Trente-huit organisations européennes et internationales1ont publié une lettre à l’attention des députés de l’Assemblée nationale pour les convaincre de refuser le projet du gouvernement français de légaliser la vidéosurveillance algorithmique en France.
Selon ces organisations, il s’agirait de la toute première légalisation de la surveillance biométrique en Europe, portant la France au titre de championne de la surveillance dans l’Union européenne.
@laquadrature « la loi sur les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 a pour but d’amorcer la légalisation de la surveillance biométrique, en commençant par la VSA : la vidéosurveillance algorithmique ». Décryptage des dangers pour notre démocratie https://t.co/KJsiNh5mxG
— Laurent Mucchielli (@LMucchielli) February 24, 2023
Comme de nombreux projets du gouvernement, celui-ci se dessine sous couvert de bonnes intentions. Ainsi, on instrumentalise le besoin de sécurité lors des Jeux olympiques 2024 de Paris pour faire accepter une mesure qui trotte dans la tête de nos gouvernants depuis longtemps.
Les dangers de l’article 7 du projet de loi relatif aux Jeux olympiques 2024
À travers cette lettre, les 38 organisations soulignent le danger relatif à l’article 7 de ce projet de loi.
On peut y lire notamment :
« À titre expérimental et jusqu’au 30 juin 2025, à la seule fin d’assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, qui, par leur ampleur ou leurs circonstances sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteinte grave à la sécurité des personnes, les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection autorisés sur le fondement de l’article L. 252-1 du Code de sécurité intérieure et de caméras installées sur des aéronefs autorisées sur le fondement du chapitre II du titre IV du livre II du même code dans les lieux accueillant ces manifestations et à leurs abords, ainsi que dans les moyens de transport et sur les voies les desservant, peuvent faire l’objet de traitements comprenant un système d’intelligence artificielle. »
Comme le souligne la Quadrature du Net qui relaie cette lettre de la société civile, cet article 7 « crée une base juridique pour l’utilisation de caméras dotées d’algorithmes en vue de détecter des événements suspects spécifiques dans l’espace public. »
Cela signifie que « pour assurer la sécurité » de n’importe quel événement de grande ampleur, ou en cas de « risques d’actes de terrorisme », on autorise juridiquement l’utilisation d’une vidéosurveillance algorithmique intrusive. Cette mesure permet donc de piétiner des droits fondamentaux comme le droit à la vie privée, le droit à la liberté de réunion et d’association ou encore le droit à la non-discrimination.
Le Comité européen de la protection des données et le Contrôleur européen de la protection des données ont déjà mis en garde
Le 21 avril 2021, la Commission européenne a présenté sa proposition de règlement au Parlement européen et au Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle.
Selon le Comité européen de la protection des données et le Contrôleur européen de la protection des données, la surveillance biométrique a de graves répercussions sur les attentes des personnes en matière d’anonymat dans les espaces publics. Elle a également a un effet négatif sur leur volonté et leur capacité d’exercer leurs libertés civiques car elles redoutent d’être identifiées, repérées ou même poursuivies à tort.
En l’état, cette mesure menace l’essence même du droit à la vie privée et à la protection des données, ce qui la rend contraire au droit international et européen relatif aux droits humains.
En juin 2021, le Comité européen et le Contrôleur européen de la protection des données concluaient le rapport comme suit :
« Compte tenu de la complexité de la proposition et des problèmes qu’elle vise à résoudre, il reste beaucoup à faire pour que la proposition puisse donner naissance à un cadre juridique fonctionnel, complétant efficacement le RGPD en protégeant les droits de l’homme fondamentaux tout en favorisant l’innovation. »
L’inefficacité de la vidéosurveillance
À la demande du Centre de recherche de l’École des officiers de la gendarmerie de Melun, une étude a été menée par Guillaume Gormand, chercheur au Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique.
Selon cette étude :
Les résultats mettent en lumière une efficacité douteuse de la vidéoprotection, du moins au regard de la finalité que lui assignent les acteurs des politiques publiques de sécurité : prévenir la délinquance et aider à la résolution des infractions.
