Les Français aiment de moins en moins le libéralisme, pourquoi ? Que faire ?

La résistance au libéralisme en France repose sur des facteurs irrationnels, tels que la foi dans le collectivisme et la peur de la concurrence. Comment surmonter ces obstacles ?

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Les Français aiment de moins en moins le libéralisme, pourquoi ? Que faire ?

Publié le 29 mai 2023
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Un article de l’Iref-Europe

 

Malgré les innombrables succès dont il est à l’origine (économiques, technologiques, sanitaires, etc.) depuis plus de deux siècles, le libéralisme semble être honni plus que jamais dans le monde en général, et en France en particulier.

Pourquoi ? Peut-on espérer réconcilier un jour nos concitoyens avec ce courant d’idées ?

 

Le libéralisme a toujours aussi mauvaise presse en France

Déjà malmené à la fin des années 1990 par les « anti » ou « altermondialistes », le libéralisme est toujours aussi contesté et même détesté à notre époque.

Mis à rude épreuve par la crise de 2008-2009 (on se souvient du grief de « financiarisation de l’économie », sempiternellement ressassé), marqué par la crise du covid, qui a considérablement élargi (fût-ce provisoirement) le champ d’intervention de l’État-providence, le libéralisme est aujourd’hui si universellement mal aimé que de plus en plus de libéraux l’ont même abjuré, du moins en partie – Guy Sorman nous parle désormais de « post-libéralisme », Francis Fukuyama estime pour sa part que le « néo-libéralisme » d’un Friedrich Hayek ou d’un Milton Friedman est voué à disparaître.

Ce mouvement, observable à l’échelle planétaire, de défiance croissante à l’égard du libéralisme, rencontre un écho particulièrement favorable en France, qui ne l’a d’ailleurs jamais beaucoup aimé. (pour un examen complet de cette question, on se reportera à L’Obsession anilibérale française, Libréchange, 2014.) Héritière d’une tradition colbertiste faisant d’un État fortement centralisateur le pivot central de l’économie, largement réceptive au XXe siècle aux idées socialo-marxistes, la France n’a jamais expérimenté le libéralisme (exceptée la brève parenthèse d’une très timide esquisse de libéralisation de l’économie entre 1986 et 1988, lors de la première cohabitation). Chose d’autant plus incompréhensible que c’est la France qui, avec l’Écosse, l’a inventé au siècle des Lumières…

Comme le rappelle Alexis Karklins-Marchay dans son dernier livre, Pour un libéralisme humaniste (Paris, Presses de la Cité, 2023), « le terme libéral est devenu une insulte, aussi bien à gauche qu’à droite (p. 22). Le libéralisme, ajoute-t-il (hélas avec raison), est devenu la bête noire des politiques de tous bords : nationalistes, socialistes, écologistes, etc. […] Le fait pour un politique de se dire libéral anéantit d’un coup ses chances d’être élu ».

On peut considérer que cette situation reflète bien, d’une manière générale, la réputation du libéralisme en France. Selon un sondage conduit par l’Ifop en 2023, en partenariat avec L’Opinion, 70% de nos compatriotes le voyaient favorablement en 1999, alors qu’ils ne sont plus que 50 % en 2023. En outre, 46 % des Français voudraient davantage d’État, et 51 % considèrent que l’État devrait davantage protéger les citoyens sur le plan social.

 

Haro sur le libéralisme

Dans le même ouvrage (cf. la sous-partie intitulée « Les sept péchés capitaux du libéralisme »), Alexis Karklins-Marchay tente de regrouper les principaux reproches faits au libéralisme, parmi lesquels : l’individualisme, la logique financière et la priorité donnée à la rentabilité de l’actionnaire, le consumérisme, ou encore l’exacerbation des inégalités.

