Le droit doit être au service des libertés. Entretien avec Thibault Mercier

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Source : Flickr. Parvis des droits de l'Homme, Paris.

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Le droit doit être au service des libertés. Entretien avec Thibault Mercier

Publié le 25 mai 2024
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Défendre la vision jus naturalisme du droit, former les futurs praticiens, telles sont quelques-unes des missions du Cercle Droit et Liberté qui fête ses dix ans. Entretien avec son président, Thibault Mercier.

 

Entretien avec Thibault Mercier, avocat, président du Cercle Droit & Liberté. Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

Article originel paru sur Conflits.

 

Le Cercle Droit & Liberté fête ses dix ans. Pourquoi a-t-il été créé, à quels besoins cherchait-il alors à répondre ?

En sortant de nos études de droit, nous avions remarqué que l’Université ne formait plus du tout ses étudiants à devenir des esprits libres. Au contraire, il y régnait déjà (avant même les interdictions de conférences qui aujourd’hui se multiplient) un certain politiquement correct favorisant le développement du conformisme et d’un prêt à penser juridique.

Nous avons donc fait notre le mot de Charles Péguy énonçant qu’il valait mieux avoir une mauvaise pensée qu’une pensée toute faite. C’est ainsi, à l’origine pour encourager l’esprit critique et la liberté d’expression (qui seule permet d’atteindre la vérité) que cette association a été créée.

Ce n’est qu’ensuite que nous avons compris que les atteintes à la liberté d’opinion n’étaient que la partie émergée de l’iceberg, et que l’ensemble des libertés publiques étaient menacées par un Droit qui, confisqué par certaines élites, venait désormais servir des philosophies moins tournées vers la liberté et le bien commun.

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C’est donc pour remettre le droit au service de nos libertés que le Cercle Droit & Liberté existe désormais. En dix ans, nous avons à cet effet organisé plus de 90 débats, conférences et colloques, publié près de 50 articles, déposé plus d’une dizaine de recours, formé des centaines de jeunes et fédéré un réseau de plus de 800 juristes attachés à la défense des libertés.

 

Le droit est souvent perçu par l’opinion publique comme un élément contraignant. L’épaisseur des différents codes (civil, droit du travail, etc.), ne cesse de croître, les réglementations deviennent de plus en plus contraignantes. N’est-ce pas paradoxal de l’associer aux libertés ?

Vous avez raison, le droit (en tout cas dans l’acception moderne du terme) est paradoxalement devenu un outil de contraintes, et même les spécialistes peuvent s’accorder sur le sujet. Tout le monde pourra constater sans peine que partout où règne le droit, la liberté diminue : inflation législative et réglementaire, confiscation de l’espace public par l’État (pour les JO ou sous couvert d’écologie), surveillance de masse par la technologie (QR codes, radars intelligents), interdictions de manifestations, réunions et autres restrictions… La liberté est désormais contingente et cède devant les nouvelles idoles de notre temps : l’écologie, la sécurité, la tolérance, la lutte contre la haine, etc.

À l’origine pourtant, le droit ne signifiait pas « l’ensemble des règles applicables dans un espace juridique donné » mais charriait au contraire une vision finaliste : il avait pour but de servir la justice. Cela nous amène donc à la question suivante : le droit contemporain est-il encore du droit ? Même une mafia peut avoir une charte… Il est pourtant aisé de comprendre que ces règles ne sont pas nécessairement justes.

Un des objectifs du Cercle Droit & Liberté est donc, comme énoncé dans la question précédente, de remettre le droit au service de nos libertés. Et nous considérons que cette liberté, même au prix de certaines douleurs ou d’un peu de désordre, sera toujours préférable à la soumission contrainte et à un confort abêtissant.

 

Vous êtes très engagés dans la défense des libertés publiques. Durant la période covid, vous avez notamment mené de nombreuses actions pour faire casser certains décrets qui restreignaient les réunions et les déplacements. Est-ce pour vous une façon de rendre le CDL utile à l’ensemble de la société, et qu’il ne soit pas seulement un groupe d’experts au service des juristes ?

Nous avons beaucoup agi pour contester les graves atteintes à nos libertés sous couvert de crise sanitaire, et nous continuons ces actions judiciaires, notamment pour contester les dissolutions massives d’associations par le ministre Darmanin, les interdictions arbitraires de rassemblements et de colloques (encore par M. Darmanin) ou encore la mise en place insidieuse d’un contrôle des masses sous couvert de sécurité que la mairie de Paris prépare pour les JO.

Il est vrai que notre association regroupe principalement, sinon des « experts », à tout le moins des professionnels du droit. Elle est donc d’une certaine manière plutôt élitiste, ce qui est devenu un gros mot dans notre monde empreint d’égalitarisme. Ce ne sont pourtant pas les élites qu’il s’agit de dénoncer, mais le fait que ces dernières ne sont plus au service de la Cité. À la différence de certaines associations, voire d’institutions juridiques qui sont souvent légitimement taxées de corporatisme, nous voulons au contraire remettre le droit au service du bien commun et de l’ensemble des Français.

 

Le droit est souvent perçu comme quelque chose de mécanique. Or, derrière chaque décision et chaque loi il y a aussi une philosophie. Quelle est votre philosophie du droit et comment vous positionnez-vous par rapport à la notion de jus naturalisme ?

Nous pensons, avec les philosophes grecs qui ont forgé le droit naturel classique, que ce droit se déduit de l’observation d’un certain ordre naturel et doit tendre à la recherche du juste dans la société. Platon nous invitait en ce sens à chercher le « juste » par l’observation objective du monde « extérieur ». Ainsi le droit se déduit par observation empirique du réel et des rapports entre les hommes dans la Cité, et non d’une quelconque idéologie (la théorie du genre par exemple) ou de la simple volonté subjective d’un individu (qui peut désormais modeler la réalité et le droit à sa guise). Revenir à une telle notion de droit naturel classique pourrait nous être utile pour éviter le déchainement des passions individuelles auquel nous assistons actuellement…

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  • Que le droit se définisse par observation empirique du réel me convient parfaitement. C’est la mise à l’écart de toute idéologie hors sol. [Ainsi, il n’est pas sain d’imposer partout le 80 km/h quand rien n’en démontre a priori et a fortiori un intérêt quelconque.]
    Qu’on contraigne les « passions individuelles » ou les « volontés subjectives des individus » – tant que celles-ci ne n’en imposent pas à autrui, bien sûr – ne me paraît pas être un préalable idoine à une société libérale. [Ainsi pourquoi rendre obligatoire la ceinture de sécurité quand la seule victime potentielle est seulement soi ?]
    Il y a dans cette précaution liminaire comme un germe de collectivisme.

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