Par Wackes Seppi
L’Obs ne craint pas l’obscénité médiatique
Rendons à César, ou plutôt à M. Gabriel Tisserand : nous lui devons l’idée du titre. L’Obs a publié un numéro, du 29 octobre au 4 novembre 2015, en droite ligne d’une expérience – l’illustre numéro de septembre 2012 sur les rats de Séralini – dont on aurait pensé qu’elle aurait servi de leçon.
Couverture putassière, quoique… il y a pire, avec un grand titre muni de l’inévitable point d’interrogation de camouflage « Votre enfant est-il pollué ? » ; mais immédiatement suivi, en plus petit, de l’annonce choc « Les résultats chocs de notre test scientifique » ; immédiatement suivi, parce qu’il ne faut pas démoraliser le lectorat et que la presse, c’est bien connu, fait aussi métier de prescripteur, par : « Comment se protéger des poisons domestiques ».
Poisons ? Poisons ? Mais c’est une obsession chez L’Obs…
Marronnier automnal ? Besoin de thune ? Champ libre à un journaliste qui s’est déjà illustré avec des prêchi-prêcha d’apocalypse, et notamment la régurgitation sans le moindre esprit critique de l’argumentaire de Générations Futures en mars 2015 ?
Une « étude exclusive » exclusivement réservée au journaliste
En page intérieure on nous annonce une « étude exclusive ». Malheureusement, s’agissant de l’exclusivité, ce qui a été fait n’est rien d’autre que le plagiat, sur le plan de la méthode, des « études » de Générations Futures1. Et, s’agissant de l’étude, on restera sur sa faim.
Alors que GF laissait tout de même entrevoir les résultats, L’Obs se contente d’une infographie qui nous apprend, en bref, qu’on a coupé et analysé des mèches de cheveux de 63 enfants âgés de 0 à 12 ans et qu’on a trouvé 20,2 « molécules chimiques » (comme s’il en existait des non-chimiques) en moyenne.
Nature des molécules (chimiques…) ? Doses ? Nature de la perturbation dont se prévaut le journal ? Mais ce ne sont pas des informations dignes d’intérêt… Le lecteur devra se contenter de ce qui a été sélectionné, manifestement pour alimenter un vent de panique.
Le fipronil du minet sur la tête du minot
À commencer par des états d’âme : « [l]a panique gagne soudain le journaliste » qui avait fait don à la science obscienne de mèches de ses trois fils ; et qui « découvre » soudain – ah ! Il n’a pas dû lire les épisodes précédents, ni les « rapports » de GF – que l’on a trouvé du fipronil, du traitement anti-puces de son minet, dans les cheveux de ses trois minots.
On a trouvé du fipronil ? Et on a aussi trouvé un journaliste qui ne sait pas qu’avec du bon matériel, on trouve maintenant partout tout ce qu’on cherche.
Mais paniquons :
« Accessoirement, [le fipronil] c’est un perturbateur endocrinien qui s’attaque à la thyroïde, dont les conséquences sur le développement des enfants sont plus qu’inquiétantes. »
Les « conséquences […] sont plus qu’inquiétantes » ? Le lecteur doit implicitement entendre que les autorités ont permis la mise sur le marché d’un dangereux produit ; en d’autres termes, qu’elles sont irresponsables. Nous, l’irresponsabilité, nous la trouvons ailleurs…
Il est vrai que le fipronil a une action sur la thyroïde. Mais à quelle dose ? Selon l’AFSSA (mars 2005) :
« Pour les expositions liées au contact avec des animaux traités par des médicaments vétérinaires contenant du fipronil, les marges de sécurité qui ont été calculées à partir des estimations fournies par les différents modèles ont été jugées suffisantes compte tenu des hypothèses maximalistes des scénarios. […] Pour les deux types d’exposition (médicaments vétérinaires et produits phytosanitaires et biocides à l’usage des particuliers), c’est pour l’enfant en bas âge que les marges de sécurité sont les plus faibles. Il est donc important d’alerter les utilisateurs sur le respect des précautions d’usage de ces produits au regard du risque éventuel pour les jeunes enfants. »
Notons aussi une étude transversale qui « n’a pas permis de mettre en évidence de lien entre exposition professionnelle au fipronil et fonction thyroïdienne » (c’est nous qui graissons – l’exposition professionnelle étant bien supérieure à une exposition domestique, occasionnelle). Certes, les adultes ne sont pas des enfants, mais l’exposition n’est pas la même.
L’exposition ? GF avait fourni des chiffres : de 0,17 à 113,99 pg/mg. Les unités sont ésotériques. Pour le premier, converti, c’est :
0,000 000 000 17Â g de fipronil par gramme de cheveux.
L’équivalent d’une seconde en… 540 ans. D’accord, il s’agit de nos chère têtes blondes et d’inquiétants perturbateurs endocriniens. D’ailleurs, il suffit que l’AFSSA ait évoqué une action sur la fonction thyroïdienne pour que, dans le monde de la pétoche et de la chimiophobie, le fipronil soit suspecté d’être un perturbateur endocrinien.
Notez aussi que GF a donné des résultats au centième de picogramme, ce qui illustre la puissance analytique des instruments modernes.
Les résultats sont donc « proprement effarants » – car, dans les mèches de cheveux, « les perturbateurs endocriniens, des substances chimiques qui dérèglent les hormones, s’y bousculent ! »
Ah ! L’agent orange !
Un prêche d’apocalypse ne saurait faire l’impasse :
« Et quelle surprise de trouver des traces d’acide 2,4-dichlorophénoxyacétique, qui entre dans la composition de l' »agent orange » […]. » (C’est nous qui graissons.)
Surprise ? Cet agent au nom à rallonge plus connu sous l’abréviation 2,4-D, bien moins effrayante, est autorisé en France, même pour le désherbage des gazons et l’élimination des liserons dans les jardins d’amateurs. Mais c’est que « ce défoliant [l’agent orange] […] continue de provoquer des vagues de cancers et de malformations dans ce pays. »
La rhétorique de la peur des pesticides convoque nécessairement l’agent orange et le Vietnam à la barre pour le procès en sorcellerie français. Un agent orange décrit ici au présent de l’indicatif comme s’il était toujours utilisé. Et, pour la convocation, c’est-à -dire la condamnation, il suffit de traces.
À quoi bon se documenter ? L’argument est trop séduisant et, malheureusement, percutant ; et il s’écroule quand on apprend que le problème de l’agent orange est lié à la dioxine, une impureté présente dans un autre herbicide, le 2,4,5-T (et encore, cela dépendait du procédé de fabrication) ; que l’agent orange était largement surdosé par rapport à un usage agricole ; qu’il était déversé sur les gens et leurs lieux de vie.
On ajoutera – dans le contexte d’une autre malveillance largement diffusée, ayant acquis le statut de vérité goebbelsienne – que Monsanto n’a pas été le seul à produire l’agent orange (il y eut aussi Dow Chemical et une dizaine d’autres) ; et que les entreprises avaient répondu à des commandes impératives du gouvernement états-unien.
Le 2,4-D ne contient pas de dioxine et reste un des herbicides les plus utilisés dans le monde. Surprise ?
Convoquer l’OMS
L’appel à l’autorité, avec au besoin quelques libertés dans la citation, fait aussi partie de la boîte à outils :
« Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la Santé, il existe « environ 800 » substances chimiques « reconnues ou susceptibles » d’être perturbatrices, dont « l’écrasante majorité […] courante sur le marché, n’a fait l’objet d’aucun test » pour identifier leurs effets réels. »
Cela semble tiré d’une publication conjointe de l’OMS et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (ce dernier étant une bonne source de sinistrose environnementale), « State of the science of endocrine disrupting chemicals – 2012 »2.
Mais le patchwork cité plus haut reflète un péché mignon de la littérature millénariste : c’est un télescopage de deux phrases pour attiser les peurs.
L’OMS et le PNUE disent en fait trois choses :
- Il y a près de 800 substances reconnues ou suspectées.
- Une petite fraction de ces substances a été examinée « dans des tests capables d’identifier les effets endocriniens manifestes dans des organismes complets » (c’est nous qui graissons).
- « La très grande majorité des substances chimiques actuellement dans le commerce n’ont pas du tout été testées. »
Ce rapport met le doigt sur une réalité fort déplaisante pour le monde de la contestation : il y a beaucoup de perturbateurs suspectés, peu de perturbateurs avérés, pour lesquels il faut ensuite établir la matérialité des risques encourus par la population.
