Terrorisme islamiste : essayer de comprendre, ce n’est pas « un truc de fille »

Quand l’aveuglement stratégique sur le terrorisme islamiste est volontaire, on va au devant de graves désillusions.

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Facepalm (Crédits : Alex Proimos, licence CC-BY 2.0). Image publiée initialement sur Flickr.

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Terrorisme islamiste : essayer de comprendre, ce n’est pas « un truc de fille »

Publié le 15 juillet 2016
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Par Philippe Silberzahn

Terrorisme islamiste : essayer de comprendre, ce n'est pas "un truc de fille"
Facepalm (Crédits : Alex Proimos, licence CC-BY 2.0). Image publiée initialement sur Flickr.

J’évoquais dans un article précédent la façon dont la classe politique américaine s’est faite surprendre par Donald Trump, véritable rupture dans le monde politique.

Comme beaucoup d’autres, cette surprise est entièrement auto-construite. Elle est le produit d’un aveuglement collectif face à l’évolution de la population et de son ressenti. J’attribuais cet aveuglement au manque de diversité de la classe politique américaine, qui en fréquentant les mêmes écoles et en lisant les mêmes journaux s’est progressivement coupée du reste de la population et a construit une représentation du monde qui ne correspond plus à la réalité. Mais l’aveuglement a d’autres sources et peut étonnamment être volontaire.

 

L’aveuglement volontaire sur le terrorisme islamiste

L’aveuglement peut en effet résulter directement d’une volonté de ne pas comprendre son environnement.

C’est ce qu’explique un article tout à fait intéressant de Gilles Kepel et Bernard Rougier, paru dans Libération et intitulé « Le roi est nu ». L’article montre comment l’Université française a refusé d’essayer de comprendre la montée du terrorisme islamique. Un fait parmi d’autres le souligne : la fermeture par Sciences-Po en décembre 2010 du programme spécialisé sur ces questions, le mois où le Tunisien Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu et a déclenché le « Printemps Arabe ».

Selon Kepel et Rougier, avec cette fermeture « ont été éradiqués des pans entiers de la connaissance et notamment la capacité des jeunes chercheurs à lire dans l’original arabe la littérature de propagande salafiste et djihadiste. »

Le refus de comprendre un adversaire et plus généralement un phénomène qui nous préoccupe, ou devrait nous préoccuper, n’est hélas pas nouveau. Dans mon ouvrage sur les surprises stratégiques dont la CIA a été victime, j’ai montré comment cela expliquait la crise des missiles de Cuba, notamment. Encore aujourd’hui, la CIA, qui a été totalement prise au dépourvu par la tentative des Soviétiques en octobre 1962 d’installer secrètement des missiles à Cuba pour menacer les États-Unis, considère qu’il s’agissait là d’un acte aberrant, d’une erreur dont elle ne peut être comptable, qu’on ne pouvait donc pas lui demander d’anticiper. Dans cette affaire, la CIA a en particulier échoué à comprendre la motivation profonde et la personnalité instable du leader soviétique, Nikita Khrouchtchev. Le résultat ? Le monde est passé très près d’une guerre nucléaire.

Dans l’ouvrage, nous fondons cette incapacité à comprendre sur une construction identitaire et culturelle de l’agence qui exclut la prise en compte d’éléments humains dans la décision.

En conclusion : ce qui nous surprend dépend de qui nous sommes. L’adversaire n’est pas compris en grande partie parce qu’on refuse d’essayer de le comprendre et on refuse d’essayer de le comprendre parce qu’on estime que ce n’est pas nécessaire. En outre, l’adversaire nous répugne souvent, nous nous sentons trop loin de lui. Pourquoi aller sur le terrain quand un bon satellite prend des photos magnifiques ? On retrouve le concept d’autisme stratégique, employé par le spécialiste de la stratégie Edward Luttwak.

 

Pas besoin de comprendre le terrorisme ?

J’ai moi-même été confronté à ce refus de comprendre.

Faisant cours à des militaires sur le thème de la surprise stratégique, j’évoquais les surprises qu’avaient représenté les attaques de Charlie Hebdo et du Bataclan, et la nécessité de mieux comprendre les assaillants si on voulait en éviter de nouvelles. La réponse de l’un des participants ? Pas besoin de s’embêter avec ça. Il suffit de bombarder Daesh et le problème sera résolu. Certes, ce fut lancé sur le ton de la boutade mais il y avait un fond de sincérité : une volonté presque désespérée de croire qu’il pouvait y avoir une solution simple à un problème complexe. Qu’on n’avait pas besoin de faire l’effort de comprendre, qu’il suffisait d’avoir le courage de lancer nos avions. Essayer de comprendre serait même un aveu de faiblesse, « un truc de filles », comme me le disait un participant dans un autre séminaire, civil celui-là.

Le refus de comprendre, alimenté par l’arrogance, est partout. Rien ne traduit mieux cette étroitesse d’esprit revendiquée que la déclaration de Manuel Valls : « Comprendre, c’est déjà excuser »  ou que le tweet de Jean-Christophe Cambadélis, dirigeant du parti au pouvoir quand même, attribuant le terrorisme au manque de mixité sociale à Molenbeek. Vieux modèle appliqué à une réalité nouvelle, meilleure recette d’aveuglement.

 

Se poser pour comprendre

Cette paresse intellectuelle est fréquente et elle existe aussi dans l’entreprise. Le management moderne met tellement en avant l’impératif d’action que celle-ci focalise toute l’attention des acteurs. Dans mes formations, j’ai toujours du mal à convaincre les participants qu’il faut toujours se garder d’agir trop vite, qu’il faut d’abord se poser pour comprendre et qu’après seulement on peut agir, ou parfois décider de ne pas agir.

Kepel et Rougier évoquent aussi dans leur article la peur des chercheurs sur ces questions d’être accusés d’islamophobie. Ils ont bien raison : nous sommes après tout le pays aux nombreuses lois mémorielles restreignant la liberté d’expression votées au nom de la lutte contre le racisme. Au final, ces lois n’ont pas du tout réduit le racisme mais elles ont a minima réduit notre capacité de penser le monde pour le comprendre en nous interdisant d’évoquer des hypothèses, de chercher certaines pistes et même de recueillir certaines données. Elles participent de ce mécanisme infernal que nous développons nous-mêmes pour nous aveugler. Elles rendent la prochaine catastrophe plus probable et son coût plus élevé.

Notons également que l’évolution des critères d’évaluation des chercheurs décourage les recherches de fond qui prennent du temps au profit d’articles écrits rapidement, surfant sur l’air du temps. Le système de mesure de la performance de la recherche, fameuse technologie invisible chère à Michel Berry, contribue lui aussi à nous rendre aveugle. Quand un chercheur est évalué tous les ans sur les articles qu’il publie, il cesse de prendre du temps pour comprendre un phénomène en profondeur, démarche qui aboutirait à un résultat seulement après plusieurs années.

En observant ces mécanismes d’aveuglement que nous mettons en place, on ne peut s’empêcher de rappeler le mot de Toynbee, dans son histoire des civilisations : « Nous ne déclinons pas parce que les barbares nous attaquent ; les barbares nous attaquent parce que nous déclinons. » Dit autrement, c’est en nous-mêmes qu’il faut rechercher les causes de notre affaiblissement, au premier rang desquelles figure l’aveuglement volontaire. Financer la recherche pour comprendre améliorerait davantage la sécurité des Français que mettre des soldats dans les rues.

Réduire la menace terroriste n’est pas chose facile. Cela prendra du temps. Mais une chose est sûre : sans se donner les moyens et le droit de penser parfois l’impensable il ne fera que prospérer. Préparez-vous à de nouvelles surprises.

Sur le web

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  • Mouais,
    Pas du tout persuadé par ce plaidoyer pour la recherche académique si souvent à côté de la plaque.

    Surpris aussi de l’étonnement face à l’attaque de charly: c’était pourtant clairement affiché comme étant le journal le plus menacé de France.

    • Cet article vise justement à vous expliquer pourquoi les hautes sphères ont été surprises par un truc évident à la base.

      L’université produit des quantités de thèses parfaitement débiles (glaciologie féministe O_o …), il ne faut pas le regretter, c’est le principe même de la recherche qui est, par définition, dans le grand n’importe quoi des idées farfelues, à coté de la plaque, 95% du temps.
      Il est important d’essayer quand même, et de laisser la sélection par la réalité se faire. Et bien sûr de ne pas sacraliser « la recherche » comme si tout ce qu’elle faisait était génial…

      • Explorer les pistes stériles permet aussi, par certains aspects, d’éviter de s’y engager par la suite de façon opérationnelle.
        Et puis le propre de la recherche, c’est de chercher. Si les chercheurs savaient à l’avance ce qui’ls vont trouver (ou ne pas trouver) ça se saurait 😉

    • Si souvent à côté de la plaque par rapport à l’aveuglement volontaire ?

