L’entreprise, bouc émissaire de notre ignorance économique

Comment l’éthique des acteurs et le perfectionnement du système économique peuvent-ils assurer l’intérêt général ?

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L’entreprise, bouc émissaire de notre ignorance économique

Publié le 9 mai 2023
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La période est propice à la recherche de boucs émissaires de toutes sortes. L’entreprise est un candidat idéal, surtout quand on sait la faiblesse de nos compatriotes en matière de connaissance de l’économie.

Pour tous ceux qui croient que l’entreprise est l’une des plus belles inventions de l’humanité, il existe un devoir de sauver ce soldat aussi injustement attaqué, en général par des gens qui n’ont jamais créé ni dirigé d’entreprise. C’est un peu comme parler de natation sans savoir nager ou de ski sans être jamais monté sur des skis. Il faut des experts et des intellectuels qui réfléchissent sur ces sujets. Le problème est le monopole de fait qu’ils détiennent sur les médias.

Ses pourfendeurs ne réalisent pas que l’entreprise n’existe que si elle rend un service jugé utile par le consommateur, qui est prêt à mettre son propre argent pour le payer. On expliquera que dans les faits, les entrepreneurs manipulent les clients par les politiques marketing. C’est parfois vrai, mais quand on a fait soi-même de la vente, on sait qu’il ne faut pas prendre le client pour un idiot : on peut l’abuser quelques temps, mais ça ne dure pas.

Dans le cas du monopole, l’entreprise peut exploiter le client avec la position de force que lui confère sa position sur le marché ; mais les autorités de la concurrence sont là pour s’assurer que la concurrence joue et protège le consommateur.

Les personnes capables de créer des entreprises, de les gérer ou de les faire grandir font un précieux travail pour la société. Il faut les choyer. Sont-elles d’ailleurs si nombreuses ? En fait, pas tant que cela. Il y a en France trois millions d’entreprises, c’est beaucoup, mais c’est aussi assez peu ; les chefs d’entreprise représentent au plus 5 % de la population, une denrée finalement assez rare.

 

Attaquer le profit

Le grand jeu, c’est évidemment d’attaquer le profit et l’angle le plus courant consistant à expliquer que le profit est le résultat d’une exploitation, celle des employés (notez les jeux possibles avec les mots : résultat d’exploitation, profit, profiteur, on parlera de marge par la suite).

L’exploitation a existé et existera, mais elle n’est pas la règle, grâce encore à la concurrence qui ne fait que se développer, sur la longue durée, surtout avec la mondialisation. Si les gens ne sont pas contents, ils peuvent facilement changer, et les entreprises où l’ambiance de travail est mauvaise se font très vite dépasser par celles où on a plaisir à travailler. La concurrence, toujours elle, veille.

Le mécanisme de formation de la marge est en général mal compris, et c’est une source d’erreur d’appréciation. Dans chaque système concurrentiel on trouve des suiveurs dont les rentabilités sont médiocres. Par contre, le numéro deux est rentable et le numéro un très rentable. Ce dernier se trouve être aussi le plus efficace à cause de l’effet d’expérience qui lui confère sa part de marché (voir les émissions BFM Stratégie : Retour sur les fondamentaux, cours n° 164).

Il faut voir la marge comme la récompense donnée par les clients à l’entreprise la plus efficace.

Nous avons là un merveilleux système d’allocation qui donne plus de moyens à celui qui consomme le moins de ressources pour continuer à se développer. Les Allemands comprennent bien mieux ces réalités que les Français, et leur prospérité trouve probablement là une de ses meilleures explications.

La fameuse déclaration de Helmut Schmidt, formulée le 3 novembre 1974, c’est-à-dire il y a près de 50 ans, y est pour beaucoup : « Le profit d’aujourd’hui est l’investissement de demain et l’emploi d’après- demain ».

Pour nos voisins, le profit est l’ami de la croissance et de l’emploi. D’ailleurs, patron en allemand se traduit par… donneur d’emploi !

 

Capital, dividendes, marchés financiers, ces ennemis

Le démarrage de l’entreprise, qu’on peut situer en Perse (code d’Hammourabi) suppose une personne qui met de l’argent (provenant de ses économies) pour financer l’entreprise. Il embauche des collaborateurs qui sont payés, que l’entreprise marche ou pas, alors que lui ne s’y retrouve que si l’entreprise fait de la marge. Il rend donc un service, d’abord en trouvant l’idée, ensuite en assumant seul tout le risque.

