Budget retraite : une illusion d’équilibre, une réalité de dette

Contrairement à ce qu’écrit le COR, le budget du système de retraite est actuellement en déficit.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 5

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Budget retraite : une illusion d’équilibre, une réalité de dette

Publié le 19 mai 2023
- A +

D’après le COR, le budget retraite de la France en 2021 est en excédent d’environ 900 millions d’euros. Pour un lecteur superficiel, cela implique que le système de retraite français n’entraîne pas d’augmentation de la dette. Mais le COR révèle que dans les années à venir, il y aura un léger déficit. C’est la croyance de tous les politiques, tous les journalistes et syndicalistes. Il n’y a pas le feu, pourquoi faire une réforme impopulaire et inutile ?

Nous contestons cette vision, elle est erronée et repose sur un manque d’analyse économique et de compréhension de ce qu’est un budget et de sa consolidation.

Il existe une relation entre le déficit budgétaire et la variation de la dette.

Or, le solde du budget retraite présenté par le COR ne permet pas de passer du déficit à la dette. Il faut pour cela revenir à la définition d’un budget, ce qui apparemment ne s’enseigne pas en France (chercher sur le site du ministère des Finances français le budget de la France). Le budget tel que présenté par le COR est limité aux retraites et est présenté sous forme de tableau de financement (qui est par principe équilibré). Il considère que les subventions et transferts d’une branche de la Sécurité sociale aux retraites sont des recettes, ce qui est faux sur le plan budgétaire. La présentation du budget retraite par le COR (en fait, celui-ci ne présente pas de budget dans son rapport de 342 pages), ne permet pas de calculer le solde du budget retraite dans une optique économique, et donc de connaître l’influence du déficit des retraites sur la dette publique.

 

Qu’est-ce qu’un budget ?

Un budget, c’est un compte qui retrace les recettes d’un agent, moins ses dépenses, la différence étant le solde. Si les dépenses sont supérieures aux recettes, alors il se forme un déficit (ce qui arrive de temps en temps en France). Ce déficit doit être financé, il ne peut l’être que par un accroissement de la dette. Vous allez dire que c’est évident et ça ne mérite aucune explication, et pourtant, la présentation implicite du budget par le COR ne permet pas de montrer le lien entre le déficit du budget et l’accroissement de la dette publique.

Il faut donc rechercher les recettes (ce sont les cotisations totales payées par les secteurs privé et public) et les dépenses du budget retraite (les prestations versées) au niveau national.

Tout le débat porte sur la définition des recettes. À notre sens, le COR considère comme recettes du budget retraite des ressources qui, sur le plan économique, sont des dépenses pour le budget de l’État.

En fait, le budget COR n’est pas un budget, mais s’apparente à un tableau de financement. Il considère comme étant recette des ressources, et parmi elles il inclut des emprunts, selon la tradition française. Or, un emprunt n’est pas une recette budgétaire, c’est le financement du déficit.

 

Présentation idéologique du budget retraite par le COR

Une chose est étrange : dans son volumineux rapport annuel, le COR ne présente nulle part le budget retraite pour l’année en cours (2021).

Page 62 nous apprenons que les dépenses brutes du système de retraite s’élèvent à 345,1 milliards d’euros en 2021, ou 13,8 % du PIB.

Page 11 nous apprenons que le système des retraites a été excédentaire pour environ 900 millions d’euros. Pas un seul budget des retraites pour l’année de base.

Le COR voudrait-il cacher quelque chose ?

Pour présenter le budget retraite nous utilisons l’excellent rapport du Commissariat au Plan.

Tableau 1 Le budget retraite selon le COR est en surplus en 2021

 

 

Dans leurs articles fondateurs, Mme Bouverin, dans la revue Risques, et Nicolas Marques de l’Institut Molinari, nous avertissent que le poste « cotisations » au sens du COR inclut des surcotisations de l’État en faveur de ses fonctionnaires.

