L’épicerie fine Thomas Malthus

Le 13 juin 2022, lors d’une manifestation dite « de haut niveau » organisée par le ministère Fédéral de l’Environnement dirigé par les Verts, on a pu entendre des choses étonnantes.

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L'économiste Thomas Malthus (Image libre de droits)

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L’épicerie fine Thomas Malthus

Publié le 17 novembre 2022
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Par Ludger Weß.

 

En compagnie de membres écologistes et de gauche du Parlement européen ainsi que de représentantes d’ONG anti-OGM, le ministère a tenté de faire comprendre au seul représentant de la Commission européenne invité, le Dr Klaus Berend (chef d’unité à la direction générale de la Santé et de la Sécurité Alimentaire de la Commission), les conséquences dangereuses du point de vue des Verts et de la gauche des méthodes modernes de sélection végétale. Si la Commission ose ne pas soumettre les plantes issues de l’édition du génome à une législation stricte en matière de génie génétique, ce n’est rien de moins que le déclin de l’Occident qui se profile.

Les partisans d’une dérégulation des nouvelles technologies de sélection n’étaient bien entendu pas invités, pas plus que les experts en amélioration des plantes. Et pour éviter tout débat les objections critiques du public ont été élégamment écartées.

 

Platitudes de haut niveau

Les interventions des opposants aux méthodes modernes de sélection étaient, comme d’habitude, d’une ignorance stupéfiante et d’une simplicité séduisante. On a eu l’occasion d’entendre à nouveau les platitudes des années 1990, une époque où l’on s’opposait encore au génie génétique en médecine : il n’y a pas de succès, personne n’en veut, cela ne profite qu’aux multinationales, il existe des alternatives. Nous avons des sondages !

Il serait trop long de reprendre ici toutes les absurdités populistes (« les agriculteurs sont aujourd’hui dirigés par des multinationales »), mais quelques points méritent d’être mentionnés, car ils caractérisent le niveau de cette manifestation « de haut niveau ».

Le député européen des Verts Martin Häusling, qui a qualifié à plusieurs reprises les partisans du génie génétique d’« irradiés » lors de la discussion, s’est distingué en affirmant que le génie génétique vert n’était pas récupérable (cher Martin Häusling, même une résistance à un virus introduite dans une plante par sélection conventionnelle n’est pas récupérable, car la manière dont le gène a été introduit dans la plante cultivée n’a aucune importance pour le spectre de la « dissémination croisée ») – alors que d’éventuels effets nocifs, par exemple d’un vaccin, d’un médicament ou d’une thérapie génique, poursuit Häusling, pourraient être éliminés du jour au lendemain par un rappel de produit (« Et hop, on met le couvercle, c’est fait ! »). Les victimes de la thalidomide sont probablement d’un autre avis, mais il n’y en avait pas dans le public.

Par ailleurs, contrairement à la vérité et sans être contredit, Häusling a affirmé qu’au cours des 13 dernières années, 650 millions d’euros ont été investis par la Commission dans la recherche sur le génie génétique, « mais pas un seul euro dans la recherche sur les risques, pas un seul euro dans « comment puis-je en fait distinguer le nouveau génie génétique de l’ancien » – rien, mais seulement la promotion de la recherche ».

Pourtant, tant la Commission que les différents États membres de l’UE ont étudié les risques des plantes génétiquement modifiées pendant des décennies, en dépensant des millions. La Commission a financé à elle seule au moins 50 études sur la sécurité des plantes génétiquement modifiées, auxquelles ont participé 400 groupes de recherche européens indépendants. Les nouvelles techniques de sélection ont également été étudiées grâce à des fonds européens. Elles n’ont toutefois pas abouti au résultat souhaité par les Verts et le SPD car les recherches sérieuses n’ont malheureusement pas pu confirmer les scénarios catastrophes des scientifiques alternatifs selon lesquels le génie génétique vert provoquerait le cancer, la malnutrition et l’autisme.

 

L’épicerie fine du monde

La manifestation a pris un accent particulier avec une déclaration de l’eurodéputée SPD Maria Noichl, entre autres membre de la Commission de l’agriculture et du développement rural et membre suppléant de la Commission du développement.

Elle a déclaré au sujet de la durabilité (dans la vidéo à partir de 1:54:10) :

« Pour moi, la chose la plus durable pour nous tous serait que l’Europe continue à être l’épicerie fine du monde. Nous avons la possibilité de rester l’épicerie fine du monde grâce à nos surfaces ».

Selon Noichl, cette durabilité implique un mode d’exploitation aussi peu productif que possible, avec des exploitations qui renoncent en grande partie aux méthodes de production modernes afin de produire pour les gourmets fortunés de cette planète des produits haut de gamme issus d’une nature en grande partie intacte :

« Quand on entend parfois maintenant que des surfaces ukrainiennes sont particulièrement nécessaires pour fournir du fourrage à l’agriculture biologique, on se rend compte à quel point il est important d’avoir des surfaces vraiment – j’ai presque envie de dire une nature intacte, mais c’est maintenant un peu exagéré – mais en tout cas libres de modifications génétiques. Ce serait la durabilité à l’échelle mondiale ».

