Choose France : l’attractivité de la France est-elle une réalité ?

L’attractivité de la France mise en avant lors des rencontres « Choose France » suscite des interrogations sur la politique menée depuis six ans et les résultats concrets en termes d’investissements et d’emplois créés.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 6
image générée par ia

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Choose France : l’attractivité de la France est-elle une réalité ?

Publié le 24 mai 2023
- A +

Deux cents patrons du monde entier, dont le très célèbre Elon Musk qui est à la recherche de la Vérité, ont accepté l’invitation à Versailles du président français pour la sixième édition des rencontres Choose France. Je n’étais pas invité sous les ors du château (dont la restauration doit beaucoup à la générosité des Américains) mais j’ai pu comprendre grâce à l’émission du JT de TF1 lundi soir, pourquoi la France est tellement attractive.

Le président mesure l’attractivité par des chiffres globaux : 13 milliards investis, et depuis quatre ans la somme des investissements d’entreprises étrangères en France ne cesse d’augmenter. Treize milliards ce sont déjà 8000 emplois créés. D’autres chiffres pourraient calmer l’enthousiasme : d’une part sur 8000 emplois il y en a déjà 3000 dans une usine de Dunkerque qui fabrique du petit appareillage électrique high tech, et pour les 23 autres sites concernés par les investissements le nombre moyen d’emplois créés serait seulement de 33 salariés : beaucoup de petites start-ups.

Très simplement et très assuré, Emmanuel Macron a expliqué que si les emplois créés sont à un faible niveau (nous sommes sur ce point au 18e rang des pays de l’OCDE), c’est parce que nous partions de zéro il y a six ans, avec une désindustrialisation massive. Mais grâce à la politique menée depuis lors, on a pu passer de 600 suppressions de sites industriels à 300 maintenant, et le rattrapage sera complet à la fin de ce deuxième quinquennat.

D’ailleurs, Emmanuel Macron se plaît à rappeler toutes les causes et toutes les réformes de ce renouveau : les causes sont les talents des Français, un peuple de commerçants, d’artisans, d’entrepreneurs et d’entrepreneuses (et d’électeurs). Les réformes ont été décisives : baisse des impôts, abaissement du coût du capital et du coût du travail, réforme du droit du travail, politique de l’énergie « décarbonée à bas coûts ». Il faut même souligner « l’absence de grèves » (dans les entreprises privées) et la « qualité des relations sociales ».

On peut se demander pourquoi l’agence de notation Fitch a déclassé la France il y a quinze jours. Certes, l’agence s’est référée aussi à « l’impasse politique et les mouvements sociaux », mais le président a l’art de calmer le jeu : il y a un peu de désordre, mais les manifestations se sont bien passées, seuls quelques extrémistes très minoritaires ont troublé l’ordre public « et ce n’est pas çà la France ». En France il y a eu des « avancées sociales grâce à un dialogue social de qualité ».

Emmanuel Macron a eu raison de rappeler la vérité historique (il aime réécrire l’histoire) car j’avoue avoir longtemps perdu la mémoire de toutes ces bonnes choses. Les massifs investissements étrangers à partir du port de Dunkerque vont constituer un nouveau « écosystème » dans la « vallée électrique », dont on peut garantir qu’elle développera une « industrie verte ».

Évidemment, quelques esprits chagrins ne partagent pas cette ode à la réindustrialisation. On a fait remarquer que les entreprises étrangères sont sensibles aux subventions publiques qui leur sont promises, qui se monteraient à plus de deux milliards pour la France, auxquels s’ajouterait l’apport du fonds européen.

On remarque aussi que la France bénéficie de facteurs de production rares en Europe : des espaces disponibles, des infrastructures de qualité. Cela suffirait à compenser les coûts du capital et du travail.

Mais je voudrais, pour ma part, m’interroger sur les rencontres Choose France, sur la désindustrialisation, sur les délocalisations.

 

Pourquoi les attirer chez nous ? 

C’est une question que se posent les souverainistes, et Macron se proclame souvent souverainiste pour ne pas laisser l’argument au monopole de Marine Le Pen.

Parfois, il est souverainiste européen, quand il pense que l’Élysée peut devenir la capitale de l’Union. Il est certain que les étrangers sont finalement les bienvenus parce que s’ils n’investissent pas, la France manque de capitaux. La comparaison a été faite avec les Allemands : leurs usines leur appartiennent parce que les investissements nationaux sont largement suffisants, la capacité vient de l’excédent de leur balance commerciale. Une industrie prospère s’autofinance et exporte, elle n’a pas besoin de l’aide de l’État, elle se contente de bénéficier d’une grande fluidité du marché du travail grâce à des syndicats dépolitisés.

Par ailleurs, la situation de beaucoup d’entreprises françaises est si mauvaise qu’elles peuvent être rachetées à bon compte, la rentabilité financière est assurée dès le départ.

Enfin, certains pays ne cachent pas leur intention d’accroître leur influence marchande et politique sur les pays où ils investissent : c’est le cas de la Chine qui poursuit la reconstruction de la route de la soie et a déjà bien avancé dans les pays proches de la Méditerranée et prolongeant le Moyen Orient. C’est aussi le cas de pays arabes, qui exportent leur message religieux en même temps que leurs capitaux. Comme les libéraux le déplorent, la mondialisation est aujourd’hui une opération politique, le libre échange est contrarié par le protectionnisme imposé par l’électoralisme, qui paradoxalement intègre aussi le souverainisme.

 

La désindustrialisation : une catastrophe ?

Se désoler de la désindustrialisation est un thème majeur de la pensée unique.

La désindustrialisation serait la source de la disparition de nos usines et des emplois qu’elles comptaient. Elle aurait été aggravée par le covid et la guerre, rappelle le président. Mais je ne crois pas que la pensée économique soit bien en accord avec la pensée unique française. Sans exagérer les vertus de Colin Clark ou de Maslow, les économistes savent que la croissance d’une économie s’accompagne de changements structurels importants, parce que les besoins des êtres humains varient avec leur niveau de richesse.

À faible niveau, il faut surtout satisfaire les besoins physiologiques comme se nourrir, se couvrir. L’agriculture est au cœur de ce secteur primaire qui occupait en France la moitié de la population active en 1962 ; il est à 2,5 % aujourd’hui. Viennent ensuite les besoins de se loger, se déplacer, se soigner qui peuvent être satisfaits. L’industrie se développe alors car elle est au cœur de ce secteur secondaire dont les emplois sont en effet en baisse dans notre pays en proportion de la population active, représentant quelque 20 % aujourd’hui (la construction étant comprise dans le secteur).

De la sorte, la croissance s’accompagne d’un taux d’emploi explosif dans le secteur des services : plus de deux emplois sur trois actuellement. C’est que les besoins et les efforts s’orientent vers l’administration, le tourisme, les loisirs, la culture, tout ce qui caractérise en général les pays riches ou développés.

Je ne vois pas pourquoi il y aurait un risque ou un déshonneur à cesser d’être ouvrier pour devenir employé de banque ou caissière d’un grand magasin, voire professeur des écoles. Cela dit, cette évolution qui, je le rappelle, s’inscrit dans la logique du comportement humain, peut poser de nouveaux problèmes et détruire certaines coutumes. Mais l’activité de service peut même aller jusqu’à reconstruire de vieux modes et de vieux outils de fabrication.

Je dois dire aussi qu’avec le développement économique dans beaucoup de pays, et particulièrement le nôtre, vient fatalement l’excroissance de l’État providence, créant ainsi un quatrième secteur : celui des assistés, dont la proportion dans la population en âge de travailler est visiblement en hausse. À la difficile réindustrialisation on devrait préférer la réactivation des assistés.

 

Les délocalisations

Les protectionnistes et souverainistes n’ont aucun sens de la réalité économique mondiale.

Jadis, François Perroux avait écrit que l’économie est « géonomique », c’est-à-dire dépendante des richesses contenues dans les terres de la nation considérée. Dans cette approche, le commerce international (il n’a jamais été échange entre États, mais entre producteurs et consommateurs) s’organisait en fonction des ressources agricoles, minières, énergétiques possédées par chaque État.

En poussant un peu plus loin le souverainisme, on en arrive à la fable ricardienne de la division internationale du travail. Maurice Allais expliquait que la France ne pourrait plus produire que des produits de luxe et perdait toute chance de fabriquer des automobiles (qu’il réservait à l’époque aux Américains). Les statistiques démontrent qu’aujourd’hui les courants d’échange sont « croisés » : on vend aux Allemands des voitures fabriquées en France, et les Français achètent des voitures achetées en Allemagne ou fabriquées en République tchèque pour les Allemands.

Certes, il y a encore une part de vérité dans cette approche « géonomique », on observe aujourd’hui la chasse qui est faite à certains pays pour les métaux rares ou pour les énergies naturelles (fussent-elles fossiles).

Mais, pour la plus grande partie des échanges, le lieu de la production n’a plus qu’un intérêt mineur. Il est possible de « déménager » une usine en quelques mois, les techniques sont diffusées dans tous les pays et les progrès des transports (et notamment des containers) font qu’il est moins cher de fabriquer un pneu en Asie qu’à Clermont-Ferrand.

Par ailleurs, le secteur des services n’a pas de frontière à franchir en dépit des tourments que causent les administrations locales. C’est précisément en fonction de ces tourments qu’il est difficile d’investir en France : contrairement à ce que dit notre président, notre perte de compétitivité dépend des records que nous tenons dans les coûts (artificiels) du travail et de la bureaucratie.

Je voudrais conclure sur ce qui me paraît primordial.

