L’autonomie décisionnelle des organes parlementaires face à la recevabilité financière : un enjeu méconnu (1/2)

Les conditions strictes de recevabilité financière sont-elles un garde-fou nécessaire ou une entrave à l’action parlementaire ?

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L’autonomie décisionnelle des organes parlementaires face à la recevabilité financière : un enjeu méconnu (1/2)

Publié le 3 juin 2023
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Beaucoup d’articles sont déjà parus sur la question de la recevabilité financière de la proposition de loi n°1164 et n°1165 du groupe LIOT, visant à abroger l’article 10 de la loi n°2023-270 du 14 avril 2023.

Peu ont pris en compte la question de l’autonomie décisionnelle des organes parlementaires, notamment dans l’appréciation du contrôle de la recevabilité financière de la proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution et de la jurisprudence constitutionnelle qui lui est afférente.

On pourrait critiquer en lui-même l’article 40 pour en demander la suppression, comme a pu le demander récemment le professeur Jean-François Kerléo, (professeur envers lequel j’ai une dette immense), dans une tribune du journal Le Monde, en montrant notamment que les parlementaires peuvent apprécier d’eux-mêmes, par un véritable examen approfondi de la proposition de loi, son sérieux au regard des exigences budgétaires.

Bien que cette question soit très intéressante, il ne sera pas question de cela dans cet article.

Il s’agira de s’interroger sur l’utilisation même de la recevabilité financière par les acteurs parlementaires et sur les conventions de la Constitution qui entourent son article 40. Ainsi, après avoir rappelé les conditions de recevabilité posées par cet article 40 (1/2), on s’interrogera sur les conventions de la Constitution qui entourent l’autonomie décisionnelle des acteurs parlementaires dans l’appréciation de cette disposition constitutionnelle (2/2).

 

Des conditions strictes de recevabilité financière assurant la sauvegarde des comptes publics

Pour nombre de libéraux et de « budgétaires », ce titre peut prêter à sourire, au regard de notre situation financière.

Pour autant, l’article 40 qui dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. », a pour objet d’éviter les errements financiers de la part des parlementaires.

S’il est une constante en droit constitutionnel, c’est celle de la relative indétermination des énoncés constitutionnels. Ainsi, encore faut-il savoir ce que signifie « diminution des ressources publiques » et « création ou aggravation d’une charge publique ».

C’est ainsi qu’entre l’énoncé linguistique, la règle (le sens premier d’un énoncé) et la norme (la signification objective de l’énoncé posée par un interprète authentique), un fossé se creuse.

Si l’on tire la règle de cet énoncé, on comprend que la diminution des ressources comme l’aggravation d’une charge publique sont des motifs d’irrecevabilité financière des amendements ou des propositions de lois des parlementaires. Pourtant, la norme est quant à elle, différente.

En effet, il en ressort que seule l’aggravation ou la création d’une charge publique, directe et certaine, est constitutive ex officio, d’une irrecevabilité au sens de l’article 40 de la Constitution. Cette limite fut initialement pensée par Paul Reynaud, un des rédacteurs de la Constitution de 1958, qui estimait que l’aggravation d’une charge publique ne pouvait être gagée (c’est-à-dire compensée), sous peine de détruire les finances de l’État.

La norme fut posée par le Conseil constitutionnel, rappelant « qu’il résulte des termes mêmes [de l’article 40 de la Constitution] qu’il fait obstacle à toute initiative se traduisant par l’aggravation d’une charge, fût-elle compensée par la diminution d’une autre charge ou par une augmentation des ressources publiques ». La jurisprudence du Conseil constitutionnel a par la suite précisé que le lien entre la mesure proposée et la charge publique devait présenter une certaine évidence, sans pour autant être direct.

Cependant, si l’aggravation ou la création d’une charge publique sont interdites, la diminution d’une ressource est quant à elle autorisée, mais avec le respect de certaines conditions. Pour qu’un amendement ou une proposition de loi puissent diminuer les ressources (ex : baisse d’impôt), il faut qu’ils soient correctement gagés. Il faut préalablement noter que la notion de « diminution d’une ressource publique » est strictement juridique et qu’elle ne s’apprécie donc jamais de facto (situation économique).

Là aussi, la baisse potentielle de ressource doit être directe, peu importe qu’elle soit future ou éventuelle. À la différence de l’aggravation ou de la création de charge publique, pour être recevable, la diminution de ressource doit être gagée, compensée par l’augmentation d’une autre ressource publique.

Il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que « la ressource destinée à compenser la diminution d’une ressource publique soit réelle, qu’elle bénéficie aux mêmes collectivités ou organismes que ceux au profit desquels est perçue la ressource qui fait l’objet d’une diminution et que la compensation soit immédiate ».

Il ressort de cette norme que le gage doit être suffisant (c’est-à-dire reposant sur des recettes crédibles et pérennes), réaliste et correctement affecté. Il est tout à fait possible de créer une recette idoine même si les parlementaires utilisent fréquemment la technique de la « taxe additionnelle », notamment le « gage tabac » pour gager leur amendement ou proposition de loi. Ce gage « tabac » est un artifice pour contourner l’irrecevabilité financière, et se trouve être levé par le gouvernement quand ce dernier soutient l’amendement.

En 2008, un certain Charles de Courson avait pu déplorer l’inefficacité de ce mécanisme en montrant avec une pointe d’humour que, « si on avait additionné l’ensemble des gages tabac, le prix du paquet aurait été de 100 euros ». Dans tous les cas, le gage devra être réaliste, donc crédible.

 

Au regard de ces conditions strictes, on comprend que les parlementaires ne peuvent faire des propositions de loi trop onéreuses pour le Trésor public. En droit, qui dit conditions dit souvent contrôle de ces conditions. Il convient donc de s’interroger sur la pratique des juges de la recevabilité financière. C’est dans ce domaine que les conventions de la Constitution, véritable « Constitution derrière la Constitution », expriment au mieux l’autonomie décisionnelle des différents organes.Rapha

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Créer un compte Tous les commentaires (2)
  • Tout cela n’est que tartufferie. Et tous le savent. Majorité, opposition et gouvernement.
    L’article 40 ne se justifie que si le budget est équilibré. Or ça fait 40 ans que ça n’est plus le cas. Cette proposition d’abolition de loi n’est là que pour relancer la machine à manif dans la rue ; machine qui commence à s’essouffler.
    Les lâches n’avaient qu’à voter à l’unisson la motion de censure. Ha oui, mais suis-je bête ! Ils auraient alors dû retourner devant les urnes après la dissolution de l’Assemblée. Ils ont préféré garder leur job très bien payé plutôt que de défendre leurs convictions. C’est ce qu’on appelle en français des lâches.

  • Qu’est-ce que veut dire « la recevabilité financière ».
    Je ne comprends rien à cet article. Pour qui est-il écrit?

  • Les commentaires sont fermés.

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