Affaire Thierry Solère : les dessous de la fraude fiscale

L’affaire Thierry Solère est l’occasion d’apporter un éclairage sur le délit de plus en plus médiatisé de fraude fiscale, lequel présente certaines spécificités qui sont bien souvent méconnues et pour le moins discutables.

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Ministère des Finances à Bercy (Crédits : Pline, licence CC-BY-SA 3.0), via Wikimedia.

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Affaire Thierry Solère : les dessous de la fraude fiscale

Publié le 22 février 2017
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Par Virginie Pradel.

Affaire Thierry Solère : les dessous de la fraude fiscale
Ministère des Finances à Bercy (Crédits : Pline, licence CC-BY-SA 3.0), via Wikimedia.

Pour mémoire, Le Canard Enchaîné a révélé, dans son édition du 15 février dernier, que Thierry Solère était actuellement sous le coup d’une enquête préliminaire menée par la police judiciaire de Nanterre, suite à une plainte de Bercy pour fraude fiscale.

Cette nouvelle affaire de fraude fiscale impliquant un homme politique est l’occasion d’apporter quelques précisions sur ce délit pénal qui est bien souvent mis en avant dans les médias sans aucune précaution et sans aucune mention de ses spécificités, alors que celles-ci apparaissent vraisemblablement contestables.

Un délit épouvantail

Première spécificité contestable : le délit de fraude fiscale est conçu de façon très extensive de sorte qu’il a vocation à être caractérisé dans de très (trop !) nombreuses circonstances. À titre d’exemple, un simple oubli dans une déclaration de revenus pourrait, en théorie, suffire à caractériser ce délit.

Certains contribuables se voient ainsi publiquement et honteusement accusés de fraude fiscale pour des manquements déclaratifs qui s’avèrent parfois loin d’être accablants.

Or l’infamie publique associée à la fraude fiscale est loin d’être insignifiante et peut même se révéler dévastatrice pour certaines personnalités publiques qui se trouvent, du jour au lendemain, discréditées auprès de l’opinion publique.

Le verrou de Bercy

Deuxième spécificité contestable : Bercy, autrement dit le pouvoir politique en place, exerce un monopole sur les décisions de poursuites judiciaires en matière de fraude fiscale.

Ce monopole, dénommé « verrou de Bercy », s’inscrit comme un dispositif dérogatoire au droit commun dans la mesure où c’est en principe au Procureur de la République, autorité judiciaire, d’apprécier l’opportunité des poursuites pénales. Ce dispositif, bien que validé par le Conseil constitutionnel, se présente donc comme une atteinte majeure aux principes de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs.

Troisième spécificité contestable : Bercy n’a pas à motiver l’existence ou l’absence de poursuites pour fraude fiscale. Il s’ensuit que Bercy peut légitimement être soupçonné de traiter de façon inégale les contribuables, en poursuivant arbitrairement certains d’entre eux et pas d’autres.

Une sélection contestable

Seulement un millier de plaintes pour fraude fiscale sont déposées par Bercy chaque année, ce qui apparaît peu important en comparaison des 50 000 opérations annuelles de contrôle fiscal.

Par ailleurs, bien que Bercy déclare réserver les poursuites pénales aux cas de fraudes exemplaires, il n’est pas certain que ces affaires soient les plus complexes ou les plus significatives pour les finances publiques. La Cour des comptes a en effet récemment mis en évidence que « la politique de répression pénale des services fiscaux est ciblée sur les fraudes faciles à sanctionner et non sur les plus répréhensibles. Les dépôts de plaintes par la DVNI ou la DNVSF, qui vérifient les grandes entreprises ou des particuliers à fort enjeu, sont extrêmement rares ».

En pratique, Bercy agite souvent la menace d’une plainte pour fraude fiscale pour convaincre les contribuables récalcitrants de s’acquitter, au plus vite, des sommes notifiées suite à un redressement fiscal.

Une double sanction

On ne manquera pas de préciser que les sanctions pénales encourues au titre du délit de fraude fiscale se cumulent, le cas échéant, avec les sanctions fiscales associées aux redressements fiscaux, qui sont déjà substantielles puisqu’elles peuvent atteindre 40 % voire 80 % du montant des impositions éludées.

Ce cumul de sanctions, contestable d’un point de vue procédural, a été récemment validé mais limité aux cas de fraude les plus graves par le Conseil constitutionnel.

Victime politique ?

Il n’aura échappé à personne que Thierry Solère se présente comme une personnalité politique de droite de premier plan. Élu député en 2012, il a ensuite été nommé en charge de l’organisation de la primaire de la droite avant de, dernièrement, devenir porte-parole de François Fillon.

Force est donc de s’interroger sur une éventuelle instrumentalisation politique de la plainte pour fraude fiscale déposée par Bercy ou, du moins, s’étonner du fait que celle-ci soit étrangement survenue quelques mois seulement avant le début des primaires de la droite.

D’autant que les faits révélés par la presse, bien qu’inacceptables pour un politicien s’ils venaient à être confirmés, apparaissent sensiblement moins graves que ceux ayant pu concerner, dans le passé, d’autres personnalités politiques.

Les médias ont ainsi révélé, de façon tonitruante, que Thierry Solère aurait « omis de régler une partie de ses impôts sur le revenu de 2010 à 2013 et (précision importante !) la taxe foncière de la dernière année ».

On est bien loin de la détention par un ancien ministre du Budget d’un compte bancaire abritant des millions d’euros non déclarés au fisc français…

En somme, on peut sérieusement se demander si les supposés égarements fiscaux de Thierry Solère méritaient une telle cabale médiatique pour fraude fiscale, et ce, à quelques mois de l’élection présidentielle, dans le but évident de discréditer publiquement ce dernier et a fortiori celui qu’il représente.

Violation du secret de l’enquête

On s’indignera enfin du fait que le secret de l’enquête ait une nouvelle fois été sciemment violé, ce qui ne semble malheureusement plus émouvoir grand monde en ces temps où l’enquiquinante justice judiciaire est régulièrement mise à mal par la fanfaronnante justice médiatique. Avec tous les raccourcis douteux et amalgames vicieux qui s’ensuivent…

 

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  • Très bien argumenté. Bravo madame.

  • Le secret des enquêtes fiscales est une légende.
    Les enquêtes fiscales peuvent tout à fait avoir été faites par autrui (journaliste teigneux, contribuable ou électeur revolté, etc.)
    De plus, le Code des impôts intègre depuis deux ans une disposition tout à fait inédite dans une république démocratique : tout élément de preuve, même obtenu illégalement, peut être désormais retenu comme probant dans une enquête fiscale.
    En d’autres termes on peut aller voler des pièces comptables, soudoyer des salariés, même contraindre quelqu-un a délibérément passer du côté délictuel ou frauduleux de la législation : la preuve ainsi obtenue est désormais illégale (elle l’était déjà) mais accepte de plein droit par Bercy.
    Vive la France !

    • Ce ne serait pas plutôt La Fontaine ?
      Ceci dit, vous avez raison.
      Moi, je voudrais attirer l’attention sur la stupidité de ces soi-disant élites. Quand on arrive à de tels niveaux, on devrait tout de même s’arranger pour nettoyer sa maison, parce celle-ci ne va pas manquer d’être passée au peigne fin et la moindre saleté va vous retomber sur la tronche, c’est sûr. Ou bien ils sont franchement idiots ou bien ils se croient intouchables et se permettent n’importe quoi. Quoiqu’il en soit si on ne change pas ce système de politiciens de carrière on n’est pas sortis de l’auberge …

  • Tout le monde a oublié Thomas Thevenoud qui faisait de la phobie administrative, oubliait de payer ses impôts ou la cantine de ses filles… Il en a même fait un livre ! Ce monsieur, secrétaire d’état éphémère est toujours député actuellement ! Oui mais lui est PS…
    Dans le même temps je lis que le fils Balkany va faire de la prison préventive pour n’avoir pas payé la totalité de sa caution… Il est mis en examen pour soupçon d’avoir aidé ses parents à faire de la fraude fiscale… donc pas encore reconnu coupable ! C’est étrange, je croyais que nos prisons étaient pleines et qu’il n’y avait plus de places pour les terroristes et les délinquants, que l’on met sous bracelet électronique… Etrange cette justice à 2 vitesses… Molière aurait dit  » Que vous soyez de gauche ou de droite… »
    Et les médias de s’engouffrer dans cette brêche pour salir un peu plus la droite dans l’esprit des électeurs… qui se laissent complètement manipuler, il n’y a qu’à lire les commentaires haineux sur les sites d' »information « … Triste campagne présidentielle où aucun sujet important n’est vraiment abordé…

  • Très bon article, d’ailleurs la nouvelle structure créé par Hollande et Taubira, la HATVP est un nouvel instrument du pouvoir en place, largement utilisé comme on a pu le voir récemment.
    De plus, Taubira a autorisé la saisie de la justice et de la HATVP par l’association ANTICOR, censée être indépendante et à l’affut des cas de corruption; hors celle-ci est affilier au PS, et son président actuel est un proche de martine Aubry.

  • « Et les médias de s’engouffrer dans cette brêche pour salir un peu plus la droite dans l’esprit des électeurs… » « Salir » la droite ? La dénonciation du compte suisse de Cahuzac par Mediapart (media de gauche) salissait-il la droite ? La dénonciation de l’affaire Rainbow Warrior , des écoutes téléphoniques, de l’emprunt sans intérêts de Bérégovoy sous les septennats Mitterand « salissaient »ils la droite ? Allons ! La vraie et déontologique presse d’investigation informe objectivement, impartialement sur toutes les dérives, sur l’ensemble de l’échiquier politique !

    • Et bien justement non, l’impartialité d’une presse d’investigation qui dénoncerait toutes les dérives, ce n’est pas possible, rien ni personne ne peut dénoncer tout exhaustivement, sauf à instaurer un régime de terreur piloté par des robots. Le seul contrôle qui vaille c’est l’auto-contrôle. Et pour cela, il faut miser sur l’éducation. La presse dont vous parlez n’éduque pas. Elle fait le contraire en flattant les bas instincts de l’envie et de la jalousie, parce que c’est son fond de commerce et qu’elle en vit.

      • Pour connaitre ce qu’on ne lit pas dans la presse nationale française, subventionnée et auto-censurée, allez voir la presse étrangère: on y trouve des analyses plus objectives pour (si ça existe!) et contre des fautes professionnelles journalistiques répondant plus aux intérêts des journalistes qu’à l’intérêt du lecteur pour ces vues systématiquement biaisées.

        Bien sûr, vous avez, « après coup », des révélations qui sortent, surtout quand la majorité a basculé. Les donneurs de leçons ne manquent pas!

        Et votre chauvinisme « national », qui n’empêche pas « les guerres des boutons » locales, ne fait que renforcer cette inobjectivité, d’où cette tradition francofrançaise de croire les « valeurs » françaises sont forcément « universelles » jusqu’au jour où …

        Le « protectionnisme » économique et politique ne fait que suivre ce courant qui correspond à la trouille de « l’estranger » et donc de la mondialisation.

  • Ce n’est pas parce que c’est moins grave que l’un de ses collègues que cela devient acceptable. Les hommes politiques qui votent les impôts devraient être totalement irréprochables dans l’acquittement de ceux-ci. Le délit de fraude fiscale devrait reconnaître comme circonstance aggravante le fait d’être un élu votant les impôts.

    Pour le reste, il est évident que tout cela soit à la discrétion de Bercy est tout bonnement inacceptable

  • Non, « Bercy peut légitimement être soupçonné de traiter de façon inégale les contribuables »? ça alors, une grande découverte… A se demander si la dame de l’article, pour qui « les supposés égarements fiscaux de Thierry Solère méritaient une telle cabale médiatique », n’a pas sur le feu un léger problème à la Thévenoud mais sans être le sieur concerné. Je l’engage à essayer, ne serait-ce qu’une fois, de rater une déclaration de petite rentrée financière à nos obèses de la DGFP et de voir le résultat. A mon avis, elle finira par trouver que le fisc est quand même bien lent avec le 1%, légèrement plus réactif avec le 99%…

    • Je vois pas en quoi c’est en contradiction avec ce qu’elle dit: Le 1% privilégié signifie bien qu’il y a un traitement inégal.

      • Et c’est logique si pas jugé comme « normal » dans ce mythe de l’égalité!

        Les riches peuvent se payer les services l’expert comptables et fiscaux qui cherchent les niches et les failles du système pour trouver « la voie la moins imposée ». Si ça ne suffit pas, ils déménagent hors de France sous de cieux moins pénalisants pendant qu’un salarié signe sa déclaration pré-remplie payant ce qu’on lui demande sans causer de tracas « sur ses niches à lui » = contrôle= 0!

        Les Français riches de Néchin, en Belgique sont des citoyens droits dans leurs bottes, avec éventuellement un système de holding(s), qui ont trouvé « la voie la moins imposée » hors d’atteinte de Bercy qui peut passer des heures sur le dossier pour ne rien trouver, à part ce qui se plaidera avec les meilleurs spécialistes, à perte!

        Ces gens font quand même travailler des centaines voire plus de salariés dans différentes entreprises: faut-il tenter de les en empêcher, sans garantie de résultat? La réponse est manifestement non

        Mieux vaut emm… des petits indépendants: c’est plus rentable!

  • « Nouvelle affaire de fraude fiscale » => Thierry Solere a-t-il été condamné? Pas que je sache, donc un peu de retenue serait bienvenue… D’autant que l’information du Canard Enchaîné est en fait un article de Mediapart daté d’il y a plusieurs mois et sur lequel Thierry Solere s’était déjà expliqué. Pour information, il a bien déposé plainte contre le Canard pour diffamation – beaucoup de politiques profèrent cette menace en l’air, lui l’a fait.

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