Les centres du progrès (2) : Uruk (Écriture)

Pour avoir été la première grande ville du monde et le berceau de l’écriture, Uruk, à l’âge du bronze, mérite d’être reconnu comme notre deuxième Centre du progrès.

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Les centres du progrès (2) : Uruk (Écriture)

Publié le 28 mai 2022
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Par Chelsea Follett.
Un article de Human Progress

Aujourd’hui marque le deuxième volet d’une série d’articles de HumanProgress.org intitulée « Les centres du progrès ». Où le progrès se produit-il ? L’histoire de la civilisation est à bien des égards l’histoire de la ville. C’est la ville qui a contribué à créer et à définir le monde moderne.

Notre deuxième centre du progrès est Uruk, la première grande ville du monde et le lieu de naissance de l’écriture vers 3200 avant J.-C. En créant le premier système d’écriture, les habitants d’Uruk ont révolutionné la capacité de l’humanité à échanger des informations.

Avant l’invention de l’écriture, la seule façon pour les gens de communiquer était la parole. La communication sur de grandes distances et sur de longues périodes de temps était limitée par la faillibilité de la mémoire humaine. Il était possible d’envoyer un messager dans une ville lointaine, mais il y avait toujours un risque qu’il ne transmette pas le message avec exactitude. Les gens étaient capables de transmettre des connaissances et des histoires par le biais de traditions orales d’une génération à l’autre, mais les détails avaient tendance à changer avec le temps.

Aujourd’hui, Uruk est un site archéologique inhabité préservé dans le désert du sud de l’Irak. Il fait partie d’un site du patrimoine mondial de l’UNESCO, honorant le « paysage relique des villes mésopotamiennes ». Vous pouvez encore voir les vestiges des murs et des portes de la ville, distinguer la forme des rues et la disposition des maisons à partir de leurs fondations en ruines, et admirer les marches fissurées des tumulus des temples.

L’Uruk d’aujourd’hui est calme et fantomatique. Mais si vous aviez visité Uruk à la fin du quatrième millénaire avant J.-C., vous seriez entré dans un centre d’art et de commerce florissant peuplé d’environ 10 000 habitants. Au début du troisième millénaire avant J.-C., ce chiffre a atteint entre 30 000 et 50 000 habitants.

Pour mettre les choses en perspective, la population d’Uruk à la fin du quatrième millénaire avant J.-C. était à peu près la même que celle de la petite ville de Brattleboro, dans le Vermont, aujourd’hui. Mais Uruk a été l’une des premières colonies à atteindre une population de cette taille et est considérée par beaucoup comme la première grande ville du monde. En l’an 3200 avant J.-C., Uruk était la plus grande ville de Mésopotamie, voire du monde entier.

À mesure que la population d’Uruk augmentait, sa société devenait plus complexe et la civilisation sumérienne (la première véritable civilisation du monde, qui s’est épanouie dans le sud de la Mésopotamie entre 4500 et 1500 avant J.-C.) atteignait son apogée créative. Les tablettes qui subsistent indiquent qu’Uruk comptait plus de cent professions différentes, dont des ambassadeurs, des prêtres, des tailleurs de pierre, des jardiniers, des tisserands, des forgerons, des cuisiniers, des bijoutiers et des potiers.

En vous promenant dans les rues d’Uruk à l’âge du bronze, vous auriez vu des marchands vendant leurs marchandises, de beaux jardins avec des palmiers et des temples s’élevant au-dessus de toutes les autres structures. Les complexes de temples étaient des lieux d’importance religieuse, mais ce n’était pas leur seul but. Vous auriez peut-être vu des hommes transporter des cruches d’argile remplies de céréales dans les temples, car ces monuments imposants étaient également l’endroit où les habitants d’Uruk stockaient leurs surplus de nourriture.

Le désert aride qui entourait Uruk ne possédait que peu de ressources naturelles. Pour compenser ce manque, les habitants avaient développé de solides réseaux commerciaux avec d’autres communautés. Ils importaient du bois des chaînes de montagnes du Taurus, du Zagros et du Liban, et des pierres lapis-lazuli d’aussi loin que l’Afghanistan. Certaines de ces importations précieuses étaient également stockées dans les temples.

Près de l’une des entrées du temple, vous auriez peut-être été témoin d’une percée qui a changé l’histoire. Vous auriez peut-être vu un comptable ou un archiviste marquer une tablette d’argile chaque fois qu’un pichet de grain entrait dans le temple. Il aurait fait une petite image d’une tige de grain à côté de ses marques de pointage, comme les archivistes de la ville le faisaient depuis des siècles.

Mais en regardant de plus près, vous auriez remarqué que son image n’était pas vraiment une image. En effet, au fil des ans, les images des archivistes se sont simplifiées pour accélérer l’inventaire des marchandises. Finalement, l’image utilisée pour représenter le grain dans les registres du temple ne ressemblait même plus vaguement à une tige de céréale. En d’autres termes, les pictogrammes ont évolué pour devenir des symboles non picturaux représentant des concepts, comme le grain.

En s’accordant sur un ensemble de symboles abstraits pour représenter les biens communs stockés dans les entrepôts de leurs temples, les comptables d’Uruk ont pu éviter la corvée laborieuse de faire des dessins détaillés sur leurs tablettes d’argile.

Finalement, les habitants d’Uruk ont utilisé ces symboles écrits non seulement pour représenter différents concepts, comme le grain, le poisson ou le mouton, mais aussi pour représenter les sons utilisés pour exprimer ces concepts. Une fois qu’ils avaient des symboles pour les différents sons, il devenait possible d’écrire des noms ou d’autres mots phonétiquement. Après cette innovation, les Sumériens ont pu écrire davantage que de simples listes d’inventaire. Ils pouvaient également créer des documents de plus en plus complexes. Leur production écrite allait des longs poèmes épiques et de la littérature de sagesse aux généalogies et aux listes de rois.

Selon les écrits des anciens Sumériens, la ville d’Uruk a été construite par le roi mythique Enmerkar. Ce héros épique aurait été le fils du dieu du soleil sumérien Utu et d’une vache (un animal que les Sumériens vénéraient et associaient à la maternité, en raison de sa production de lait). Enmerkar aurait régné sur Uruk pendant des centaines d’années. Si le personnage mythique d’Enmerkar est vaguement basé sur un souverain réel, il aurait vécu à la fin du quatrième ou au début du troisième millénaire avant J.-C.

Dans la légende sumérienne, conservée dans l’épopée Enmerkar et le seigneur d’Aratta, c’est à Enmerkar que l’on attribue l’invention de l’écriture. La légende raconte qu’il l’a fait pendant une période de négociations tendues avec un roi voisin, le souverain de la cité-État rivale Aratta. Enmerkar aurait été mécontent qu’épuisé par ses allers-retours entre Uruk et Aratta son messager ne puisse transmettre que des messages tronqués au roi voisin.

Enmerkar aurait donc ramassé de l’argile, créé par magie un langage écrit complet et entrepris d’écrire un message que son messager devait transmettre au roi d’Aratta. Plus précisément, le mythe raconte :

Le discours [du roi Enmerkar] était substantiel, et son contenu étendu. Le messager, dont la bouche était lourde, n’était pas en mesure de le répéter. Comme le messager, dont la bouche était fatiguée, n’était pas en mesure de le répéter, le seigneur d'[Uruk] tapota de l’argile et écrivit le message comme sur une tablette. Auparavant, l’écriture de messages sur de l’argile n’était pas établie. Maintenant, sous ce soleil et en ce jour, il en fut ainsi.

Cette légende pittoresque montre que les Sumériens accordaient une telle importance à la langue écrite qu’ils pensaient que seul un roi (et un prétendu demi-dieu, rien de moins) pouvait créer quelque chose d’aussi important.

En réalité, l’écriture n’a pas été inventée par un roi, mais par les comptables de la ville. De plus, elle n’a pas été créée subitement dans un élan de génie créatif, mais s’est développée progressivement sur plusieurs générations. Elle n’a pas été créée à l’origine pour obtenir un avantage en diplomatie internationale, mais pour la raison bien moins glamour mentionnée plus haut : la tenue de livres. Ainsi, les premiers écrits ayant survécu jusqu’à aujourd’hui sont généralement des inventaires, des listes de courses, des registres de salaires, des listes de répartition des rations pour les travailleurs du temple et des reçus d’achats.

Les habitants d’Uruk écrivaient avec des roseaux et de l’argile, car ces matériaux étaient largement disponibles. Uruk est située au milieu des marais de Mésopotamie, un paysage aquatique rare au milieu d’un désert aride. Les marais, alimentés par l’Euphrate et le Tigre, étaient peut-être plus vastes dans le passé qu’aujourd’hui. On pense qu’un canal de l’Euphrate, aujourd’hui asséché, coulait tout près d’Uruk.

Après avoir coupé un roseau sur les rives marécageuses de l’Euphrate, les habitants d’Uruk ont découvert qu’en le trempant dans de l’argile molle et humide avec son bord coupé vers le bas, il produit une forme cunéiforme caractéristique. En séchant, l’argile durcissait et cette forme était préservée.

Lorsque les comptables ont simplifié leurs pictogrammes en symboles de plus en plus abstraits, ces symboles ont pris la forme de certains arrangements de marques en forme de coin, qui sont ensuite devenus les premiers caractères ou lettres. C’est pourquoi le système d’écriture le plus ancien est aujourd’hui connu sous le nom de cunéiforme, du latin du latin cuneus (« coin ») et forma (« forme »).

À l’origine, les archivistes dressaient l’inventaire en écrivant de haut en bas sur leurs tablettes d’argile, comme pour dresser une liste. Après de nombreuses années d’écriture de cette manière, les scribes ont mis au point un nouveau système innovant consistant à écrire de gauche à droite. Cette innovation réduisait le risque d’effacer ce qui avait été écrit avant que l’argile ne sèche.

Cependant, les prêtres du temple et les autres lettrés d’Uruk étaient habitués à lire les documents de haut en bas, et non de gauche à droite, et le nouveau système des scribes ne leur convenait pas. Les scribes ont donc trouvé une solution leur permettant d’écrire de gauche à droite, tout en pouvant lire leurs tablettes de haut en bas. De manière ingénieuse, ils ont simplement écrit des versions de leurs symboles écrits qui étaient tournées de quatre-vingt-dix degrés. Le fait d’écrire leurs symboles de côté permettait à ceux qui lisaient les tablettes à l’ancienne, de haut en bas, de ne pas être incommodés.

Finalement, les gens ont commencé à lire l’écriture symbolique de la même façon qu’elle était écrite, de gauche à droite. Mais comme les symboles déjà abstraits étaient tournés, ils devenaient encore plus abstraits, accélérant le processus de passage des simples pictogrammes aux caractères cunéiformes. Ci-dessous, vous pouvez voir l’évolution du caractère cunéiforme signifiant tête, d’une simple image dessinée vers l’an 3000 avant J.-C. à un caractère cunéiforme hautement abstrait près de mille ans plus tard.

Aujourd’hui, Uruk est surtout connue comme la ville du héros antique Gilgamesh, décrite dans l’Épopée de Gilgamesh. Ce poème épique a commencé comme une série de poèmes composés vers 2100 avant J.-C., bien que la version la plus complète qui subsiste soit considérablement plus récente, datant du XIIe siècle avant J.-C.

Les chercheurs pensent qu’un personnage réel du nom de Gilgamesh a probablement régné sur Uruk entre 2800 et 2500 avant J.-C., et qu’il a été décrit comme un demi-dieu et un héros plus grand que nature après sa mort. Grâce à l’invention de l’écriture, les gens peuvent aujourd’hui apprécier non seulement la littérature sumérienne, mais aussi toute la production littéraire humaine, des pièces de William Shakespeare à la science-fiction d’Isaac Asimov.

Pour avoir été la première grande ville du monde et le berceau de l’écriture, Uruk, à l’âge du bronze, mérite d’être reconnu comme notre deuxième Centre du progrès. L’écriture a donné à l’humanité un nouveau moyen d’expression créative et la possibilité d’échanger des informations entre générations et à travers le monde.

 

Sur le web

Traduction Justine Colinet pour Contrepoints

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