Alexis Karklins-Marchay admet que certaines de ces critiques sont parfois quelque peu simplistes ou erronées. Mais plutôt que de s’attacher à réfuter ce qu’elles comportent d’arguments fallacieux, plutôt que de tenter de convaincre le lecteur a priori hostile aux bienfaits du libéralisme, y compris pour le plus grand nombre, Alexis Karklins-Marchay préfère le rendre présentable en appelant à son renouvellement de l’intérieur : selon lui, il doit aujourd’hui incorporer les critiques qu’on lui adresse, à défaut de quoi il serait condamné à disparaître.

L’IREF s’attache à faire exactement le contraire. Nous nous efforçons de partir de ces critiques pour les réfuter, une à une.

Prenons l’individualisme : une notion souvent exécrée dans notre pays, car nous l’assimilons spontanément à l’égoïsme ou au narcissisme. Comme le philosophe Alain Laurent n’a cessé de le montrer dans ses livres et ses articles, l’individualisme, c’est le souci de soi dans le bon sens du terme, qui n’exclut nullement celui des autres. C’est la possibilité de construire soi-même sa propre existence, de se prendre en charge sans faire peser le poids de ses décisions personnelles sur la collectivité – chose assortie de la reconnaissance de ce droit pour autrui.

La logique financière et la rentabilité de l’actionnaire, ensuite. N’oublions pas que c’est la compétitivité des entreprises – sous-tendue par la recherche constante de la satisfaction du client et la perspective de rendements pour l’actionnaire – qui a permis de créer autant de richesses et d’emplois depuis les débuts du capitalisme moderne. En outre, pourquoi vouloir toujours diviser la société en clans (les actionnaires contre les travailleurs, par exemple), dont les intérêts seraient prétendument antagonistes ? Une société libre est une société dont les acteurs sont largement interdépendants. Qui plus est, l’actionnaire ne relève pas d’une quelconque caste de privilégiés : tout un chacun peut devenir aujourd’hui actionnaire, au rebours de ce que pensait d’ailleurs Marx.

Quant à l’accroissement des inégalités, celles-ci ont été incomparablement plus marquées dans les sociétés « nomenklaturistes » que furent l’URSS ou ses dérivés socialistes, que dans les sociétés capitalistes. La mondialisation libérale a permis au contraire à des millions de personnes de par le monde de sortir de la grande pauvreté. Et ce qui compte en définitive, c’est l’élévation globale du niveau de vie, qui permet aujourd’hui à presque tous d’avoir accès à un ensemble considérable de produits et de services, qui ne sont pas réservés à une seule élite.

 

Foi collectiviste, peur de la liberté

Chacune des critiques du libéralisme listées par Alexis Karklins-Marchais dans son livre est réfutable, et a d’ailleurs souvent été réfutée par l’IREF dans ses articles et ses « pendules à l’heure ». Et par bien d’autres encore. Gageons toutefois que la plus rigoureuse démonstration de la fausseté de ces critiques ne suffirait pas à convaincre les Français des vertus du libéralisme. Car le refus d’y adhérer est aussi, et peut-être surtout, largement motivé par des facteurs d’ordre irrationnel.

Dans son livre Français, n’ayez pas peur du libéralisme (Paris, Odile Jacob, 2007, p. 278), Pascal Salin écrit que la social-démocratie (tout comme les sociétés entièrement collectivisées, à un degré inférieur) repose sur deux piliers, la foi et la peur.

« Foi, écrit-il, dans les solutions étatiques, foi dans le collectivisme, foi dans le volontarisme, peur de troubler l’ordre établi, peur de penser différemment, peur de perdre des avantages acquis. Il nous faut donc ébranler cette foi et vaincre cette peur ».

Ébranler cette foi collectiviste est une chose difficile à accomplir dans la mesure où elle est généralement imperméable aux arguments et à la démonstration rationnelle.

Quant à la peur, comment espérer la vaincre ? Comme le remarquait Jean-François Revel dans La Grande Parade (Paris, Plon, 2000, cf. le chapitre « La peur du libéralisme »), la résistance au libéralisme répond à un besoin d’ordre psychologique : celui de « conjurer deux peurs présentes en chacun de nous, la peur de la concurrence et la peur des responsabilités » (p. 255). D’où la pléthore de barrières érigées en France contre les concurrents réels ou potentiels, ainsi que les avantages et statuts spéciaux octroyés à des groupes défendant des intérêts catégoriels.