En y réfléchissant un tant soit peu, l’entrepreneur qui aujourd’hui risque son capital dans les machines-outils, abandonne la liquidité de son argent en s’exposant à une concurrence étrangère tout en fournissant du travail à ses compatriotes ne rend-il pas lui aussi un formidable service à ses concitoyens ? Cet entrepreneur est un saint laïc ! Ici encore, le capital est ami de l’emploi.

Reste encore à attaquer le dividende, autre ennemi de l’emploi. Effectivement, le dividende ne doit pas être versé en périodes de croissance, au moment où l’entreprise doit se développer plus vite que ses concurrents pour atteindre avant eux le bas de la courbe d’expérience, quand le marché se stabilise. Versé au mauvais moment, il abîme l’entreprise, mais dès que la croissance tombe, il ne pose aucun problème et peut légitimement revenir à celui qui a mis les fonds au départ.

Ce qu’oublient ceux qui attaquent les dividendes, c’est que dans la grande majorité des cas, ils servent à financer les jeunes entreprises ayant des besoins d’investissement largement supérieurs à leurs résultats. C’est précisément grâce au dividende que s’opère un transfert naturel entre les métiers en progression et nécessitant des liquidités parce que leurs bénéfices sont insuffisants pour financer leur croissance, et ceux qui peuvent donner des liquidités parce que leur marché ne croît plus.

Plus on analyse l’économie plus on se rend compte qu’elle est bien conçue, à condition que les gens se comportent correctement.

Ah oui, on a oublié de taper sur le marché financier ! L’auteur de ces lignes ne va pas dire qu’il n’y a pas de problème. Il y a bien sûr des escrocs, comme partout, mais aussi des gens bien. Le marché financier est lui aussi une géniale invention de l’humanité. Les Gênois puis les Vénitiens et les Hollandais lui ont donné une forte impulsion avec l’idée de la société par action, vecteur qui permet à tout un chacun, dans la mesure de ses moyens, de participer à la création de valeur.

De quelle rentabilité s’agit-il ?

Regardons simplement les faits : la rentabilité du marché (mesurée sur une très longue période avec le dow jones, qui existe depuis 200 ans, ou le CAC sur 40 ans) est de l’ordre de 5/6 % hors dividendes, c’est-à-dire 6/7 % tout compris.

Cette rentabilité est certes plus élevée que la croissance de l’économie, mais ce marché financier est ouvert à tout le monde. Il n’est pas une foire d’empoigne, il est régulé par l’Autorité des marchés financiers qui veille à ce que seules les sociétés dont les fondamentaux ont été vérifiés y soient admises. Parallèlement, des commissaires aux comptes vérifient la véracité des résultats annoncés. Enfin, les analystes financiers décortiquent en permanence les stratégies pour le compte des investisseurs. Sur les 50 000 sociétés cotées dans le monde, il y a eu bien sûr des erreurs, comme l’affaire Enron, mais les sanctions ont été redoutables puisque l’entreprise qui avait certifié les comptes a tout simplement disparu.

 

L’a-moralité de l’économie de marché

Là encore, ce n’est pas l’outil qu’il faut mettre en cause comme étant intrinsèquement pervers. L’économie de marché n’est ni morale ni immorale, elle est a-morale. Ce qui importe, c’est l’éthique des acteurs, c’est là qu’il faut porter son regard.

Pour l’auteur de ces lignes, quand le comportement des acteurs est éthique (ou moral), l’équilibre du marché permet d’atteindre spontanément l’intérêt général.

Autrement dit, on va mélanger trois ingrédients, dont aucun n’a la cote, pour aboutir à un produit merveilleux :

  1. La concurrence qui est détestée, mais qui est un élément clé du fonctionnement des marchés modernes.
  2. L’intérêt particulier qui représente l’égoïsme, et sur lequel on ne peut pas fonder une société ; il n’y a pourtant rien de mal à défendre son intérêt dans le respect de celui des autres, mais l’idée n’a pas la cote.
  3. La fidélité, qui évoque les chaînes dans une société où est vantée la liberté.

 

Quand on analyse les entreprises solides, grandes ou petites, on découvre qu’elles sont fondées sur la fidélité de leurs clients, de leur personnel, de leurs fournisseurs et de leurs actionnaires. La fidélité permet la croissance à long terme, ce que ne peut faire une entreprise qui passe son temps à trouver de nouveaux clients ou employés parce qu’elle n’arrive pas à conserver les siens.

Mis ensemble, ces trois composants permettent d’atteindre un état d’équilibre très satisfaisant : la fidélité en milieu concurrentiel est la preuve que l’intérêt de chacun a été satisfait puisque dans le cas contraire, la concurrence permet à tout moment de changer. Les choix sont libres. En respectant l’intérêt de chaque participant, on atteint l’intérêt général, que l’on peut aussi nommer bien commun. Et c’est la concurrence qui a permis ce petit miracle.

 

Comprendre et faire comprendre les bienfaits de la concurrence

Soyons réalistes, cette organisation de l’économie dure depuis cinq millénaires. Elle n’est pas parfaite du fait du comportement de certains acteurs, mais reconnaissons aussi que les expériences tentées pour en sortir n’ont pas été brillantes et ont conduit, au mieux, à des effondrements de richesse, au pire, à des hécatombes humaines.

Plutôt que de vouloir changer le système, cherchons à le perfectionner et à associer le maximum d’acteurs à ses bénéfices (actionnariat salarié, retraites par capitalisation, etc.). Veillons aussi à ce que les autorités puissent travailler dans les meilleures conditions, que ce soit l’antitrust ou les autorités de marché. C’est le noble rôle de l’État régalien.

Un marteau n’est ni bon ni mauvais en soi, ce qui importe c’est l’esprit qui anime celui qui tient son manche. L’invention du marché, de l’entreprise et des actions sont des manifestations du génie humain. Apprenons à mieux utiliser ce formidable outil.

Il faut comprendre et accepter la concurrence : elle est généreuse avec la baisse des prix ; elle stimule constamment les concurrents et les fait progresser ; elle permet de casser les monopoles. Et en dernier ressort, elle est l’autre nom que l’on peut donner à la liberté.

Nos concitoyens sont talentueux, on le voit avec la performance des leaders mondiaux du CAC40. Le jour où ils comprendront les ressorts de l’économie, l’harmonie nécessaire à la bonne marche de l’économie reviendra. Pour cela, lançons une grande initiative pédagogique à destination de tous les Français, grands et petits.

Voir les commentaires (6)

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  • Avatar
    Francois Brault
    9 mai 2023 at 8 h 14 min

    Je suis favorable à l’interdiction des dividendes pour les sociétés dont la dette a augmenté dans l’exercice.

    Les dividendes sont faits pour distribuer les profits cumulés des années antérieures qui ne trouvent pas à s’investir dans des projets utiles à l’entreprise, immédiatement rentables ou stratégiques (pas directement rentables mais jugés utiles pour préparer un futur produit, marché ou bloquer un concurrent)

    -2
    • Les dividendes sont faits pour ce que les actionnaires décident qu’ils soient faits.

    • Ah bon ?
      Il ne faut pas laisser l’entreprise faire ce qu’elle souhaite en ce qui concerne la distribution de dividendes ?
      Une interdiction de distribution de dividendes ? C’est effectivement tout à fait libéral…

    • Les dividendes sont faits pour rémunérer les actionnaires de leur apport. La question n’est pas de savoir si la société s’endette, mais simplement si elle est en mesure d’apporter cette juste rémunération, ou si sa situation impose ou rend plus intéressant que cette rémunération reste dans l’entreprise. Aux actionnaires de décider, et certainement pas à une réglementation extérieure.

  • Pour ma part je pense que les gauchistes ont très bien compris ce qu’était la concurrence.
    c’est effectivement la prime donnée au plus intelligent, au plus travailleur, au plus méritant et cetera… et comme ils ne rencontrent aucun de ses critères ils savent très bien que la concurrence les balaiera, et donc le seul moyen d’arriver à quelque chose pour eux, c’est bien de combattre la concurrence et de tout miser sur l’étatisme et le copinage.

    • Tout à fait d’accord. Et ils croient que remplacer l’entrepreneur par l’État sera plus égalitaire. Et c’est vrai mais seulement pour les pauvres : tous au SMIC ! Car les membres du parti de tous les pays communistes sont tous pleins aux as.
      Le communisme remplace le talent de l’entrepreneur par l’incompétence du petit fonctionnaire du parti.

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