Propos de café du commerce sur la fusion nucléaire

Un trader, une physicienne et un écologiste confrontent leurs points de vue sur des questions énergétiques.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1
Screenshot 2022-12-14 at 16-30-33 Fusion nucléaire une percée scientifique majeure annoncée aux Etats-Unis - YouTube

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Propos de café du commerce sur la fusion nucléaire

Publié le 20 février 2023
- A +

Par Jean Louis Bobin.

 

Un trader, une physicienne et un écologiste confrontent leurs points de vue sur des questions énergétiques.

 

TRADER : En ces temps de prise de conscience écologique, j’aimerais encourager mes clients à investir dans de nouvelles sources d’énergie.

ÉCOLO : L’éolien et le solaire sont l’avenir de la transition énergétique et ont besoin de capitaux pour se développer. Ce sont des énergies renouvelables et propres.

TRADER : Dans quel sens ?

ECOLO : Leur mise en œuvre et leur exploitation n’impliquent aucune atteinte à l’environnement ni à la santé.

PHYSICIENNE : Comme la fourmi de 18 mètres de long parlant français et javanais, de telles énergies propres ça n’existe pas ! Aucune source n’est dépourvue d’impacts sur l’environnement et la santé. La seule chose que l’on puisse faire est de les minimiser. De ce point de vue, il existe un domaine prometteur mais qui en est encore au stade de la recherche : la fusion nucléaire pourrait bien être la source d’énergie dont l’humanité aura besoin dans le futur.

TRADER : Le Saint Graal, quoi !

ÉCOLO : Avec la fusion, les nucléocrates nous mènent en bateau sous prétexte que ce serait du nucléaire propre, insupportable oxymore. Semblable à l’horizon, ce soi-disant Graal recule sans cesse. On nous dit depuis soixante-dix ans que c’est l’avenir et… ce sera toujours l’avenir.

PHYSICIENNE : Je n’ai pas de boule de cristal et je ne suis pas madame Irma. Mais je constate que les recherches avancent. Et les résultats arrivent.

TRADER : Je serais curieux de savoir lesquels.

PHYSICIENNE : Par exemple à la fin de 2022, vous en avez sûrement entendu parler. Dans le laboratoire californien de Livermore, les équipes travaillant sur la fusion inertielle ont obtenu une énergie de fusion supérieure à celle des 192 faisceaux laser qui irradiaient la cible. Un seuil de parité énergétique (« scientific breakeven » en anglais) a été franchi. C’est une avancée significative, reconnue comme telle par la communauté scientifique.

ÉCOLO : Livermore, Livermore… n’est-ce pas le laboratoire où a sévi pendant un demi-siècle Edward Teller qui a servi de modèle au docteur Folamour ? entre la bombe H et la guerre des étoiles, quelles sinistres références !

PHYSICIENNE : On y trouve surtout la National Ignition Facility, un laser d’une énergie de plusieurs mégajoules, aboutissement d’un programme technologique étalé sur plusieurs décennies. C’est auprès de ce grand instrument qu’a été effectuée l’expérience à laquelle je faisais allusion.

ÉCOLO : Un laser mégajoule comme celui qui est installé dans la forêt landaise près de Bordeaux ?

PHYSICIENNE : Oui mais avec une certaine avance quant aux performances.

ÉCOLO : Ce type d’installation coûte la peau des fesses et ne sert à rien, sinon à entretenir l’armement nucléaire. C’est une honte ! Nos ONG environnementales ont eu bien raison d’organiser des manifs sur le terrain pour protester contre sa construction et son exploitation. Quant à cette expérience soi-disant probante…

PHYSICIENNE : En quoi ne le serait-elle pas ?

ÉCOLO : En raison de la façon dont la nouvelle a été lancée. C’est tout juste si cela n’a pas été fait par le président des États-Unis en personne. Le 13 décembre dernier, on a vu et entendu la Secrétaire d’État pour l’énergie, Jennifer Granholm, et la directrice du Bureau de la Science et de la Technologie à la Maison Blanche, Arati Prabakhar, faire assaut de superlatifs en dévoilant le résultat, somme toute modeste, d’un unique tir laser. Je ne vois rien au-delà d’une simple opération de communication à des fins politiques.

PHYSICIENNE : Ce n’est pas que de la com ! À Livermore, il s’est vraiment passé quelque chose d’important du point de vue de la fusion nucléaire : une percée attendue depuis les années 1970. On est loin de l’heureux et singulier coup du sort. L’aventure a commencé bien avant l’événement du 5 décembre annoncé en grande pompe le 13. Je vais vous le montrer à l’aide d’une figure adaptée du site de Physics Today, la revue de la Société Américaine de Physique. Le temps de la retrouver sur mon smartphone… la voici :

Elle représente l’historique des mesures de l’énergie de fusion lors de tirs laser dédiés depuis la mise en service de la National Ignition Facility. Comme vous pouvez le voir, on observe un décollage à partir de l’été 2021 soit au bout d’une dizaine d’années de tâtonnements à la recherche d’une meilleure architecture de cible. Les couleurs différentes selon les configurations en témoignent. Ainsi le résultat annoncé n’est pas attribuable au seul hasard, pour une fois bienveillant. Cette figure prouve que les chercheurs de Livermore tiennent le bon bout. J’attends la suite avec confiance.

ÉCOLO : Moi, je n’attends rien de ces amusements pour physicien sans éthique, coûteux de surcroît pour le contribuable. Toute extrapolation vers l’avenir me paraît à la fois chimérique et moralement condamnable.

PHYSICIENNE : Voilà un propos convenu qui n’apparait fondé que sur une opposition viscérale à tout ce qui porte l’étiquette « nucléaire ». Un exemple du ressenti habituel des écologistes à l’égard d’une science jugée maléfique.

TRADER : Quant à moi, je m’interroge. Livermore est un laboratoire national. Toute l’activité de la fusion nucléaire est-elle cantonnée dans l’espace de la recherche publique ?

PHYSICIENNE : Non, mais c’est en grande partie vrai. En raison de la taille des installations, les principales contributions viennent de centres de recherches sur l’énergie nucléaire en général, auxquels s’ajoutent quelques laboratoires spécialement dédiés à la fusion comme à Culham en Grande Bretagne ou à Greifswald en Allemagne. De même, le projet international ITER occupe un site spécifique à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Les progrès ont été tels que des entrepreneurs se sont depuis quelques années intéressés au sujet.

TRADER : Auraient-ils lancé des startups ?

ÉCOLO : Déjà que je n’aime pas l’objet de ces recherches… si en plus il s’y mêle de l’ultralibéralisme, ma détestation n’en sera que plus grande.

PHYSICIENNE : Passons sur l’ultralibéralisme qui n’a rien à faire ici. Oui il existe des startups et pas seulement aux États-Unis. Il s’en est créé en Grande-Bretagne, en Australie et même en France à Grenoble. Sous le nom de « Renaissance Fusion », ses promoteurs visent à développer une configuration de confinement magnétique particulière, le « Stellarator ».

TRADER : Les investisseurs font des paris mais raisonnés. Admettons que j’aie de l’argent à placer au nom de mes clients. Quel peut être l’avenir de telles sociétés ?

PHYSICIENNE : Leurs projets sont très divers mais avec un seul et même but : commercialiser la fusion nucléaire plus rapidement que peuvent le faire de lourdes structures étatiques ou internationales. Pour cela les promoteurs misent sur la créativité d’équipes de haut niveau, jeunes et très motivées.

TRADER : Et quelles sont les chances de réussite ?

PHYSICIENNE : Difficile à dire. En attendant d’hypothétiques mises sur le marché, la prise de brevets pour des innovations qui font avancer le schmilblick de la fusion nucléaire peut se révéler être un bon moyen de valoriser les efforts consentis. À ce propos, laissez-moi vous raconter une histoire en rapport avec les événements de décembre dernier.

ÉCOLO et TRADER : Nous sommes toute ouïe…

PHYSICIENNE : C’était donc aux commencements de la mise en œuvre de cette variété de fusion, appelée inertielle, qui vient de susciter tant de tapage médiatique. Le principe en fut inventé dans le secret vers 1970 par des chercheurs de Livermore et en même temps par un professeur d’université, physicien très réputé. Celui-ci s’associa à un collègue devenu un entrepreneur à succès pour fonder sous le nom de KMS-Fusion une compagnie privée visant à commercialiser des réalisations basées sur le concept de la fusion nucléaire par laser et qui obtint dans ses laboratoires des premiers résultats significatifs. À Livermore où un programme expérimental avait aussi été lancé, des résultats équivalents arrivèrent bien plus tard. L’agilité d’une petite structure très dynamique l’avait emporté sur la lourdeur bureaucratique d’un grand centre de recherches, du moins provisoirement. Car à l’époque, les administrations américaines firent tout leur possible pour couler KMS-Fusion et y réussirent en peu d’années.

TRADER : Comme quoi les USA et la libre entreprise, ce n’est pas forcément ce qu’on croit.

PHYSICIENNE : En effet, mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos startups et autres institutions de recherches. Il est généralement admis que la fusion nucléaire ne sera pas opérationnelle avant la seconde moitié de ce siècle. Hormis le cas de percées foudroyantes, il est assez illusoire de compter sur elle pour participer à l’urgente transition énergétique à laquelle devrait s’atteler l’humanité pendant les deux ou trois décennies à venir. Mais pour la suite, tout est ouvert.

 

Voir les commentaires (12)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (12)
  •  » les minimiser » quel est le minimum sans une quelconque operateur objectif permettant de les ramener à une grandeur … i

    ça n’est pas un détail… car si « ça » existait alors l ‘écologisme pourrait faire sens.

    • il faut traiter le communisme comme l’ecologisme…une idéologie inepte..et bien leur montrer.. non ils ne sont ni gentils ni humains ni généreux…

  • hmmm obtenir une fusion contrôlée..est une chose..ensuite le truc industriel à un cout moindre qu’une surgénérateur ou une centrale.

    et ce bien entendu sans une goutte de fossile…

    le diable c’est le diable..

    -2
    • Le coût, en soi, n’a aucune importance. Seul compte de savoir si ce sera rentable. Parce que si c’est rentable, peu importe qu’il faille des investissements colossaux, on les trouvera alors sans qu’il soit besoin de mettre l’Etat dans la boucle.

  • Si j’étais trader, je demanderais s’il y a de l’argent à gagner et surtout comment, pour pouvoir expliquer justement ça à mes clients. On ne gagne jamais d’argent en se conformant au politiquement correct, rarement en suivant le buzz, mais souvent en comprenant les mécanismes quand la foule se contente de hurler avec les loups des « c’est génial » et des « c’est infect ».

  • Avatar
    jbb.bichon@gmail.com
    20 février 2023 at 8 h 46 min

    COMPLOTISTE: La fusion est la voie sans issue vers laquelle on pousse les pro-nucléaire afin de continuer à faire pousser des moulins à vent et des miroirs aux alouettes pendant que les centrales du présent se délabrent, pour les grands bonheur des pétroliers vendeurs de gaz.

  • Si j’étais tarder, je suivrai la voix de notre Ministre de la transition écologique Mme Agnès Pannier Runachet qui, par l’intermédiaire de ses enfants mineurs, investit dans le pétrole, comme l’ont fait ses parents. Après tout, puisque l’écologie est devenue notre dictature, faisons comme le dictateur…

  • Fusion, sympa mais qui dans 50 ans aura besoin d’énergie pour vivre dans sa grotte ?
    Et autre soucis, gravissime, que sera devenu le dollar sans hydrocarbures à acheter….. Donc, il n’y aura jamais. De fusion tant qu’une goutte de gaz coulera…..

  • J’ai des sérieux doutes au moins jusqu’à la fin du siècle sur la faisabilité d’une fusion nucléaire contrôlée à échelle industrielle.
    En revanche il y a des technologies qui nous tendent les bras et qui demandent bien moins d’investissements: les RNR surgénérateurs (Phoenix et Superphoenix en ont prouvé la viabilité) qui nous garantissent de l’énergie pour des centaines d’années et la filière Th232->U233 à sels fondus (prouvée par le ORNL, mais abandonnée à l’époque sous la double pression de Westinghouse et des militaires qui ne la trouvaient pas assez plutonigène), vu l’abondance du Thorium on est tranquilles pour des milliers d’années.

    • Et ils en font quoi de leur plutonium..rien, on le recycle. Les bombes nucléaires, c’est de la daube, inutilisable sauf quand on est seul.

      -1
  • Problème : certes l’énergie émise fut supérieure à l’énergie des lasers utilisés pour comprimer et chauffer les atomes.
    Cependant le reste de la machine, refroidissement des aimants, champ magnétiques de confinement ,… consomment encore 10 fois plus que les lasers .

    En realité il n’y a pas de parité énergétique, DU TOUT.
    Mais ces effets d’annonces sont importants pour justifier les budgets.

  • Sans vouloir vous offenser, M.Bobin, votre fiction ne tient pas debout: Ecolo est beaucoup trop cultivé…

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Je viens d'écouter l'audition d'une petite heure de Jean-Marc Jancovici au Sénat, qui a eu lieu le 12 février dernier dans le cadre de la « Commission d’enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ».

Beaucoup d'informations exactes, qui relèvent d'ailleurs bien souvent du bon sens, mais aussi quelques omissions et approximations sur lesquelles je souhaite reveni... Poursuivre la lecture

5
Sauvegarder cet article

Comme chaque année, les chiffres de la balance commerciale sont minorés et présentés en retirant les frais de transport du montant de nos importations.

Les frais de transport sont pourtant une partie intégrante du coût de revient et sont répercutés sur le prix de vente au consommateur. Mais pourtant, ils sont retraités afin de les comparer aux chiffres des exportations qui, eux, n’intègrent pas les frais de transport. L’opération semble contestable…

Les « vrais » chiffres de la balance commerciale de 2022 avaient ainsi frôlé les... Poursuivre la lecture

La nécessité de décarboner à terme notre économie, qui dépend encore à 58 % des énergies fossiles pour sa consommation d’énergie, est incontestable, pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique, et pour des raisons géopolitiques et de souveraineté liées à notre dépendance aux importations de pétrole et de gaz, la consommation de charbon étant devenue marginale en France.

Cependant, la voie à emprunter doit être pragmatique et ne doit pas mettre en danger la politique de réindustrialisation de la France, qui suppose une... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles