Comment rendre l’économie intéressante ?

Comment susciter l’intérêt des gens pour l’économie dans une société où elle joue un rôle croissant ?

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Comment rendre l’économie intéressante ?

Publié le 30 avril 2023
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Par Danny Duchamp.

 

Pour le meilleur ou pour le pire, notre société devient de plus en plus politique. Il était autrefois considéré comme impoli de parler politique dans de nombreux contextes, mais cette convention sociale s’est atténuée. Les gens expriment leurs opinions sur ce sujet plus bruyamment et plus souvent que jamais, et la politique devient même plus importante dans leurs prises de décisions.

L’économie est de loin le sujet le plus important à maîtriser pour construire ses convictions politiques – à l’exception, discutable, de la philosophie morale. L’économie est la science des compromis et des incitations. Alors que de nombreux autres domaines sont parfois importants pour certaines questions politiques, l’économie est toujours vitale.

Prenons l’exemple de la réponse du gouvernement au Covid-19. Une bonne compréhension de la virologie peut être utile pour déterminer la bonne réponse à apporter dans ce contexte, car elle peut nous indiquer comment un virus est susceptible de réagir à diverses interventions. Cependant, la virologie n’est pas le seul domaine pertinent. Comme l’a dit l’économiste Benjamin Powell :

On nous a dit l’année dernière « suivez la science », et quand nous l’avons fait, ils ont encore ajouté « écoutez les épidémiologistes ou les médecins ». Mais ce n’est pas la science qui compte. Il s’agit simplement de mesurer un type de résultat qui doit être mis en balance avec d’autres. Je connais une science qui traite de la pondération des valeurs les unes par rapport aux autres lorsque les ressources sont limitées : c’est l’économie.

La virologie ne peut pas nous dire quel sera l’impact d’un confinement sur le PIB, ni comment nous devrions mesurer la valeur du ralentissement de la propagation du virus par rapport à d’autres valeurs. En revanche, l’économie permet d’estimer ces éléments ou, du moins, de décider quels systèmes sont susceptibles de les optimiser.

Il en va de même pour toute autre question politique. Répondre à une question politique sur le changement climatique nécessite des connaissances en climatologie et en économie ; répondre à une question politique sur l’éducation nécessite des connaissances en pédagogie et en économie, et ainsi de suite.

Compte tenu du rôle croissant de la politique et de la nature fondamentale de l’économie pour étayer les idées politiques, comment s’y prendre pour intéresser les gens à ce sujet ?

 

Appel au devoir

Certains privilégient l’approche directe. Elle consiste à expliquer l’importance sociale de l’économie, puis à s’attendre à ce que le sens du devoir moral de chacun l’incite à s’infliger les interminables explications des manuels et leurs graphiques rébarbatifs. Après tout, étant donné l’importance croissante de l’économie, il incombe à chacun de se former à ce sujet !

Peut-être, mais cette approche ne tient pas compte de la nature humaine. L’avantage social plus vaste de la culture économique est d’ordre public et s’accompagne de tous les problèmes économiques courants inhérents à la production de biens publics. Il m’est bénéfique de vivre dans une société où un grand nombre de personnes comprennent l’économie, car cette société aura de meilleures idées politiques, et donc de meilleures institutions. Cependant, je ne suis qu’une personne. Mon apprentissage de l’économie n’aura qu’un impact marginal imperceptible sur la culture économique moyenne de mon environnement, et le bénéfice marginal de cet apprentissage ne vaut donc pas l’effort que je fournis.

 

Incitations financières

L’économie est utile pour certains emplois. Notre apprenant potentiel est peut-être un investisseur ou le dirigeant d’une entreprise suffisamment importante pour que la science économique puisse l’éclairer sur la meilleure façon de la gérer. Dans ce cas, il a une incitation financière évidente à apprendre l’économie. Cependant, beaucoup n’ont pas ce type d’emploi, et pour la majorité, nous devrons donc adopter une approche différente.

Une meilleure approche consiste à réduire le coût (en heures d’effort) de l’apprentissage de l’économie en la simplifiant. L’ouvrage Basic Economics de Thomas Sowell est un bon exemple. Il explique les principaux concepts et implications économiques avec des mots simples, en évitant l’utilisation de graphiques, de tableaux et de la majeure partie du jargon.

Ce livre, décrit comme un « guide d’économie à l’usage des citoyens, écrit pour ceux qui veulent comprendre comment fonctionne l’économie mais ne s’intéressent pas au jargon ou aux équations », constitue une amélioration. Mais il ne peut pas être l’unique solution. Aussi faible que soit le coût de l’apprentissage de l’économie, les gens ont toujours besoin d’une raison positive pour le payer. Je recommanderais absolument Basic Economics à quelqu’un qui s’intéresse déjà au sujet, mais celui que ça n’intéresse pas ne le lira tout simplement pas.

 

Donnez-leur du mystère

Je pense qu’une meilleure approche consiste à se concentrer sur le plus grand avantage secondaire de l’apprentissage de l’économie.

Ce bénéfice n’est pas d’un intérêt public, mais entièrement privé : l’économie est intéressante. Elle commence par l’étude de l’un des mystères les plus fascinants de la société humaine. Ce mystère est probablement mieux résumé par une simple phrase tirée du manuel d’économie intermédiaire de l’économiste David D. Friedman, Price Theory : An Intermediate Text : « Vous êtes au milieu d’un système très bien organisé, mais personne ne l’organise. »

Le célèbre essai de Leonard E. Read, I, Pencil, publié en 1958, est un véritable chef-d’œuvre d’illustration de ce mystère. En se plaçant du point de vue de l’humble crayon et en retraçant le parcours de tous les facteurs de production utilisés pour le créer, Read aborde l’impossibilité apparente de la production de crayons.

À ceux qui ne connaissent pas cet essai je recommande une pause afin qu’ils le lisent.

Voici la version courte : pour obtenir un crayon, il faut du bois, pour obtenir ce bois, il faut des tronçonneuses, pour obtenir ces tronçonneuses, il faut de l’acier, pour obtenir cet acier… et ça ne concerne que le parcours autour de l’arbre. J’aurais pu souligner que pour obtenir des crayons, il faut aussi du graphite, ou que pour obtenir des tronçonneuses, il faut aussi du plastique, et suivre un autre de ces parcours.

Chacune de ces lignes de production implique l’action coordonnée de milliers, voire de millions de personnes, dont la plupart ne se sont jamais rencontrées et ne parlent souvent pas la même langue. Pour être efficace, toute augmentation de la demande de crayons doit s’accompagner d’une augmentation du nombre de personnes produisant de l’huile pour les tronçonneuses, des camions pour transporter le bois, etc. Et il ne s’agit là que d’un seul produit. En fin de compte, nous nous retrouvons face à un problème qui semble complexe au point d’être insoluble. Il doit bien y avoir un génie inconnu qui organise notre système de production titanesque et interconnecté !

Mais comme l’explique Read dans son essai, cette personne n’existe pas et ne peut pas exister. Personne ne sait comment fabriquer un crayon. Et pourtant, vous pouvez acheter des crayons pour moins d’un dollar. Il est donc évident que le système est organisé d’une manière ou d’une autre, et avec une efficacité spectaculaire. Tel est le mystère, et l’économie est le domaine d’étude qui se consacre à l’étude de ce mystère. Si vous êtes cette personne qui a la chance de s’intéresser à l’économie, cela devrait vous convaincre.

Pour intéresser les gens à l’économie, il ne suffit pas d’expliquer son intérêt social, ni de rendre son apprentissage plus accessible ; et la plupart des gens n’auront pas de fortes motivations pécuniaires pour l’apprendre. Je pense que la meilleure approche consiste à leur présenter un mystère, puis à leur offrir les outils nécessaires pour le résoudre.

 

Traduction Contrepoints

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  • Trop tard ! ChatGPT ou internet en général fourniront au mystère tout un tas de réponses accusant la finance et les riches de tout ce qui est MAL et attribuant à la paresse et à l’écologie tout ce qui est BIEN.
    L’intérêt pour l’économie ne peut découler que de la volonté de comprendre comment ça marche, et ça dévoile trop de faux prophètes pour pousser si ça n’a pas été semé dès le primaire.

    • Éloge de la paresse:
      Le droit à la paresse ne suffit pas, le droit à la paresse subventionnée si chère à Sandrine Rousseau, est une abomination parasite voire prédatrice.
      Mais la principale vertu économique est bien cette paresse vertueuse qui devrait être encouragée: celle qui simplifie, évite les efforts inutiles, préfère les raccourcis, déniche les solutions simples aux problèmes inabordables, slalome entre les chevaux de frise bureaucratiques, snobe les comités d’experts, pratique la sieste qui régénère …
      La meilleure leçon d’économie que j’aie jamais reçue est celle de mon regretté prof. de maths (DG) en 1ére et tient en une ligne: « un bon mathématicien est un mathématicien paresseux ».

  • Je résumerai ainsi l’économie enseignée en France : une bonne économie est celle qui distribue des subventions à tout va aux citoyens. Pour le reste, on fait rouler la dette puis, comme dit Mélenchon, « on fait comme mon copain Maduro, on refuse de l’honorer. Et on repart à zéro ».
    L’économie, c’est claire, nette et simple. Pas besoin d’en savoir plus.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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Éric Chaney est conseiller économique de l'Institut Montaigne. Au cours d'une riche carrière passée aux avant-postes de la vie économique, il a notamment dirigé la division Conjoncture de l'INSEE avant d'occuper les fonctions de chef économiste Europe de la banque américaine Morgan Stanley, puis de chef économiste du groupe français AXA.

 

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