Ajoutons tout de même la suite avec une traduction fort littérale pour faire ressortir les convulsions rédactionnelles :
« Ce manque de données introduit des incertitudes significatives au sujet de l’étendue réelle des risques issus des substances chimiques qui pourraient potentiellement perturber le système endocrinien. »
Les marchands de peur ont du mal à intégrer dans leurs bréviaires le fait que, notamment, l’espérance de vie continue d’augmenter. Nous n’avons pas tout testé ? Le faut-il vraiment ?
Le sophisme du « principe de précaution »
Il y a certes des risques…
« … [la] réalité [des nombreuses nuisances prêtées aux perturbateurs] fait aujourd’hui consensus chez les scientifiques. »
La Palisse est à l’Å“uvre ! L’effet du perturbateur est évidemment de… perturber. Et nous ne connaissons pas de scientifique qui rejetterait cette assertion.
Il y a aussi des bénéfices. C’est ce que rappelle M. Rémy Slama, épidémiologiste environnemental à l’Inserm et directeur de recherche à l’Université de Grenoble. L’article examiné ici n’est donc pas exclusivement à charge. Encore que… cette réalité des bénéfices est vite balayée :
« Il n’est même pas possible de se retrancher derrière les incertitudes scientifiques. »
C’est extraordinaire ! La quasi-intégralité du discours de la peur est en effet fondée sur l’incertitude scientifique – et le renversement revendiqué de la charge de la preuve. Si donc le monde moderne n’arrive pas à  démontrer qu’une substance n’est pas un perturbateur endocrinien, alors il ne faut pas se retrancher… et appliquer le « principe de précaution ». Or une absence d’effets est indémontrable si l’on cherche une certitude absolue. Donc, comme il n’y a pas de certitude (absolue)…
Et Mme Michèle Rivasi, membre du Parlement européen, de nous livrer un beau sophisme :
« Il serait tout à fait possible, au nom du principe de précaution, de bannir toutes les molécules dangereuses quand on sait qu’il existe des molécules de substitution. »
Cela vient évidemment avec un yaka de circonstance : pour les autres, yaka mettre le couteau sous la gorge des industriels pour qu’ils trouvent les molécules de substitution (que l’on s’empressera de suspecter d’être des perturbateurs endocriniens, cancérogènes, reprotoxiques, etc., ce qui réalimentera le moulin de la contestation de la société moderne).
Le profit avant la santé ?
Mais, c’est que « il y a d’énormes intérêts économiques en jeu… » Il faut traduire – c’est simple, Mme Stéphane Horel, grande pourfendeuse des méchants lobbyistes de l’industrie, entre ici en scène dans l’article : l’industrie préfère empoisonner ses clients, certes indirects, plutôt que de voir ses profits entamés.
C’est la conclusion de l’article :
« Éliminer tous les perturbateurs présents dans nos maisons et nos assiettes coûterait en effet beaucoup d’argent et d’énergie aux entreprises concernées… qui se préoccupent peu de la santé publique et du petit garçon pollué par son matou. »
C’est affreux, cette vision manichéenne et myopique. Trouvera-t-on un jour des hebdomadaires de la bien-pensance qui comprennent que les dirigeants et les salariés des entreprises sont aussi concernés par la santé publique ? Qu’une substitution de molécule peut être l’occasion d’augmenter ses profits ? Qu’au final c’est toujours le consommateur qui paye ?
—
- Le filon étant inépuisable, il y a eu des « études » sur les cheveux des salariés viticoles et des riverains, ainsi que sur des femmes en âge de procréer. On attend celles sur les grenouilles de bénitier fréquentant des églises où on ne lésine pas sur l’encens. ↩
- « Close to 800 chemicals are known or suspected to be capable of interfering with hormone receptors, hormone synthesis or hormone conversion. However, only a small fraction of these chemicals have been investigated in tests capable of identifying overt endocrine effects in intact organisms.
- The vast majority of chemicals in current commercial use have not been tested at all.
- This lack of data introduces significant uncertainties about the true extent of risks from chemicals that potentially could disrupt the endocrine system. » ↩
Merci infiniment pour ce décodage. On apprend beaucoup à vous lire.
