Le Pérou, modèle économique pour l’Argentine ?

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Le Pérou, modèle économique pour l’Argentine ?

Publié le 12 juin 2024
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La revue The Economist a publié le 22 février 2024, un intéressant article sur le Pérou comme modèle économique, que pourrait suivre l’Argentine. Cet article a étonné de nombreux Péruviens. Comment, avec la classe politique aussi minable que nous avons, pouvons-nous être un modèle ? (contrairement à l’élite française, l’élite péruvienne ne se prend pas au sérieux). Eh bien, The Economist a parfaitement raison, le Pérou est un pays bien géré sur le plan macroéconomique, grâce à une équipe basée à la Banque centrale du Pérou et au ministère des Finances et qui a réussi à maintenir une politique macroéconomique crédible que J. Milei devrait suivre.

 

Le point fort du Pérou est sa Constitution (héritée de Fujimori) et l’indépendance de sa Banque centrale dirigée par Julio Verlade, un gouverneur remarquable depuis 2006 (il a vu venir l’inflation avant Jérôme Powell et Christine Lagarde, il a été considéré comme le meilleur banquier central par le Financial Times). Julio Velarde a succédé à de grands banquiers intègres et compétents comme Manuel Moreyra (1978-80) et son équipe économique conduite par Raul Salazar, Silva Ruete, ministre des Finances durant le gouvernement Morales Bermudez et Richard Webb, gouverneur (1980-85). La Constitution du Pérou sanctuarise la propriété privée et l’indépendance de sa Banque centrale vis-à-vis du pouvoir politique. C’est la raison pour laquelle Castillo et sa bande de communistes n’ont qu’un objectif, changer de Constitution pour appliquer le modèle vénézuélien.

La politique d’ajustement n’est pas suffisante. Pour qu’un pays atteigne son potentiel, il faut aussi qu’il mette en place des politiques structurelles qui s’attaquent à sa contrainte de base. La contrainte de base (the binding constraint), du Pérou, c’est la corruption. Si le Pérou avait une classe politique honnête, il aurait aujourd’hui un niveau de vie proche de celui de Taïwan et de la Corée du Sud, étant donné la qualité de ses entrepreneurs et de la majorité de ses fonctionnaires.

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Mais revenons à l’Argentine.

Comment juguler une hyper inflation?

Quoi qu’on pense du style de Milei (à moitié loco), il semble pratiquer la seule politique économique valable pour un pays dans la situation désespérée de l’Argentine. C’est la politique économique suivie par le Pérou sous Fujimori. Il pratique une politique de choc. Il s’attaque au problème de l’Argentine : l’hyper inflation (inflation à 254 % de janvier 2023 à janvier 2024, 3,2 % au Pérou, décembre à décembre) en s’attaquant à sa cause, des déficits budgétaires financés par de la création monétaire (c’est inflationniste même en Europe et aux États-Unis).

Le paradoxe est que le déficit budgétaire de l’Argentine est inférieur à celui de la France, et surtout des États-Unis (déficit moyen de l’Argentine de 2015 à 2023 : 5,5 % du PIB. Le Pérou suit une politique orthodoxe : 3 % de déficit moyen sur la même période). Les pays émergents sont fragiles, faute de marchés des capitaux profonds, d’une épargne suffisante, de la méfiance des marchés à leur égard (justifiée par leurs politiques populistes), ils ne peuvent s’endetter au-delà d’un certain niveau. En outre, ils empruntent en dollar, et toute dépréciation de leur taux de change se répercute immédiatement sur le stock et le service de leur dette exprimés en monnaie nationale. Un pays comme l’Argentine qui est considéré comme un serial defaulter ne peut plus emprunter sur les marchés internationaux. Si la France, les États-Unis et le Japon ont des ratios de la dette publique exorbitants, apparemment ils n’ont pas encore atteint le point de basculement (the tipping point). Avec un ratio de la dette publique de 90 % du PIB, fin 2023 (le ratio de la dette publique pour le Pérou, fin 2023 : 34% du PIB), l’Argentine n’est plus en mesure de servir sa dette.

La politique économique à suivre est connue, c’est une politique de choc qui s’applique aux pays ayant défié trop longtemps les lois du marché.

Supprimer le déficit budgétaire

Pourquoi supprimer le déficit budgétaire immédiatement, et non sur cinq ans, comme le font les pays développés ? En France, un déficit budgétaire de 3 % est considéré comme un budget équilibré. Parce que le seul recours du gouvernement dans un pays qui n’a plus la capacité de s’endetter, consistera à financer le déficit par de la création monétaire, la monétarisation des déficits est par essence inflationniste.

Le financement du déficit budgétaire sera nul en 2024, ce qui signifie que le déficit va passer de 4 % du PIB à zéro en un an. Il ne faut pas oublier que, quel que soit le style de Milei, il n’est pas la cause de la situation désastreuse qu’il a héritée du gouvernement péroniste précédent qui a laissé en héritage une situation catastrophique. Il a supprimé d’un coup les subventions, a réduit le nombre de ministères, réduit la masse salariale, réduit les transferts aux provinces, et commence à privatiser des entreprises publiques source de déficits, toutes les dépenses ont augmenté moins que l’inflation projetée, elles diminuent donc en termes réels.

Libéraliser d’un seul coup tous les prix

Sous le régime péroniste, l’inflation a été limitée par le contrôle (ou le blocage) des prix (blocage des prix des biens de première nécessité, blocage des prix des produits pétroliers, blocage du taux de change et des taux d’intérêt). On ne lutte pas contre l’inflation en bloquant les prix. Il faut libéraliser tous les prix en même temps (Richard Webb, J. Sachs). Tous les prix, car ils sont interconnectés les uns aux autres, on ne peut libéraliser un prix sans libéraliser les autres sous peine d’avoir des effets de distorsion sur l’offre. Si, par exemple, vous libéralisez les prix et bloquez, pour des raisons sociales, les prix des denrées de base, les industries qui les produisent seront ruinées, elles achèteront des intrants nationaux et importés à un prix qui aura augmenté, et elles ne pourront répercuter cette hausse sur leurs ventes. Il est donc tout à fait normal qu’au début, une lutte contre l’inflation se traduise par une très forte hausse des prix. Plus ces derniers ont été contrôlés par l’État, plus ils augmenteront lors de la libéralisation.

Libéraliser le taux de change au lieu de remplacer la monnaie nationale par le dollar

Le taux de change est le rapport entre tous les prix exprimés en monnaie nationale et les prix exprimés en monnaie étrangère. L’Argentine a bloqué pendant trop longtemps son taux de change, le peso. Un taux de change surévalué a pour effet d’empêcher les exportations du pays et de favoriser les importations, sans parler de la corruption pour obtenir auprès des autorités des devises (des dollars) qui sont inaccessibles au taux de change officiel. Le pays doit rétablir sa monnaie à son niveau d’équilibre avec le dollar sous peine de n’avoir plus de réserves de change. Bien entendu, quand l’État déprécie brutalement sa monnaie par rapport au dollar, tous les prix des biens importés augmentent immédiatement du montant de la dépréciation du taux de change. Plus le taux de change est surévalué, plus la dépréciation sera forte, et plus la hausse des prix des biens et services importés sera élevée.

Au lieu de supprimer la Banque centrale, Miléi doit lui donner une indépendance totale par rapport au pouvoir politique et au ministère des Finances.

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En décembre, le gouvernement a dévalué le peso de 50 % pour réduire l’écart entre le taux du marché parallèle et le taux officiel.

Alors certains (les centristes raisonnables) vont sans doute dire : mais ne pourrions-nous pas aller dans cette direction d’une manière plus douce ? Peut-être, mais la politique homéopathique du FMI n’est pas satisfaisante pour un pays criblé de distorsions, et un jour ou l’autre, le marché se venge.

Milei semble appliquer une remède de cheval pour un pays qui, trop longtemps, n’a pas respecté les lois élémentaires de l’économie de marché. Il n’est pas le premier à appliquer une politique économique de libéralisation totale (la Pologne, la Hongrie, le Pérou), les résultats ont été spectaculaires. Cette politique d’ajustement brutal va entraîner une récession (les crédits au secteur privé vont diminuer drastiquement, la consommation et les investissements publics et privés vont s’effondrer), une souffrance chez les plus pauvres. Aussi, la communauté internationale devrait supporter sous forme de dons des programmes en faveur des plus pauvres ; il est estimé que la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Si le pays continue la politique d’ajustement qu’il s’est fixé lui-même (beaucoup plus rigoureuse que celle qu’aurait préconisée le FMI), il serait souhaitable que les créanciers de l’Argentine (à commencer par le FMI) acceptent un hair cut considérable en faveur de l’Argentine. Or, la question n’est pas soulevée à l’heure actuelle. L’Argentine ne sera pas en mesure de rembourser sa dette en totalité (sa dette externe s’élève à 263 milliards de dollars, dont 44 milliards dus au FMI), le pays n’a plus de dollars. Les marchés ne lui font plus confiance. Il est inutile et malsain de le pousser à l’extrême en exigeant un remboursement intégral de sa dette. Le silence du FMI sur ce sujet – qui passe son temps à nous donner des leçons de morale sur le pouvoir des femmes et les investissements verts – est coupable.

Néanmoins, il semble que, par son style du tout ou rien, son intransigeance et son mépris des politiciens traditionnels qui détiennent le Parlement et dirigent les provinces, Miléi est en train de se mettre la majeure partie de la classe politique à dos. Même ses soutiens ont des doutes sur la faisabilité de son plan dans un pays en ébullition. « Aucun projet de gouvernement ne peut reposer que sur l’opinion publique » (C. Pagni, journaliste politique). Le président a besoin d’un médiateur qui serve d’intermédiaire entre lui et la classe politique afin d’arriver à des compromis législatifs sous peine de remettre encore une fois des projets de réforme (qui, même nécessaires, ne peuvent être qu’impopulaires).

L’expérience économique de l’Argentine est à suivre, comme celle de l’Égypte, Abdel al-Sissi déclare qu’il va réduire son déficit budgétaire, accroître le taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation et laisser flotter la monnaie nationale (le pound). Même R. Erdogan, qui a passé son temps à renvoyer tous les gouverneurs de la Banque centrale qui voulaient accroître le taux d’intérêt, a commencé à reconnaître la réalité, et le taux d’intérêt a augmenté de plus de 35 %.

Même en France, les plus hautes autorités commencent à réaliser que nous dépensons trop et commencent à émettre l’esquisse de l’esquisse d’une réduction des dépenses publiques (souhaitons qu’elle ne se traduise pas par une hausse des impôts).

Serait-ce le retour au réalisme économique qui était tout simplement énoncé dans les grands principes du Washington consensus (R. Sharma, the Financial Times, March 25, 2024) qui ont été éliminés sous la poussée des keynésiens ? Aucune croissance durable n’est possible sans un substratum macroéconomique sain, c’est une condition nécessaire et non suffisante, elle s’applique à tous les pays, y compris à ceux qui se croient supérieurs.

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  • Si Miléi réussi ça va rendre fou tous les gauchistes. Ils vont donc tout faire pour qu’il échoue. Et malheureusement la corruption est l’essence même des gouvernements de gauche.

  • Je me demande comment est calculé/ défini le seuil de pauvreté dont vous parlez dans votre article.
    Je connais la méthode du revenu médian et dont le seuil de pauvreté est de 40 a 60% de ce revenu en fonction de ce que l’on recherche comme profondeur de pauvreté. Et avec cette méthode, il est donc impossible d’avoir la moitié de la population sous le seuil.

  • Sous A Fujimori la corruption a largement régné et les exactions ont été nombreuses
    Par contre il a rétabli la stabilité économique du Pérou et écrasé la guérilla des maoïstes du sentier lumineux

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