les stérilisent trop vite ?

La réponse passe probablement par un délicat équilibre, qui ne fera pas l’économie de rapports de force quasi idéologiques. De quoi donner du grain à moudre aux recherches et aux politiques d’éducation pour les 10 prochaines années au moins.


Cet article est inspiré d’un texte initialement paru dans le numéro EP 2017-1 de la Revue suisse pour la formation continue Éducation Permanente.

Richard-Emmanuel Eastes, Chercheur associé au Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel (Suisse) – Chercheur associé au Laboratoire de didactique et d’épistémologie des sciences, Université de Genève

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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