  • Bon decryptage des raisons de la sécession des élites de leurs peuples. Et des blocages intellectuels qui font que le déni de réalité, et le manque de volonté de remettre en cause son modèle de pensée, conduisent à des catastrophes.
    Kepel est par ailleurs un immense analyste, plein de talents.

    • Tout à fait d’accord avec vous!

      Article de qualité, d’intelligence subtile et fruit manifeste d’une réflexion qui va chercher loin derrière les apparences et les a priori-poncifs, les mécanismes d’une logique, sans doute différente, au moins dans ses bases, chez ceux qui ne sont pas de notre « culture ».

      Les meilleures informations ne peuvent provenir que des « agents infiltrés », vivant quasi normalement dans le milieu « ennemi ».

      On a connu beaucoup « d’agents doubles » (mais quelle proportion a été détectée?) considérés longtemps comme fiables, des 2 côtés.

      Il n’y a pas d’activité humaine indépendante de la psychologie du décideur ou de l’acteur. Et dans les conflits, le mensonge et la tromperie (« l’intoxication »), comme la dissimulation sont évidemment des armes de choix redoutables.

      D’où l’importance d’être « dans le bain » avec ceux qui y sont, pour comprendre de façon empathique, quitte, après, à froidement utiliser les informations ainsi collectées, contre ceux avec qui on vit: ce n’est évidemment pas une attitude « spontanée » mais humainement « tordue », qui n’est vivable qu’un temps, sans risque.

  • J’ai un petit problème, puisque’il y a forcement des surprises, notamment parce que l’initiative de nous surprendre ne nous appartiens pas, alors comment l’auteur peut il se permettre a posteriori de d’expliquer des surprises? On peut espérer que les gens surprise en tire une leçon.

    On est en gros d’accord pas de pensée de groupe recherche renseignement…. on aura alors moins de surprises…et encore c’est ce qu’on crois, et qu’on se demande bien comment le mesurer.

    A moins d’utiliser des moyens considérables pour tout surveiller, éviter d’etre surpris est une façon de course à l’échalote. Et encore quand on sait qu’il va se passer des choses qu’on a pas prévues, est ce bien une surprise???

    Je peux comprendre un plaidoyer pour suggérer sa méthode comme la meilleure..mais où est l’évaluation hors de cas particuliers?

    • appartient, surpris

    • « On peut espérer que les gens surpris en tire une leçon. » semble contradictoire avec « l’initiative de nous surprendre ne nous appartient pas »

      Le simple fait d’être surpris est la preuve qu’on n’a pas envisagé: dès que nous nous sommes rendu compte que tous les autres ne pensaient pas comme nous, on peut imaginer comment ils vont nous surprendre, sinon, de fait, nous n’avons rien appris.

      • oui articuler le raisonnement en terme de surprise est une erreur… en fait on veut juste pouvoir prévoir ce qui pourrait nous arriver de fâcheux… or on fait tous ça dans la vie….et bien sûr on échoue, surtout si on a en face de soi une personne qui elle aussi cherche une stratégie pour réussir à nous causer des choses fâcheuses, reste que ce qui m’agace et est à l’origine m^me de mon commentaires est l’absence d’évaluation des méthodes pour prévoir des trucs fâcheux… fair eun eliste après coup…..bof
        on peut m^me imaginer que les gens qui veulent nous causer des trucs fâcheux suivent une formation pour réussir à déjouer les stratégies pour éviter les trucs fâcheux…

  • Bah ! La science du terrorisme et du vivre-ensemble est établie n’est-ce pas ? Ou alors c’est moi qui confonds ?

  • Merci pour cet excellent article. Je comprends d’autant mieux votre point de vue que j’ai relu il y a peu « L’étrange défaite » de Marc Bloch, qu’il écrivit peu après la catastrophe militaire française du printemps 1940.

    A mon sens, le thème que vous développez fait parfaitement écho à la thèse de Marc Bloch, à savoir que les généraux français (à part quelques-uns) s’étaient alors bornés à répéter le modèle de la guerre des tranchées sans chercher à comprendre la nouveauté de la stratégie allemande, basée sur la vitesse des déplacements.

