Les chercheurs du Lawrence Livermore National Laboratory ont réussi à provoquer une fusion nucléaire contrôlée libérant 2,5 Megajoules de chaleur pour seulement 2,1 Megajoules d’énergie apportée. C’est la première fois qu’une expérience de fusion nucléaire permet de produire davantage d’énergie qu’elle n’en consomme.
Si la fission nucléaire utilisée aujourd’hui dans les réacteurs industriels consiste à casser un gros atome fissile (en l’occurrence de l’uranium), en revanche la fusion combine deux atomes légers pour produire un atome plus lourd tout en libérant des neutrons. La réaction thermonucléaire la plus simple est la fusion de deux isotopes de l’hydrogène : le deutérium et le tritium. Elle dégage énormément d’énergie, produit un neutron ainsi qu’un déchet inerte non radioactif : l’hélium.
Simple en apparence, le processus est pourtant infiniment complexe à mettre en œuvre. S’il est relativement facile pour un neutron non chargé électriquement de s’introduire dans un élément fissile, le rapprochement des noyaux positifs de deux atomes, fussent-ils légers, est soumis à des forces gigantesques de répulsion électrique. Vaincre ces forces requiert des énergies cinétiques considérables ce qui, en termes d’agitation thermique, se traduit par des températures colossales. Ainsi fonctionne notre Soleil : son cœur est un immense réacteur thermonucléaire fusionnant l’hydrogène à une température de 15 millions de degrés.
Dans ces conditions extrêmes, la matière ne reste ni solide ni liquide ni gazeuse. La très haute température arrache les électrons à la matière et la transforme en une « soupe » fortement conductrice, une sorte de quatrième état appelé « plasma ». Les plasmas représentent plus de 99 % de la matière de l’univers. En revanche, compte tenu des conditions de pression et de température, les plasmas n’apparaissent sur Terre qu’au cours de certaines manifestations météorologiques (foudre, aurores boréales).
Malgré les températures extrêmes, la probabilité que deux noyaux se percutent et fusionnent reste faible. Elle s’accroît avec la température mais aussi avec la densité de noyaux présents. Ainsi dans le cœur du Soleil où cette densité est immense, la température requise est de 15 millions de degrés. En revanche sur Terre, dans un réacteur thermonucléaire où cette densité est bien inférieure, la fusion nécessite des températures comprises entre… 100 et 200 millions de degrés.
Les tokamaks pour atteindre la fusion nucléaire
Atteindre ces températures extrêmes n’est pas le seul enjeu de la fusion.
Il faut aussi confiner le plasma pour l’empêcher d’entrer en contact avec les matériaux (principalement l’acier) constituant le réacteur. La solution se nomme « Tokamak ». Son design fût conçu dans les années 1950 par le célèbre dissident russe Andrei Sakharov.
Un Tokamak est une enceinte métallique sous vide soumise à un champ magnétique très intense généré par des bobines supraconductrices installées autour du réacteur. Ce « bouclier magnétique », maintient le plasma fortement conducteur dans un espace limité suffisamment éloigné de tout élément solide et notamment des parois de l’enceinte. En revanche, les neutrons libérés par la réaction thermonucléaire sont électriquement neutres et donc insensibles au champ magnétique. Ils peuvent s’extraire du plasma, traverser le vide, venir percuter la paroi métallique à grande vitesse et provoquer son échauffement. La chaleur récupérée à l’extérieur de l’enceinte est alors utilisée pour produire de l’électricité via un cycle vapeur classique.
Pour atteindre la température de 150 millions de degrés, différentes sources de chaleur sont utilisées. Lors de la formation du plasma, le déplacement des électrons provoque un effet Joule permettant d’atteindre des températures de l’ordre de dix millions de degrés. Le complément est fourni par des ondes électromagnétiques semblables à celles d’un gigantesque four à micro-ondes.
Comparé à ses « confrères énergétiques », la fusion nucléaire coche toutes les cases de l’énergie parfaite : elle est pilotable et n’émet ni CO2 ni déchets radioactifs. Par ailleurs la disponibilité en combustibles serait assurée pour plusieurs dizaines de milliers d’années : réserves de deutérium quasi illimitées dans l’eau de mer, tritium aisément produit à partir de lithium. Enfin, un dysfonctionnement du réacteur arrête immédiatement le processus. La fusion élimine donc les trois externalités négatives de la fission : pas de déchet radioactif, risque d’accident majeur supprimé et problème de démantèlement réduit à sa plus simple expression.
De nombreux projets expérimentaux de fusion ont cours dans le monde (US, UK, Chine). Mais, le plus important est installé à Cadarache dans la vallée de la Durance et porte le nom d’ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Regroupant les grands de ce monde (Union européenne, Japon, Russie, États-Unis, Chine, Corée du Sud et Inde), il vise à construire le plus grand Tokamak de l’histoire.
Le succès des chercheurs du Lawrence Livermore National Laboratory est un tournant décisif dans l’histoire de la fusion nucléaire. Si les résultats se confirment, elle pourrait arriver à maturité industrielle dans quelques décennies. Elle libérerait pour quelques millénaires l’humanité de sa geôle énergétique, pérenniserait la société de croissance et renverrait aux oubliettes collapsologues et décroissantistes.
Il ne tient qu’aux hommes politiques de transférer une partie des sommes colossales aujourd’hui investies dans les ENR (5000 milliards de dollars depuis 15 ans pour produire un peu plus de 10 % de l’électricité mondiale) vers la fusion pour accélérer le processus.
Sans vouloir tout gâcher, il est difficile de savoir s’il s’agit vraiment d’une percée historique. A priori, ce genre d’annonces fracassantes est relativement courant lorsque les subventions d’un projet de recherche arrive à leur terme, et ce afin d’attirer d’autres financements. L’avenir nous dira si c’était sérieux ou purement marketing. Après, il est clair qu’il n’y a pas d’alternative crédible au nucléaire, à part prôner le retour au Moyen-âge.
*arrivent
Non, cette expérience n’a pas été un succès décisif. Il a fallu 300 mégajoules pour obtenir le résultat. Un article vraiment équilibré, informé et informatif est disponible dans Ars Technica : https://arstechnica.com/science/2022/12/what-enabled-the-big-boost-in-fusion-energy-announced-this-week/
Extrait : « Before we get to visions of fusion power plants dotting the landscape, however, there’s the uncomfortable fact that producing the 2 megajoules of laser power that started the fusion reaction took about 300 megajoules of grid power, so the overall process is nowhere near the break-even point. »
Si, c’est un succès décisif parce que c’est la réfutation sans appel de l’argument de l’ingénieur évoqué dans l’article. Nous n’aurons pas besoin avant des décennies de produire de l’énergie à partir du néant, mais nous avons un besoin urgent de pouvoir sans opposition produire de l’énergie suivant les méthodes classiques sans être arrêtés à chaque instant par ceux qui nous imposent de ne pas obérer les ressources des siècles futurs. L’expérience montre qu’il n’est pas impossible de produire de l’énergie à partir du néant. C’est historique, c’est la preuve que le mouvement perpétuel est à la portée de l’homme.
… de l’article de Nathalie MP Meyer …
” tritium aisément produit à partir de lithium”, encore faut-il avoir du lithium !
Va falloir créer un comité écolo spécial pour étudier les moyens de torpiller cette énergie avant qu’elle ne soit industrialisable. Avec Greta a sa tête, ça passe encore mieux chez les neuneux (surtout s’ils sont français) !!
Pas difficile. L’exposition prolongée au soleil donne le cancer, alors avec une sorte de soleil artificiel, c’est forcément instantané.
“Un succès de la mise au point économique de l’énergie de fusion serait la pire chose qui puisse arriver à la planète.” Jeremy Rifkin.
“Donner à notre société une énergie peu coûteuse, propre et abondante, serait l’équivalent de donner une mitrailleuse à un enfant demeuré.” Paul Ehrlich.
Citations écolos collectées dans un commentaire du Contrepoints du 18/06/21
Ce résultat de laboratoire est obtenu par des lasers visant une petite cible. On n’imagine pas avec ce procédé réaliser un réacteur de puissance producteur d’électricité. La véritable percée se fera dans un réacteur de type confinement magnétique. Hélas, on est en effet encore bien loin d’un démonstrateur capable de produire de l’électricité. Et avant tout il faut vérifier qu’ITER cité dans l’article n’entraîne pas trop de déchets radioactifs, contrairement au mythe inexact maintes fois répété (« ni déchets radioactifs » dans l’article). S’il n’y a pas de produit de fission par définition, il y a de grosses masses de tritium en jeu (rejets normaux (*) + risque de fuite incidentelle très facile avec le tritium) et une grosse masse de produits d’activation hautement radioactifs. En effet, le tore dans lequel est confiné le plasma est soumis à une irradiation neutronique intense, bien supérieure à celle présente dans la cuve d’un réacteur à fission ou aussi d’un surgénérateur qui dispose de couvertures neutroniques. Il en résulte qu’on devra remplacer les couvertures primaires hautement irradiées peut-être très souvent quand le réacteur de puissance futur sera opérationnel. Un des objectifs d’ITER à côté du rendement énergétique est précisément d’appréhender la fréquence de remplacement des couvertures primaires et autres futurs tubes vapeur. A côté du bâtiment réacteur on risque d’avoir à construire un énorme entreposage de produits d’activation à vie courte et moyenne… ! Au total (tritium + entreposage de déchets) ITER n’est peut-être pas un cadeau quant à la question des déchets radioactifs, contrairement à la légende.
(*) A ITER les rejets normaux de tritium seront de l’ordre du triple de l’autorisation existante du centre de Cadarache (déjà contestée par les associations…).
J’ai bon espoir avec le projet de réacteur SPARC. Les technologies des aimants sont critiques pour la réalisation d’un réacteur de fusion, et ITER n’utilise pas les meilleurs (pour cause de design datant des années 90…).
Plus loin, des aimants supraconducteurs de 30 à 40 T sont possibles, ce qui ferait gagner un facteur 4 à 5 sur la taille nécessaire. C’est un point important car il est difficile de construire petit ces machines, et du coup toute expérimentation coute cher, ce qui entraine les politiques et donc un progrès lent.
Quand à la question de la peur du nucléaire, déchets ou pas, risque ou pas etc, rien ne changera. L’Ecolo a dit “You shall not split the atom”.
Alors la fusion pas de problème. Il n’y a pas d’interdiction de fondre la tomme (avec de l’abondance et du beaufort, une gousse d’ail et un verre d’Apremont 🙂 ).