L’État français face à un déficit d’attractivité en tant qu’employeur

L’État est confronté à un manque de vocation croissant dans la fonction publique, qui semble témoigner d’une crise plus profonde de la relation au travail et à l’État.

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L’État français face à un déficit d’attractivité en tant qu’employeur

Publié le 12 mai 2023
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« Les Français aiment l’État ».

Ils semblent tellement l’aimer que 58 000 postes dans la fonction publique ne sont pas pourvus, obligeant le gouvernement à mettre en place tout un dispositif de séduction pour tenter de combler ce déficit de main-d’œuvre. Il semble donc bien que ce ne soit plus le cas. L’État, du moins comme employeur, ne suscite plus le grand amour.

On peut chercher des causes économiques à cette pénurie de vocations, en particulier les salaires plutôt bas et la faible perspective de revalorisation. Mais longtemps, sécurité de l’emploi et multiples avantages, directs et indirects, ont été suffisants pour compenser la médiocrité du deal financier.

 

Changements dans la relation au travail et la relation à l’État

L’État n’est pas le seul à rencontrer des difficultés à recruter.

De nombreux secteurs économiques sont confrontés à une sévère pénurie de main-d’œuvre. C’est le cas des métiers réputés difficiles : hôtellerie, restauration, bâtiment, aide à domicile, transport… Mais il manque également, et assez chroniquement, d’informaticiens, de préparateurs en pharmacie, de kinésithérapeutes, de vétérinaires, de prothésistes dentaires… On sort très souvent des chiffres faramineux (de l’ordre de plusieurs millions) concernant les besoins de l’économie française.

La vision que les Français ont de leur État souffre elle aussi d’un profond manque d’attrait, que ce soit la confiance envers sa direction politique, qui navigue depuis des années dans le bas du tableau, ou que ce soit la satisfaction vis-à-vis des services publics.

Il faut ajouter à cela un changement de mentalité plus profond. Travailler pour l’État a longtemps été une vocation autant qu’un emploi. On entrait dans la fonction publique comme on entrait dans les ordres. On portait la blouse grise de l’instituteur du village comme le curé portait la soutane. Ce decorum républicain semble bien appartenir au passé. N’en déplaise aux nostalgiques, les jeunes Français ne sont pas transis de passion pour la République du temps des cerises.

Voilà maintenant une bonne génération que nous sommes entrés dans un monde nouveau, celui d’internet, du voyage international, des informations à la carte, de la monnaie numérique… Cela fait surtout une génération que nous sommes entrés dans un monde qui a fait un bond en avant gigantesque en termes de qualité de service.

Vous avez dû être frappés par cette expression que les jeunes générations utilisent fréquemment quand elles sont déçues par le comportement d’un de leurs congénères : « il ne sert à rien ! ».

La fonction publique est victime de ce changement : être fonctionnaire ne sert à rien. La qualité des services de l’État est tellement déconnectée des standards de qualité actuels que travailler dans la fonction publique, comme d’ailleurs dans l’hôtellerie ou la restauration en dehors des grandes enseignes, ou dans les services à la personne ou le transport, est considéré comme inutile car ne répondant pas aux standards de qualité modernes.

Les syndicats ont beau hurler sur les conditions de travail, les écologistes ont beau s’insurger du bilan carbone, Amazon n’a aucun problème pour recruter, pas plus que la grande distribution ou la restauration rapide, et ce pour une simple raison : ces entreprises répondent au standard de qualité et d’utilité en termes de fiabilité du service rendu. C’est très, très loin de la réalité des services de l’État.

 

C’est sans nul doute le principal grief que les Français font au chef de l’État et à son gouvernement : être incapable de faire entrer la France dans ce nouveau monde. Ce n’est pas l’âge de la retraite qu’il fallait changer, c’est la qualité du service « assurance retraite » qu’il fallait revoir de fond en comble. C’est le reproche que les Français, et en particulier les jeunes Français, font à l’État et à la fonction publique : l’État ne sert à rien !

Tout le monde a bien compris que le jour où des multinationales technologiques auront décidé de s’occuper des principales fonctions assurées actuellement par des monopoles étatiques, il n’y aura pas photo en termes de qualité de service.

Pourquoi alors signer un contrat à vie et mal payé, en étant certain d’être inéluctablement aigri et frustré par le manque de qualité et d’utilité de l’entreprise ? Pourquoi rejoindre une équipe qui a déjà perdu ?

 

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  • En plus de l’inutilité de beaucoup d’emplois publics, le manque d’attractivité est peut-être lié au fait qu’à notre époque on zappe tout, y compris les contrats de travail : ainsi on préfèrera un CDD à un emploi à vie, par peur de s’engager, d’être lié alors que l’on souhaite à tout instant revoir ses contraintes en fonction du moment. L’emploi à vie, attractif en période de difficultés, est moins recherché quand l’assistanat joue le rôle de filet de sécurité et permet d’essayer beaucoup de choses sans risque véritable. En fait, c’est toute la société qui bénéficie de la sécurité à vie, alors autant expérimenter le privé, quitte à imposer ses conditions ou être indemnisé si l’on s’en va…

    • Le refus des CDI au profit des CDD correspond bien plus au calcul du plus juste nécessaire à l’indemnisation chômage qu’à autre chose.

  • Ne pas trouver 58.000 postes à pourvoir quand on a 5.700.000 fonctionnaires dont 2.000.000 posent la question de leur utilité me laisse interrogatif. L’état « ne sert à rien ».
    Je souhaiterais savoir à quoi sert un ministère de l’économie et des finances dont le titulaire du poste est agrégé de lettres modernes. Je suis disponible pour lui soigner ses dents, n’étant pas dentiste bien entendu.

  • Gros dilemme pour un futur fonctionnaire !
    Est-ce que je dois rentrer dans la fonction publique et travailler entre 4 et 10 heures par semaine mais avec obligation de me lever le matin pour faire acte de présence 32 heures ou rester au RSA à jouer toute la journée à la PlayStation et regarder le foot et toucher toutes les autres aides sociales, avec en prime la possibilité de faire du travail au noir mieux payé ?
    Je crois que la réponse est clair.

  • Je ne suis pas tres convaincu pour le manque d’attrait. Cela dépend des secteurs ( l’education nationale ce n’est pas comme le ministere de la recherche) et surtout il faut comparer d’une année sur l’autre (c’est forcement plus compliqué de recruter 50 000 soldats en temps de guerre contre la Russie que 2000 en temps de paix).

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