Politiques monétaires : ses errances modernes

Comment est-il possible de croire qu’injecter des milliards chaque mois n’aura « au pire aucun effet » ?

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Mario Draghi en juin 2014 (Crédits : ECB European Central Bank, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

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Politiques monétaires : ses errances modernes

Publié le 26 février 2015
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Par Nathalie Janson.
Une note de Génération Libre

Mario Draghi en juin 2014 3 (Crédits ECB European Central Bank, licence Creative Commons)
Mario Draghi en juin 2014 3 (Crédits ECB European Central Bank, licence Creative Commons)

 

Jeudi 22 janvier c’était le satisfecit général. Mario Draghi avait annoncé qu’il frapperait fort après les fêtes : dans le plus grand respect du forward guidance, Mario Draghi a présenté un plan de « Quantitative Easing » européen avec un programme de rachat de titres de presque 1200 milliards d’euros sur 18 mois. Les investisseurs ont réservé un accueil à la hauteur de l’événement. Alors que l’on aurait pu s’attendre à un effet modéré – l’annonce de Draghi avait largement été anticipée – l’effet fut immédiat et largement positif en raison de l’annonce d’un programme plus généreux que prévu. Avec une hausse de 8%, le mois de janvier 2015 fut l’un des meilleurs mois boursiers depuis 2008.

Mario Draghi a profité des auspices favorables consécutifs à la décision de la Cour européenne validant le programme de rachat de dette OMT (« Outright Monetary Transactions »), et mettant ainsi en minorité les Allemands. Mario Draghi a donc annoncé l’achat mensuel de 60 milliards de titres, publics et privés, sans préciser davantage leur proportion respective. Pour contenter les Allemands, ce programme ne sera pas basé sur le principe de la mutualisation des risques : les risques seront portés à 20% par la BCE et à 80% par les banques centrales nationales. En outre, le rachat possible de titres souverains se fera dans la limite de la part de chaque État membre au capital de la BCE.

De l’avis de tous, Mario Draghi ne pouvait pas faire autrement que d’annoncer un tel programme même si de sérieuses réserves sont émises quant à son efficacité , notamment pour des pays comme la France.

Pour les plus critiques, le programme au pire n’aura pas d’effet. En somme le programme de rachat sera un formidable révélateur de la capacité des États membres à se réformer. Ainsi la politique n’aura d’effet que dans les pays qui auront su créer les conditions de la reprise du crédit. Mais comment est-il possible de croire qu’injecter des milliards chaque mois n’aura « au pire aucun effet » ?

Le drame du monétarisme…

Des décennies de monétarisme ont eu la vertu de faire comprendre qu’un surplus de monnaie finissait toujours par se traduire par de l’inflation et que l’inflation était préjudiciable au calcul économique et donc à l’activité économique. En simplifiant et en caricaturant à l’extrême, une économie où la quantité de monnaie augmenterait de façon permanente, sans croissance de la production, serait caractérisée par une hausse des prix continue, le surplus de monnaie n’ayant rien « à acheter » en termes réels. C’est pourquoi le monétarisme a préconisé en son temps le respect de la règle monétaire suivant laquelle le taux de croissance de la monnaie devait être constant. À noter qu’aujourd’hui on pourrait objecter qu’il y a un découplage entre la quantité de monnaie injectée et l’inflation puisque malgré les interventions massives des banques centrales, il n’y a pas de signes d’inflation. Mais la réalité est trompeuse dans la mesure où la crise des subprimes aurait dû conduire à une déflation plus sévère qu’elle ne l’a été, ce qui prouve bien l’existence d’une certaine forme d’inflation… La règle monétariste a progressivement été réinterprétée puisque les banques centrales respectaient, avant la crise, une règle où la croissance de l’offre de monnaie suivait le taux de croissance potentielle de l’économie, pour que la monnaie joue pleinement son rôle d’accompagnateur de la croissance économique. C’est ainsi qu’il faut interpréter le recours à l’objectif de croissance des prix que se sont fixées certaines banques centrales comme la BCE. C’est un moyen d’objectiver la stabilité des prix et de contenir les risques d’inflation. Cependant, la règle des 2% n’est donc en aucun cas un minimum à atteindre mais plutôt un maximum de ce point de vue. On notera au passage à quel point Mario Draghi détourne le message aujourd’hui puisqu’il justifie son action dans le but de retrouver une inflation de 2%, laissant entendre qu’une inflation est nécessaire à la croissance économique.

Les effets Cantillon aux oubliettes…

Si la théorie quantitative de la monnaie est utile pour démocratiser l’idée que la croissance monétaire doit éviter d’excéder la croissance de l’activité économique, elle passe sous silence que la monnaie est tout sauf neutre pour l’économie ! Faire varier l’offre de monnaie a des incidences non négligeables et créent des gagnants et des perdants. C’est ce qui s’est passé le 22 Janvier 2015. Les premiers grands bénéficiaires sont les investisseurs sur les marchés financiers. En effet, la mise en œuvre du QE dans la plupart des économies développées – ce n’est pas encore le cas de la Chine par exemple – passe par les opérations d’open market qui consistent en l’achat temporaire (en période normale) ou définitif (aux USA) de titres publics et privés. Mécaniquement, le fait que la Banque Centrale se porte acheteuse de titres fait augmenter leurs valeurs sur le marché. En outre, si la banque centrale explique aux marchés que son action sera répétée sur une période de temps longue, les intervenants vont légitimement anticiper une période de hausse prolongée. Il s‘ensuit des effets de richesse, comme on a pu le noter aux USA, mais ces effets ne sont guère partagés par le reste des acteurs économiques. En somme, Mario Draghi contribue directement à améliorer le bien-être de ceux vilipendés lors de la crise de 2007, les « méchants spéculateurs ». Plutôt que d’essayer en vain de contenir les bonus, il serait sans doute plus approprié d’arrêter d’arroser le marché de liquidités dont les premiers bénéficiaires sont les investisseurs financiers !

Par ailleurs, si les taux d’intérêt d’intérêts sont maintenus à des niveaux « artificiellement » bas, alors des décisions économiques seront prises sur des bases erronées. En effet, le niveau des taux d’intérêt affecte le calcul de rentabilité des investissements et des projets qui n’auraient pas été entrepris le sont ! Ces projets ne seront sans doute plus rentables dès lors que les taux d’intérêt remonteront. Le maintien « artificiel » des taux d’intérêt par la banque centrale créé les conditions d’une crise économique future : c’est la théorie du « malinvestment » chère à l’école d’économie autrichienne. Par ailleurs, même si les banques ont, jusqu’à maintenant, faiblement transformé en prêts additionnels, préférant laisser les liquidités obtenues sur leur compte à la banque centrale, les happy few emprunteurs sont également les gagnants de ce système puisque Mario Draghi veut raviver l’inflation. La situation ne pourra évoluer que vers une inflation positive et des taux d’intérêt plus élevés. Heureux ceux qui peuvent s’endetter aujourd’hui : qu’ils le fassent à taux fixe sur la durée la plus longue possible !

Il semblerait bien que les banquiers centraux soient tombés sur la tête ! Leur obsession d’un retour à l’inflation – qui n’a en réalité jamais disparu quand on voit les bulles sur les marchés… – n’a rien d’encourageant. Penser que l’inflation redonnera le moral est une ineptie. Qu’y-a-t-il de si réjouissant de payer plus cher demain ?

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  • L’inflation redonne le moral … à celui qui ramasse l’argent sans rien dépenser de sa poche

  • 1ère ligne de l’article, lire jeudi 22 janvier 2015

  • L’inflation permet le transfert de richesse entre des investisseurs vers les emprunteurs. Les ménages étant structurellement « investisseurs »/ »épargnants » (ils vieillissent et veulent lisser leur consommation) alors qu’entreprises et Etats sont structurellement demandeurs (ils ont besoin d’argent maintenant et espèrent en avoir demain, sans crainte de mourir).
    La déflation créée un transfert de richesse en sens inverse, depuis les endettés vers les prêteurs.

    Nos gouvernements, nos médias, etc. sont endettés. Avec de l’inflation ils prélèvent délicatement un tribut sur ceux qui préparent leurs avenirs…

    • Les entreprises n’ont pas des taux de 1 à 2% comme peuvent l’avoir les particuliers qui investissent dans un bien immobilier. Elles ne sont donc pas avantagées. A moyen terme, les banques prêteront à nouveau un peu aux entreprises, surtout les PME.

      Les couillons, ce sont ceux qui ont du cash. particuliers et entreprises.

      • Ca dépend lesquelles. Des 10 obligations GE en CHF, 7 ont des rendements négatifs. Philip Morris et Mc Do ont aussi des obligations à rendement négatif. Celles en euros sont dans les 0.15%. Maintenant, avoir de l’argent gratuit, ce qui conduit à en faire n’importe quoi parce qu’il n’y a pas non plus d’utilisation qui rapporte sûr, n’est pas forcément un avantage. Toute la question est comment on va sortir de cette situation.

      • La question n’est pas vraiment là. Le taux quel qu’il soit ne change rien à ce transfert.
        Au fur et à mesure que l’inflation se manifeste la valeur de remboursement et la valeur des intérêts en termes de consommation/investissement possible diminue. Cette diminution fait que celui qui emprunte une somme de X rembourse moins s’il y a inflation et plus s’il y a déflation.

        Ce transfert de richesse se fait depuis TOUS les prêteurs et est en faveur de TOUS les emprunteurs, indépendamment du taux. Bien sûr si on anticipe cela suffisamment on demande un taux plus haut pour compenser, et donc celui qui prête à des taux bas (les particuliers en direct) y perd le plus, et celui qui emprunte à taux faibles (l’État et les endettés immobilier) est plus encore favorisé.

        Les entreprises endettées (en général les gros machins industriels, de service, etc. dont le buisness est mûr et sûr) bénéficient aussi de cet effet. Moins que l’Etat, mais tout de même. Celles qui ne le sont pas (soit qu’elles soient très performantes, soit qu’elles soient très risqués, soit qu’elles soient jeunes) n’ont pas ce transfert en leur faveur.

        L’inflation est donc vraiment une plaie qui pénalise l’innovateur prenant des risques, la nouvelle entreprise, l’investisseur, l’épargnant, et favorise l’État (le fameux impôt caché dont parle Rothbard), mais aussi les grosses entreprises installées (qui font souvent du « crony-ism ») et les propriétaires immobiliers à crédit…
        Pas étonnant donc que la clique habituelle de parasites soit si fan d’inflation.

  • 3em paragr  » ….démocratiser l’ idée…… » Que signifie ce charabia ? ne s’ agit il pas de vulgariser ?

    L’ auteur a raison il y a des effets de richesse et certains spéculateurs gagnent mais qu’ en font ils ?
    Si vous investissez ou jouez 100 000€ que vous ayez une + v de 50% sur 6 mois vous vendez donc pour env 150 000 et vous serez plus enclins à les jouez en tout ou partie de nouveau en acceptant de prendre + de risques ce qui profite aussi ( que le fisc) à des petites sté qui se présentent sur les marchés comme Alternext ces sous qu’ elles reçoivent des actionnaires seront utilisés bien ou mal

  • Le drame de la théorie monétariste c’est qu’elle repose sur des fondements branlants et se trouve contredite par la réalité. Fondements théoriques branlants parce que reposant sur les postulats et les conceptions de l’économie orthodoxe ébranlés depuis longtemps maintenant : existence et stabilité de l’équilibre, conception statique et non dynamique de l’économie, homogénéité des agents économiques (vous abordez d’ailleurs ce point en évoquant l’effet Cantillon). En contradiction avec la réalité : je pense en particulier à l’étude empirique de Phillips confirmée ensuite malgré lui par Lucas, montrant une corrélation négative entre taux de chômage et inflation, mais également aux travaux de l’économiste d’entre-deux guerres Aftalion qui montre dans Monnaie, Prix et change que la croyance selon laquelle la variation de la masse monétaire implique une variation des prix peut aussi bien être vérifiée que pas du tout.

  • Les commentaires sont fermés.

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