    • Ce en quoi Marc Bloch se trompe au moins en partie : les généraux français N’ont justement PAS appliquer leur modèle. Si il l’avait fait, en mai 40 ils auraient sagement attendu derrière la frontière belge, sur des positions bien retranchées, au lieu d’envoyer toutes leurs forces, réserves incluses, en Belgique, car la doctrine était claire : PAS DE BATAILLE DE RENCONTRE, on ne se porte pas en avant de l’envahisseur, on l’attend sur des positions préparées (l’attaque n’est simplement pas prévue…). Est-ce que cela aurait changé la face de la guerre, est-ce que si les réserves avaient été disponible pour faire face aux panzers ceux-ci seraient passé quand même ou aurait été détruits, on ne le saura jamais, mais en tout cas on ne peut pas les accuser les généraux d’avoir appliqué un modèle dépassé.
      Défendre la Belgique en mai 40, alors qu’elle avait choisit la neutralité et qu’elle ne pouvait pas attendre le beurre (la neutralité) et l’argent du beurre (la protection de l’alliance dans laquelle elle avait refuser d’entrer) ? c’était de la (mauvaise) politique, pas une répétition du modèle de la guerre de tranchées qui, lui passait par une solide fortification de la frontière belge, et, à la rigueur, une petite avancée de quelques kilomètres ici ou là, lorsque la topographie le rend tactiquement utile …
      De même, le choix de ne pas développer l’arme blindée, offensive et de maigre valeur défensive, et de privilégier la défense « à l’ancienne » était parfaitement cohérent sur le plan politique et même sur le plan militaire : envahir l’Allemagne n’était ni envisagé (politiquement) ni necessaire (stratégiquement) ni possible (militairement). Bien sûr, certains généraux ont eu toutes les raisons de s’en plaindre en 36, 37, 38, et on peut penser que l’histoire leur a finalement donner raison, mais rien ne dit que la cause de la défaite était vraiment là. Même dotée d’une puissante arme blindée comme De Gaulle en rêvait en 34, la France aurait pu être vaincue en 40, et elle aurait pu gagner simplement en appliquant ses principes militaires (mais il aurait fallu afficher clairement, dès les année s30, que la Belgique devait choisir entre s’allier à la France, avec des troupes française sur sa frontière allemande, ou voir la France étendre la ligne Maginot jusqu’à la Manche, avec donc la Belgique hors du rempart … )
      Lectures utiles « comment s’est joint notre destin » (sur le mode « on était foutu de toute façon », thèse qu’il faut avoir lue), « la guerre des occasions perdues » (sur le mode « on aurait facilement pu éviter cette défaite ») et enfin le commentaire critique ET élogieux sur ce dernier ouvrage par Dufieux http://www.pedone.info/rhd/rhd-1956-Dufieux.pdf

      • Je vous recommande le livre de Pierre Servent intitulé « Le complexe de l’Autruche ». Les français en prennent plein la tête, à juste titre. Nous avons probablement certaines tares depuis des siècles. Mais vous verrez que pour la percée de Sedan en 1940, ce qui s’est passé côté allemand n’était pas triste non plus.

    • julepa  » les généraux français (à part quelques-uns) s’étaient alors bornés à répéter le modèle de la guerre des tranchées » J n’ai aucunement un amour immodéré pour les généraux, surtout les vieux de 1914 en 1940, mais la réalité est tout autre : le problème de l’époque, tout comme de nos jours, est essentiellement politique. Le PS, comme maintenant, était aux manettes; il y avait deux secrétaires d’état (ou conseillés) au ministère de la guerre : De Gaulle et Malaise ; le premier représentant les chars, le second la chasse (avions). Ils n’ont pas été écoutés et même pire : nous avions, à Cherbourg, une usine qui fabriquait en série des bimoteurs qui allaient plus vite que les chasseurs allemands. Les Allemands ont bombardé et détruit cette usine avant même la déclaration ^de guerre. Quelques semaines de plus et les chars allemands auraient été détruits. Mais les politiques n’ont rien voulu entendre et faisaient confiance à la parole d’Hitler !!!

  • Monsieur le Professeur,
    Votre leçon sur la nécessité de cerner l’ennemi avec les bons outils d’analyse est sans doute salutaire, encore faut-il que la forme suive le fond. Je me désole d’autant plus de la démission des élites que je lis sous votre plume d’universitaire chevronné : « la classe politique américaine s’est FAITE surprendre ». Un peu plus loin, rebelote: « les surprises qu’avaient REPRESENTEES les attaques ». Vous êtes pourtant censé maîtriser depuis l’entrée en 6ème l’accord du participe passé, avec les auxiliaires avoir et être, et avec ou sans COD.

    Au moins les élites du temps de Marc Bloch ne massacraient-elles pas la langue française. Notre avenir est donc encore plus sombre que le leur… Ce n’est pas réjouissant !

    • kan le sage montre la lune, limbessile regarde le doi

    • « les surprises qu’avaient REPRESENTEES les attaques »

      Je n’en suis pas aussi sûr que vous grand maître de l’orthographe. Le sujet de la subordonnée est inversé.

      ‘Les surprises que les attaques avaient représentées… » et donc le COD est bien placé avant et donc il y a accord comme dans le cas :
      « La radio qu’avait allumée Gérard… » –> « La radio que Gérard avait allumée »

      Mais bon, je ne suis pas un spécialiste et je suis ouvert à vos lumières…

  • Article intéressant surtout venant de quelqu’un qui officie d’habitude dans l’innovation.

    Exposer sa compréhension d’un phénomène est souvent perçu comme une validation. J’ai essayé de remplacer « je comprends » par « je conçois » mais le résultat est le même. J’ai beau expliquer que je pourrais condamner à mort quelqu’un même si je comprends les motivations de son acte, ça ne change rien, je ne suis qu’un méchant.

    • Le fait est que en français on utilise couramment « je le comprends » pour dire « je l’approuve  » ou « j’aurai fait pareil à sa place ».
      De même, la proximité de langage entre « intelligence de l’ennemi » et « intelligence avec l’ennemi » fait qu’il y a une quasi interdiction d’être … intelligent. Et ce n’est pas le langage qui borne la pensée, c’est la pensée sous-jacente (entrer en contact, c’est déjà trahir) qui a fourni la base du langage.
      On peut le regretter, mais je ne vois pas comment y échapper …

      • En gros Vals ne sert à rien si ce n’est à parler comme un gamin de primaire, et finalement il aurait pu (dû ?) se taire ou même tenter de proposer une action politique véritablement utile en tentant l’intelligence sans le dire, j’ai bon ?

        • En gros, la pensée politique est du niveau d’un gamin de primaire, Valls (ou n’importe quel autre à sa place) est donc parfaitement dans son rôle en parlant comme un gamin de primaire. Ce qui ne l’empêcherait pas, effectivement d’être intelligent et intelligemment actif, mais ça ne se verra ni ne s’entendra pas sur la place publique.

          • Mouais… je pense que ce sont quand-même les politiques eux-mêmes qui sont à l’origine du phénomène qui les oblige à une compétition dans la bêtise des déclarations. Ensuite je crois que ça les oblige aussi à des actions dont ils ne mesure peut-être pas la portée de la bêtise.
            Je crois qu’un certain nombre de réactions politiques relatives au terrorisme est complètement contreproductive et produit du désordre. Alors certes la montée du désordre permet normalement de légitimer tout renforcement des forces de l’ordre, mais à force cela amène quand-même une crise de régime et au contraire une perte de légitimité profonde.

      • Un roman de SF de ma jeunesse, Babel-17 de Delany traite le sujet de façon élégante.
        Wikipedia : « Depuis des mois, une guerre impitoyable règne entre la Terre, ses colonies unies au sein de l’Alliance, et une race extra-terrestre. La nouvelle arme des envahisseurs est un langage, le Babel 17, qui programme dans l’esprit de celui qui l’apprend une personnalité schizoïde qui le pousse à considérer comme juste tout ce qui, dans cette langue, est qualifié de juste. Ainsi, chaque humain qui a appris le Babel 17, devient-il, en puissance, un traître et un agent de l’ennemi. »

        On retrouve ainsi le thème ancestral du pouvoir considérable de la langue, parlée ou pensée, comme instrument de contrôle de l’esprit, donc de l’action.
        La « Voix » dans Dune de Herbert en est un autre exemple.

