Le vote de confiance : clé de voûte d’un système démocratique efficace et apaisé

Il est urgent de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 2
Source : Flickr

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le vote de confiance : clé de voûte d’un système démocratique efficace et apaisé

Publié le 25 février 2024
- A +

Le fait pour un gouvernement de solliciter et d’obtenir la confiance de l’Assemblée contribue à la prévisibilité, la stabilité et la sincérité de l’action publique, et cela devrait être reconnu comme indispensable.

Le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, sans solliciter la confiance de l’Assemblée, avant qu’une motion de censure soit soumise, puis rejetée le 5 février. Le gouvernement Attal, comme le gouvernement Borne avant lui, a donc le droit d’exister, mais sans soutien de la chambre.

Pour beaucoup, c’est un non-sujet. Car le gouvernement, dit-on, tire surtout sa légitimité du président qui le nomme et « gouverne tant qu’il n’est pas renversé », comme le déclarait Pompidou en 1966, en inaugurant en tant que Premier ministre ce premier refus de se soumettre au vote de confiance de l’Assemblée, pourtant assez clairement prévu à l’article 49.1 de la Constitution (Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme).

L’absence de soutien affirmé de l’Assemblée, suivie de l’échec de la censure ne sont cependant pas sans conséquences. Cela place ce gouvernement dans une inconfortable zone grise, quelque part entre une confiance inatteignable et une défiance improbable, ni complètement apte ni totalement inapte à appliquer sa politique, et jouissant d’une légitimité démocratique à la fois avérée et sujette à débat. Ce gouvernement d’entre-deux a tout de même un signe distinctif : il s’articule très mal avec l’Assemblée et mérite à ce titre le qualificatif d’incongruent.

Depuis 18 mois, l’exécutif s’emploie à masquer ou dédramatiser cette situation d’incongruence, par ses actions comme dans sa rhétorique. Les gouvernements n’ont jamais été aussi minoritaires (une quarantaine de sièges manque pour atteindre la majorité absolue, contre 14 sous Rocard) mais on n’a jamais autant parlé de majorité, tantôt présidentielle, tantôt relative.

« Les majorités texte par texte, ça marche » renchérit souvent Yaël Braun-Pivet lors de ses interviews, pour signifier que la procédure législative reste efficace, ce qui est indéniable. Et puis, comme chacun le sait maintenant, la Cinquième République dote l’exécutif d’un véritable arsenal (le 49.3 entre autres) pour légiférer contre ou sans le Parlement. Et si la loi est trop incertaine, qu’à cela ne tienne, on peut faire sans.

« On passe trop par la loi dans notre République » assénait Emmanuel Macron le 22 mars 2023. Le gouvernement conserve en effet la plénitude du pouvoir réglementaire, et a donc toute sa capacité d’administration de l’État.

 

Mais alors pourquoi est-il si important qu’un gouvernement se dote de la confiance de l’Assemblée ?

Parce qu’un État ne doit pas simplement être administré, mais également gouverné, et que la confiance de l’Assemblée apporte la garantie que le gouvernement a les moyens de sa politique.

Si la très grande majorité des Constitutions de nos voisins en Europe (y compris la Russie) obligent les nouveaux gouvernements à disposer de la confiance explicite de la chambre, c’est simplement pour que le peuple soit dirigé avec la stabilité, l’efficacité et la prévisibilité qu’il est légitimement en droit d’attendre. Il s’agit de s’assurer que les pouvoirs exécutif et législatif sont suffisamment bien articulés pour offrir un cap fiable et raisonnablement performatif aux citoyens, aux administrations, aux entreprises, à nos partenaires commerciaux, à l’Europe, ou même aux agences de notation. Un vote de confiance réussi vient légèrement atténuer le fort degré d’incertitude dans lequel tous les pays sont naturellement plongés.

En revanche, l’absence de confiance alourdit cette incertitude, elle limite la capacité de l’exécutif à tenir un cap clair et durable, et rend la politique du pays imprévisible et vulnérable aux caprices de quelques demi-opposants (on pense notamment aux députés LR).

La Loi immigration offre un exemple frappant : personne ne pouvait prévoir l’orientation finale du texte jusqu’au jour de son adoption. Depuis 2022, la production législative est si aléatoire que même le rôle des ministres a été progressivement modifié : on leur demande de cautionner collectivement des projets de lois dont les contours évoluent de manière inattendue au fil de la discussion parlementaire, exigeant d’eux une grande plasticité d’esprit…

Autoriser un gouvernement à se maintenir sans soutien majoritaire de l’Assemblée comporte un autre inconvénient, peut-être encore plus préoccupant : le débat parlementaire se transforme en marchandage (on pense par exemple à cette mystérieuse promesse d’Elisabeth Borne de réformer l’AME en échange du soutien de LR sur la Loi immigration) et tous les stratagèmes et outils du parlementarisme rationalisé sont utilisés à plein pour faire adopter le programme et les budgets.

Le cynisme devient l’unique méthode d’un exécutif acculé, qui en est réduit à outrepasser tout ce qui peut l’être, se jouer de la Constitution, contourner ou ignorer les corps intermédiaires, voire se montrer insincère, pourvu que les titubations parlementaires emmènent le pays dans la direction qu’il souhaite. Cette posture exalte ses soutiens autant qu’elle indigne ses opposants, et ainsi aggrave la défiance envers les institutions et les élus tout en attisant la polarisation de la société.

En demandant au Premier ministre de présenter une feuille de route gouvernementale tout en assumant d’être minoritaire, le président de la République préfère la discorde à l’apaisement, et la pureté de son projet à sa réalisation concrète, ce qui est typique des idéalistes radicaux, et non des pragmatiques.

Aucune coalition (vraiment) majoritaire, aucun changement de calendrier électoral, aucun rééquilibrage institutionnel n’étant prévus, cette nouvelle forme de régime est bien partie pour durer. Les prochains présidents élus en 2027 ou 2032 sont donc probablement condamnés d’avance à promettre l’hégémonie habituelle lors de la campagne, puis à gouverner immédiatement en situation d’incongruence, avec peut-être un soutien parlementaire encore bien moindre qu’aujourd’hui. La partition politique et la polarisation territoriale morcellent en effet cruellement l’Assemblée et semblent interdire tout fait majoritaire à moyen terme.

Nos constituants ont fabriqué un système qui démontre chaque jour depuis 2022 son insuffisance en l’absence d’une dynamique majoritaire, et l’ont combiné à un mode de scrutin qui perd sa capacité à produire cette dynamique. La tentation, irrésistible et assez naturelle, est de contrebalancer l’instabilité parlementaire en renforçant encore davantage le pouvoir exécutif. Il devient donc urgent de réagir et de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace, pacifiée, et place un point d’arrêt sur la pente autocratique. La clarification de l’article 49.1 de la Constitution, en vue de rendre la confiance explicitement obligatoire, devrait être au cœur d’une prochaine révision constitutionnelle.

Voir les commentaires (12)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (12)
  • La réalité est que le gouvernement a sa majorité. Certains députés votent contre le gouvernement pour assurer leur future réélection en jouant sur la naïveté de leurs électeurs. En effet, lorsque le gouvernement engage sur un texte de loi le 49.3, cela signifie qu’il n’a pas la majorité de façade. Mais ces mêmes députés qui s’opposent à la loi, refusent de voter la motion de censure qui s’ensuit. Voter la motion de censure à l’unanimité fait tomber le gouvernement qui va alors dissoudre l’Assemblée. Et là, problème pour nos petits élus qui pantouflent ou jouent à Tetris durant les séances de l’Assemblée : au boulot ! Ils doivent se faire réélire pour toucher leurs grasses indemnités parlementaires. Et quoi de plus aléatoire dans certains cas.
    Dans la Constitution française, la mise en minorité du gouvernement ne se fait pas en direct par un refus de vote de la loi comme en Italie par exemple, mais par le vote majoritaire de la motion de censure. Les Italiens n’ont pas peur mettre le gouvernement en minorité : en moyenne cela arrive tous les 1,5 ans depuis la guerre et entraine une nouvelle campagne électorale. Ils ont plus confiance en leurs électeurs. Pas de ça en France.
    Ce qui montre qu’introduire une dose de proportionnel à l’Assemblée ne sert à rien, sauf à multiplier les 49.3. Typiquement, LFI refuse de voter une motion de s’en sûre si le RN la vote. C’est donc qu’ils sont d’accord avec la loi.

    • Vous ne pouvez pas allumer les seuls parlementaires sans prendre en considération tout le contexte. A savoir l’importance de la Présidence de la République élue au suffrage universel direct, la concomitance de cette élection et des élections législatives et la forte centralisation du pouvoir et de l’Etat. En résumé notre constitution mise tout, trop, sur la stabilité. En Italie, c’est l’inverse, l’instabilité règne ce qui d’ailleurs motive au premier plan G. Meloni pour réformer la constitution et faire élire le Président du Conseil au suffrage universel direct.
      De mon avis, un modèle dans lequel on vote formellement la confiance/défiance au gouvernement témoigne que le ver est fondamentalement dans le fruit.

      • Oui, mais il n’y a eu en France aucun vote de défiance. Le seul vote de défiance est celui de la motion de censure. Le 49.3 est un article qui donne aux députés le pouvoir de dire au gouvernement : « fait ce que tu veux tant que moi je touche mes indemnités ».
        La preuve en est que lors du discours de G Attal à l’Assemblée, LFI a voté une motion de censure sans conséquences puisque ne remettant en cause en aucun cas la politique du gouvernement. LFI savait pertinemment que sa motion ne serait suivie par aucun parti et certainement pas par une partie de la majorité. Tout ça c’est « bonnet blanc et blanc bonnet ». Aucun n’a jamais voulu que le gouvernement tombe et que le président dissolve l’Assemblée. Et surtout pas la Nupes dont les parlementaires sont très à risque en cas de réélection.
        Poudre aux yeux pour faire du bruit.
        Pour rappel, s’il y a concomitance d’élections entre le président de la République et les députés, c’est parce que le mandat du président est passé de 7 à 5 ans. La Constitution créée par De Gaulle avait désynchonisé les 2 élections. Il eut fallut que les élections des députés passent de 5 à 3 ans pour conserver l’esprit initial. Mais quel député est prêt à faire campagne tous les 3 ans au lieu de pantoufler pendant 5 ans ?

        • Des pays qui ont de la proportionnelle integrale avec un régime parlementaire votent tous les 12 a 18 mois pour élire un nouveau parlement comme en italie et en Israël précédé de 6 mois de chamailleries grotesques……….
          Ces élections a répétition sont contre productives car elles s installent une instabilité chronique……
          Pour Israël, le 7 octobre a montré l exploitation de ces failles par des terroristes islamistes
          Pour la France, cette situation avec une absence de majorité absolue donc un pouvoir sans moyen laisse place au théâtre avec ces guerres picrocholines ubuesques
          Ce 2 ème quinquennat sera un quinquennat pour rien……mais celui de notre roi fainéant était du même tonneau avec pourtant une majorité absolue….

          -1
      • L’auteur de l’article écrit que le président nomme son gouvernement. Ce qui peut paraître absurde puisqu’il apparaît que c’est la meilleure façon de bloquer une assemblée, surtout si sa majorité est bien établie. Je croyais naïvement me souvenir que le président nommait un Premier ministre qui choisissait ensuite les membres de « son » gouvernement, parmi les personnalités des différents partis élus de la Chambre. Évidemment, cette véritable proportionnelle ne peut pas ou ne plus exister puisque le dispositif actuel, issu des détestations idéologiques et adopté contraint de longue date a fait inévitablement naître la formation de deux blocs (ou trois, si l’on veut) antagonistes qui joutent l’un pour renverser l’autre. Le vote démocratique est donc sans cesse en balance.

    • Une motion de censure n’a pas besoin d’être adoptée à l’unanimité, la majorité des membres de l’Assemblée nationale suffit.
      https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527528/2024-02-28
      Ce n’est pas le Gouvernement qui peut dissoudre l’Assemblée, mais le Président.
      https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527473/2024-02-28
      Paragraphe final « une motion de s’en sûre ». N’importe quoi!

  • pour « retrouver une action publique efficace ».
    si vous le dites..
    l’action publique peut être nuisible, elle l’est assurément pour certains dès que l’etat s’occupe du non régalien. prendre à paul pour donner à pierre..plus efficacement..

    et si on prend le régalien , par exemple la défense… il n’y pas d’efficacité que l’on puisse définir si simplement .. .. puisqu’il ‘ s’agit de spéculer juste..d’agir et de trouver les moyens..

    la crise de confiance est elle e spécifiquement française? je ne crois spas…elle traverse toutes les démocraties..

    je peux me tromper mais.. a réponse des pouvoirs dans les démocraties est similaire museler l’expression.

    sans parler du climatisme… autrement dit les gouvernement qui tentent de mettre la main sur les dépense énergétiques. sans cesser de dire qu’ils n’ont pas le choix.

    grosso modo les gouvernement nourrissent des manifestants qui crient quasiment il faut plus de pouvoir au gouvernement et moins au citoyen ….

    je ne suis pas certain que la crise soit institutionnelle, les institutions ont les défauts de leurs qualités.
    la crise est le recul de la démocratie là ou elle est légitime et son extension là ou elle ne l’est pas… tiens la crise du covid..quelles leçons?
    et un truc qui i ne cesse de me surprendre macron decide la fin des moteurs thermique pour après son mandat… quelle notion d efficacité de l’action publique mettez vous là dessus?

    • « pour après la fin de son mandat »…
      Ne voyez-vous pas qu’il n’y aura jamais de fin au mandat de Macron ? Soit il parvient à prendre la tête de l’UE, soit il utilise, à la Zelensky, la guerre en Ukraine et/ou la faillite du pays pour reporter les présidentielles et les législatives. Mon grand-père me l’avait enseigné, et il savait de quoi il parlait : c’est comme ça que ça commence, alors que personne ne veut y croire.

  • « des projets de lois dont les contours évoluent de manière inattendue au fil de la discussion parlementaire ». N’est ce pas une bonne chose?
    La France est un pays, où, normalement, le parlement n’a pas son mot à dire. Un coup de 49.3 et il la ferme. « Le gouvernement conserve en effet la plénitude du pouvoir réglementaire ». Oui, et il l’utilise, il peut ainsi « gouverner efficacement ». Ce qui signifie ici que tout ce que Macron veut, se passe.
    Le système de la 5 ième République est présidentiel: le président concentre la plupart des pouvoirs. Si on suit cette logique, c’est le parlement qui devrait demander la confiance de Macron. Tout se passe ainsi. Macron utilise le 49.3 car il a « confiance » en le parlement, dans le sens où ils ne veulent pas être dissous, alors ils obéissent.
    La situation des autres pays est tout autre, car c’est le pouvoir législatif qui domine. C’est donc normal qu’il y ait un vote de confiance.
    Bref, en France on est proche d’une monarchie élective. On élit un monarque pour 5 ans. Ce monarque n’a presque pas de contre pouvoirs. Ainsi, que l’on se rassure, lorsque Emmanuel Macron veut quelque chose, cela se fera, ce qui « offre un cap fiable et raisonnablement performatif ».
    Bref, vous l’aurez compris, ce n’est pas du tout ce que j’attends d’une démocratie: ce sont des discussions, de la mesure, du compromis. Une dictature offre un cap clair et net.

  • Actuellement en France les électeurs ne se soucie guère de la politique, je dirais même qu’ils s’en foutent certaines personnes gagne 700 euros par mois, avec ce pactole ils doivent se chauffer, manger, se vêtir, alors que les sénateurs se sont permis de s’augmenter de 700 euros pour les faux frais, cela ne choque personne dans la diaspora politique, lorsque qu’un president des USA se permet une relation avec une stagiaire , il a des comptes à rendre, un sénateur fait la même chose en France, c’est le black out totale,

    -1
  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
7
Sauvegarder cet article

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’êtr... Poursuivre la lecture

6
Sauvegarder cet article
Inflation et plus-value dans l’immobilier

En règle générale, les calculs du prix de l’immobilier publiés dans les journaux et revues, ou cités sur les sites internet ou les chaînes de radio-télévision sont effectués sans tenir compte de l’inflation. Les interprétations des résultats qu’ils présentent n’ont guère de sens.

La hausse des prix de l’immobilier est de toute évidence incontestable, mais il est nécessaire de rétablir une mesure rationnelle et réaliste de cette augmentation.

Cette mesure est déduite de deux indices défin... Poursuivre la lecture

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son ap... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles