Comment l’entreprise peut sortir de la spirale du déclin

Certaines organisations s’habituent à la médiocrité, et masquent le déclin qui en résulte par de grands discours visionnaires ou sociétaux. Comment y remédier ?

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Comment l’entreprise peut sortir de la spirale du déclin

Publié le 2 octobre 2022
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Dans mon dernier article, j’évoquais la façon dont certaines organisations s’habituaient à la médiocrité, et masquaient le déclin qui en résulte par de grands discours visionnaires ou sociétaux. Pour décrire leur situation, j’utilisais l’image du canard, qui paraît calme en surface mais qui, sous l’eau, pédale comme un fou pour essayer d’avancer. L’article a suscité énormément de réactions, beaucoup de lecteurs demandant évidemment ce qu’on peut faire pour résoudre la difficulté. Répondre à cette question, c’est la quête du Graal.

Sans prétendre trouver celui-ci, essayons quand même quelques éléments de réponse.

Le problème avec une organisation en déclin n’est pas la médiocrité, mais l’acceptation tacite de celle-ci. Un retard de train de 10 minutes, ce n’est pas forcément très grave, ça arrive. Aucune organisation ne peut être efficace à 100 % tout le temps. Ce qui est grave, c’est que malgré ce retard, le train soit quand même considéré comme à l’heure. Lorsque l’organisation masque ainsi ses dysfonctionnements, elle vide les mots de leur sens. Si un retard n’est plus un retard, alors que signifie retard ? Cette perversion des mots est profondément corrosive.

Comme le notait Camus, mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. La difficulté est que lorsqu’on est engagé dans cette voie, un retour en arrière est extrêmement difficile, car on ne sait plus de quoi on parle. Les mots ne signifient plus rien, et le collectif uni autour de ces mots ne peut plus fonctionner. Une remise à zéro s’impose.

 

L’arrivée d’un nouveau dirigeant

Une des façons de tout remettre à zéro est évidemment de nommer un nouveau dirigeant.

Prendre acte d’une situation de déclin est toujours plus facile pour un nouveau dirigeant, qui peut marquer un nouveau départ par quelques actes ou discours forts. Parmi les grandes remises à zéro, il y a celle d’IBM en 1991, dont le nouveau PDG déclarait fameusement : « La dernière chose dont IBM a besoin, c’est d’une vision ». Il y a aussi celle d’Apple avec le retour de Steve Jobs en 1996. Dans ces deux situations, c’est d’abord un retour à la réalité qu’impose le nouveau dirigeant. Cessons de nous cacher derrière des mots, reconnaissons que la situation est catastrophique, et reconstruisons là-dessus, disent-ils en substance.

Mais en dehors d’une situation de crise explicitement reconnue par le conseil d’administration, il est rare que le choc vienne d’en haut. Une raison est que le déclin est progressif.

En s’inspirant des travaux de l’historien Arnold Toynbee sur les civilisations, on peut mettre en avant trois caractéristiques du déclin des organisations :

Premièrement, l’origine de celui-ci est une cassure qui entraîne la perte de capacité créative de l’organisation. La flamme intérieure des origines s’éteint peu à peu.

Deuxièmement, cette cassure correspond à l’émergence d’une minorité dominante (le management) fonctionnant sur une logique de contrôle. C’est typiquement la phase où les entrepreneurs des origines, créatifs mais mal organisés, sont remplacés par des managers cartésiens, bien organisés mais non créatifs. Cette nouvelle logique a deux effets : elle améliore, parfois de façon significative, les performances à court-terme, mais elle accentue la perte de capacité créative.

Troisièmement, le délai entre la cassure créative et le moment où ses effets se voient dans les indicateurs de performance peut être parfois très long. C’est cette dernière caractéristique qui rend très difficile la réaction, car pendant longtemps, le déclin peut être masqué par de bonnes performances économiques. La révolution numérique commence au début des années 1990, mais Kodak ne fait faillite qu’en 2012. D’où l’image du canard : à l’intérieur de l’organisation, les choses vont mal, mais en surface, tout paraît calme et serein.

 

L’initiative individuelle : puissance et limite

Que faire en l’absence d’une prise de conscience de la direction générale ?

D’une certaine façon, pas grand-chose. On aimerait se dire que la solution réside dans le corporate hacking, l’intrapreneuriat, l’intelligence collective, l’agilité… en bref l’initiative du terrain pour redonner une dynamique au système. Mais la vérité est que les initiatives locales, quel que soit le nom qu’on leur donne, s’épuisent rapidement, et leurs promoteurs avec, car aucune initiative locale ne peut réussir sans soutien à un niveau élevé. C’est encore plus vrai si elles consistent à attaquer ce système, qui saura très bien se défendre.

Pas grand-chose, mais quelque chose quand même. Pour cela, il faut repartir du diagnostic initial : le véritable problème du déclin est le mensonge, c’est-à-dire l’acceptation tacite de la médiocrité et la rhétorique créée et acceptée par tous pour le masquer. Tout part de là, et c’est de là que le terrain peut agir. Il faut simplement refuser de participer au mensonge, mais il faut le faire sans se mettre en danger. Il ne s’agit pas de se mettre debout sur la table à la cafétéria et de lancer un cri de révolte. Ce serait une attaque frontale contre le système, donc stérile et dangereuse. Il s’agit de procéder par petites victoires contre le silence, en créant des coalitions de parole libre. Concrètement, trouver une personne, puis une autre, puis une troisième, avec lesquelles on peut parler librement de la réalité. Il s’agit de n’attaquer personne, il ne s’agit même pas de trouver des solutions. Simplement de ne pas participer au mensonge. C’est extrêmement puissant, parce que ça prépare le terrain, et que préparer le terrain est la clé des révolutions réussies.

Dans son ouvrage La chair et l’acier, l’historien militaire Michel Goya raconte ainsi comment l’armée française a réussi une réforme profonde durant la Première Guerre mondiale. À l’entrée de la guerre, elle n’était pas du tout préparée et était restée dans le modèle de la guerre de 1870. Les résultats des premières semaines furent catastrophiques. Pourtant, à la fin de la guerre, elle est la plus moderne du monde. Qu’est-ce qui lui a permis de se transformer aussi rapidement ? Goya explique qu’avant-guerre, elle avait laissé se développer une multitude d’expérimentations locales (aviation, TSF, etc.), souvent très en décalage par rapport aux doctrines officielles. Autrement dit, pendant ces années, le terrain… a préparé le terrain. En sorte que lorsque les doctrines officielles ont fait faillite sous le feu, tout était prêt pour en définir de nouvelles, il suffisait de passer à l’échelle.

 

Préparer le terrain

S’il est illusoire de penser que le terrain finira par faire changer l’organisation, chacun peut néanmoins agir à son niveau en refusant le mensonge. Cela permettra non seulement des progrès locaux, mais surtout de préparer le terrain lorsque la direction générale prendra conscience que l’heure du changement est venue. Cela permettra peut-être même d’accélérer cette prise de conscience pour sauver notre pauvre canard.

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  • Très bon article et qui s’applique à beaucoup d’entreprises. Mais la solution proposée posé un seul problème : pourquoi serais-je le seul à refuser le mensonge ? Ceux qui le défendent sont promus et ceux qui s’y opposent sont placadisés. Le combat est tellement inégale que tous ne peuvent qu’accepter le mensonge ou partir.

  • Les commentaires sont fermés.

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