        Les fondements de la propagande sont là, mais le pire est quand nous sommes nous mêmes à l’origine inconsciente de la propagande adverse/ennemie en appauvrissant notre propre langue…

    • On pourrait modifier la structure du discours pour éviter de dire qu’on comprend les terroristes ou leurs actes, en disant quelque chose du genre « De ce que je comprends de la situation en question, les terroristes sont dans une logique de ceci ou de cela et ils conçoivent leurs actes par rapport à telle ou telle motivation que je condamne » ; bon le « que je condamne » n’a absolument aucun intérêt mais si c’est obligé…

  • « Au final, ces lois n’ont pas du tout réduit le racisme ».

    Personnellement, je trouve même qu’elles l’ont amplifié: en attisant et en parlant toujours de cela, on fait toujours plus réagir les gens et on alimente le ressenti.
    Avez-vous vu ces jours derniers cette campagne anti-raciste ? Je n’ai jamais vu un tel rejet et autant d’insultes racistes sur les réseaux sociaux.

    • Oui, je pense que ces campagnes obligent à se positionner et le rejet de la campagne conduit au rejet du message véhiculé. Je ne comprends pas comment ils ne peuvent pas avoir compris cela.

      • @sam les médias vivent hors sol et ne fréquentent que des gens qui abondent dans leur sens; par ailleurs ça fait des années qu’ils font du brain washing et ça a marché plutôt bien so far .

        • guilt by association

        • Je crois que l’industrie du mass-media ne se cache pas d’avoir comme cœur de métier la fabrique de l’opinion et la fabrique de l’actualité, déplorant même publiquement de ne plus trop y arriver et d’accuser le monde d’être injuste et leur audience d’être devenue dangereuse à ne plus être passive. De la même manière la crise de la représentation politique se traduit pour eux par la fin des discours performatifs (je me rappelle pour tant de journalistes enthousiastes en 2008 après un discours de Sarkozy sur la fin de la crise du genre « c’est magnifique, il dit que la crise est finie et de fait elle est finie, c’est le retour de la parole performative »… ils étaient plusieurs journalistes à discuter de la chose en toute sincérité).
          Autrefois il y avait une boucle de rétroaction basée sur le modèle économique du mass-media qui s’adressait directement à ses usagers en tant que clients. Aujourd’hui ses clients sont les politiques qui maintiennent un système de licence (fréquences audiovisuelles mais statut du journaliste lui-même) et, avec la détérioration du modèle économique à cause de la démocratisation des moyens de diffusion, les subventionnent. J’imagine que c’est ce que vous résumez par l’expression « hors sol ».

    • D’autant plus qu’il n’éxiste pas un racisme mais plusieurs. Les assos anti racistes pointent toujours le même racisme à savoir le blanc est à l’apothéose du racisme (nous sommes nés comme cela, c’est dans nos gènes). Desproges disait une chose très juste, je combattrais le racisme quand le terme racisme sera au pluriel.

    • Waren: « Au final, ces lois n’ont pas du tout réduit le racisme »

      La gauche a fait bien pire : tous les groupes ont une place dans la société, une image sociale à laquelle ils s’identifient. Et l’identité des immigrés d’Afrique du Nord de deuxième et troisième génération est devenue dans la société française : victime.

      Du début à la fin de l’histoire, de révisionnisme en propagande démagogique où politique voilà la seule identité à laquelle ils ont droit selon ces gens : victime.

      Quant au « racisme » des Français, ils ont été au contraire d’une patience quasis infinie après les années 70 si on compare avec la norme humaine.

  • Perso , c’est la personne qui est surprise que je ne comprends pas … un aveuglement pareil est proprement stupéfiant . Et comme vous dites , ce n’est que le début . Winter’s coming , here come the black walkers

  • Article intéressant. 🙂

  • Tres bien vu,
    ce sont maintenant les blogueurs qui essaient de comprendre, et non plus les chercheurs. Meme si ces bloggeurs peuvent avoir raison, les éléments objectifs qui prouvent leur raisonnement ne sont pas tous à leur portée (recherche des faits pertinents, y compris les éléments connus seulement de la justice, traitements statistiques, etc…).
    Je vous conseille ces 2 blogueurs qui ont un avis assez proches sur la question, et qu’il faudrait étudier plus avant, meme si ce n’est pas politiquement correct.
    https://www.youtube.com/watch?v=7ZWWyXrBK_E

  • Il est en effet important de rappeler qu’éliminer une menace requiert avant tout de savoir comment celle-ci opère et fonctionne. Il est donc impératif d’appréhender la stratégie adverse pour – parfois corriger ses propres errements – pouvoir agir en conséquence l’éteindre définitivement.

    Malheureusement, étant donné le niveau d’intelligence ambiant qui à tendance en plus à descendre a chaque évènement de ce type – sans parler de celles des élites françaises au pouvoir ou non – , je doute que votre parole pleine de lucidité ne soit entendu.

  • Bravo pour cet article qui, par les temps qui courent, demande du courage.

  • « ce mécanisme infernal que nous développons nous-mêmes pour nous aveugler. »
    A ce propos : Un journaliste bien connu œuvrant le vendredi soir sur le service public demandait à ses invités « sil le racisme ant-blanc existe ».
    Admirable de la part d’un français deux mois après les attentats de Paris !!!

    • Puisqu’on vous dit que c’est notre faute, que nous sommes coupables.

    • En effet ça n’a pas vraiment de sens quand les terroristes sont blancs. Mais le mot « racisme » est désormais une sorte de marqueur du tabou, il permet justement de ne pas aller plus loin car il ne saurait être question d’examiner ce qu’est le racisme et comment il est le résultat d’une construction, d’une pensée.

  • comprendre =prendre avec .( ne signifie pas admettre)
    c’est l’outil des sciences humaines, le moyen de l’analyse. Chercher les faits dans leur contextes, en tirer des enseignements des connaissances . C’est un moyens de se mettre dans la peau de l’autre …
    Cela peut diminuer les surprises .
    un autre outil consiste à construire des systèmes efficaces de réactions à la surprise .
    un autre encore consiste à dépister des informations qui n’apparaissent pas comme telles, faires des corrélations pour dévoiler des agissements (très difficile, très particulier),il faut une aisance analytique presque paranoïaque.
    Ensuite il faut se souvenir qu’à l’inverse de le plupart de nos élus , Hitler, Lénine, Pol pot, Khomeiny ont fait ou ont tenté de faire ce qu’ils avaient dit et écrit .

  • Pour le déni de la réalité, entre en compte le narcissisme du décideur : je suis élu ou cadre, donc infaillible. (ex. Bush)
    Recherche : tout dépend qui cherche – or, issus de nos universités, nombre de chercheurs sont téléguidés.

  • @Auteur:
    Pourquoi ne pas utiliser ou associer des mots plus clairs et moins ambigus tels que analyser, s’informer, anticiper, comparer, s’adapter…?

    Bonaparte a eu beau amener ses savants en Egypte pour « comprendre », cela ne lui a guère servi.

  • Ou dit plus synthétiquement: on ne voit que ce que l’on sait.

  • «  »Essayer de comprendre serait même un aveu de faiblesse » » ….
    C’est que, comme bien souvent, les mots sont très mal employés, et détournés de leur sens. il ne s’agit pas de « comprendre », mais d’analyser pour en déduire le pourquoi et le comment, ce que certains raccourcissent en « comprendre », qui peut vouloir dire autre chose.

    • Et ça peut vouloir dire quoi ? Ca ne veut jamais dire adhérer par exemple.
      En fait le souci c’est que certains veulent entendre des déclarations simplistes d’adhésion à toutes les fausses mesures sécuritaires relativement à une solidarité décérébrée avec les victimes, plus simplement que tout le monde se sente une potentielle victime : c’est en fait exactement ce que recherche les terroristes, c’est extrêmement ennuyeux que nos représentants politiques et un certain nombre de journalistes (habituellement associés à ce qu’on appelle rapidement « l’establishment ») aient la même façon de traiter le sujet.
      Ceux qui n’aiment pas le mot « comprendre », pour moi, c’est ceux qui veulent mettre en place les conditions possibles d’un affrontement, la radicalisation de tous, pour légitimer à peu près n’importe quoi sauf la convocation de la Raison.

      Je me trompe peut-être : que peut vouloir dire « comprendre » ? et en quoi ça pourrait poser un problème ?

  • Les commentaires sont fermés.

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Lors d’une émission de la chaîne économique Xerfi Canal, l’intervenant Olivier Passet opère la démonstration que les bullshit jobs conceptualisés par David Graeber (1961 – 2020) mènent inéxorablement au bullshit management.

Une assertion facilement vérifiable par tout individu qui parcourt les entreprises de services numériques où l’armée de managers qui s’affairent de réunion en réunion devrait pourtant alerter tout dirigeant averti sur la détérioration de valeur inhérente à cette réalité.

Une nécessité de correction d’autant p... Poursuivre la lecture

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