Malgré cette efficacité toute relative, le gouvernement ne remet pas en question son projet de surveillance généralisée.
La lettre publiée par les 38 organisations en conclut que ces restrictions de droits humains « constituent une violation des obligations incombant aux États en matière de droits humains en vertu de traités internationaux, et notamment du Traité international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits de l’Homme. »
Vers une société de surveillance toujours plus généralisée et banalisée
Au nom de la sécurité, comme ça a été le cas depuis les attaques terroristes, le gouvernement intègre les nouvelles technologies à ses projets de surveillance, portant toujours plus atteinte aux libertés publiques et à la vie privée des citoyens. Les mesures d’urgence se sont également multipliées au travers de la gestion de la crise covid.
Nous l’avons souligné à plusieurs reprises dans les colonnes de Contrepoints, l’état d’urgence et les « mesures d’exception » permettent au gouvernement de normaliser et de pérenniser des privations de liberté tout en promettant un retour à la situation antérieure qu’on a du mal à apercevoir.
Ici, au nom de votre sécurité, même si l’efficacité des techniques concernées est contestée, les mesures de surveillance sont de plus en plus intrusives et entrent dans la norme.
Si conformément à l’article 7 de la projet de loi, l’utilisation de la vidéosurveillance algorithmique est légalisée à titre expérimental et jusqu’au 30 juin 2025, nos libertés seront encore une fois méprisées. Il est grand temps de refuser ce premier pas vers une société où les logiciels de surveillance automatisée deviendraient la norme.
- Voici la liste des 38 organisations par ordre alphabétique : Access Now, International ; AlgoRace, Espagne ; AlgorithmWatch, Allemagne ; AlgorithmWatch CH, Suisse ; Amnesty International, International ; ApTI, Roumanie ; ARTICLE 19, International ; Association Nationale des Supporters, France ; Big Brother Watch, Royaume-Uni ; Bits of Freedom, Pays-Bas ; Centre for Democracy & Technology, Europe ; Chaos Computer Club Lëtzebuerg, Luxembourg ; Citizen D/Državljan D, Slovénie ; Civil Liberties Union for Europe, Europe ; Deutsche Vereinigung für Datenschutz e.V. (DVD), Allemagne ; Digitalcourage e.V., Allemagne ; Digitale Gesellschaft, Suisse ; Digitale Freiheit e.V., Allemagne ; Elektronisk Forpost Norge, Norvège ; Eticas Tech, Espagne ; European Center for Not-for-Profit Law Stichting (ECNL), Europe ; European Digital Rights, Europe ; Fair Trials, International ; Forum Civique Européen, France/Europe ; Football Supporters Europe, Europe ; Homo Digitalis, Grèce ; Human Rights Watch, International ; Irish Council for Civil Liberties, Irlande ; IT-Pol, Danemark ; Iuridicum Remedium, République tchèque ; Liberty, Royaume-Uni ; Panoptykon Foundation, Pologne ; Privacy International, International ; Privacy Network, Italie ; Share Foundation, Serbie ; Society Vrijbit, Pays-Bas ; Statewatch, Europe ; Today is a new day/Danes je nov dan, Slovénie. ↩
c’est pas tant la surveillance..donc..
On assiste aussi à un criminalisation d’actes dérisoires..
et donc nous sommes assurément coupables.. ..
Je n’ai toujours pas compris pourquoi les critiques de la vidéo-surveillance dans l’espace public se font au nom de l’atteinte à la vie privée.
La vie privée c’est aussi pouvoir aller et venir sans être surveillé. Soit vous voulez un état de droit, soit un état policier. Un état de droit c’est la séparation des pouvoirs, le gouvernement est soumis au droit et aux juges. Un état policier c’est un état sans contre pouvoir, un état qui fait des écoutes téléphoniques non judiciaires par exemple ou qui surveille tout le monde dans la rue.
L’intervention judiciaire est fondamentale car c’est contradictoire. Le citoyen peut demander des comptes.
Aller et venir, ça veut dire que les voyous qui vous en empêchent doivent pouvoir être arrêtés. C’est bien plus prioritaire que le fait de pouvoir se cacher de ceux dont vous ne voulez pas qu’ils vous observent, non ? Et pour cela, que proposez-vous ? Que chacun se déplace avec un officier assermenté payé par ses soins, qui pourra témoigner quand vous serez attaqué, dépouillé, violé ?
Alors oui, la vidéosurveillance n’est pas souhaitable, une justice exemplaire serait plus prioritaire, mais on a la désagréable impression que son refus et l’absence de proposition d’alternatives visent surtout à protéger encore mieux la délinquance.
Oui je suis d’accord, mais actuellement on a double peine. Des honnêtes gens em..rdés par la police et des délinquants que la police-justice laisse libre et qui n’ont plus plus peur des sanctions (qui ne viennent pas).
@ gillib : D’accord pour qualifier un état de policier s’il fait des écoutes téléphoniques non judiciaires, parce que les appels téléphoniques relèvent du domaine privé.
Mais pour la surveillance de l’espace public, indépendamment de son aspect technique, que ce soit par vidéo-surveillance ou par une présence physique d’agents de sécurité, ou tout autre moyen :
– soit vous pensez qu’un état ne doit surveiller personne dans l’espace public, auquel cas il faut en mesurer les conséquences,
– soit vous connaissez un moyen de surveiller les seuls délinquants habituels ou occasionnels, à l’exclusion des autres, auquel cas il serait dommage de ne pas le partager, nous ferions un grand progrès.
La justice ne doit s’occuper que des délits avec victimes. Les victimes portent plaintes; à la demande d’intervention, la police enquète sous le contrôle d’un juge.
Donc pas de surveillance de la voie publique s’il ne se passe rien.
La police n’a pas à surveiller les délinquants qui sont presumés innocents (DDHC).
Mais les juges doivent condamner si nécessaire.
C’est toujours la même histoire, l’état ne veut pas votre bien. Malgré qu’il dit le contraire.
C’est un point de vue auquel on pourrait adhérer en théorie, mais il ne laisse aucune part à la prévention de la délinquance, et aussi assez peu finalement à la dissuasion.
Ce n’est certainement pas un hasard ni un asservissement volontaire si au fil du temps la surveillance généralisée de l’espace public a été si bien acceptée par les populations, et ceci bien avant la vidéo-surveillance.
Vous êtes un adepte de l’ adage : « je m’en fiche car je n’ai rien à me reprocher ».
Je connaissais quelques personnes qu’on a poussé dans des wagons en 1942
et qui n’avaient rien à se reprocher non plus.
Vous êtes un adepte de l’adage : « s’il dit ceci, c’est qu’il pense cela ». Je connaissais quelques personnes qui en ont poussé d’autres dans des wagons en 1942, pour les mêmes motifs.
Et vous êtes un adepte du tour de passe-passe bien connu de dire « Regardez là-haut, il y a une caméra qui vous surveille » pendant que vous subtilisez le portefeuille du quidam indigné.
Darmanin, pétochard 1ier pense que les caméras vont résoudre les problèmes aux JO. C’est oublier que nos amis délinquants du stade de France savent qu’ils ne risquent absolument rien même s’ils sont reconnus. Au pire un rappel à la loi.
Mais ça fait celui qui bosse., anticipe et ne pourra pas être coupable.
Notre société va mal profondément et aucun politique ne veut la soigner.
Bon, c’est comme pour protéger son anonymat en ligne, il va falloir apprendre à se déguiser. Les fabricants de fausses barbes ont un bel avenir.
En effet, que risque-t-on si on est « reconnu » par le système ? Rien si on est délinquant, des spams publicitaires qu’on le soit ou non, un alibi si on est accusé d’avoir été ailleurs, et de payer encore plus d’impôts pour poser des caméras plutôt que de construire des prisons. Si j’étais jeune, je me lancerais dans la vente et la pose de caméras, ça me paierait ma future retraite.