Mars : l’inventivité et l’adaptabilité de l’humain face au problème de la poussière ultrafine

Quand l’ingéniosité humaine affronte les tourbillons martiens : la NASA investit dans des technologies avancées pour faire de l’environnement hostile de Mars un foyer pour l’astronaute.

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Source : image générée par IA.

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Mars : l’inventivité et l’adaptabilité de l’humain face au problème de la poussière ultrafine

Publié le 9 novembre 2023
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La poussière ultrafine rend difficile, déjà au stade robotique, l’exploration de Mars. Elle risque de poser de sérieux problèmes aux missions habitées et à la vie humaine. Nos ingénieurs recherchent des solutions pour la Lune. Elles bénéficieront aussi à Mars car sur ce plan les deux astres sont semblables. Récemment l’Université d’Hawaï a proposé un tissu, LiqMEST, qui moyennant la dépense d’un peu d’énergie pourrait empêcher l’adhérence aux surfaces. La NASA s’y intéresse aussi bien qu’à d’autres solutions qui lui sont complémentaires. Elle le fait dans le cadre de son initiative générale, « LSII ».

 

La poussière martienne

Rappelons ce qu’est la poussière martienne, de petites particules minérales riches en fer (mais composées aussi de toutes sortes de minéraux, dont des silicates) qui n’ont pas pu se stabiliser ou s’agglomérer parce qu’il n’y a pratiquement pas d’eau liquide sur Mars, sauf à de rares périodes de plus en plus espacées dans le temps (périodes pendant lesquelles le problème est bien sûr temporairement résolu et la diagénèse très active). Elle résulte soit des impacts de météorites, soit de la décomposition de certaines roches au grain très fin accentuée par l’érosion éolienne, soit in fine de la saltation des grains de sable (c’est-à-dire de la dégradation des plus grosses particules en plus petites du fait de leur déplacement et de leur friction avec d’autres grains ou la roche, causés par le vent).

Ainsi cette poussière peut être extrêmement fine. On la distingue du sable également présent dans d’innombrables dunes, en ce que la dimension de ses grains est inférieure à 30 µm. On a pu l’observer « de très près » avec le microscope à force atomique FAMARS* embarqué à bord de la sonde PHOENIX en 2007 et qui a observé l’environnement martien de mai à novembre 2008 par 68° de latitude Nord.

FAMARS a pu distinguer des particules jusqu’à 0,1 µm et a pu constater la très forte abondance des grains autour de 10 µm. Compte tenu de la faible érosion martienne, ces grains sont un peu moins acérés que ceux de la poussière lunaire mais quand même très anguleux. Et comme l’environnement est aride (l’humidité très basse empêche l’évacuation des charges électriques) quoiqu’un peu moins que sur la Lune, l’électricité statique est partout dans l’air et rend ces particules très collantes. On retrouve donc la poussière sur toutes les surfaces, aussi bien les équipements que les vêtements (combinaisons des astronautes).

*La thèse de doctorat de Sebastian Gautsch (Université de Neuchâtel, aujourd’hui adjoint au directeur de la section microtechnique de l’EPFL et toujours vice-président de la Mars Society Switzerland) a été consacrée à la conception de cet instrument.

Sur Mars, par rapport à ce qui se passe sur la Lune, le phénomène est aggravé par l’atmosphère. On sait que cette atmosphère est très ténue (pression de 610 pascals à l’altitude « moyenne », équivalente à celle du niveau de la mer). Mais comme les poussières sont très petites et très peu massives, elles sont portées par elle, bien sûr quand il y a du vent mais pas seulement ; une certaine quantité reste toujours en suspension dans l’air. C’est ce qui donne la coloration rouge/ocre au ciel pendant la journée.

On a pu constater également sur les différents équipements robotiques envoyés sur Mars qu’irrémédiablement et assez rapidement, les surfaces se teintent de cette même couleur, ce qui montre bien que les matériaux les plus lisses ne peuvent éviter d’être revêtus de cette matière diffuse comme s’ils en étaient imprégnés.

Pour le moment, c’est surtout gênant pour les panneaux solaires dont la capacité de captation d’énergie est altérée, et aussi pour les articulations des parties mobiles des rovers. Opportunity a été « tué » par une tempête de poussière qui l’a empêché de recueillir l’énergie minimum qui lui était nécessaire par ses panneaux photovoltaïques totalement enduits. Auparavant, ses deux roues avant avaient été immobilisées, usées certes par les aspérités du sol mais aussi complètement grippées par la poussière.

Plus tard, quand l’Homme vivra sur Mars, il risque de l’importer sur sa combinaison ou ses instruments à l’intérieur des habitats. Une fois son casque de scaphandre retiré, il respirera l’air ambiant chargé de ces particules car très difficiles à aspirer mécaniquement. Elles pourraient lui apporter la silicose et gêner le bon fonctionnement de différents appareils indispensables. Il faudra donc impérativement s’en débarrasser, au plus tard dans le sas d’accès.

 

Quelles solutions pour s’en débarrasser

On cherche donc depuis des années les solutions.

Celles qu’on envisage aujourd’hui sont de trois ordres :

  1. La structure du tissu
  2. Le nettoyage par projection de gaz
  3. Le nettoyage par polarisation électrique

 

Les recherches sont menées par la NASA (plus précisément son Space Technology Mission Directorate) dans le cadre de la LSII (Lunar Surface Innovation Initiative) par l’intermédiaire du LSIC (Lunar Surface innovation Consortium) dirigé par le John Hopkins University Applied Physics Laboratory (JHU/APL).

LSII a été créée en 2019. Il s’agit de stimuler l’intérêt et l’innovation dans les technologies de l’exploration lunaire par missions habitées (identification des besoins et évaluation des travaux, recommandations, centralisation des données et des résultats). L’action est menée via des partenariats ou des collaborations auxquels participent la NASA au côté du JHU (financièrement comme techniquement). Mars est clairement déjà nommée comme l’étape où les technologies découvertes et devenues opérationnelles seront mises en œuvre après la Lune.

L’on espère aussi des retombées sur les activités terrestres. Bien sûr la dust mitigation, que l’on pourrait traduire par « atténuation des nuisances de la poussière », n’est pas la seule ligne de recherches (key capability areas), mais c’est l’une des six qui a été choisie.

Les autres sont :

  • l’ISRU (In Situ Resources Utilization),
  • l’énergie (surface power),
  • l’extraction des minéraux et la construction (excavation and construction),
  • l’adaptation de l’homme et de ses équipements à l’environnement extrême (extreme environment)
  • la capacité d’accès aux sites difficiles (extreme access)

 

La LSIC n’est pas une petite organisation puisqu’elle comporte 2400 participants actifs au sein d’un millier d’institutions ou établissements présents dans tous les états américains et une cinquantaine de pays étrangers.

 

Première solution : la structure du tissu

Un tissu répulsif a été conçu (publication en février 23) par l’Université du Texas Austin (UTA). L’équipe a modifié la géométrie des surfaces planes pour créer un réseau serré de structures pyramidales nanométriques. Ces structures, angulaires et pointues, empêchent les particules de poussière d’adhérer au matériau. Ne pouvant coller à ce support, elles s’agglomèrent entre elles pour rouler ensuite en surface et tomber sous l’effet de la gravité.

 

Deuxième solution : le nettoyage par projection de gaz ultra-froid

Un spray a été conçu (mars 23) par l’Université de l’État de Washington (WSU). Il s’agit de projeter une pulvérisation d’azote liquide (forcément très froid) sur un tissu relativement beaucoup plus chaud que le gaz. Le nettoyage va se faire par effet Leidenfrost.

Cet effet peut être observé lorsque de l’eau froide est versée sur une poêle à frire chaude et qu’elle perle puis se déplace à la surface de la poêle. Par analogie, lorsque de l’azote liquide est pulvérisée sur une combinaison spatiale (même s’il y a isolation thermique, sa température est très largement plus élevée que celle du gaz), les particules de poussière sont extraites par le jet, s’accumulent sans pouvoir attacher et s’éloignent du tissu en flottant avec la vapeur d’azote.

 

Troisième solution, nettoyage par polarisation électrique

Un tissu très réceptif à la polarisation et en même temps souple et extensible a été conçu (octobre 23) par l’Université d’Hawaï Pacifique (PHU). Lorsqu’il est activé, ce LiqMest (Liquid Metal Electrostatic Protective Textile), génère un champ électrique qui empêche la poussière d’adhérer à sa surface. Son concepteur le Professeur Arif Rahman de l’Université de Bangkok a obtenu une subvention de 50.000 dollars de la NASA pour présenter un prototype dans le délai d’un an (mai 24). Le tissu pourrait être utilisé pour la mission Artemis III (2025 ou 2026).

Une variante de cette dernière technologie est l’EDS (Electronic Dust Shield Experiment). Elle est étudiée au sein de la NASA (Kennedy Space Center). Elle a été testée en 2019 dans l’ISS dans le cadre de la série de tests MISSE-11 (Materials International Space Station Experiments).

Elle vise la prévention de l’empoussiérage et le dépoussiérage de toutes sortes de surfaces solides : radiateurs thermiques, panneaux solaires, lentilles d’appareil photo et autre matériel nécessitant une protection contre la poussière.

Elle a fourni des données utiles sur les performances des électrodes, des revêtements et des composants électroniques qui lui sont propres. On sait que l’expérience a été positive* mais malheureusement les résultats ne sont pas encore publiés. NB le programme MISSE existe depuis 2001 (c’est tout l’intérêt de l’ISS). En octobre 2023, nous en sommes à MISSE-18.

Des essais au sol avant le vol ont montré que des électrodes posées sur des plaques de verre pouvaient éliminer « plus de 98 % de la poussière dans des conditions de vide poussé », selon une courte publication de l’équipe du Lunar Dust Workshop de février 2020 (Universities Space Research Association, à Houston).

 

Avis aux pessimistes

Avec ces technologies on a de bonnes probabilités d’obtenir une solution au problème de la poussière, non seulement pour les vêtements mais aussi pour les équipements.

Si comme je l’espère, on développe un jour l’astronomie sur Mars, l’EDS sera incontournable (elle est spécifiquement prévue pour maintenir la propreté des optiques). Mais on peut aussi concevoir de mettre les différents équipements dont on aura besoin sous une bâche de liqMEST, ou peut-être de nettoyer périodiquement les dômes et les surfaces vitrées avec un spray d’azote liquide*. Le nettoyage effectué par des robots équipés d’une caméra sera par ailleurs l’occasion de vérifier l’état du dôme ou des baies vitrées des habitats. Pour les combinaisons spatiales on utilisera probablement les trois technologies ensemble.

*L’impact du gaz sur la surface vitrée, plaques laminées de 1,5 x 2 cm d’épaisseur d’après les calculs de mon ami Richard Heidmann, serait extrêmement bref, mais mes lecteurs physiciens pourront sans doute me dire si le choc thermique serait ou non supportable.

Ceci est une réponse à tous les pessimistes qui pensent qu’aucune technologie n’est envisageable en dehors de celles qui existent déjà. J’ai confiance que des conditions environnementales autrefois rédhibitoires, comme celles de Mars, peuvent devenir vivables si le génie humain s’applique à trouver des solutions ; ceci étant dit en ayant conscience des difficultés. Les sauts technologiques sont toujours possibles mais bien qu’ils ne sortent jamais de nulle part, ils ne sont pas prévisibles et on ne pas compter sur eux.

Pour vivre sur Mars cependant, il me semble que l’on soit arrivé à un point de développement technologique tel que la base interdisciplinaire à partir de laquelle on travaille n’est pas trop éloignée du résultat que l’on veut obtenir.

Liens & références :

Cliquer pour accéder à DARPA%20NOM4D%202022.pdf

https://citeseerx.ist.psu.edu/documentrepid=rep1&type=pdf&doi=15eb88aa339e4f766ade40475a6458af47f246ef

https://interestingengineering.com/innovation/new-tech-solve-lunar-dust-problem

https://www.eurekalert.org/news-releases/980467

https://news.dayfr.com/trends/amp/2746657

https://www.hpu.edu/about-us/the-ohana/article.php nid=nc10162301

Cliquer pour accéder à 20150016160.pdf

https://www.nasa.gov/mission/station/research-explorer/investigation/?#id=8033

Sur le web.

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  • La conclusion s’impose : on est vachement mieux sur terre ! 😉

  • Vu la détérioration de la situation mondiale sur de nombreux sujets, je ne serais pas aussi confiant que vous.

    • Greta Thunberg ne tirait pas mieux.

      • Comme exposé dans mon article, je crois aux capacités de l’inventivité humaine en matière de technologies de nous sauver du mauvais pas où nous nous trouvons. Nier cette situation me semble être de l’aveuglement, ne serait-ce que parce que nous sommes passés de 2 milliards d’hommes sur cette planète après la seconde guerre mondiale, à 8 milliards aujourd’hui. Avec cette augmentation en nombre, l’industrialisation a créé une pollution considérable que nous ne contrôlons toujours pas (pensez aux bouteilles en plastique).
        Greta ne croît pas aux possibilités du progrès. Moi, si. C’est ce qui nous différencie.

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