Les droits fondamentaux : droits opposables à l’État

L’État de droit se traduit par la consécration de droits fondamentaux garantis aux citoyens et qu’ils peuvent opposer à l’État.

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Les droits fondamentaux : droits opposables à l’État

Publié le 6 octobre 2021
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Par Raphael Roger.

Parmi tout ce qui a été dit auparavant – principe de légalité et hiérarchie des normes –, l’État de droit n’a été vu que sous l’angle formel et matériel. Mais plus que ça, et c’est ce qui distingue des démocraties libérales des démocraties illibérales ou des régimes illibéraux en général, c’est la consécration, au plus haut sommet de la hiérarchie des normes, de droits et libertés fondamentaux garantis aux citoyens et qu’ils peuvent opposer à l’État. Ce sont notamment les droits subjectifs.

La Constitution de la Ve République avare en droits fondamentaux

Dans notre ordre juridique, des droits et des libertés sont consacrés dans des normes constitutionnelles. Certains droits sont issus des textes, d’autres ont été créés de manière prétorienne par le Conseil constitutionnel.

La Constitution de la Ve République du 4 octobre 1958 n’est pas, a priori, une Constitution libérale dans le sens où elle consacrerait un ensemble de droits fondamentaux. Alors que les autres Constitutions européennes comme celle de l’Allemagne (« clause d’éternité » à l’article 79 al. 3, Loi fondamentale de 1949) ou de l’Italie prévoient des catalogues de droits fondamentaux, celle de la France ne le prévoit pas. La Constitution de la Ve République est pensée comme une réponse au régime d’assemblée de la IVe République, et le thème principal de la Ve République sera le parlementarisme rationalisé, entendu selon Boris Mirkine-Guetzevitch, comme une codification juridique des rapports et des actions du Parlement. Cependant, la Ve République consacre certains droits comme : le principe de laïcité (art. 1er) ; principe de souveraineté nationale (art. 3) ; l’égalité devant la loi (art. 1er), la liberté individuelle (art. 66), etc.

On le voit, avec ses 89 articles, la Constitution stricto sensu, c’est-à-dire matérielle, ne dispose pas de beaucoup de droits et libertés fondamentaux.

L’histoire constitutionnelle est marquée par des grandes et des petites révolutions. Le 16 juillet 1971 en fait partie et marque le début d’une nouvelle ère, celle du Conseil constitutionnel.

Le 16 juillet 1971 : le tournant constitutionnel par la fondamentalisation de l’ordre juridique

Le Conseil constitutionnel, normalement considéré comme le chien de garde de l’exécutif, c’est-à-dire un instrument du parlementarisme rationalisé, avant cette date du 16 juillet 1971, faisait principalement du contentieux politique, institutionnel et électoral.

Depuis, son rôle va véritablement se transformer.

Ainsi, une loi est déposée par le ministre de l’Intérieur Marcellin pour interdire l’association créée par Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. La loi vise notamment à modifier celle de 1901 en changeant le régime de création des associations, passant d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation. On voit donc bien ici le danger que cela faisait courir à la liberté d’association. Saisi par le président du Sénat, le Conseil constitutionnel va alors frapper les esprits en faisant référence dans son visa au préambule de 1958 : « vu le préambule de 1958 ». Par cette décision du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel censure la loi.

Mais par quel chemin y est-il parvenu ?

On le verra, c’est grâce à son pouvoir de juge-chercheur et de juge-créateur que le Conseil constitutionnel a trouvé une solution. Tout d’abord, il observe la Constitution de 1958 et son préambule.

Celui-ci fait mention de deux textes : le préambule de 1946 et la Déclaration de 1789.

Il vérifie dans chacun des textes si il existe une disposition sur la liberté d’association. Ce n’est pas le cas. Alors, en s’intéressant au Préambule de 1946, il voit la référence aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Pour correspondre à l’un de ces principes, il faut notamment une loi antérieure à 1946 et aussi qu’elle soit républicaine.

Le Conseil va donc chercher dans les lois républicaines de la IIIe République si une loi peut correspondre. Il trouve la loi de 1901 et la consacre principe fondamental reconnu par les lois de la République. Le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur constitutionnelle du préambule de 1958 et de manière insidieuse les textes qui la composent.

Ce n’est qu’en 1973 et en 1975 que le Conseil constitutionnel va véritablement consacrer une valeur constitutionnelle à la Déclaration de 1789 et au Préambule de 1946. Ainsi, alors que le constituant de 1958 n’avait pas prévu de valeur juridique au Préambule et son composant, le Conseil constitutionnel lui reconnaît une valeur juridique, une valeur constitutionnelle, créant le bloc de constitutionnalité. Ce dernier a depuis été complété par la Charte de l’environnement, rattachement opéré par une révision constitutionnelle.

Usant de son pouvoir de juge-créateur et ayant la fonction de dire le droit, c’est-à-dire d’interpréter un énoncé pour en donner la normativité et choisir la bonne interprétation pour cet énoncé, à partir des dispositions textuelles le Conseil constitutionnel va faire découler de nouveaux droits.

Par exemple :

– de l’article 4 de la Déclaration sur la liberté d’entreprendre, il a fait découler la liberté contractuelle et le droit au maintien de l’économie des conventions légalement conclues.

– de son article 8 il a fait découler le principe de non-rétroactivité de la loi pénale la plus sévère et de la rétroactivité de la loi pénale plus douce.

– une combinaison de différentes dispositions, par exemple : le principe de clarté et de précision de la loi pénale (article 8 DDHC + article 34 Constitution).

Des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République

À côté de cela, le Conseil constitutionnel a aussi consacré des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (bien que le Conseil d’État s’y est lui aussi laissé tenter) comme par exemple :

  • la liberté de l’enseignement,
  • l’indépendance de la juridiction administrative,
  • le respect des droits de la défense,
  • etc.

Ils sont au nombre de onze.

Le tout a été enrichi par des objectifs à valeur constitutionnelle qui imposent une obligation de moyen au législateur, comme par exemple :

  • la bonne administration de la justice,
  • la protection de la santé,
  • le bon usage des deniers publics,
  • etc.

Ils sont aujourd’hui au nombre de treize.

Parmi tout ce qui a été dit, on a pu se demander si une norme était supérieure à une autre. La réponse est non, elles ont toutes la même valeur. Le juge constitutionnel opérera une conciliation entre ces droits en fonction des conséquences politiques de la décision, c’est le conséquentialisme.

Enfin, au travers de la QPC, le Conseil constitutionnel enrichit cette  fondamentalisation de l’ordre juridique au travers de nouveaux droits, adaptant sa technique de contrôle et de création du droit.

Conclusion

On voit toute l’importance de la création du droit par le juge, qui plus est constitutionnel.

Par son interprétation, il donne aux énoncés leurs normativités, leur donne une portée juridique et une concrétisation dans l’ordre juridique. Sa mission est de dire le droit, c’est lui qui fait vivre la Constitution. Sans lui les dispositions dans le préambule de 1958 seraient restées cachées et enfouies. Ce pouvoir de juris dictio permet donc de faire vivre chaque disposition constitutionnelle, qu’elle soit textuelle ou non. L’absolutisme de la loi est passé, le constitutionnalisme l’a supplanté.

Pour prendre une allégorie, 1958 serait la création de la voiture « Conseil constitutionnel », 1971 marquerait la mise en place d’un moteur à l’intérieur, 1974 marque le passage de la première vitesse et 2008 celui de la deuxième vitesse.

 

 

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