Je me dis qu’il faut intégrer un cours au lycée sur la méthode scientifique. Comment lire une étude ? Comment détecter les mauvaises ? Où trouver des sources fiables ?
Salut bisamme.
si ça continue on va demander aux coiffeurs de trier leurs déchets : ces cheveux pleins de produits chimiques dans les poubelles communes !…
Notons au passage que le lait de soja est un perturbateur endocrinien. Combien de journalistes de l’obs s’intoxiquent sans s’en douter ? Cétroporible !
Très bon article, merci à l’auteur ! Le ridicule est la seule méthode qui marche contre les prêcheurs d’apocalypse et autres receleurs d’angoisses en gros.
L’Obs, combien de subventions ?
Purée …
Dire qu’à 10/12 ans j’aidais on grand-père ) sulfater ses vignes et à souffrer ses tonneaux.
je l’aidais même à confectionner ses cartouches et à macérer ses filets de pêche dans du thé.
J’ai même mangé du lièvre cancérigène , ou du lapin, ou des perdrix, ou des gardons.
Et je suis encore en vie et en pleine santé. Mais que fout l’OBS, et quel le **** qui a pondu cet article.
Il n’y a un qu’un poison en France, c’est le socialisme. Et c’est un poison mortel.
Effectivement, à la lecture effarée des torchons de propagande éhontée qui servent de manuels scolaires, il est grand temps d’équiper les enfants de masques à gaz, voire de combinaisons NBC.
Ce n’est pas de chance! cette molécule et ses variantes a été largement étudiée, si on lit la page très fouillée que Wikipédia lui consacre
La molécule a donc bien été étudiée et son usage a été très controversé à cause de sa dangerosité probable … sur les ABEILLES à miel « domestiques » et famille « sauvage ».
On l’utilisait essentiellement d’ailleurs pour insecticide contre les acariens, la galle, les tiques, les puces! Tant en médecine vétérinaire qu’en agriculture pour enrober les semences (procédé interdit depuis 2013): avantage et inconvénient: la molécule est douée d’une grande longévité efficace (ce qui fait qu’on la retrouve telle quelle dans les poils ou les cheveux et dans la terre via les semences!).
Il semble que pour les mammifères et les oiseaux (donc l’homme), aucune toxicité n’a été retrouvée sauf, peut-être pour les enfants en bas-âge (jusqu’à 12 ou 18 mois), ni aux doses habituellement utilisée, ni chez le personnel de fabrication ou les agriculteurs utilisateurs.
Il est clair qu’il existe probablement parmi tous les produits utilisés, des produits bien plus toxiques sur le marché. (Les agriculteurs devraient d’ailleurs être mieux informés objectivement sur ce qu’ils stockent dans leur ferme et les précautions d’utilisation à observer: il ne faut qu’ils paient un tribut spécialement lourd, puisqu’ils accumulent les risques avec des quantités plus importantes).
Le procédé « épidémiologique » qui s’est bien développé (grâce à l’informatique) se montre efficace quand, partant de l’observation de la fréquence anormalement élevée d’une pathologie en un point géographique (ou professionnel, par exemple), une alerte peut être lancée, donnant lieu à une enquête scientifique pour isoler le produit (ou le phénomène « naturel ») suspect, avant de tenter d’expliquer (prouver) le lien de cause à effet.
La population n’a pas tort de s’occuper de sa santé et plus spécialement de son alimentation. C’est normal. Ce qui n’est pas raisonnable, c’est le côté émotif réagissant à toute rumeur, provienne-t-elle d’un « journaliste » croyant avoir découvert un scoop ou un scandale. (Et bonne chance pour suivre tout ce que racontent les « journalistes » pseudo-conseillers en diététique, dénonçant un nouveau produit tous les jours, alors que, le plus souvent, c’est bien l’abus qui est parfois toxique.
Mais la vie est la prise d’un risque mortel sûr et certain!
Et il est bon de lire ce genre d’article bien clair pour redresser ces attitudes irraisonnables.
bravo, excellent papier , comme les 2 précédents d’ailleurs.
J’ai une solution pour le retour de la croissance : insérer la production de bullshit écolo-socialaud-SJW dans le PIB…
Encore un pisseur de feuille de chou. Quand ça m’énerve vraiment, je dis un vendeur de merde. Et là , c’est factuel.