La politicienne social-démocrate ne se soucie manifestement pas de savoir de quoi le reste du monde se nourrit et comment il parvient à se procurer ses calories.

 

Le Sri Lanka comme modèle

Mais soudain, la politique agricole européenne, souvent considérée comme erratique, apparaît sous un jour nouveau. Le Green Deal, qui prévoit notamment une réduction de 50 % de l’utilisation de pesticides d’ici 2030, tout comme la limitation de l’utilisation d’engrais déjà en cours depuis quelques années, est une tentative de rendre l’Europe apte à la production de produits de luxe.

Les surfaces fertiles dont l’Europe dispose grâce à sa situation et à sa zone climatique sans être menacée par les criquets ou les légionnaires d’automne ne devraient même pas contribuer à l’alimentation mondiale. L’UE souhaite se détacher de cette responsabilité. Dans l’épicerie fine européenne, on trouvera alors de la viande slow food de bœuf de Kobe européen massé quotidiennement, de la saucisse de sanglier chassé par les loups, de l’huile d’olive extraite par gravité naturelle des fruits d’arbres millénaires, les bonnes vieilles variétés de fruits qui montrent déjà les premières taches brunes un jour après leur cueillette et qui doivent donc être transportées par avion vers les restaurants cinq étoiles de New York, de Singapour et du Qatar, du blé tamisé à la main et du riz sauvage de luxe de Camargue. Pour en savoir plus, il suffit de consulter le dernier catalogue Manufactum ou le site Slow Food.

Lors de la manifestation, il n’a pas été question de la sécheresse qui sévit depuis des années dans la Corne de l’Afrique, de l’invasion de criquets qui se poursuit en Afrique et au Proche-Orient, du légionnaire d’automne qui dévore les champs de l’Afrique de l’Est à l’Asie Orientale, de la maladie de Panama TR4 ou de la maladie de la striure brune qui menacent les aliments de base comme les bananes plantains et le manioc. Au lieu de cela, on s’inquiète en Europe parce qu’après des mois de fonctionnement, on a trouvé dans un filtre à air sur le Brocken des traces à peine détectables d’un produit phytosanitaire autorisé et on déblatère sur une contamination à grande échelle.

 

Malthus vous salue bien !

Selon les idées de la Commission européenne et du Parlement, l’approvisionnement des riches de ce monde en produits fins serait donc l’avenir de l’agriculture européenne.

Faut-il y voir de l’inconscience, un manque d’empathie ou même un calcul rationnel ? Les politiciens européens du Green Deal sont-ils secrètement parvenus à la conclusion que le nombre d’habitants de la planète compte également dans la surcharge diagnostiquée ?

Comment expliquer autrement que l’UE s’oppose à l’installation d’usines d’engrais en Afrique malgré la crise de la faim dans le monde qui se développe justement en raison de la sécheresse persistante et de la politique de blocage de Poutine ? Au lieu de cela, la Commission souhaite se référer à des « alternatives aux engrais », une expérience qui a échoué de manière catastrophique au Sri Lanka : au lieu de la « richesse et du bien-être pour tous », il y a eu la faim et la pauvreté pour tous.

Ce serait une politique démographique à la Thomas Malthus, qui enseignait qu’une population dont la croissance dépasse celle de la productivité agricole est nécessairement décimée par la guerre ou la famine jusqu’à ce qu’elle atteigne un équilibre tolérable. Comment expliquer autrement que des groupes de pression verts veuillent refuser au Sud mondial des pesticides dont l’utilisation n’est pas nécessaire en Europe (raison pour laquelle ils sont interdits chez nous, comme tous les autres dont l’utilisation n’est pas expressément autorisée) ? L’interdiction d’exportation demandée priverait ces pays d’armes importantes, y compris contre les vecteurs de maladies mortelles ou les invasions de criquets (ou les livrerait à la Chine, dont l’industrie ne connaît aucun scrupule).

Les politiciens agricoles de la gauche verte, dont les revendications ont entretemps été reprises par la social-démocratie et une grande partie des partis conservateurs européens, rejettent bien sûr en bloc l’idée d’une pensée mathusienne.

Leur réponse est stéréotypée : le monde produit déjà de la nourriture en abondance pour tous, il suffit de mieux répartir les aliments et de mettre fin au gaspillage alimentaire (saviez-vous d’ailleurs que les peaux de bananes jetées, le marc de café et les feuilles de thé sont également comptés comme des aliments détruits ?) En outre, on pourrait tout simplement utiliser les terres qui servent actuellement à la production d’aliments pour animaux pour produire des légumes ou des céréales destinés à la consommation humaine. Et une fois que le monde aura renoncé à manger de la viande, le paradis sur terre, où personne ne souffrira plus de la faim, sera à portée de main.

 

Des innovations ? Non merci !

C’est pourquoi il n’y a pas besoin d’innovations dans l’agriculture : ni nouveaux produits phytosanitaires, ni agriculture de précision, ni nouveaux systèmes d’irrigation, ni génie génétique, ni édition du génome, ni variétés hybrides, ni sélection de précision.

En France, les critiques de « l’agriculture industrielle » demandent même la suppression des machines agricoles et en Allemagne aussi, des « activistes » vantent déjà les mérites du désherbage manuel. Les mots magiques sont permaculture, agriculture à petite échelle (qui, dans le Sud, s’accompagne en général du travail des enfants et de l’absence de protection du travailleur et de sécurité sociale), huiles essentielles contre les parasites, variétés-populations et sélection participative, c’est-à-dire que les profanes doivent sélectionner des plantes en utilisant de préférence des méthodes de « sélection écologique », dans lesquelles les semences et les jeunes plants sont traités par des gestes eurythmiques, des sons de bols chantants et des préparations subtiles et hautement potentialisées. Ce n’est malheureusement pas une blague : de tels projets ont entretemps trouvé leur place dans des universités européennes et bénéficient d’un soutien public.

On ne sait pas non plus d’où viendra la main-d’œuvre pour ce type d’agriculture ni comment les États-Unis, l’Amérique du Sud, la Chine et l’Afrique passeront au mode de vie végétalien dans les années à venir, ni comment les criquets, les maladies virales et autres fléaux pourront être combattus sans produits phytosanitaires efficaces. On se contente d’exiger – comme le font actuellement certains grands penseurs – que l’on cesse de livrer des armes à l’Ukraine et que l’on mette fin à la guerre en Ukraine par des négociations immédiates.

L’Europe pourra se permettre cette folie tant qu’il y aura encore des acheteurs pour ses produits de luxe et tant qu’il y aura encore assez d’argent pour en injecter dans les pays touchés par la famine afin qu’ils puissent acheter des céréales sur le marché mondial ; mais uniquement des céréales non génétiquement modifiées !

Nous continuerons à importer les céréales pour le pain quotidien et les pâtes des Européens, la viande bon marché pour les saucisses grillées occasionnelles et les avocats, les graines de chia, le quinoa, l’amarante, les baies de goji indispensables à l’alimentation urbaine moderne, de pays où il n’y a ni réglementation sur les engrais, ni normes minimales de protection des animaux, ni réglementation sur les lieux de travail, ni programme de réduction des pesticides, ni obligation de toilettes mobiles au bord des champs – exactement comme nous supprimons les centrales nucléaires mais importons de l’électricité nucléaire de France et, plus récemment, d’Ukraine, comme nous interdisons la fracturation hydraulique mais importons du gaz de schiste des États-Unis, comme nous interdisons l’abattage des poussins et importons à la place des poussins sélectionnés (pour l’élevage de poulets) ou tués (pour les parcs animaliers et la nourriture pour animaux) de l’étranger, comme nous interdisons la culture de plantes génétiquement modifiées et importons à la place plus de 20 millions de tonnes de soja génétiquement modifié par an de Chine, d’Amérique du Sud et des États-Unis.

On ne peut qu’espérer que la communauté internationale ramènera à temps les Européens à la raison. Car en Europe, il n’y a plus de forces sérieuses pour corriger ce déni de réalité.

 

____________

Ludger Weß écrit depuis les années 1980 sur la science, principalement la génétique et la biotechnologie. Auparavant, il a fait de la recherche en tant que biologiste moléculaire à l’Université de Brême. En 2006, il a fait partie des fondateurs d’akampion, qui conseille les entreprises innovantes dans leur communication. En 2017, ses thrillers scientifiques Oligo et Vironymous ont été publiés chez Piper Fahrenheit, et en 2020, l’ouvrage spécialisé Winzig, zäh und zahlreich – ein Bakterienatlas a été publié chez Matthes & Seitz. Ludger Weß commente ici en privé.

 

Lien vers l’article original  : Feinkostladen Thomas Malthus – Salonkolumnisten

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  • je vais dire ce que je dis à michel gay..

    quand on met le sort d’un secteur économique dans les mains de la démocratie… et non du marché..on prend le risque du populisme ….

    dans un procès, en science, certains arguments sont jugés irrecevables..

    faut il vous faire ne liste des absurdités que disent les gens…les gens rejettent même le profit!!!! n’aiment pas les produits « industriels », les produits chimiques!!! ! l’énergie nucléaire ( le soleil? ) , mais ils aiment l’agriculture naturelle, qualifient le sucre raffiné de « poison »..

    le monde est blanc ou noir.. merci à 50 ans d’yeux doux pour de sympathiques » amoureux de la nature »..
    ils pensent que le monde moderne augmente les risques de mourir … tout en sachant que l’espérance de vie augmente ..

    jeter le bébé avec l’eau du bain..comme principe..
    non le poison reste la dose..

    et par dessus le marché on a désormais le principe de précaution!!!!! sa non dénonciation par les scientifiques notamment et tout esprit rationnel marque la fin possible de toute innovation!!!

    • On ne peut dénoncer le principe de précaution que si on sait faire un calcul de risque. Or comme plus personne ne s’en donne la peine, ça passe pour une dénonciation arbitraire, voire calomnieuse.

  • Cette folie de l’Europe est tout simplement dramatique d’ignorance et de bêtise.

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