Communication non violente : se libérer du conflit

Ou comment les principes du libéralisme sous-tendent une résolution efficace des conflits.

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Communication non violente : se libérer du conflit

Publié le 19 mars 2014
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La communication non violente révèle l’harmonie des intérêts individuels et localise le conflit dans les stratégies et formes de communication employées. Ou comment les principes du libéralisme sous-tendent une résolution efficace des conflits.

Par Baptiste Créteur.

communication

Origines et principes

Inspirée de plusieurs formes de thérapie, la communication non violente est née dans le cabinet d’un thérapeute, à la différence de nombreuses théories en matière de communication formalisées par des universitaires. Créée par Marshall Rosenberg dans les années 1960, la communication non violente se veut avant tout un mode de résolution des conflits, mais peut s’appliquer à toute communication. Le terme « communication non violente » désigne aussi bien la théorie que son application.

Elle repose sur l’idée que les conflits qui naissent entre les individus ou groupes découlent d’une mauvaise communication de leurs besoins, résultant d’un langage qui vise à contraindre ou manipuler, à générer notamment peur, culpabilité et honte. Ce mode « violent » de communication, dans un conflit, en distrait les protagonistes et les empêche de clarifier leurs besoins, sentiments, perceptions et requêtes, perpétuant ainsi le conflit.

Les « chacals », violence du langage

Tout ce qui est dit avec intention d’accuser, juger, insulter, exiger, critiquer, comparer, punir ou étiqueter est un « chacal », qui provoque des réactions défensives, fait naître le ressentiment ou provoque une contre-attaque de « chacal » à destination de leur émetteur.

Les « chacals » sont souvent dirigés vers autrui (« c’était pas malin », « c’est ta faute », « tu ne m’écoutes jamais »), mais peuvent aussi être auto-adressés (« quel con », « personne ne me comprend »). Nous faisons souvent de choses anodines des chacals, percevant une affirmation neutre comme méprisante, insultante, agressive.

Les « chacals » ne sont pas nécessaires. Les besoins des individus ne sont pas en conflit ; ce sont  leurs stratégies pour les satisfaire qui le sont.

La nature du besoin

Deux personnes désirant la même promotion sont directement en conflit. Mais obtenir cette promotion n’est qu’une stratégie possible de réponse aux besoins des deux collègues, qui peuvent par exemple être à la recherche d’une meilleure sécurité matérielle, d’une plus grande reconnaissance de leur apport à l’entreprise. Ils pourraient tout aussi bien changer d’employeur, prendre de nouvelles responsabilités dans leur entreprise, demander simplement une augmentation.

Nos besoins sont similaires en nature, mais à des niveaux d’intensité différents. Il existe des catégories de besoin : sécurité matérielle, confort, reconnaissance, respect, épanouissement. Exprimer ses besoins par des « chacals » rend la satisfaction des besoins conflictuelle ; pour prévenir ou désamorcer le conflit, il faut y substituer une formulation positive du besoin.

Communication, mode d’emploi

La communication non violente commence par l’observation des faits, détachés de tout sentiment ou interprétation. Il faut ensuite s’intéresser aux sentiments, qui sont notre propre interprétation et vision de la situation. Ils naissent en nous et personne ne les influence. Les faits sont, en quelque sorte, ce que l’interlocuteur et nous-mêmes posons sur la table ; les sentiments sont la façon dont nous l’analysons, dont nous le « prenons ».

Les sentiments seraient l’expression de besoins non satisfaits. La colère peut par exemple résulter d’un besoin non satisfait de respect, le sentiment de confusion d’un besoin d’honnêteté. Il faut distinguer les besoins des stratégies qui permettraient de les remplir.

La compréhension des besoins permet ensuite de formuler une requête, présentant une action spécifique de la part de l’interlocuteur. Il doit pouvoir y répondre favorablement ou défavorablement sans qu’on cherche à le forcer à agir ; la requête n’est pas un ultimatum.

Par exemple, « Je ne supporte plus tes retards systématiques » peut devenir « Si l’heure habituelle de nos rendez-vous ne te convient pas, peux-tu me communiquer un horaire plus adapté ? » ou « Pourrais-tu à l’avenir me prévenir si tu penses arriver en retard ? ». Et si la ponctualité semble hors de portée de l’intéressé, l’accepter ou cesser une collaboration problématique.

La communication peut aussi chercher à pousser l’interlocuteur à exprimer ses attentes et besoins en structurant l’échange par les composantes de la communication non violente : dire « J’ai le sentiment que tu es irrité et as besoin de plus d’honnêteté dans nos échanges » lui permettra de confirmer ou préciser ses besoins réels.

Le conflit des stratégies, l’harmonie des besoins : une communication libérale ?

Il n’est pas toujours possible, et sans doute pas toujours bénéfique, de s’abstenir de juger. Mais la prévention de conflits par nature superflus est toujours préférable.

La théorie libérale substitue elle aussi à des interactions conflictuelles une harmonie des intérêts. En préférant la libre coopération à la coercition, en laissant chacun libre d’accepter ou refuser un échange, en rendant l’individu responsable de ses choix, le libéralisme s’éloigne des visions clivantes de la société où les intérêts divergents de ses membres sont réunis de force et fait reposer l’harmonie sociale sur des interactions choisies et mutuellement bénéfiques.

La convergence naturelle des intérêts, et les stratégies pour les atteindre comme lieu unique du conflit, sont proches sinon intégrées dans la catallaxie de Mises ; on les retrouve aussi dans l’objectivisme, notamment dans ce passage de La Grève1 :

Les intérêts des hommes n’entrent jamais en conflit – ni dans les affaires, ni dans l’échange, ni dans leurs désirs les plus personnels – s’ils ne placent pas l’irrationnel dans l’ordre du possible et la destruction dans l’ordre du pratique2. Il n’y a pas de conflit, rien n’appelle au sacrifice, et aucun homme ne menace les objectifs d’aucun autre – si les hommes comprennent que la réalité est un absolu avec lequel on ne triche pas, que le mensonge ne fonctionne pas, qu’on ne peut avoir ce que l’on n’acquiert pas, qu’on ne peut donner ce qui n’est pas mérité, que la destruction d’une valeur qui existe ne peut en donner à ce qui n’existe pas.

Nous sommes responsables des émotions qui naissent en nous, car elles sont la réponse au réel que génèrent nos valeurs. Nous sommes aussi responsables des objectifs que nous cherchons à atteindre et des moyens que nous déployons pour ce faire. Mais pour pouvoir être responsable, encore faut-il être libre ; la liberté est à la fois un besoin de l’homme et la meilleure stratégie pour satisfaire harmonieusement tous les autres.

  1. Avec l’idée, chez Rand comme chez Mises, que l’homme trouve dans la raison la seule stratégie rendant son action bénéfique et pertinente pour l’atteinte de ses objectifs.
  2. C’est-à-dire si la raison guide le choix de leurs objectifs et la compréhension de leurs besoins, et si la production, la coopération et l’échange librement consentis sont les moyens qu’ils se donnent pour les atteindre.
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  • Et j’ajouterai Rand : « Le symbole de toute relation entre de tels hommes, le symbole moral du respect de l’être humain, c’est le commerce. Nous qui vivons de nos valeurs et non du pillage, sommes des commerçants, à la fois matériellement et spirituellement. « .

  • Moi j’ajouterai que C Rogers a lui aussi réfléchi sur les relations interpersonnelles.
    Pour solutionner le problème des barrières qui s’opposent à la communication ( notamment la tendance à l’évaluation) il faudrait que chacune des différentes parties arrive à comprendre l’autre du point de vue de l’autre.  » Plus Y ressent la communication de X comme étant une congruence de l’expérience, de la conscience et de la communication, plus la relation entraînera une compréhension mutuelle plus exacte, une satisfaction mutuelle dans leurs rapports, un ajustement et un fonctionnement psy accrus chez tous les 2″.

    • Marshall Rosenberg est un élève de Carl Rogers, ce qui explique sans doutes une certaine proximité des approches.

  • Rapprocher Ayn Rand de la communication non violente c’est un peu le grand écart. Son style, certes brillant, est tout de même au service d’une communication particulièrement clivante, avec condamnation de l’autre aux flammes éternelles au moindre désaccord. En plus elle est souvent et visiblement plus animée elle-même par ses passions que par sa raison – c’est même un trait caractéristique de son travail.

    La CNV quant à elle est me semble surtout un ensemble de techniques pour résoudre les conflits ou faciliter les relations entre les personnes sans qu’il soit nécessaire de vouloir relier ces techniques à une philosophie, y compris celle de son auteur. C’est du moins sous cette forme presque pûrement pratique que je l’ai vue enseignée dans le cadre de la formation professionnelle.

    Si maintenant on veut – et pourquoi pas – relier CNV et philo, je pense plutôt à une approche thomiste selon laquelle il existe des contenus de vérité dans les discours apparemment faux (Maritain parle de « vérités captives »). Ces contenus peuvent être appréhendés par le dialogue ouvert alors que la critique (qui a cependant bien sûr sa place à un certain moment) bloquera celui-ci sans épuiser le sujet. Critiquer, même à raison, n’est pas comprendre.

    • Il y a Caron qui parle des « vérités captives  » aussi? il me semble avoir feuilleté un ouvrage où il y fait référence.
      Je ne pourrais discuter sur ce sujet avec vous, n’ayant aucune connaissance à propos de la pensée de Maritain, quand à St Thomas d’Aquin, je ne m’y risque pas. Par contre je veux bien que vous m’expliquiez cette histoire de « vérités captives » en lien avec la Vérité? Il y a la transcendance aussi dans tout cela(dans mes souvenirs)?je ne suis pas sûre de comprendre.

      • J’ai entendu parler de cette notion par Jean DAUJAT, philosophe thomiste et élève de Maritain dont j’ai écouté le cours de philosophie (en mp3 – jean DAUJAT est mort il y a 15 ans). Il n’utilisait pas le terme de « vérité captive » mais développait l’idée que dans les philosophies qui ont un certain succès il y a une part de vérité qui d’ailleurs explique à la base leur succès car l’erreur pure ne fonctionne pas. Le philosophe voit quelque-chose que les autres n’avaient pas vu avant lui mais comme il veut par ailleurs tout expliquer, il va bâtir un système qui déformera les vérités perçues en leur donnant une forme et une portée qu’elles n’auraient pas dû avoir. DAUJAT développe ceci dans son cours sur des exemples assez simples qu’il tire des philosophes grecs ou modernes. Et il dit que le thomisme se distingue des philosophies de système en ce qu’il permet de rendre compte des vérités qui se trouvent chez les autres. Pour peu qu’on y travaille il peut en quelque-sorte les absorber.

        Précisons que j’ai été convaincu que ceci était vrai, non par DAUJAT lui-même mais par recoupement avec ce que je savais par ailleurs du thomisme. J’avais par exemple été impressionné par la façon d’écrire de SAINT THOMAS dans sa Somme Théologique : il pose sa question, donne les arguments contraires à sa thèse, développe sa thèse puis finis en reprenant l’ensemble des arguments contraires pour en restituer la part de vérité, avant de passer à la question suivante.

        Le terme de « vérité captive » je ne l’ai pas lu directement chez MARITAIN – dont j’ai lu juste un ou deux livres mais qui ne parlaient pas de ça et son œuvre est énorme. J’en ai entendu parler par un de ses élèves (j’ai oublié son nom) interviewé à la radio et qui avait écrit un livre sur lui. J’ignore donc où ceci se trouve au juste chez Maritain mais j’ai conservé l’expression car je trouve qu’elle est très juste. Elle correspond bien à ce que j’ai pensé plusieurs fois en lisant un texte ou en écoutant quelqu’un avec qui je n’étais pas d’accord globalement. Je me disais qu’il y avait du vrai dans le discours, que ce vrai je ne l’avais pas en moi mais que d’autres éléments conceptuels que j’avais plus ou moins à ma portée devraient me permettre de le récupérer. En même temps je voyais bien qu’il ne suffisait pas de claquer des doigts et je m’arrêtais là pour cause de fainéantise. Mais il y avait bien cette idée sur laquelle le terme de « vérité captive » met une étiquette pertinente : la vérité est bien là, mais pas sous une forme exploitable car elle est prisonnière d’un système par ailleurs faux et si on veut vraiment l’en extraire il faut un réel travail pour la délivrer.

        Enfin CARON, je ne connais pas du tout son travail (je ne vois pas qui c’est) mais si ça se trouve il développe une notion très proche voire identique.

        • Oui Rosenberg était un élève de Rogers, c’est pour cela que j’ai pensé à lui, pour compléter!
          Je pense que je comprends le concept de  » vérités captives »: l’idée c’est que le fond est juste, mais le chemin pour y parvenir beaucoup trop sinueux est quasi impraticable?
          M Caron est un philosophe contemporain dont j’ai ouvert un bouquin lors d’un moment d’égarement dans une librairie, c’est la même idée que la votre, ça m’avait marqué. Une petite recherche Google m’aidera sûrement à en savoir plus.
          Merci de m’avoir éclairé sur le sujet!

          • Avec plaisir !

            Je suis obligé cependant d’apporter un petit bémol à cette reformulation. Ce n’est pas que le fond soit juste. Le discours peut fort bien sur le fond être faux, néfaste, satanique et tout ce que l’on voudra, et pour autant contenir certaines vérités captives qui le rendent justement attrayant, assurent son succès et d’une certaine manière le rendent d’autant plus dangereux.

            Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un discours est faux, néfaste, satanique etc. qu’il ne porte pas en lui des vérités qu’un autre discours, vrai et bon celui-ci, ne contient pas.

  • Ah oui d’accord, c’est plus clair ainsi, pour moi, merci 🙂

  • Oui oui j’avais bien compris cela aussi.
    Moi je trouve que cela se rapproche de la congruence de Rogers ( bien sur développer dans un contexte psycho), et là je rejoins Rand/ votre concept philo qui si on va plus loin (dans la pensée Thomiste et la religion) et Rogers. L’idee c’est que la Vérité ( pour moi cela serait l’Amour) suppose un individu libre, comme le dit Rogers : être vraiment soi-même, authentique ( je crois bien qu’il parle d’une philosophie de la personne dans son livre). Mais, ce n’est que ma salade personnelle!
    Ps: certes Rand est un peu passionnée dans son œuvre, je vous donne raison sur ce point 😉

  • Le rapprochement entre CNV et libéralisme est très bien vu ! Pas toujours facile d’en appliquer les principes dans la vie quotidienne, quand on est confronté à ce que l’on considère être de l’irrationalité. Le principal problème étant que la vie est finalement assez courte, voir l’acceptation d’idées qui paraissent évidentes se faire sur un très long horizon de temps (eg une très grande partie des idées d’Ayn Rand, lancées dans les années 50 qui explosent dans notre quotidien en France) conduit à une importante frustration, et donc de l’énervement, et peut-être parfois à des comportements « déviants »

    • Comment accepter que ce que nous tenons pour vrai soit ignoré ou méprisé par le monde ?

      Sauf erreur la doctrine chrétienne dit qu’on a un devoir d’action pour ce qui dépend de nous et un devoir d’acceptation pour ce qui n’en dépend pas.

      Tout en étant en éveil dans le combat pour la vérité à son niveau – et en lui-même avant tout, chacun doit aussi admettre que ce que pense le monde en général ne fait pas partie de ce qui dépend de lui.

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