En effet, l’État paie des cotisations en faveur des fonctionnaires civils d’État qui s’élèvent à 74 % de leurs salaires indiciaires bruts, des cotisations en faveur des militaires à 126 % de leur salaires et 30 % pour les fonctionnaires locaux et hospitaliers.

Donc, en 2021, les cotisations de l’État en faveur de ses fonctionnaires s’élevaient à 70 milliards d’euros, alors que si l’État payait des cotisations patronales au taux, déjà élevé, du secteur privé (16,5 % du salaire), il ne verserait que 24 milliards d’euros. Donc, les surcotisations que paie l’État en faveur de ses fonctionnaires s’élèvent à 70 – 24 = 46 milliards d’euros. Or, en termes économiques, ces surcotisations s’analysent comme des subventions de l’État en faveur de ses fonctionnaires d’État et militaires.

Si on sort de l’optique étroite du COR, et si on commence à raisonner en termes économiques, il faut se poser la question de savoir d’où viennent les subventions de l’État au budget des retraites. Selon le COR, elles constituent une ressource pour le budget retraite. Mais elles sont aussi des dépenses pour le budget de l’État (ce que le COR passe sous silence).

 

Un concept inconnu du COR, la consolidation

L’effet du déficit budgétaire sur la dette publique ne peut s’analyser qu’au niveau du budget consolidé de l’administration publique (le budget au sens de Maastricht), c’est-à-dire au niveau consolidé du budget de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités locales.

Or, le COR se limite à un sous-ensemble du budget de la Sécurité sociale (le système retraite au sens étroit du terme) et considère comme recettes ce qui, en fait, sont des dépenses pour l’État. Il a donc (volontairement) une vision tronquée du budget retraite en France. En oubliant l’agent État qui finance une partie majeure du système retraite en France, le COR considère comme ressource ce qui reste une dépense pour l’État.

En 2021, pour le COR, il n’y a pas de déficit du budget retraite, car il considère que les subventions de l’État en faveur des retraites (46 + 7,4 + 4,8 = 58 milliards d’euros) sont une ressource du budget de retraite français. Ces ressources ne tombent pas du ciel, ce sont des dépenses de l’État en faveur des retraites (des subventions) donc au niveau consolidé (ressources pour le budget retraite au sens du COR plus dépenses pour le budget de l’État, elles s’annulent).

Il y a aussi des transferts obligatoires de la part d’autres caisses sociales « excédentaires » en faveur des retraites (14,3 milliards) et finalement des impôts affectés par l’État au budget retraite (46,3 milliards). Le COR considère que le budget retraite en France est équilibré grâce aux cotisations, aux subventions de l’État, aux transferts d’autres caisses et aux impôts affectés.

Où est le problème ? Sur le plan économique, il a tort.

Tableau 2 Le budget retraite retraité

 

 

Les subventions s’annulent dans la consolidation, idem pour les transferts d’autres caisses vers le budget retraite, qui sont des transferts d’une administration vers le système retraite. C’est donc une fausse recette, elle s’annule dans les processus de consolidation.

Restent les impôts affectés aux retraites (essentiellement la CSG), soit 46 milliards : les impôts ne sont pas un transfert d’un agent public à un autre, mais d’un transfert obligatoire des ménages et des entreprises (extérieurs à l’administration à l’État) à l’agent État. Ce transfert ne se traduit pas par un accroissement de la dette.

Le solde du budget du système de retraite français s’élève donc à -72 milliards (cf. tableau 2). C’est le déficit du budget retraite en 2021, ou 2,9 % du PIB ; il représente 45 % du déficit global au sens de Maastricht.

En 2021, ce déficit de 72 milliards du budget retraite présenté dans le cadre de l’administration publique correspond bien à la contribution du système retraite français à l’augmentation de la dette publique française. C’est ce que nos enfants et petits-enfants devront payer pour notre bien-être présent. Sachant que la dette publique a augmenté de 165 milliards en 2021 (par rapport à 2020, source IMF/WEO/database Apr. 2023), le système retraite à la française contribue pour quasi la moitié de l’accroissement de la dette publique française.

S’endetter d’un tel montant pour financer des dépenses improductives ne dérange personne… Ce déficit est structurel, il va aller en augmentant avec le vieillissement de la population et la diminution du nombre des actifs. Allonger de deux ans l’âge du départ à la retraite est une réforme nécessaire, mais mineure, et complètement insuffisante compte tenu de la gravité de la situation.

Nous avons quatre critiques à faire au COR :

  1. En dépit d’un rapport rempli de chiffres plus ou moins utiles, il n’est pas en mesure de présenter le budget retraite pour l’année en cours ; pourquoi ? On se demande sur quelle base il fait ses projections.
  2. Il raisonne en termes de tableau de financement ressource-emploi qui est par définition équilibré (on place les emprunts dans les ressources).
  3. Il utilise des règles idéologiques n’ayant d’autres objectifs que de justifier les avantages acquis des fonctionnaires (règle : équilibre permanent de l’État (EPR).
  4. Il ne prend pas en compte les flux entre les différents agents de l’administration publique (retraite, autres caisses de la Sécurité sociale et l’État).

 

Ce que l’on recherche, c’est de savoir si le budget retraite est déficitaire, s’il contribue à la croissance de la dette publique. La présentation idéologique du COR empêche de répondre à cette question.

Alors, certains experts (les plus compétents qui ont initié le débat : Mme Bouverin, M. Marques, le Commissariat au Plan et G. Néel) disent : oui, mais parmi des dépenses de l’État (des subventions), il y a des dépenses justifiées, des dépenses de « solidarité » (le mot préféré des socialistes, concept idéologique s’il en est) que l’État doit consentir au patronat pour réduire le poids des cotisations patronales (c’est bien la preuve que l’État reconnaît implicitement que les cotisations obligatoires imposées aux entreprises sont un facteur de chômage et de non-compétitivité de l’industrie française). Au lieu de baisser les cotisations (et donc le niveau des retraites en particulier pour les fonctionnaires), les gouvernements (de droite comme de gauche) préfèrent subventionner les retraités.

Ces critiques ont oublié notre objectif : « Le système de retraite français est-il en déficit ? » ; sous-entendu, l’augmentation de la dette publique française est-elle due au financement des retraites ?

La réponse est oui, pour un montant de 72 milliards d’euros en 2021.

Au niveau budgétaire, il n’y a pas de dépenses publiques de solidarité, ni de dépenses anti-solidaires, il n’y a que des dépenses publiques qu’il faut financer, et pour ce faire, il n’existe que deux moyens : soit par des impôts actuels, soit par des impôts futurs (la dette).

Certes, certaines dépenses publiques sont plus ou moins utiles, mais une fois budgétées et engagées, on n’a plus le loisir de décider celles qui seront payées en fonction de ses préférences politiques. Ce n’est pas aux commentateurs de choisir les bonnes et les mauvaises dépenses, c’est au gouvernement et au ministre des Finances, lequel passe son temps à nous dire qu’il va réduire demain les dépenses publiques et qui n’en peut mais. Il appartient aux politiques d’analyser les dépenses publiques et de supprimer ou réduire les dépenses inutiles et improductives (ce qui reste à faire).

 

En résumé

Le déficit du budget retraite au niveau consolidé est égal à 72 milliards d’euros en 2021, soit 2,9 % du PIB, soit 45 % du déficit global au sens de Maastricht (pour un budget en équilibre selon le COR, on fait mieux).

L’augmentation de la dette publique due au budget retraite s’élève donc à 72 milliards d’euros, soit 44 % de l’accroissement de la dette publique la même année. On s’endette pour financer des dépenses improductives qui ne serviront jamais à la rembourser.

