Censure de l’article 24 de la loi Sécurité globale : victoire pour les libertés

Jusqu’où une restriction est-elle acceptable ? Si le Conseil constitutionnel a retoqué cet article, il n’en demeure pas moins qu’un texte poursuivant le même objectif mais mieux rédigé pourrait passer le contrôle de constitutionnalité.

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Censure de l’article 24 de la loi Sécurité globale : victoire pour les libertés

Publié le 15 juin 2021
- A +

Par David Guyon.

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires – Montesquieu.

La loi dite de sécurité globale fait partie de ces lois dont on aurait pu se passer en ce qui concerne la protection des forces de l’ordre.

La loi sécurité globale résulte d’un projet de loi déposé le 20 octobre 2020. Après de longs débats devant le Parlement cette dernière a été promulguée le 25 mai 2021.

Entretemps, ce projet a été bousculé par des débats houleux, de nombreuses manifestations ainsi qu’une censure du Conseil constitutionnel le 20 avril 2021.

Elle n’est qu’une énième illustration d’une tendance amorcée depuis plusieurs décennies visant à affirmer de manière péremptoire qu’il ne peut pas y avoir de sécurité sans une restriction massive de liberté, et ce au détriment des libertés fondamentales des citoyens.

Cette sécurité totale que vise le législateur est difficilement compatible avec un État de droit et une société démocratique. L’existence d’un tel projet, fondé sur un objectif de sécurité doit inquiéter le citoyen quant à la place accordée aux libertés fondamentales.

L’objectif de sécurité avancé

La rédaction du texte s’organise autour de trois parties. Une première partie renforce les prérogatives de la police municipale. Une deuxième porte sur la collaboration des services de sécurité privés et de la police.

C’est dans la troisième partie de la loi que se cache l’article 24 qui aux termes des débats parlementaires deviendra l’article 52. Cet article crée un délit de provocation à l’identification des forces de l’ordre.

Ce délit est caractérisé par :

La provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police, d’un agent des douanes lorsqu’il est en opération.

Cette infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Le Conseil constitutionnel va censurer cet article dans une décision du 20 mai 2021.

Comme son intitulé l’indique, cette loi vise à renforcer la sécurité et notamment celle des agents des forces de l’ordre. Il s’agit d’un but d’intérêt général indéniable qui doit être salué.

Pour atteindre cet objectif, la loi a cherché, d’une part à renforcer l’action de la police judiciaire, d’autre part à doter cette dernière de moyens techniques suffisants pour assurer l’effectivité de son action.

Ces mesures entrainent une restriction des libertés individuelles. S’il est tout à fait acceptable que dans une société démocratique il y ait une conciliation entre des libertés contradictoires, la véritable question est de savoir jusqu’où une restriction reste acceptable ?

Elle est acceptable lorsqu’elle est nécessaire, justifiée et proportionnée. En d’autres termes, si démonstration est faite que par une restriction apportée, l’objectif visé sera mieux atteint et qu’aucune mesure moins sévère ne permet d’atteindre le même résultat, alors celle-ci est acceptable.

En l’espèce, ce délit visait à mieux protéger ceux qui nous protègent. Notamment il était constaté que des films et photographies étaient utilisés pour dévoiler l’identité des personnes revêtant l’uniforme dans le but qu’il soit porté atteinte à leur personne ou à leurs proches.

Or l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Sécurité globale : le risque liberticide assuré

Derrière la poursuite de cet objectif tout à fait louable, il a été rappelé que l’imprécision de ce délit risquait de porter atteinte de manière disproportionnée aux libertés d’expression et d’opinion. Ce risque résultait du caractère imprécis et flou des éléments matériel et intentionnel pouvant conduire à des interprétations extensives voire présomptives.

Pour l’élément matériel il n’était pas clair de déterminer si l’identification de l’agent devait se faire durant l’opération ou à un autre moment lorsque cette personne avait participé à une opération. D’ailleurs la notion d’opération n’était pas définie.

Pour l’élément intentionnel, le législateur n’avait pas précisé si la provocation à l’identification devait être manifeste, et si cette provocation devait être suivie d’une atteinte à la personne ayant participé à une opération.

Ces imprécisions étaient très problématiques en raison des conséquences pratiques qu’elles étaient susceptibles d’emporter.

Or, dès que l’on touche à la matière pénale et donc aux libertés, il convient de s’assurer que l’infraction posée repose sur un fait clairement identifiable. C’est un rappel du principe de la légalité des délits et des peines.

S’il est tout à fait souhaitable de réprimer l’auteur d’une vidéo poussant à porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un policier ou de ses proches, il n’est pas acceptable que des journalistes venus couvrir des interventions policières puissent entrer sous le coup de cette même infraction.

C’était pourtant le risque que faisait courir cet article.

Si le Conseil constitutionnel a retoqué cet article, il n’en demeure pas moins qu’un texte poursuivant le même objectif mais mieux rédigé pourrait passer le contrôle de constitutionnalité.

Dans ces conditions, que les citoyens ne se réjouissent pas si vite. Les libertés ne sont jamais acquises pour toujours. L’effet cliquet, également appelé le principe de non régression, veut que chaque fois qu’une liberté est restreinte, même temporairement, elle ne revient jamais à son état initial.

La tendance des dernières décennies est de donner le sentiment qu’une nouvelle loi restrictive de liberté permettra, quel que soit son caractère liberticide, d’obtenir le résultat souhaité. Le législateur répond ainsi à l’émotion comme si celle-ci pouvait faire loi. En réalité, bien souvent une application stricte et effective des textes existants suffirait à atteindre l’objectif légitime visé.

Or, on ne badine pas avec les libertés fondamentales !

Dans le cas contraire, il n’y aura plus de liberté car elles ne seront plus fondamentales. Pis encore, il n’y aura pas davantage de sécurité, et finalement, nous n’aurons ni la liberté, ni la sécurité et nous finirons par perdre les deux. Ne crions donc pas victoire trop vite mais apprécions les petites satisfactions.

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  • Personne n’aime être pris en photo pendant qu’il fait un truc degueulasse à autrui.

  • « La différence entre une démocratie sociale et une dictature n’est qu’une question de temps. » Ayn Rand

  • Ils font 3750 articles de lois par année (véridique), et le pays est en voie de soviétisation rapide. « Victoire de la liberté » me semble un peu optimiste surtout qu’on peut discuter des modalités de ces « avancées ».
    .
    Les policiers se font insulter, provoquer, caillasser quotidiennement, ils sont devenus une cible y compris des gauchistes extrémistes. Les CRS n’ont eu aucune peine à crever des yeux sans cette loi et le pouvoir n’a eu besoin que d’une minuscule excuse pour enfermer les gens chez eux le soir (sauf ceux des quartiers émotifs).
    Cette loi n’allait absolument rien changer pour les libertés des citoyens normaux.
    .
    Bref, la tache sur la moquette de l’avion en feu est nettoyée, youpie.

  • La précédente version de l’article 24 était claire et nette: il était interdit de diffuser des images de Policiers,Gendarmes ou CRS si leur identification était possible, soit que les images d’origine ne permettaient pas l’identification, soit qu’elles aient brouillées avant. Ainsi les fonctionnaires et militaires concernés pouvaient faire leur travail sans craindre de représailles. Et le texte permettait de présenter les images permettant l’identification au corps d’inspection concerné ou à la Justice pour suites à donner en cas de comportement répréhensible.

    Mais cette précédente version comportait une disposition qui l’aurait probablement privé de toute efficacité (du point de vue de la protection des FDO) en exigeant que la diffusion d’images avec possibilité d’identification soit motivée par la volonté de nuire pour qu’elle soit punissable. Outre la difficulté de prouver cette volonté, cela aurait conduit à traiter différemment la même action commise par des auteurs différents, par exemple un média modéré et un média gauchiste.

    Et cela n’aurait pas donné toute latitude aux FDO pour estropier, puisque, comme dit plus haut, la présentation des images à l’inspection concernée ou à la Justice était possible, et n’aurait pas empêché le Ministre de « tenir » ses troupes. Au contraire, cela ne l’aurait rendu que plus responsable.

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