Revel rappelle en outre l’importance du « confort de l’irresponsabilité qu’apporte l’appartenance à toute la grande machine étatique ou para-étatique » (ibid.). Les Français ne seront donc susceptibles d’adhérer au libéralisme qu’à cette double condition : qu’ils aient la lucidité de constater que l’étatisme et le collectivisme n’ont jamais rien résolu de manière satisfaisante, et qu’ils sachent aussi dépasser leur peur de la concurrence et de la responsabilité. En bref, qu’ils reprennent confiance en eux.

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  • Très bon article, mais je reste sur la faim. Puisque le refus du libéralisme est surtout irrationnel (peur de la concurrence, etc.) rien ne sert de brandir des arguments ni de réfuter les critiques. Il faut agir sur les émotions, les passions. Il faut rendre le libéralisme désirable, sexy, tendance. A quand le t-shirt Bastiat ou la casquette Hayek?

  • Alexis Karklins-Marchay présente l’ordo libéralisme comme une solution pragmatique adaptable à une catégorie de la population française, la plus majoriritaire.
    A l’instar de l’IREF les libéraux conservateurs ne font pas autre chose, avec une autre catégorie de la population française.
    Chacune de ces tendances libérales, en cherchant à s’adapter à son public visé, semble parfois adopter des positions constructivistes et perdre de vue les principes libéraux, mais ne confondons pas ces derniers avec les stratégies à adopter pour les rendre compréhensibles par la population.
    Commmençons donc par cesser les querelles de chapelle, chacune des tendances libérales a son propre lot de clients à convaincre.

  • Avatar
    jacques lemiere
    29 mai 2023 at 7 h 40 min

    Je crois… que c’est juste la consequence de mettre un doigt dans la machine collectiviste…

    dès que c’est fait on crée une JUSTE revendication, on spolie… on en crée une autre pour la compenser ..

    et dès lors qui perd gagne est illisible..

    vous trouvez des tas d’articles étatistes sur contrepoints.. typiquement pour le nucléaire..

    les auteurs expliquent rarement comment ils vont éviter la série de conséquences qui suit..

    le libéralisme implique d’dmettre qu’on est un spoliateur et un privilégier et donc de proposer de vivre moins bien..

    -2
  • L’auteur de l’article passe plus de temps à critiquer le livre de Karklins sur l’ordolibéralisme qu’à proposer des remèdes à l’antilibéralisme français. Ce qui est certain, c’est que si la France voulait amorcer un virage en direction du libéralisme, il y aurait forcément une transition du contexte administré actuel vers cet objectif, période d’ailleurs nécessaire à l’acceptation social, culturel et politique du modèle nouveau . Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de se souvenir de l’évolution de la société allemande post guerre mondiale partant de plus loin que nous (une société totalement étatisée par le nazisme), pour aller actuellement plus loin que nous en libéralisme. Si l’ ordolibéralisme ne représente pas la pureté absolue du modèle libéral, il constitue en revanche le seul chemin incontournable et réaliste pour y arriver.

    • « Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de se souvenir de l’évolution de la société allemande post guerre mondiale partant de plus loin que nous (une société totalement étatisée par le nazisme), pour aller actuellement plus loin que nous en libéralisme. »
      Certes, l’Allemagne pourrait faire la promotion du libéralisme en Europe en affichant la réussite de son modèle économico-industriel auprès des autres membres de l’UE; mais trop empêtrée dans sa transition verte, d’une part elle ne serait pas crédible, et d’autre part, a-t-elle intérêt à ce que les autres états membres de l’UE deviennent libéraux?

  • Que faire ? Un peu moins de philosophie et un peu plus de propositions pratiques et concrètes, mais effectivement libérales. Quand on voit l’Institut Molinari en croisade pour une « généralisation de la capitalisation collective », et donc la captation de l’épargne privée, on comprend tout de suite que le citoyen lambda préfère encore le collectivisme…

  • Il y a une contradiction manifeste dans l’article, qui démarre son argumentaire sur l’héritage historique d’un Etat fortement centralisateur pour conclure que l’antilibéralisme est le fait de la frilosité des français. Ce n’est pourtant pas sorcier d’imaginer que la frilosité supérieure des français serait la conséquence directe et indirecte d’un Etat fortement centralisateur et indivisible. Il n’y a que les libéraux français pour se voiler la face à ce point en croyant naïvement que le libéralisme est avant tout l’affaire d’un homme ou d’une femme providentiel(le). Bref toujours ce fameux dirigisme ! C’est désespérant !

    • 1 – « Ce n’est pourtant pas sorcier d’imaginer que la frilosité supérieure des français serait la conséquence directe et indirecte d’un Etat fortement centralisateur et indivisible. »

      2 – « Il n’y a que les libéraux français pour se voiler la face à ce point en croyant naïvement que le libéralisme est avant tout l’affaire d’un homme ou d’une femme providentiel(le). Bref toujours ce fameux dirigisme ! C’est désespérant ! »

      Il n’y aurait pas une contradiction flagrante entre ces 2 propositions successives ?

  • Pourquoi ? La réponse est dans l’article. Voilà donc deux libéraux, l’un ordolibéral, l’autre libertarien, qui ne sont en réalité d’accord sur rien !
    Vous croyez que ça donne envie d’acheter ?
    On comprend qu’un grand mouvement politique puisse héberger plusieurs courants. Pas quand le machin n’arrive même pas à franchir le cap des 500 signatures.

    • Plus précisément, le second est un libéral conservateur qui utilise des arguments libertariens pour critiquer le premier.

  • Ce n’est dû qu’à notre éducation nationale où on y apprend :
    Richesse : pas bon
    Assistanat : très bon
    Travail : pas bon
    Assistanat : très bon
    Libéralisme : pas bon
    Assistanat : très bon
    Etc, etc

  • Personnellement, j’ai réalisé il y a quelques mois un sondage sur 100 jeunes, bac +4 et au delà. Voici les résultats :
    90 confondaient libéralisme et capitalisme
    95 ne connaissaient ni Bastiat, ni Hayek, ni Locke, ni Hume.
    95 étaient incapables d’expliquer la relation du libéralisme avec les philosophes du Siècle des Lumières.
    50 connaissaient Alexis de Tocqueville mais n’ont pas lu son livre « De la Démocratie en Amérique ».
    Pour une grande majorité d’entre eux, leurs connaissances économiques avaient été façonnées par des profs de gauche, voire d’extrême gauche.
    Conclusion : Pour faire aimer le libéralisme il faut d’abord que l’éducation des jeunes à l’économie ne soit pas donnée à des profs qui haïssent le libéralisme.

  • Foi collectiviste, peur de la liberté…
    Les Français sont gaulois réfractaires au changement…
    Toute ressemblance avec etc.
    Pour continuer dans le macronesque, paraphrasons le :
    – D’une certaine manière, le libéral doit se comporter comme une prostituée, le boulot c’est de séduire !

  • Le mot « libéralisme » a pour la plupart des gens le sens de « tout le pouvoir aux riches ». Le mot « individualisme » subit la même mésaventure, étant presque toujours entendu comme strict synonyme d’égoïsme. Tant qu’on n’est pas d’accord sur le sens des mots, aucun débat n’est possible.

    • C’est un peu le problème de la richesse de la langue française: Beaucoup de mots pour désigner des choses presque identiques, plusieurs sens différents de certains mots selon le contexte dans lequel on les place, et aussi une indigence intellectuelle de beaucoup de français qui méprisent leur langue maternelle au point de n’en saisir aucune nuance et bien souvent de ne rien comprendre à ce qu’ils lisent ou entendent! Pas besoin de chercher bien loin, la tour de Babel, c’est chez nous!

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