Le choix implicite des Français en faveur des retraites signe le déclin long et permanent de la France dans le monde. Il explique en partie le déficit extérieur de la France (théorie des deux gaps, déficit budgétaire-déficit de la balance courante), la désindustrialisation du pays (le modèle social français reste largement financé par les entreprises), et son déclin international. Il est un des moteurs de la croissance de la dette.

Aucun argument rationnel n’a de prise sur ceux qui vivent dans le monde de leur croyance qui n’a rien à voir avec la réalité des faits.

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir » Marcel Proust

 

Voir les commentaires (4)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (4)
  • Le choix implicite des Français en faveur des retraites
    Il y a surtout un choix explicite de leurs syndicats et gouvernants en faveur de la répartition, alors qu’on peut estimer qu’un passage à une forte capitalisation individuelle aurait permis au bout de 30 ans de réduire à moins de 200 Mds, en baisse continue, les prestations à verser. Cela signifierait une latitude non seulement pour rembourser la dette au lieu de l’accroître, mais aussi pour baisser les cotisations et ainsi laisser prospérer l’économie.

  • Avatar
    Pierre Allemand
    19 mai 2023 at 10 h 10 min

    La répartition rend les salariés (actifs et retraités) entièrement dépendants des politiques. La capitalisation (individuelle) rend au contraire ceux-ci indépendants. C’est pour conserver ce pouvoir extraordinaire sur les salariés que les politiques leur font dire qu’ils préfèrent la répartition.

    • Avatar
      The Real Franky Bee
      19 mai 2023 at 15 h 50 min

      N’ayons pas peur des mots : la répartition est un ponzi à la Madoff, car tout euro « cotisé » est immédiatement dépensé par l’État. Ce dernier vous promet une somme dans le futur, mais il ne pourra la verser que s’il a trouvé de quoi se refinancer d’ici là. La probabilité qu’il puisse ne pas vous payer est tout sauf nulle. A contrario, un système sensé implique qu’un fonds de pension place votre argent sur les marchés financiers suivant un modèle de risque bien défini (autrement dit c’est la performance de l’économie qui rend possible votre retraite, et non pas de vagus promesses de politiques).

  • Merci pour cet article très instructif et qui explique pourquoi le COR a écrit des bêtises 😊

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Un article de l'IREF.

En janvier dernier, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, annonçait la fin du « quoi qu’il en coûte ».

L’examen parlementaire en cours des projets de loi de finances de fin de gestion pour 2023, et de loi de finances pour 2024 montrent à l’inverse que, loin d’être fini, le « quoi qu’il en coûte » se poursuit. Et ce en dépit d’un goulet d’étranglement appelé à se resserrer du fait de l’aggravation de la charge de la dette dans les prochai... Poursuivre la lecture

Un article de l'IREF.

En 2022, pour alimenter un fonds pour le climat et la transformation énergétique  – KTF – de 212 milliards d’euros, le gouvernement allemand avait puisé à due concurrence dans les réserves non utilisées d’un autre compte, constitué en 2021 pour contribuer à l’amortissement de l’impact du coronavirus. Mais celui-ci avait bénéficié d’une suspension des règles du « frein à l’endettement », en raison de la pandémie. Ce qui ne pouvait plus être le cas du fonds KTF.

La CDU/CSU, les conservateurs dans l’opposition... Poursuivre la lecture

« L’État ayant dépensé Tout l’été Se trouva fort dépourvu Quand il fallut financer ses agents,

Plus d’argent.

Il alla crier famine Chez l’Argirc-Arrco sa voisine, La priant de lui donner Quelques sous pour financer son déficit,

« C’est pour la solidarité », lui dit-il.

L’Agirc-Arrco n’est pas prêteuse ; C’est là son moindre défaut.

« Que faisiez-vous au temps faste ? » Dit-elle à ce quémandeur. « Je dépensais à tout venant, pour de bonnes causes » « Vous dépensiez ! J’en suis fort aise. Eh bien ! empruntez... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles