La Russie : un pays en perte d’influence

La Russie a une influence limitée et pas juste à cause de la guerre en Ukraine.

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Vladimir Poutine & Dimitri Medmedev (Crédits Jürg Vollmer, licence Creative Commons)

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La Russie : un pays en perte d’influence

Publié le 4 novembre 2022
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Depuis le début de la guerre en Ukraine, les déclarations officielles russes perdent de plus en plus de crédibilité. Mais à l’inverse, on remarque une activité intense de Moscou sur les réseaux sociaux, dans la cyber-guerre, dans « l’achat » des personnalités politiques et dans des manifestations constellées de drapeaux russes dans certains pays africains… Finalement, l’influence russe est-elle en progression ?

Commençons par un rappel historique.

 

Une puissante nostalgie impériale

La Russie a été un grand empire, et Vladimir Poutine veut marquer l’histoire en lui rendant son rang.

Bien que pur produit du système soviétique, le président russe n’hésite pas dans ses discours à se référer à la Sainte Russie impériale et s’appuyer pour cela sur l’Église orthodoxe nationale.

Les frontières de la Sainte Russie s’étendaient – en 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale – de la Sibérie à la Pologne, en passant par l’Asie centrale, l’ensemble couvrant un territoire de 22 millions de km²

En 1917 la révolution bolchévique fait éclater l’empire russe.

Sous la pression allemande, le nouvel État cède dans un premier temps une partie de ses territoires en Pologne. Les pays baltes et la Finlande en profitent pour prendre leur indépendance. L’Ukraine, les pays du Caucase et d’Asie centrale tentent également de le faire, avant d’être repris.

En 1945, sa contribution à la victoire finale contre le nazisme permet à l’URSS de reprendre une partie de la Finlande, de la Pologne et les trois pays baltes ; et de transformer en vassaux les États d’Europe centrale : Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Allemagne de l’Est. Seules la Grèce et la Yougoslavie réussissent à échapper à son emprise.

L’Empire éclaté Hélène Carrère d'Encausse 1978Comme la Sainte Russie, l’URSS et ses vassaux forment un empire regroupant un ensemble hétérogène de nations, de peuples, de cultures et de religions qui ne tenait que par la seule puissance du Parti communiste.

Mais sa faiblesse fut décrite de manière prémonitoire dès 1978 par Hélène Carrère d’Encausse dans son ouvrage L’Empire éclaté : la révolte des nations en URSS :

« Que restera-t-il de l’URSS à l’aube du IIIe millénaire ? De la réponse qui sera apportée à cette question dépend l’avenir d’une part importante du continent européen et l’équilibre du continent tout entier. Sans doute Gorbatchev doit-il résoudre le lancinant problème de l’économie soviétique. Mais, plus encore, il doit trouver une réponse à la révolte des nations. »

L’épreuve de la guerre en Ukraine

C’est en héritier de cette histoire séculaire que Vladimir Poutine annexe la Crimée en 2014, met la main sur le Donbass puis envahit Ukraine. Les deux premières étapes renforcent son idée de mollesse de l’Occident.

Les proclamations officielles deviennent de plus en plus éloignées de la réalité, à commencer par « nous allons délivrer l’Ukraine d’une dictature nazie ». Je me crois revenu à l’époque de Brejnev.

L’émotion déclenchée par l’invasion de l’Ukraine dans le grand public occidental décrédibilise les canaux russes, alors que jusque-là le scepticisme était limité à certains milieux politiques.

Pourtant, depuis le début de la guerre en Ukraine, les sites diffusant de la propagande prorusse sur Internet se sont multipliés, et ce malgré le blocage décrété par la Commission européenne des médias russes favorables au Kremlin, comme RT ou Sputnik.

C’est ce qu’a révélé une enquête de l’institut new-yorkais NewsGuard en août 2022, qui dénombre 250 sites diffusant de la propagande pro-Kremlin, une propagande russe que les médias occidentaux s’attachent cependant à déconstruire patiemment, notamment en documentant les massacres de Boutcha, en vue de futurs procès.

Si le conflit ukrainien a été l’occasion de décrédibiliser la propagande russe en Occident, qu’en est-il en Asie et en Afrique ?

 

L’influence de la Russie en Asie

Les vieilles complicités avec l’URSS ont maintenant disparu.

Mao et ses successeurs ont coupé les ponts depuis longtemps. Même le Vietnam, surtout depuis la mort de Hồ Chí Minh qui adhéra au Parti communiste en France dès 1924 ou l’Inde, surtout depuis la prise de pouvoir par les libéraux nationalistes de Narendra Modi.

La Chine est officiellement alliée à la Russie, mais on sent bien que le prestige russe est atteint par les ratés militaires, et que la Chine ne veut pas payer son soutien à un perdant par une coupure de ses débouchés commerciaux en Occident.

Le reste de l’Asie est encore plus réservé, notamment parce que contrairement à ce qui se passe en Chine l’information occidentale y est reçue. En sens inverse, l’Ukraine, c’est loin et mal compris. Les États se bornent donc à rechercher leur intérêt économique (du pétrole russe bradé, par exemple) et par ailleurs se cramponnent au principe de l’intangibilité des frontières parce qu’ils ont presque tous des mouvements séparatistes. Donc changer de place la frontière entre la Russie et l’Ukraine ne leur plaît pas.

Même des États traditionnellement proches de la Russie, comme l’Inde ou ceux d’Asie centrale, restent évasifs malgré les appels du pied de Moscou.

Reste l’Afrique.

 

L’influence russe en Afrique

Moscou avait préparé le terrain en attirant dès les années 1920 et 1930 les personnalités les mieux placées pour l’avenir. Il s’agissait de mettre en place la stratégie de Lénine de faire s’écrouler des pays capitalistes en les privant de leurs colonies.

Certaines des personnalités approchées s’éloignèrent dans un deuxième temps de l’URSS comme Senghor au Sénégal ou Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, et plus tard Nelson Mandela en Afrique du Sud.

D’autres restèrent fidèles à Moscou et prirent le pouvoir à l’occasion des indépendances à partir des années 1950.

Au milieu des années 1980, l’Union soviétique signe des centaines d’accords avec les pays africains. Environ 25 000 Africains sont formés dans les universités et les collèges techniques soviétiques, dans de multiples domaines, et des milliers sortent des académies militaires et politiques de l’URSS. Voir notamment les travaux de l’ELITAF.

De même, un grand nombre de dirigeants africains bénéficient à titre personnel du soutien et de la formation proposés par l’URSS.

C’est ainsi par exemple que le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, ancien « homme fort » d’Algérie, décédé en 2019, a été formé à l’école d’artillerie de Vystrel, dans la banlieue de Moscou, tout comme son camarade de promotion, le général Benali Ben Ali, commandant de la garde présidentielle depuis 2015.

Les liens avec le continent africain sont donc nombreux et anciens.

À partir du milieu des années 2000, Vladimir Poutine ramène la Russie sur la scène africaine. Il officialise son influence par le sommet de Sotchi en octobre 2019 (étude de Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI). 

Quand la situation est mûre sur le terrain, Evgueni Prigojine, oligarque proche de Vladimir Poutine, y installe la milice Wagner, ce qui dispense le Kremlin d’envoyer officiellement ses troupes. Cette milice est maintenant installée en Libye, au Soudan, en République Centrafricaine et au Mali. Elle s’est fait remarquer par des massacres de civils qu’elle a tenté d’imputer dans un cas à l’armée française. Elle est payée par un prélèvement sur les recettes des mines d’or de ces trois derniers pays et utilise les avions de transport de l’armée russe.

Pour asseoir son influence en Afrique, Moscou entretient un sentiment anti-français par les réseaux sociaux et les illustre par les drapeaux russes brandis à toute occasion au Mali et au Burkina Faso. Reste à savoir qui fournit ces drapeaux et si ces manifestants sont payés par la Russie…

Remarquons que Pékin utilise les mêmes arguments, à savoir de « protéger l’Afrique du néocolonialisme occidental » . Mais son action est différente : pas de mercenaires militaires Wagner, mais une participation aux contingents de l’ONU et une présence économique, allant d’un important commerce aux infrastructures, ce que la Russie ne semble pas en état de faire.

Moscou et Pékin ont aussi en commun de rester discrets sur leur propre colonialisme. Nous avons parlé de l’empire russe, mais la Chine est également un empire asservissant le Tibet, Hong Kong, le Sinkiang, sans oublier l’annexion de fait des îles de la mer de Chine du Sud et les menaces envers Taïwan.

 

Les États-Unis ont subi d’importants revers, mais…

Pékin et Moscou profitent de la perte d’influence des États-Unis sur la scène internationale. Sur le plan militaire, leurs échecs en Irak, la décision du président Obama de ne pas intervenir en Syrie à l’été 2013 ou encore le désastreux retrait d’Afghanistan en août 2021, ont durablement écorné leur image de défenseur de la démocratie et des libertés dans le monde.

De même, sur le plan diplomatique, les décisions du président Trump de retirer unilatéralement les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, de supprimer les subventions à l’OMS et plus globalement de préférer les relations bilatérales aux échanges multilatéraux ont contribué à cette perte d’influence.

Il reste que les universités américaines continuent d’attirer et de former les esprits les plus brillants de la planète tandis que les immigrants de tous niveaux continuent à affluer vers les États-Unis, alors que les Russes émigrent et que les Chinois sont bloqués chez eux.

 

Les États-Unis ou l’Occident ?

Remarquons que Xi Jinping et Vladimir Poutine fustigent de plus en plus souvent « l’Occident », plutôt que les États-Unis.

C’est ainsi qu’en septembre 2022 Vladimir Poutine a lancé à une assemblée de dirigeants politiques et religieux russes :

« L’Occident divise les peuples et n’agit que dans son intérêt, il pense pouvoir commander le monde. Ils ne veulent pas que nous soyons libres, ils veulent nous voir comme une colonie. Ils ne veulent pas d’une coopération égale mais d’un pillage, ils ne veulent pas nous voir comme une société libre mais comme une foule d’esclaves sans âme ».

« Eux contre nous ». Vladimir Poutine présente la Russie comme une nation en danger et assiégée, contrainte de se défendre. Un état d’esprit assez proche de celui de Xi Jinping pour qui « La sécurité nationale constitue le fondement du renouveau de la nation » et qui dénonce régulièrement le danger des « idées occidentales ».

La sécurité nationale remplace ainsi l’économie comme élément central de l’avenir de la Chine comme de la Russie, à mon avis, parce que les deux sentent que l’avenir économique peut leur échapper et que les aspirations de leurs propres peuples sont de plus en plus étrangères à leur système autocratique. Ils ripostent par un redoublement de propagande, sans que cette dernière génère pour autant de l’influence.

Reste une dernière corde à l’arc de la propagande : le conservatisme social.

 

Le conservatisme social et religieux, dernier atout de Poutine

Vladimir Poutine s’appuie sur le désarroi des traditionalistes constatant que des repères aussi élémentaires que ceux du genre se trouvent remis en cause. Cela non seulement en Russie, mais aussi en Europe. Cette offensive conservatrice a de plus l’avantage de diviser les pays occidentaux.

Ainsi une droite nationaliste, conservatrice et identitaire que l’on trouve en Hongrie avec Viktor Orban, en Italie avec Giorgia Meloni, en Suède avec le parti des Démocrates, ou encore en France avec le Rassemblement national, a généré une certaine sympathie pour la Russie. Mais là aussi, l’attaque de l’Ukraine a obligé à mettre cette sympathie de côté.

Et il n’y a pas que l’Europe, car la réaction conservatrice se retrouve dans une grande partie des élites du reste du monde.

Ces élites sont profondément choquées par la pression de l’Occident sur la liberté des minorités sexuelles et par l’idée, par exemple, qu’un homme puisse être transformé en femme, une aversion dont l’Occident n’a pas toujours pleinement conscience.

Vladimir Poutine et Xi Jinping s’appuient sur ce sentiment pour leur influence.

Ce conservatisme social est utilisé sur le plan interne par Pékin et Moscou pour limiter leur déclin démographique. Leur idéal est une « vraie femme » à la maison, élevant trois enfants.

Ma conclusion personnelle est que si la politique d’influence russe ressemble quelque peu à celle de la Chine, qui impressionne davantage, il n’est pas du tout certain qu’elle soit efficace.

La liberté d’information et d’expression occidentale la met face à ses contradictions, et si elle fait encore illusion en Afrique, cela ne devrait pas durer. Notamment au fur et à mesure que le coût financier et humain de Wagner sera ressenti par les Africains, et si nous lançons des actions plus résolues dans tous les domaines de l’information.

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  • Vous avez vos convictions et c’est bien votre droit. Ceci étant, vous ne faites quelque part que remarquer ce que nous, la France, devrions retrouver comme doctrine « les pays n’ont pas d’amis, pas d’ennemis, ils n’ont que des intérêts ». C’est bien que vous illustrez en passant en revue les différents continents.
    Par contre, parler de liberté d’information en ce moment est assez comique surtout que vous rappelez quelques lignes plus haut que la commission européenne (de quel droit d’ailleurs) a décrété l’interdiction des médias russes… Entre parenthèses, si la propagande russe est tellement mensongère, quel risque y-a-t-il à la laisser accessible à des peuples de personnes adultes et responsables (et qui ne sont pas en guerre contre la Russie doit-on le rappeler) ? Et quant à la grossière fausseté de la propagande russe, vous avez peut-être raison, mais comme celle-ci est inaccessible au citoyen que je suis, je ne peux qu’avoir accès à la propagande de nos médias… qui, elle, se révèle souvent grossièrement et caricaturalement fausse…

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    • La propgande russe est sans doute grossière, directe et brutale………La propagande occidentale se fait tout en douceur, par derrière , ni vu ni connue.

    • En pratique, vous pouvez encore installer un VPN et consulter la propagande russe malgré votre « qualité » de citoyen français. Je ne saurais trop d’ailleurs vous le conseiller, c’est un excellent exercice intellectuel.

  • « La Russie : un pays en perte d’influence »
    Sans doute une confidence de Zelensky a Macron.

    • Ce serait plutôt la France en perte de vitesse. Et grosse perte de vitesse puisque même la Russie de Poutine lui vole son influence au Mali, en centre Afrique…

      • « La Russie : un pays en perte d’influence »
        Vous voulez dire que ce serait plutot une remarque de Macron adréssée a Zelensky pour lui rementer le moral ?
        Encore un effort et vous allez découvrir le « Deuxième degré »

  • Voilà un article bien représentatif de la doxa franco-américano-européenne sur la guerre Russie – Ukraine !!
    Le tout sans aucune analyse de fond, sans aucun rappel de l’historique d’avant la révolution de Maïdan, des 8 années où l’Ukraine a bombardé son propre « peuple » avec, paraît-il 14.000 morts dans cette sorte de guerre civile d’où la Russie était absente, de la non-application des accords de Minsk I et II par la faute de l’Ukraine et de l’Europe (essentiellement la France et l’Allemagne qui s’en sont désintéressés), des frappes sur Louhansk et Donetsk jusqu’en février 2022 et l’entrée en guerre de la Russie, etc…
    il faudrait peut-être rappeler les faits et les données avant de conclure à quoi que ce soit pour ou contre chacun des belligérants !!

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