L’importance de la garantie des droits dans un État de droit

Malgré la déclaration de nouveaux droits, la garantie effective des droits fondamentaux reste un défi central, avec une diminution de leur effectivité dans les régimes illibéraux et libéraux

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L’importance de la garantie des droits dans un État de droit

Publié le 23 mai 2023
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Il y a plus de cinquante ans, le philosophe du droit italien, maître du courant analytique, Noberto Bobbio, déclarait :

« Le problème des droits et libertés n’est sans doute plus tant aujourd’hui de les fonder et de les énoncer mais plutôt de les protéger ».

Cinquante ans après, cette assertion est toujours valable. Non que la déclaration de nouveaux droits n’est pas importante mais le problème central reste celui de leur garantie car dans le domaine des droits et libertés, « l’écart entre l’existence de la norme et l’effectivité de son application est le plus grand ».

Dès lors et pour reprendre la juste formule de Véronique Champeil-Desplats :

« Les mécanismes juridiques ayant vocation à assurer la concrétisation des droits et libertés sont ainsi constamment mis à l’épreuve de l’état du monde dans lequel ils sont institués ».

 

Ce second article poursuit le premier en ce qu’il vise plus particulièrement la garantie des droits fondamentaux. Le premier article n’était au fond qu’une illustration de cette garantie. Il s’agira dans ce second article d’interroger les garanties relatives aux droits fondamentaux.

On ne peut nier aujourd’hui que les droits et libertés fondamentaux ont partout reculés.

Que ce soit dans les régimes illibéraux ou dans les régimes dits « libéraux », le domaine des droits et libertés s’est restreint dans son effectivité. Paradoxalement, l’ère est à la revendication de nouveaux droits. Mais au lieu de revendiquer de nouveaux droits, ne faudrait-il pas s’assurer que les anciens droits font déjà l’objet d’une protection suffisante ? Les questions de l’énonciation et de la garantie des droits fondamentaux ne sont pas exclusives l’une de l’autre, elles se complètent par ailleurs. Mais c’est bien la seconde question, celle de la garantie effective qui doit nous interroger. À quoi bon énoncer de nouveaux droits si on ne peut garantir de manière effective ces droits fondamentaux ?

Comme a pu le montrer de manière très juste Véronique Champeil-Desplats, les mécanismes de garantie des droits fondamentaux ont eu trois phases au cours de l’Histoire des droits fondamentaux que l’on verra brièvement.

Dans un premier temps, c’est l’option mécaniste de la séparation des pouvoirs qui fut choisie, marquant ainsi le début du constitutionnalisme. On estimait, suivant – assez faussement – les assertions de Montesquieu, qu’en séparant les pouvoirs, on allait arrêter le pouvoir en évitant sa concentration dans les mains d’un seul sous peine que tout soit perdu. L’enjeu était de limiter le pouvoir exécutif. Les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires furent ainsi séparés.

Les Constitutions de 1791 et 1795 exprimèrent, dans leur radicalité, cette idée d’une séparation stricte des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire fut séparé entre autres, par la loi des 16 et 24 août 1790 interdisant au pouvoir judiciaire de connaître les litiges en lien avec l’administration. Paradoxalement, cette séparation conduira à une confusion des pouvoirs avec l’option de l’administrateur-juge pour juger les litiges administratifs.

Ce premier modèle n’a cependant pas permis d’assurer une garantie efficace des droits fondamentaux.

Dans un second temps, c’est le modèle légicentriste qui domina. Marqué par la « souveraineté parlementaire » (R. Carré de Malberg), la loi, à la fois expression de la volonté générale et issue d’une assemblée élue démocratiquement, ne pouvait mal faire. Dès lors, c’est notamment sous la Troisième République que les grandes lois relatives aux libertés publiques furent adoptées (loi de 1881 ; 1901 ; 1905 ; etc). Enfin, à la suite du second conflit mondial, il apparaissait évident que la loi pouvait mal faire, qu’elle pouvait être liberticide et qu’elle n’était pas l’expression de la volonté générale mais d’une majorité parlementaire qui, fusionnant avec le gouvernement, tentait d’imposer son diktat à l’opposition parlementaire (B. Léoni).

Il devenait alors évident que les organes institutionnels gouvernantes (pouvoir législatif et exécutif) ne pouvaient constituer des garanties effectives pour les droits fondamentaux. Dès lors, la figure du juge va émerger, et notamment celle du juge constitutionnel. Enfin, la Constitution ne sera plus une simple norme d’organisation des pouvoirs axiologiquement neutre mais elle sera l’expression des valeurs fondatrices d’une Nation, d’une identité ethnoculturelle et deviendra une norme suprême garantie par un juge constitutionnel. Cette troisième période est celle du néo-constitutionnalisme qui exprime notamment une forte croyance dans la Constitution et une surinterprétation de cette dernière (R. Guastini).

Aujourd’hui donc, la garantie des droits fondamentaux passent principalement par les juges. Qu’ils soient conventionnels (Cour européenne des droits de l’Homme et Cour de justice de l’Union européenne), constitutionnels (Cours constitutionnelles, Cours suprêmes) ou « ordinaires » (juge administratif et juge judiciaire), les juges sont censés veiller à la garantie des droits fondamentaux. Si à côté de ces juges, d’autres acteurs agissent pour les rendre effectifs (ONG, pouvoirs publics, Ombudsman, etc.) il n’en demeure pas moins que la garantie effective par les juges doit interroger.

Le cas du Conseil d’État ne sera regardé. Il ne fut pas pensé comme un défenseur des libertés, même si par l’effet de la conventionnalisation de l’ordre juridique, il s’en soucie de plus en plus. Si l’on regarde le Conseil constitutionnel, depuis 1971 et sa décision « Liberté d’association », il est perçu et se définit comme un gardien des droits fondamentaux. La réalité de ce titre est ambivalente. Ce qui est indéniable, c’est qu’il a su, par son pouvoir d’interprétation, énoncer de nouveaux droits fondamentaux (dignité de la personne humaine ; liberté de la femme à avorter ; liberté d’entreprendre etc).

Mais ce qui est aussi indéniable c’est que l’effectivité des droits fondamentaux a diminué et leur garantie s’est affaiblie. La jurisprudence du Conseil constitutionnel1 ne manque pas d’exemple. Si les décisions relatives aux états d’urgence, tant sécuritaires que sanitaires, sont topiques en ce sens qu’elles expriment une retenue immodérée en temps de crise, les décisions prises en temps normal sont aussi consternantes pour la protection des droits fondamentaux.

Si certaines dispositions ont pu être censurées, ce n’est pas à cause du fond (atteinte à la vie privée par exemple), mais simplement sur la forme (absence de garantie par exemple). Le fameux « article 24 » de la loi Sécurité globale fut censurée une première fois, car il manquait des garanties. Mais ce même article fut remis dans la loi Responsabilité pénale et Sécurité intérieure et ne fut pas censuré. De même, dans sa décision n°2023-850 DC du 17 mai 2023 relative à la « Loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres disposition », mis à part quelques réserves (directive simple au considérant 14 et neutralisantes négatives au considérant 39), le Conseil constitutionnel ne trouve rien à dire sur l’utilisation de ce nouveau dispositif au prétexte que c’est temporaire. Un recul de nos droits fondamentaux se produit par l’aval du Conseil constitutionnel. Cela est assez paradoxal quand on sait que les Cours constitutionnelles furent instaurées après guerre pour éviter de tels reculs. Si la critique vise le Conseil constitutionnel, on peut aussi l’étendre au Tribunal constitutionnel espagnol ou à la Corte italienne, qui souffrent eux aussi de nombreuses critiques.

On en revient ainsi au problème soulevé dans cet article : à quoi bon énoncer de nouveaux droits si on ne parvient pas à les garantir ?

Le cas du droit à l’avortement peut ici être utile pour éclairer ce point. Le Conseil constitutionnel a, par sa jurisprudence, opéré une constitutionnalisation indirecte et implicite de la liberté de la femme à avorter, la faisant « découler » (fameux verbe connecteur) de l’article 2 de la Déclaration de 1789. Or, depuis l’arrêt Dobbs de la Cour suprême étasunienne, certains députés français ont voulu constitutionnaliser explicitement et directement le droit à l’avortement en affirmant notamment que cela offrirait une meilleure protection.

Se pose alors la question de la pertinence d’une telle constitutionnalisation explicite et directe. Il est évident qu’il y a une méconnaissance d’un élément essentiel du constitutionnalisme moderne selon lequel le champ de la Constitution matérielle dépasse le cadre de la Constitution formelle. Autrement dit, le domaine de la Constitution dépasse le simple texte de la Constitution. Ainsi, ne pas évoquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel revient à nier que, pour la plupart, les droits fondamentaux se trouvent en dehors du texte constitutionnel lui-même. Si l’on est conséquent et que l’on considère que le Conseil constitutionnel n’a pas constitutionnalisé la liberté de la femme à avorter, il faut aussi dénier à la dignité de la personne humaine, le droit au secret des correspondances, la liberté de mariage ou encore la liberté contractuelle, le statut de norme constitutionnelle.

Mais le problème central ne se situe pas ici mais au niveau de la garantie de ce droit à l’avortement. Que changerait une constitutionnalisation explicite et directe du droit à l’avortement en matière d’effectivité ? Le Conseil constitutionnel préserverait déjà les « garanties légales des exigences constitutionnelles » en ce qu’il censurerait toute violation (et non atteinte) de ce droit. Alors, que viendrait ajouter ce changement dans l’état du droit en matière de protection ? C’est là toute l’épineuse question. Cela se pose d’autant plus que les problèmes qui entourent l’avortement en France ne sont pas les mêmes qu’aux États-Unis.

Ainsi, si aux États-Unis, le droit à l’avortement porté au niveau fédéral reposait sur des bases argumentatives fragiles, ce n’est pas le cas en France. De plus, en France, l’accès à l’avortement est freiné par les problèmes de fournitures de pilules abortives ainsi que par la fermeture des centres IVG (153 en 15 ans). Est-ce qu’une constitutionnalisation directe et explicite résoudrait ces problèmes ? C’est là, véritablement, toute la question autour de la garantie effective de l’avortement en France.

Il est temps de conclure cette série d’articles par une question d’ouverture qui, j’espère, alimentera le débat : faut-il dépasser le modèle du néo-constitutionnalisme fondé sur des juridictions constitutionnelles afin de garantir au mieux les droits et libertés fondamentaux ?

  1. Décisions n°2001-446 DC du 27 juin 2001 ; n°2017-747 DC du 16 mars 2017
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  • Le droit de réunion a été supprimé quand Manuels Valls a dissout l’oeuvre francaise, et plus tard quand Moussa Darmanin dissout G. I.

  • Notre régime se dit libéral alors qu’en réalité il est stalinien. Média, justice, éducation, syndicats sont aux mains de communistes depuis que Mitterrand est passé au pouvoir en 1981. Nous vivons donc dans un simulacre de démocratie qui ne va pas tarder à s’effondrer, comme en son temps l’URSS.

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