Supposons que les investisseurs étrangers choisissent la France. Mais combien de Français choisissent-ils l’étranger ? Importer du capital financier c’est bien, mais exporter du capital humain c’est très vite la perte la plus lourde à coup sûr. Se féliciter de l’attractivité française n’est pas très lucide quand on ne s’inquiète pas du départ chaque année de plusieurs dizaines de milliers de jeunes Français, souvent les plus instruits et les plus dynamiques. Ces Français-là n’ont pas la même opinion que celle qu’on prête aux « grands patrons étrangers » : ils ne choisissent pas la France. Sont-ils de mauvais Français ?

Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • Laisser aux énarques politiciens et à leurs administrations où la plupart sont logés la vision économique de la France est une gageure pour ne pas dire une erreur. Car c’est ainsi laisser prendre des décisions à ceux qui sont extérieurs au monde économique (voire international)
    Le déclassement progressif de la France est le seul marqueur de ces incompétents qui ruinent notre pays mais qui ont le verbe péremptoire à la TV pour le peuple votant.

  • Espaces disponibles, infrastructures de qualité…
    La loi oblige les espaces disponibles à le rester, puisqu’il n’est pas possible d’artificialiser les sols, d’obtenir des permis de construire, d’aménager quoi que ce soit. Ainsi, elle demeurera attirante pour l’éternité.
    Question infrastructures, nous avons en effet plus de ronds-points que nulle part dans le monde. Ils ne sont pas toujours faciles à emprunter avec un semi-remorque, mais encore faudrait-il que ce semi-remorque n’ait pas été arrêté dans un bouchon avant. Nous avons aussi une interdiction de prendre l’avion quand il existe une ligne à grande vitesse. Donc allez organiser une réunion à Paris avec vos cadres de Bordeaux et Nantes, avec nos TGV à la ponctualité incertaine, sans qu’aucun ne passe la nuit sur place (ou dans le train du retour bloqué pour une raison ou une autre), ni ne retrouve sa voiture brûlée au retour sur le parking de la gare (en supposant qu’il en reste un).

  • Non seulement, des Français vont voir s’il y a plus de soleil ailleurs, mais aussi les entreprises étrangères implantées en France aussi. Et là, elles partent brutalement dans des pays à moindre coût, notre attractivité n’est pas éternelle.
    Heureusement, notre pays est un pays de parcs de loisirs, des grandes zones de touristes (protégées , avec même des quotas), pourvu que çà dure … le pognon finira par manquer, c’est déjà le cas de la main d’œuvre; heureusement, pour ce dernier point, notre attractivité est forte. Quoique, pas seulement pour le travail, mais aussi pour notre modèle (?) social peut-être pas durable non plus.

  • Est-ce que le rachat de nos fleurons compte dans les « investissements étrangers » ? Ainsi la perte d’Alstom et consorts serait positivée… ?

  • Avatar
    jacques lemiere
    24 mai 2023 at 22 h 23 min

    quand l’industrialisation devient un sujet politique on a de toute façon un problème;. qui crée une entreprise pour « remonter le taux d’indutrialisation » ???? qui cherche un emploi pour faire baisser le taux de chomage..???
    Si l’état fait en sorte de .protéger les libertés et les propriétés.. on constate compte tenu de la nature humaine que les gens montent des entreprises ..l’inustrialisation se constate comme la désindustrialisation…

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

En février 2023, je publiais l’étude « Méga-usines : 5 grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater en 2023 ». Alors que la France avait vu de gros projets industriels lui passer sous le nez au cours des années précédentes (Tesla, Intel), je souhaitais montrer que de nouvelles grandes implantations industrielles étaient à l’étude en Europe, et que la France ne devait pas rater cette séance de rattrapage.

Notre pays a aujourd’hui d’autant plus besoin d’accueillir les prochaines méga-usines prévues en Europe qu’ell... Poursuivre la lecture

Le service des douanes vient de faire connaître le résultat de notre commerce extérieur pour 2023 : à nouveau un solde négatif important de 99,6 milliards d’euros. Certes, c’est mieux que l’année précédente où le déficit avait été supérieur à cause de l’envolée des prix de l’énergie causée par la guerre en Ukraine, mais le solde est négatif, une fois de plus.

La balance du commerce extérieur français est donc régulièrement déficitaire depuis 2005, c'est-à-dire depuis maintenant une vingtaine d’années. Ce solde négatif a plutôt tendance... Poursuivre la lecture

En dépit d’un contexte social et politique troublé, la France demeure pour la quatrième année consécutive le pays d’Europe le plus attractif pour les investissements étrangers.

Sur près de 6000 projets annoncés l'an dernier en Europe, près de 1300 concernaient la France, 3 % de plus qu'en 2021. Dans les détails, quatre projets sur dix sont industriels, avec en comparaison peu de projets dans le secteur tertiaire. Pour ceux qui suivent les statistiques de l’économie française (endettement public, croissance faible, poids des charges et ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles